5 Novembre 2025
Paul Audi est né le 11 mars 1963 à Beyrouth au Liban dans une famille grecque orthodoxe qui appartient à la bourgeoisie cultivée de cette ville cosmopolite alors considérée comme le Paris du Moyen-Orient. Son enfance se déroule dans le contexte de la guerre civile libanaise qui éclate en 1975 quand il a douze ans et qui va durer quinze années en transformant profondément le paysage urbain et social de Beyrouth. Cette expérience de la violence et de la destruction marquera durablement sa pensée même s'il n'en parle que rarement de manière explicite dans ses textes philosophiques. La famille Audi cultive une tradition intellectuelle qui valorise la culture européenne et particulièrement française, tradition qui facilitera l'insertion ultérieure de Paul Audi dans le monde intellectuel parisien. Le jeune Paul reçoit une éducation en langue française dans les institutions scolaires de Beyrouth qui perpétuent le système éducatif français hérité de la période du mandat. Cette formation francophone lui permet d'acquérir très tôt une maîtrise parfaite de la langue française qui sera celle de toute son œuvre philosophique et littéraire.
En 1981, à l'âge de dix-huit ans, Paul Audi quitte le Liban pour poursuivre ses études supérieures en France où il s'installe définitivement. Il entreprend des études de philosophie à l'université Paris-Sorbonne où il suit les cours de plusieurs professeurs qui marqueront sa formation intellectuelle. Durant ces années universitaires, il découvre la tradition phénoménologique allemande à travers les textes de Husserl, Heidegger et leurs continuateurs français comme Sartre et Merleau-Ponty. Il s'intéresse particulièrement aux questions d'esthétique et d'éthique qui deviendront les axes majeurs de son travail philosophique ultérieur. Durant cette période de formation, il fréquente les séminaires de l'École Normale Supérieure et de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales où il rencontre d'autres jeunes philosophes de sa génération. Il obtient sa licence puis sa maîtrise de philosophie avec des mémoires consacrés à la philosophie allemande moderne.
Paul Audi poursuit son cursus universitaire en préparant un doctorat de philosophie sous la direction d'un professeur spécialiste de phénoménologie. Sa thèse porte sur les rapports entre esthétique et éthique dans la philosophie contemporaine en examinant comment ces deux domaines traditionnellement séparés peuvent être pensés ensemble. Ce travail doctoral qui s'étend sur plusieurs années lui permet d'élaborer les bases conceptuelles de ce qui deviendra sa notion centrale d'esth/éthique. Durant cette période de recherche doctorale, il publie ses premiers articles dans des revues philosophiques spécialisées qui commencent à faire connaître son nom dans le milieu académique français. Il soutient sa thèse au début des années 1990 et obtient le titre de docteur en philosophie qui lui ouvre les portes d'une carrière universitaire.
Parallèlement à son parcours académique, Paul Audi développe un intérêt profond pour la littérature et les arts qui nourriront constamment sa réflexion philosophique. Il fréquente assidûment les musées parisiens et particulièrement le Louvre où il passe de longues heures à contempler les tableaux des maîtres anciens. Il découvre la peinture contemporaine à travers les galeries du Marais et de Saint-Germain-des-Prés où il voit les œuvres de Bacon, Giacometti, Richter qui deviendront des références essentielles de sa pensée esthétique. Il entretient des relations avec plusieurs artistes peintres qui lui permettent de comprendre de l'intérieur le processus de création artistique. Il est un lecteur passionné de littérature française classique et moderne, il lit et relit Rousseau qui devient son auteur de prédilection ainsi que Mallarmé, Proust, Camus qui font l'objet de plusieurs de ses livres.
En 1994, Paul Audi publie son premier ouvrage De la véritable philosophie aux éditions Le Nouveau Commerce, livre consacré à Rousseau qui annonce déjà les thèmes majeurs de sa pensée. Ce premier livre attire l'attention de quelques critiques qui reconnaissent l'originalité de son approche de la philosophie rousseauiste. Il commence alors une période de production intellectuelle intense qui verra la publication régulière de livres et d'articles dans les principales revues philosophiques françaises. En 1997, il publie simultanément trois ouvrages aux Presses Universitaires de France dans la collection Perspectives critiques dirigée par un philosophe reconnu. Ces trois livres portent respectivement sur l'autorité de la pensée, sur l'éthique de Rousseau et sur la poétique de Mallarmé, ils établissent Paul Audi comme un philosophe important de sa génération capable d'intervenir sur des domaines variés avec une égale compétence.
Durant les années 1990 et 2000, Paul Audi occupe diverses positions dans l'enseignement supérieur français qui lui permettent de développer sa recherche tout en formant de jeunes étudiants. Il enseigne la philosophie dans plusieurs universités parisiennes où il donne des cours sur l'esthétique, l'éthique et la phénoménologie. Il dirige des séminaires de recherche qui attirent des doctorants intéressés par ses problématiques originales. Il participe à des jurys de thèse et à des comités de rédaction de revues philosophiques. Il donne des conférences dans différentes institutions académiques françaises et étrangères qui l'invitent à présenter ses travaux. Il intervient dans des colloques internationaux sur la phénoménologie, l'esthétique et la philosophie morale où il dialogue avec d'autres chercheurs de sa discipline.
