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La Garenne de philosophie

Paul Audi

Paul Audi

Vie de Paul Audi

Paul Audi est né le 11 mars 1963 à Beyrouth au Liban dans une famille grecque orthodoxe qui appartient à la bourgeoisie cultivée de cette ville cosmopolite alors considérée comme le Paris du Moyen-Orient. Son enfance se déroule dans le contexte de la guerre civile libanaise qui éclate en 1975 quand il a douze ans et qui va durer quinze années en transformant profondément le paysage urbain et social de Beyrouth. Cette expérience de la violence et de la destruction marquera durablement sa pensée même s'il n'en parle que rarement de manière explicite dans ses textes philosophiques. La famille Audi cultive une tradition intellectuelle qui valorise la culture européenne et particulièrement française, tradition qui facilitera l'insertion ultérieure de Paul Audi dans le monde intellectuel parisien. Le jeune Paul reçoit une éducation en langue française dans les institutions scolaires de Beyrouth qui perpétuent le système éducatif français hérité de la période du mandat. Cette formation francophone lui permet d'acquérir très tôt une maîtrise parfaite de la langue française qui sera celle de toute son œuvre philosophique et littéraire.

En 1981, à l'âge de dix-huit ans, Paul Audi quitte le Liban pour poursuivre ses études supérieures en France où il s'installe définitivement. Il entreprend des études de philosophie à l'université Paris-Sorbonne où il suit les cours de plusieurs professeurs qui marqueront sa formation intellectuelle. Durant ces années universitaires, il découvre la tradition phénoménologique allemande à travers les textes de Husserl, Heidegger et leurs continuateurs français comme Sartre et Merleau-Ponty. Il s'intéresse particulièrement aux questions d'esthétique et d'éthique qui deviendront les axes majeurs de son travail philosophique ultérieur. Durant cette période de formation, il fréquente les séminaires de l'École Normale Supérieure et de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales où il rencontre d'autres jeunes philosophes de sa génération. Il obtient sa licence puis sa maîtrise de philosophie avec des mémoires consacrés à la philosophie allemande moderne.

Paul Audi poursuit son cursus universitaire en préparant un doctorat de philosophie sous la direction d'un professeur spécialiste de phénoménologie. Sa thèse porte sur les rapports entre esthétique et éthique dans la philosophie contemporaine en examinant comment ces deux domaines traditionnellement séparés peuvent être pensés ensemble. Ce travail doctoral qui s'étend sur plusieurs années lui permet d'élaborer les bases conceptuelles de ce qui deviendra sa notion centrale d'esth/éthique. Durant cette période de recherche doctorale, il publie ses premiers articles dans des revues philosophiques spécialisées qui commencent à faire connaître son nom dans le milieu académique français. Il soutient sa thèse au début des années 1990 et obtient le titre de docteur en philosophie qui lui ouvre les portes d'une carrière universitaire.

Parallèlement à son parcours académique, Paul Audi développe un intérêt profond pour la littérature et les arts qui nourriront constamment sa réflexion philosophique. Il fréquente assidûment les musées parisiens et particulièrement le Louvre où il passe de longues heures à contempler les tableaux des maîtres anciens. Il découvre la peinture contemporaine à travers les galeries du Marais et de Saint-Germain-des-Prés où il voit les œuvres de Bacon, Giacometti, Richter qui deviendront des références essentielles de sa pensée esthétique. Il entretient des relations avec plusieurs artistes peintres qui lui permettent de comprendre de l'intérieur le processus de création artistique. Il est un lecteur passionné de littérature française classique et moderne, il lit et relit Rousseau qui devient son auteur de prédilection ainsi que Mallarmé, Proust, Camus qui font l'objet de plusieurs de ses livres.

En 1994, Paul Audi publie son premier ouvrage De la véritable philosophie aux éditions Le Nouveau Commerce, livre consacré à Rousseau qui annonce déjà les thèmes majeurs de sa pensée. Ce premier livre attire l'attention de quelques critiques qui reconnaissent l'originalité de son approche de la philosophie rousseauiste. Il commence alors une période de production intellectuelle intense qui verra la publication régulière de livres et d'articles dans les principales revues philosophiques françaises. En 1997, il publie simultanément trois ouvrages aux Presses Universitaires de France dans la collection Perspectives critiques dirigée par un philosophe reconnu. Ces trois livres portent respectivement sur l'autorité de la pensée, sur l'éthique de Rousseau et sur la poétique de Mallarmé, ils établissent Paul Audi comme un philosophe important de sa génération capable d'intervenir sur des domaines variés avec une égale compétence.

Durant les années 1990 et 2000, Paul Audi occupe diverses positions dans l'enseignement supérieur français qui lui permettent de développer sa recherche tout en formant de jeunes étudiants. Il enseigne la philosophie dans plusieurs universités parisiennes où il donne des cours sur l'esthétique, l'éthique et la phénoménologie. Il dirige des séminaires de recherche qui attirent des doctorants intéressés par ses problématiques originales. Il participe à des jurys de thèse et à des comités de rédaction de revues philosophiques. Il donne des conférences dans différentes institutions académiques françaises et étrangères qui l'invitent à présenter ses travaux. Il intervient dans des colloques internationaux sur la phénoménologie, l'esthétique et la philosophie morale où il dialogue avec d'autres chercheurs de sa discipline.

Paul Audi poursuit actuellement son activité d'enseignement, de recherche et d'écriture tout en participant à la vie intellectuelle française par des conférences, des articles et des interventions publiques. Il dirige des séminaires de recherche qui attirent de jeunes chercheurs intéressés par ses problématiques. Il participe à des jurys de thèse et à des comités scientifiques qui évaluent des projets de recherche. Il entretient des relations avec des artistes, des écrivains et des intellectuels qui nourrissent sa réflexion philosophique. Son œuvre constitue désormais un corpus important qui fait l'objet d'études universitaires et de commentaires critiques.  La position institutionnelle d'Audi dans le champ philosophique français reste relativement marginale malgré la reconnaissance dont il jouit auprès d'un public cultivé. Toutefois s'il n'occupe pas de chaire prestigieuse dans une grande université ni de position dominante dans les instances de pouvoir académique, plusieurs thèses de doctorat déjà lui ont été consacrées qui analysent différents aspects de sa pensée philosophique. Il n'a pas créé d'école philosophique ni formé de disciples qui perpétueraient sa pensée. Cette marginalité relative provient en partie de ses choix intellectuels qui le situent à l'écart des courants dominants de la philosophie universitaire française contemporaine. Sa pratique philosophique qui accorde une place centrale aux arts et à la littérature ne correspond pas aux standards de la philosophie analytique anglo-saxonne et