Paul Audi poursuit actuellement son activité d'enseignement, de recherche et d'écriture tout en participant à la vie intellectuelle française par des conférences, des articles et des interventions publiques. Il dirige des séminaires de recherche qui attirent de jeunes chercheurs intéressés par ses problématiques. Il participe à des jurys de thèse et à des comités scientifiques qui évaluent des projets de recherche. Il entretient des relations avec des artistes, des écrivains et des intellectuels qui nourrissent sa réflexion philosophique. Son œuvre constitue désormais un corpus important qui fait l'objet d'études universitaires et de commentaires critiques. La position institutionnelle d'Audi dans le champ philosophique français reste relativement marginale malgré la reconnaissance dont il jouit auprès d'un public cultivé. Toutefois s'il n'occupe pas de chaire prestigieuse dans une grande université ni de position dominante dans les instances de pouvoir académique, plusieurs thèses de doctorat déjà lui ont été consacrées qui analysent différents aspects de sa pensée philosophique. Il n'a pas créé d'école philosophique ni formé de disciples qui perpétueraient sa pensée. Cette marginalité relative provient en partie de ses choix intellectuels qui le situent à l'écart des courants dominants de la philosophie universitaire française contemporaine. Sa pratique philosophique qui accorde une place centrale aux arts et à la littérature ne correspond pas aux standards de la philosophie analytique anglo-saxonne et son intérêt pour les questions d'éthique et d'esthétique le situe à distance des préoccupations politiques qui occupent massivement le devant de la scène philosophique française actuelle. Cette position marginale possède des avantages puisqu'elle lui permet de développer une pensée originale sans devoir se conformer aux attentes institutionnelles ni aux modes intellectuelles passagères.
L'itinéraire intellectuel de Paul Audi se caractérise par une fidélité constante à certains thèmes et certains auteurs qui traversent toute son œuvre depuis ses débuts jusqu'à ses publications les plus récentes. Sa fidélité à la tradition phénoménologique le place dans un courant qui a perdu l'hégémonie qu'il exerçait dans les années d'après-guerre. Rousseau constitue la référence permanente qui inspire sa réflexion éthique et politique, Audi lui a consacré plusieurs livres qui proposent des relectures originales de son œuvre. Nietzsche représente une autre référence majeure particulièrement pour les questions esthétiques et la critique de la morale traditionnelle. Michel Henry constitue l'interlocuteur principal dans le domaine de la phénoménologie, Audi prolonge et critique sa phénoménologie matérielle. Lacan rtient lieu de référence importante pour penser la psychanalyse même si Audi n'est pas lui-même psychanalyste. Mallarmé, Proust, Camus sont les écrivains qui nourrissent constamment sa réflexion sur la littérature.
La pensée d'Audi se caractérise par un refus des cloisonnements disciplinaires qui séparent la philosophie, la littérature, les arts et les sciences humaines. Il pratique une forme de philosophie qui se nourrit de la fréquentation assidue des œuvres artistiques et littéraires sans se contenter d'exemples illustratifs de thèses préétablies. Les tableaux, les poèmes, les romans constituent pour lui des sources de pensée à part entière qui permettent d'accéder à des dimensions de l'expérience que la philosophie abstraite ne peut atteindre. Cette méthode implique une pratique intensive de la lecture et de la contemplation qui précède et nourrit l'élaboration conceptuelle. Audi passe des heures dans les musées à regarder les tableaux, il relit inlassablement les mêmes textes littéraires en cherchant à épuiser leur richesse signifiante. Cette ascèse contemplative constitue la condition de possibilité de son écriture philosophique qui ne se contente pas de commenter des œuvres mais cherche à penser avec elles.
En 2006, Paul Audi publie un livre important consacré à Michel Henry, philosophe phénoménologue français décédé en 2002 qu'il avait personnellement connu. Ce livre intitulé Michel Henry, une trajectoire philosophique constitue une introduction synthétique à l'œuvre complexe de ce penseur qui a développé une phénoménologie radicale de la vie. L'ouvrage témoigne de la dette intellectuelle d'Audi envers Henry tout en marquant ses points de divergence avec certains aspects de sa philosophie. Le livre est salué par la critique comme une contribution majeure aux études henriennes et il contribue à faire mieux connaître l'œuvre de ce philosophe important resté relativement marginal dans le paysage intellectuel français. Cette publication confirme la position d'Audi comme un interprète majeur de la tradition phénoménologique française capable de renouveler la lecture des auteurs classiques de ce courant.
À partir des années 2010, Paul Audi intensifie encore sa production intellectuelle en publiant quasiment un livre par an chez différents éditeurs parisiens. Il diversifie les maisons d'édition en publiant chez Christian Bourgois, Verdier, Galilée, Les Belles Lettres, Vrin, Stock qui sont toutes des éditeurs prestigieux de philosophie et de littérature. Cette diversification éditoriale témoigne de sa volonté de toucher différents publics et de ne pas s'enfermer dans un seul circuit de diffusion. Il publie des livres de tailles très variables allant de courts essais de cent pages à des ouvrages substantiels de plusieurs centaines de pages. Il expérimente différents styles d'écriture philosophique en passant du traité systématique au commentaire de texte en passant par l'essai libre et la méditation personnelle. Cette prolixité témoigne d'une capacité de travail exceptionnelle et d'une nécessité intérieure d'écrire qui semble ne jamais se tarir.
Paul Audi développe une activité de critique d'art qui complète son travail philosophique en publiant des textes sur des peintres contemporains et en préfaçant des catalogues d'exposition. Il écrit notamment sur Eugène Leroy, peintre français mort en 2000 qui a développé une pratique picturale singulière fondée sur l'accumulation de matière. Il rédige des essais sur Bacon, Freud, Auerbach qui constituent des contributions importantes à la compréhension de ces artistes majeurs du vingtième siècle. Ces textes ne sont pas de simples commentaires critiques, ils développent une véritable philosophie de la peinture qui interroge les conditions de possibilité de la figuration contemporaine. Ils montrent la capacité d'Audi à passer de la réflexion abstraite à l'analyse concrète des œuvres en pratiquant une description phénoménologique minutieuse des tableaux.
En 2011, Paul Audi publie Le Théorème du Surmâle consacré à Lacan et à sa relation avec Alfred Jarry. Ce livre audacieux propose une lecture originale de la théorie psychanalytique lacanienne en la mettant en rapport avec l'œuvre littéraire de Jarry qui a inventé la figure du surmâle et la science de la pataphysique. L'ouvrage reçoit le Prix Œdipe en 2012, distinction décernée par la Société psychanalytique de Paris qui récompense le meilleur essai psychanalytique de l'année. Cette reconnaissance par le milieu psychanalytique témoigne de la reconnaissance de la légitimité d'Audi à intervenir dans ce domaine malgré sa formation philosophique. Le livre ouvre des perspectives nouvelles sur la pensée de Lacan en montrant ses dimensions littéraires et humoristiques souvent négligées par les commentateurs sérieux qui se concentrent sur les aspects théoriques et cliniques de son enseignement.
Durant les années 2010, Paul Audi s'engage dans des débats publics sur des questions politiques et morales contemporaines en publiant des essais d'intervention comme L'Europe et son fantôme en 2003 ou Le Démon de l'appartenance en 2014. Ces textes prennent position sur des problèmes actuels comme la construction européenne, les revendications identitaires, la montée des nationalismes qui menacent les démocraties libérales. Audi y défend une position qui refuse tant le cosmopolitisme abstrait qui dissout toutes les appartenances particulières que le repli identitaire qui enferme les individus dans des communautés closes. Il plaide pour une citoyenneté qui préserve la singularité individuelle tout en permettant l'action collective. Ces interventions témoignent d'un souci de ne pas cantonner la philosophie dans les sphères académiques mais de la faire intervenir dans l'espace public pour éclairer les enjeux contemporains.
En 2017, Paul Audi publie Au sortir de l'enfance, livre qui marque un tournant vers une écriture plus personnelle et autobiographique. L'ouvrage évoque les souvenirs d'enfance à Beyrouth pendant la guerre civile en les soumettant à une réflexion philosophique sur le passage de l'enfance à l'âge adulte. Le livre mêle récit autobiographique et méditation philosophique selon un genre hybride qui devient de plus en plus fréquent dans la production ultérieure d'Audi. Cette évolution vers une écriture plus personnelle ne signifie pas un abandon de la rigueur conceptuelle, elle vise à ancrer la réflexion philosophique dans l'expérience vécue concrète plutôt que dans l'abstraction pure. Le livre témoigne de la volonté d'Audi de ne pas séparer hermétiquement la philosophie et la vie en montrant comment la pensée naît de l'expérience et y retourne pour l'éclairer.
En 2019, Paul Audi publie Curriculum, ouvrage qui retrace son parcours intellectuel à travers une série de textes qui reviennent sur les rencontres décisives avec des œuvres et des penseurs qui ont marqué son trajet philosophique. Le livre fonctionne comme une sorte d'autobiographie intellectuelle qui permet de comprendre la genèse et le développement de sa pensée. Il montre les fils conducteurs qui ont orienté ses recherches depuis ses débuts jusqu'à ses travaux les plus récents en révélant l'unité profonde d'une œuvre qui peut sembler dispersée entre des objets variés. Le curriculum révèle comment chaque livre constitue une étape dans une exploration continue des rapports entre création artistique et existence éthique selon différentes entrées thématiques et différents auteurs. L'ouvrage témoigne d'une capacité réflexive remarquable qui permet à Audi de prendre du recul sur son propre travail pour en dégager le sens global.
En 2020, Paul Audi publie L'Irréductible, ouvrage qui constitue une contribution majeure à la phénoménologie contemporaine. Le livre développe systématiquement le concept d'irréductible qui nomme ce qui dans l'expérience résiste à toute tentative de réduction ou d'élucidation définitive. L'ouvrage critique les prétentions de la phénoménologie classique à atteindre une transparence complète des phénomènes à travers les réductions méthodiques. Il propose une radicalisation de la démarche phénoménologique qui accepte l'opacité et l'excès comme dimensions constitutives de l'expérience plutôt que comme obstacles à surmonter. Le livre se situe dans le prolongement des travaux de Michel Henry tout en marquant des distances avec certains aspects de sa phénoménologie matérielle. L'ouvrage confirme la position d'Audi comme l'un des philosophes français contemporains les plus importants dans le champ de la phénoménologie.
En 2021, Paul Audi publie trois ouvrages qui témoignent de la diversité de ses intérêts intellectuels. Je ne vois que ce que je regarde développe une théorie du regard pictural qui affirme que la vision véritable de la peinture exige une attention concentrée. Le Choix d'Hémon constitue une fiction philosophique qui réinterprète la figure d'Hémon dans l'Antigone de Sophocle. Liberté, égalité, singularité propose une relecture de la philosophie politique de Rousseau qui montre comment ces trois principes s'articulent dans sa pensée. Cette production simultanée de trois livres sur des sujets différents révèle la capacité d'Audi à mener de front plusieurs chantiers intellectuels et à passer d'un registre à l'autre avec une grande agilité.
En 2022, Paul Audi publie deux ouvrages importants. La Riposte de Molière propose une interprétation de l'œuvre du dramaturge qui la comprend comme une série de ripostes aux attaques que Molière a subies. Troublante identité interroge l'expérience contemporaine d'une identité devenue incertaine et problématique. Ces deux livres témoignent de l'intérêt d'Audi pour la littérature française classique et pour les questions contemporaines d'identité qui traversent les débats publics actuels. Le livre sur Molière montre sa capacité à renouveler la lecture d'auteurs classiques en révélant des dimensions méconnues de leur œuvre. Le livre sur l'identité intervient dans un débat contemporain en apportant une perspective philosophique qui cherche à clarifier les enjeux en évitant les simplifications idéologiques.
En 2024, Paul Audi publie Tenir tête chez Stock, essai qui développe une réflexion sur l'attitude de résistance intellectuelle et morale face aux pressions conformistes. Le livre reçoit le prix Femina essai 2024, distinction littéraire prestigieuse qui récompense le meilleur essai de l'année. Cette reconnaissance par un jury composé de femmes de lettres témoigne de la reconnaissance de l'œuvre d'Audi au-delà des cercles philosophiques académiques. Le prix consacre un philosophe qui a su développer une pensée exigeante tout en maintenant une écriture accessible qui permet de toucher un public cultivé plus large que les seuls spécialistes. La même année, il publie Trois peintres de la Figure, livre qui analyse Bacon, Freud et Auerbach en montrant comment ils inventent des modalités spécifiques de représentation de la figure humaine. Il continue de publier régulièrement des livres qui explorent de nouveaux aspects de ses thèmes de prédilection.
Le style d'écriture d'Audi se caractérise par une recherche constante de clarté et de précision qui vise à rendre accessibles des concepts philosophiques complexes sans les simplifier abusivement. Il pratique une langue française classique qui évite le jargon technique tout en maintenant la rigueur conceptuelle. Ses phrases sont généralement longues et amples, elles se déploient selon une syntaxe élaborée qui permet de suivre le mouvement de la pensée dans ses nuances et ses hésitations. Le texte progresse par reprises et variations qui tournent autour des mêmes questions en les abordant sous des angles différents. Cette écriture spiralaire refuse la linéarité démonstrative du traité philosophique classique au profit d'une exploration qui avance par approfondissements successifs. Audi utilise fréquemment des formules frappantes qui condensent une idée complexe en une expression ramassée facile à mémoriser. Il pratique l'art de la citation en insérant dans son texte des fragments d'auteurs qui viennent appuyer ou éclairer son propos. Son écriture philosophique possède une dimension littéraire qui fait de ses livres des œuvres à part entière plutôt que de simples vecteurs d'idées abstraites.
L'œuvre de Paul Audi constitue une contribution majeure à la philosophie française contemporaine qui se distingue par son originalité conceptuelle, sa rigueur argumentative et la beauté de son écriture. Elle propose une articulation originale entre esthétique et éthique qui permet de penser ensemble la création artistique et l'existence morale. Elle développe une phénoménologie radicale qui pousse l'investigation des phénomènes jusqu'à leurs limites en acceptant l'opacité et l'excès comme dimensions constitutives de l'expérience. Elle renouvelle la lecture de grands auteurs comme Rousseau, Nietzsche, Mallarmé en révélant des dimensions méconnues de leur pensée. Elle propose des analyses pénétrantes d'artistes contemporains comme Bacon, Giacometti, Richter qui contribuent à la compréhension de leur œuvre. Elle intervient dans les débats contemporains sur l'identité, la justice, l'Europe en apportant une perspective philosophique qui cherche à clarifier les enjeux. Cette œuvre multiple et foisonnante dessine un paysage intellectuel cohérent qui témoigne d'une pensée puissante et originale qui continuera de nourrir la réflexion philosophique future.
A
L’amour risqué conçoit un amour jamais possédé, soumis à l’épreuve du temps et de la décision; aimer consiste à recommencer la tenue d’un lien. L’érotique est une scène d’épreuve chez Paul Audi. Conception de l’érotique comme espace où vulnérabilité, consentement et sollicitude reconfigurent la loi du rapport à l’autre; l’érotique teste la tenue de soi et la justesse du lien.
Politiques de l’appartenance. Études des dispositifs qui promettent abri identitaire et coûtent la liberté; il faut organiser des appartenances non captatrices. Voir Démon de l'appartenance.
La légitimation actuelle de l’artiste. Analyse des scènes contemporaines où se distribue la reconnaissance des artistes par institutions, publics et critiques; la légitimité résulte d’une responsabilité réciproque, non d’un privilège auto-attribué. La légitimation de l'artiste constitue un concept qui interroge les conditions contemporaines de reconnaissance de la qualité artistique dans un contexte où les critères internes de jugement esthétique ont été largement remplacés par des mécanismes institutionnels et marchands. Ce concept ne vise pas simplement à dénoncer cette situation, il cherche à élaborer des critères alternatifs qui permettraient de distinguer la création véritable de ses simulations. Audi soutient que la légitimation véritable ne peut provenir que de l'œuvre elle-même dans sa capacité à créer un monde inédit et à transformer le regard de celui qui s'y confronte. Cette légitimation interne s'oppose à la légitimation externe qui dépend de la position de l'artiste dans le système institutionnel de l'art ou de sa cotation sur le marché. Le concept permet d'analyser la crise contemporaine de l'art qui se manifeste par la prolifération d'œuvres qui se contentent de répéter des gestes transgressifs devenus conventionnels ou d'illustrer des concepts théoriques à la mode sans posséder la puissance créatrice qui caractérise l'art véritable. La légitimation de l'artiste ne constitue pas un processus ponctuel qui s'établirait une fois pour toutes, elle doit être continuellement reconquise à travers chaque œuvre nouvelle qui doit prouver sa nécessité face à la possibilité toujours présente de l'échec. Le discours sur la légitimation de l’art enquête sur les critères qui autorisent l’art à valoir ce qu'il vaut pour nous car légitimer suppose des raisons publiques et des épreuves sensibles partagées, avant que de songer faire passer l'artiste au tribunal de l'époque.
L’artiste au tribunal de l’époque est une image, un tableau de ce qu'on pourrait nommer le jugement public où l’artiste répond de ses formes devant son temps.
C
La conception de la compassion non comme affect mou, mais comme puissance normative, comme capacité réglée à se laisser affecter par la souffrance d’autrui pour mieux juger et agir ; la compassion fonctionne comme boussole qui oriente le jugement vers la justice. La compassion comme discernement (krisis) est une fonction cognitive du souci d’autrui pour trier le juste et l’injuste; la compassion voit ce que la neutralité ignore. La compassion opère au sein de la justice distributive un lien entre souci d’autrui et répartition du dû; une distribution juste suppose une attention au mal concret tant et sibein qu'on peut parler d'économie de la compassion à travers la régulation des manières de prendre soin pour éviter tant l’épuisement que l’aveuglement; il faut une mesure juste du souci d’autrui.
Un peu différemment, l'empire de la compassion constitue un concept critique qui permet d'analyser les transformations contemporaines de la morale et de la politique. Cet empire désigne l'hégémonie d'un sentiment qui structure désormais les rapports sociaux, les politiques publiques et les relations internationales selon une logique victimaire. Le concept ne vise pas à disqualifier la compassion comme affect moral légitime, il dénonce sa transformation en principe dominant qui produit des effets pervers contraires à ses intentions humanitaires affichées. L'empire opère en hiérarchisant les souffrances selon leur visibilité médiatique, en transformant les sujets en victimes passives, en substituant l'émotionalité immédiate à l'analyse rationnelle des causes structurelles des injustices. Audi montre que cet empire se construit historiquement à partir de la transformation de la pitié rousseauiste en compassion humanitaire qui prétend transcender les frontières nationales et culturelles pour s'adresser à une humanité abstraite. Le concept permet de comprendre comment des intentions généreuses peuvent produire des dispositifs de pouvoir qui maintiennent paradoxalement les inégalités qu'ils prétendent combattre en enfermant certains groupes dans un statut victimaire qui les prive de leur capacité d'action politique. L'empire de la compassion fonctionne comme un analyseur des contradictions de l'humanitarisme contemporain qui soulage les symptômes sans transformer les structures.
Création comme mise à nu du sujet. Théorie selon laquelle créer expose son auteur à ses propres exigences et limites; l’œuvre engage une confession de responsabilité plutôt qu’un simple effet de style. Picaro, picador (typologie du créateur). Double figure du vagabond inventif et du torero frontal pour caractériser l’artiste; création oscille entre ruse et affrontement. Création et vulnérabilité. L’acte de créer expose et oblige; on crée en acceptant d’être atteint. L’artiste comme répondant. Position de l’artiste tenu de répondre de ses formes; créer engage à répondre.
Curriculum de pensée (parcours esth/éthique). Récit structuré des étapes d’une recherche qui construit ses outils en chemin; le parcours devient méthode. Idée de curriculum comme récit d’initiation critique. Mise en intrigue d’une formation par les œuvres; le parcours instruit la méthode.
D
Le démon de l’appartenance est une figure critique des attachements identitaires qui capturent la singularité; l’appartenance devient démon quand elle interdit le mouvement de liberté. Le démon de l'appartenance désigne la force obscure qui attache les individus à des identités collectives définies par des critères ethno-culturels, religieux ou nationaux. Le terme démon indique que cette force ne relève pas simplement de l'erreur cognitive ni de la manipulation idéologique, elle opère à un niveau plus profond qui engage la sécurité ontologique du sujet et son sentiment de continuité identitaire. Audi montre que ce démon s'est particulièrement renforcé dans les sociétés contemporaines malgré la globalisation qui aurait dû dissoudre les attachements particuliers, la multiplication des revendications identitaires témoigne paradoxalement de l'affaiblissement des identités traditionnelles qui cherchent à se reconstituer artificiellement. Le concept permet d'analyser les mécanismes psychiques et sociaux qui produisent cet attachement en examinant comment l'identité collective procure une protection imaginaire face à l'angoisse existentielle que génère la modernité. Le démon de l'appartenance ne constitue pas une simple aliénation idéologique qu'il suffirait de dénoncer pour s'en libérer, il nomme une structure anthropologique qui traverse toute l'histoire humaine tout en prenant des formes spécifiques selon les contextes. Le concept exige de penser ensemble la persistance transhistorique des attachements identitaires et leurs transformations contemporaines qui les exacerbent en réponse à la déstabilisation moderne des cadres traditionnels.
E
L'écriture comme modalité expressive. Clarté comme devoir d’écrire, comme réquisit inscrit. Obligation stylistique de rendre lisible l’exigence (voir poème) ; la clarté est éthique. Discrétion métaphysique et exactitude phénoménale. Principe de sobriété ontologique au profit de descriptions précises du vécu; moins de métaphysique, plus d’exactitude de l’apparaître. La résistance du style est la force par laquelle la forme protège une exigence de vérité ; c'est par le style qu'on tient tête aux simplifications.
Esth/éthique. Assemblage méthodique qui traite l’esthétique et l’éthique comme une seule pratique de discernement sensible, où la forme vécue engage la responsabilité du sujet dans ce qu’il regarde et dans ce qu’il fait; son principe est que juger une œuvre, c’est assumer une obligation pratique née de l’expérience même du sensible. Ivresse de l’art. Intensification du sentir qui accroît le pouvoir de former et de juger au lieu de l’abolir; l’ivresse devient critère d’élévation de la lucidité dans l’expérience esthétique. Ce thème traverse nombre de livres (voir plus bas).
L'esthétique de la proximité et l'exigence de proximité (contre la distance esthétique). La première est refus d’un regard lointain qui neutralise l’œuvre; la seconde est un programme perceptif qui privilégie la venue des formes à courte distance ; se rapprocher pour mieux juger. De cette exigence qui vise à plus de justesse quand il s'agit cette fois de lecture, qui se fait toujours dans la proximité, bref, de cette exigence proximale naît un rapprochement distal. En somme une communauté naît d’obligations de justesse, et cette communauté est la communauté des lecteurs, un collectif formé par des exigences partagées de lecture. En corrollaire inaperçu à cela se tient l'intermittence de la présence, qui est le mode d’apparaître (bref la modalité) en éclairs discontinus qui exige vigilance ; la présence n’est pas donnée en continu, elle est donc d'autant plus perceptible que l'on est dans la proximité, qui cette fois n'est plus picturale.
La supériorité de l’éthique. L’éthique, pour Paul Audi, est indissociable de la création, de la compassion active et de la reconnaissance de la singularité de l’autre, et elle constitue la condition de possibilité d’une véritable émancipation du sujet. Thèse hiérarchique selon laquelle toute activité théorique ou artistique doit être mesurée par des critères pratiques touchant au juste et au digne; l’éthique sert de norme d’évaluation première, avant le savoir et avant l’efficacité technique. Éthique des commencements. Attention aux premiers gestes, aux inaugurations, aux serments de départ; bien commencer engage la suite. Éthique mise à nu par ses paradoxes. Diagnostic des tensions internes d’une éthique sans transcendance (obligation sans garant, norme sans absolu); les paradoxes instruisent le jugement au lieu de l’abolir. Éthique de la voix. Responsabilité attachée à ce que l’on fait avec sa voix et sa parole; parler engage. Éthique du regard. Règles pratiques du voir juste: attention, lenteur, adresse à l’œuvre; voir engage. Paradoxe de l’éthique sans fondement transcendant. Tenir ensemble obligation et contingence; la force d’une norme se prouve dans ses usages situés.
F
Fantôme européen. Reste non pacifié de l’histoire et des promesses de l’Europe; le fantôme appelle une fidélité critique. L'Europe et son fantôme. Nom de ce qui hante le projet européen entre promesse universaliste et mémoire tragique, le fantôme indique un reste non traité qui réclame une politique du jugement.
H
Héritage voir réception et voir lecture.
La honte d’être soi chez Gary. Analyse d’un affect moteur où la honte pousse à inventer des vies et des noms; la honte propulse une éthique de responsabilité narrative.
I
La critique de l’idéalisme esthétique que pose Paul Audi est marquée par un refus d’un art hors du monde humain ; l’œuvre appartient au champ du vivre et du juger. C'est là une défense du jugement sensible par la légitimation du sentir comme instance de connaissance ; comprenez le sensible pense.
La relève de l'identité troublée passe par le diagnostic des fictions rassurantes de l’identité et de leur coût subjectif ; le trouble devient ressource critique pour une liberté ouverte. La mise en cause de l’appartenance identitaire revient à une dénonciation des enfermements catégoriels ; ouvrir l’identité, c'est protèger la liberté. A propos de la relève, voir lecture.
La fin de l’impossible est une conversion de l’« impossible » en ligne de crête mobile travaillée par la décision et par l’invention; la fin signifie transformation de régime, non disparition de la limite. L’impossible comme catégorie mobile. Requalification de l’impossible en limite déplaçable par l’invention; l’action reconfigure les frontières. « La Fin de l’impossible » s’interroge sur la possibilité de l’impossible, sur la capacité de l’art et de la pensée à ouvrir des espaces inédits.
L’irréductible. « L’Irréductible. Essai sur la radicalité en phénoménologie » analyse la figure de l’irréductible en phénoménologie qui se définit par le minimum résistant de l’expérience qui ne se laisse pas dissoudre par explication ou réduction; l’irréductible nomme le seuil qui fait tenir le sujet dans ses engagements. L'irréductible introduit dans la phénoménologie une dimension critique qui refuse les prétentions de cette discipline à atteindre une transparence complète des phénomènes à travers les réductions méthodiques. L'irréductible nomme ce qui dans l'expérience vécue résiste à toute tentative d'élucidation définitive et qui persiste comme opacité constitutive après toutes les analyses possibles. Ce concept ne désigne pas un résidu empirique qui témoignerait simplement d'une analyse incomplète à poursuivre, il nomme une dimension structurale de l'expérience qui appartient à son essence même. Audi montre que la phénoménologie husserlienne repose sur le postulat d'une clarification intégrale possible qui permettrait d'atteindre la couche ultime du sens en éliminant progressivement toutes les obscurités et les confusions qui brouillent l'expérience naïve. L'irréductible conteste ce postulat en affirmant que l'opacité, la résistance et l'excès font partie intégrante des phénomènes et ne peuvent être considérés comme de simples obstacles épistémologiques. Cette thèse possède des conséquences considérables pour la pratique phénoménologique qui doit renoncer à son ambition de science rigoureuse au sens husserlien pour accepter une forme de description qui maintient la tension et l'indécidabilité comme dimensions constitutives de son objet. Le concept d'irréductible permet de penser philosophiquement l'excès, le reste, le supplément qui débordent toutes les tentatives de systématisation conceptuelle.
J
La jubilation critique. Joie d’ajustement du jugement quand forme et valeur coïncident dans l’expérience; la jubilation n’est pas euphorie, c’est la clarté acquise d’un discernement. La jubilation désigne l'affect spécifique que produit l'expérience esthétique véritable qui se distingue du simple plaisir par son intensité et sa dimension transformatrice. Ce concept refuse les théories hédonistes qui réduisent l'expérience esthétique à une sensation agréable et les théories cognitivistes qui en font un jugement intellectuel portant sur les propriétés formelles de l'œuvre. La jubilation nomme un état d'exaltation qui engage la totalité du sujet dans ses dimensions sensible, intellectuelle et morale, état qui ne peut être réduit à aucune de ces dimensions prises isolément. Audi montre que la jubilation se produit quand l'œuvre parvient à ouvrir une expérience qui excède les codes établis et qui force le spectateur à inventer de nouveaux modes de perception et de compréhension. Cette ouverture génère un affect joyeux qui provient de l'élargissement des possibilités existentielles que l'œuvre rend accessible. La jubilation ne constitue pas un état de bien-être paisible, elle comporte une dimension d'inquiétude et d'inconfort puisqu'elle déstabilise les repères habituels du sujet et le confronte à l'inconnu. Le concept permet de penser la spécificité de l'expérience esthétique sans la couper de l'existence éthique puisque cette jubilation transforme le rapport du sujet au monde et à lui-même selon des modalités qui engagent toute sa vie.
La justesse. Le témoin chez Camus. Figure du sujet qui atteste en première personne sans surplomb doctrinal; témoigner consiste à tenir une mesure juste face au réel. Choix d’Hémon (éthique tragique). Décision située au croisement des lois civiles et des fidélités intimes; la tragédie mesure la justesse d’un choix sans garantie. Éthique et passion chez Rousseau. Thèse que la justesse morale dépend d’une éducation du sentir; les passions deviennent sources de discernement. Tension entre loi et désir. Nœud conflictuel où se mesure la justesse d’un choix; il faut tenir la loi sans écraser le désir. Tenir tête. Vertu de persévérance et de fermeté sans dureté, face aux forces d’abaissement; tenir tête, c’est refuser ce qui avilit et maintenir la mesure juste. Hiérarchie pratique: éthique avant savoir. Ordre qui pose la conduite comme première mesure; on commence par le juste, puis par le vrai. Estime de la singularité. Reconnaissance active de la valeur d’une différence personnelle; estimer la singularité protège la justice commune. Autorité de la pensée. Pouvoir d’obliger qui vient de la justesse éprouvée et partageable d’un raisonnement; une pensée a autorité quand elle répond de ce qu’elle exige des autres.
Le courage comme exigence de justice. Obligation de rendre à chacun ce qui lui est dû dans des situations concrètes; la justice se demande au présent et s’adresse à des responsables identifiables. Justice comme tâche infinie. Conception procédurale de la justice toujours à reprendre; on n’en a jamais fini avec le juste. Courage critique. Capacité d’énoncer et de maintenir un jugement difficile; le courage rend possible la justice du dire. Doit-on s'en tenir à la critique ? Ethique clitique, consolidantion, renforcement, soutien. La justice dès lors qu'elle se soutient de la confiance est annonciatrice du courage et non pas le courage qui amène la justice, c'est l'exigence, la discipline qui l'amènent.
L
Lecture et relève d'un trait. L’individuation par la lecture. Idée que lire forme un sujet en l’obligeant à répondre de ce qu’il comprend et de ce qu’il devient; la lecture produit une signature de responsabilité. Lectures croisées Mallarmé–Celan. Confrontation de deux poétiques de l’extrême densité; le poème devient école d’attention. Sur les conflits de lectures. L’« affaire » Nietzsche. Nom des batailles interprétatives qui instrumentalisent Nietzsche; la solution est une méthode de lecture orientée par nos obligations présentes. En contrepartie cette lecture est marquée par un critère de responsabilité herméneutique, qui n'est rien d'autre que le devoir de répondre de ses interprétations devant les textes et les autres ; interpréter expose à la critique. En même temps il y a une critique de la pure neutralité critique, un rejet du regard ou de la lecture prétendument sans position ; la vraie critique assume ses engagements. La lecture est davantage performative que passive ou réceptive. La lecture qui fait ce qu’elle dit en ajustant son geste au texte ; interpréter, c’est agir.
P
Passibilité à travers la Crucifixion comme figure du délaissement. Allégorie de l’abandon et de la passivité extrême comme lieu de discernement éthique; l’exposition à la douleur d’autrui devient principe de responsabilité.
Épreuve proximale de la peinture. Idée que la peinture n’est pas objet neutre, mais test de notre capacité à supporter matière, temps et altérité; regarder un tableau constitue une mise à l’épreuve éthique du regard. Cette subjectivation par la peinture, comprenez le processus où le regardeur se constitue au contact des œuvres apporte un regard libéré (comme dans l'essai sur Eugène Leroy). Désentravement du voir hors des clichés perceptifs par l’épreuve de la matière picturale ; libérer le regard, c’est consentir à la lenteur et à l’épaisseur ; en effet regarder transforme celui qui regarde. Toute phénoménologie est au fond un ralentissment, c'est ce malentendu qui affleure parfois avec la dromologie de Paul Virilio, un autre phénoménologue. C'est ce qu'on retrouve dans la Proximité du tableau. A la fois présence de celui-ci mais sur le nom d'une méthode de regard qui suppose une approche lente, un angle court, un durée d'exposition et surtout un ajustement focal et perceptif ; voir exige en somme de se rendre proche pour laisser l’œuvre nous assigner. Pour qu'une pensée de la pâte, de la surface, du grain comme présence charnelle advienne. A travers la matière picturale, une vie se fait sentir. Voir esthétique de la proximité et exigence de la proximité.
Phénoménologie. L’intériorité affective (Michel Henry). Lieu d’apparition originaire de la vie sentie qui fonde la normativité; le sentir se donne comme première vérité. L’écrivain témoin de soi. Auteur qui engage sa personne dans l’acte de dire et se tient pour responsable; écrire équivaut à signer une tenue. Expérience de l’ivresse comme critère. Usage de l’intensité comme indicateur d’ajustement et non d’aveuglement; l’ivresse qui clarifie vaut, celle qui abrutit disqualifie. Corps senti vs corps vu (un peu à la Merleau-Ponty). Distinction entre le corps vécu de l’intérieur et le corps objet de perception; le premier fonde l’accès au second. Trajectoire phénoménologique. Fil conducteur qui va de la description du vécu à la responsabilité; décrire pour mieux répondre. Microphénoménologie de l’affect au sens d'une phénoménologie pré-consciente, non advenue à son attention. Description fine des micromouvements du sentir ; le détail affectif oriente l’action. (Micro-décisions comme chez Mouchkine ?)
Le poème comme expérience-limite qui engage ; le poème est le lieu où la langue frôle ses bornes et instruit la responsabilité ; le poème éduque le souffle et l’écoute ; le poème allitère le délètère, le fracasse par un sursaut de responsabilité né des microphénoménologies. Le sursaut de la responsabilité, c'est le moment où le sujet se redresse et répond ; le sursaut convertit l’affect en décision. Ce sursaut est marqué par une inactualité choisie, en tant que décision de se soustraire aux modes pour mieux voir ; l’inactualité sert la précision du poème. Tout ceci se concentre en des moments, notamment par exemple dans la sortie de l’enfance, l'enfance qui n'est que le processus d’apprentissage des limites, des promesses et d’une voix propre ; devenir adulte signifie endosser la conséquence de ses actes, c'est tenir le sursaut de responsabilité. Voir la justice comme ce qui est annonciateur, si l'exigence est là, d'un courage.
R
La radicalité phénoménologique désigne l'exigence de pousser la description des phénomènes jusqu'à leurs limites extrêmes sans chercher à les résorber dans une synthèse harmonieuse ou une clarification définitive. « L’Irréductible. Essai sur la radicalité en phénoménologie » analyse la notion de radicalité, ce qui ne peut être réduit à autre chose, en phénoménologie. Cette radicalité ne consiste pas simplement à appliquer plus rigoureusement les méthodes phénoménologiques classiques, elle implique une transformation de ces méthodes qui acceptent de confronter des phénomènes limites qui excèdent les capacités descriptives habituelles. Les radicaux de la phénoménalité sont les éléments minimaux par lesquels quelque chose apparaît (chair, temps, affect) ; toute méthode doit respecter ces radicaux. Audi montre que certaines expériences comme la souffrance extrême, la jouissance orgasmique, l'angoisse mortelle ou l'extase mystique révèlent les limites de la phénoménologie standard qui présuppose un sujet stable capable de décrire ses vécus avec distance réflexive. Ces expériences limites dissolvent cette stabilité et cette distance en emportant le sujet au-delà de lui-même dans un mouvement qui rend impossible la position d'observateur impartial de sa propre expérience. La radicalité phénoménologique exige de maintenir la fidélité à ces expériences sans les normaliser ni les évacuer comme pathologiques ou exceptionnelles, elle doit inventer des modes de description qui respectent leur caractère excessif et leur résistance à la conceptualisation. Le concept de radicalité phénoménologique permet de prolonger le projet husserlien tout en le transformant profondément en le confrontant à ses propres limites.
Réception. Héritage sans servitude (Rousseau). Recevoir une œuvre en créant ses obligations propres; hériter, c’est inventer des usages justes. Voir lecture.
Sur Rousseau. Singularité rousseauiste. Conception d’une singularité non narcissique, tenue par une exigence de justice et de sincérité affective; être singulier signifie répondre correctement à autrui. Liberté, égalité, singularité. Triade politique qui ajoute à la liberté et à l’égalité la tâche de protéger la différence personnelle; la singularité devient valeur civique à part entière. L’âme rousseauiste. Centre affectif où se nouent sincérité, justice et compassion; l’âme n’est pas substance, c’est foyer d’épreuves morales.
S
Le sentiment intérieur constitue un concept repris de Rousseau et réélaboré par Audi pour désigner la modalité fondamentale selon laquelle le sujet se rapporte à lui-même dans sa dimension affective. Ce sentiment ne se réduit ni à la conscience intellectuelle ni aux émotions ponctuelles, il désigne la tonalité affective globale qui colore l'existence à un moment donné et qui se révèle à travers ses modifications temporelles. Le sentiment intérieur n'est pas une donnée psychologique immédiate accessible par simple introspection, il se dévoile progressivement à travers l'attention que le sujet porte aux variations de son état affectif au cours de l'existence. Audi montre que ce concept permet de penser la subjectivité autrement que comme substance stable ou comme flux dispersé de vécus, il désigne une continuité affective qui assure l'unité de l'expérience tout en se modifiant constamment. Le sentiment intérieur constitue le mode primordial d'ouverture au réel avant toute objectivation cognitive, c'est à travers lui que se donne la signification existentielle des situations et des événements qui ne sont jamais simplement des faits neutres mais possèdent toujours déjà une valeur pour le sujet qui les vit. Ce concept permet d'éviter tant le cognitivisme qui réduit l'expérience à des représentations mentales que l'empirisme qui la dissout en sensations élémentaires, il maintient l'unité structurale de l'expérience subjective tout en respectant sa dimension temporelle et affective. L'analyse du sentiment intérieur se fait par micro-descriptions ou descriptions préconscientes des nuances affectives comme ressources de connaissance pratique; le sentir instruit la décision.
Le Surmâle jarryen relu par la psychanalyse. Utilisation du mythe jarryen pour penser les intensités du désir et leurs montages symboliques; la psychanalyse éclaire l’excès comme structure, non comme caprice. Théorème du Surmâle. Relecture croisée de Jarry et de Lacan qui formule une loi du désir poussé à sa limite formelle; le Surmâle désigne l’excès structurant où création, érotique et loi symbolique se reprennent et se déforment. Portrait de l’artiste en surmâle. Profil d’un créateur propulsé par un désir qui déborde les cadres habituels; la puissance d’invention se paye d’une mise en risque du sujet.
T
Tentative (Mallarmé) comme figure de la création. Modèle d’un acte de création qui s’avance sans garantie de réussite et institue ses critères en agissant; la tentative définit l’œuvre comme procès risqué où le sujet se constitue. L’essai comme laboratoire. Genre où s’éprouvent des hypothèses à même les œuvres; l’essai fabrique des instruments de lecture.
Épreuve du tragique. Rencontre avec des conflits insolubles qui exigent décision; le tragique instruit sans garantir.
V
Valeur et dignité du sensible. Reconnaissance du sensible comme lieu de valeur; ce qui se sent peut obliger. Esthétique et valeur sans transcendance. Construction d’échelles de valeur immanentes aux expériences; la valeur naît de la manière dont une forme nous transforme. Interpénétration des registres (éthique/esthétique/politique). Thèse d’une continuité des sphères de valeur; séparer affaiblit la justesse.
Topique du corps et de l’esprit. Cartographie vécue du « où » subjectif qui articule corps senti et opérations de pensée; le sujet habite des lieux d’expérience plutôt qu’une substance séparée.
Ironie lacanienne. Trait de discours qui déplace la solennité et rouvre l’accès à l’expérience du sujet parlant; l’ironie sert de levier critique contre la rigidification doctrinale.
La riposte (Molière). Pratique du théâtre comme correction publique par le rire et la scène; riposter signifie instruire sans humilier.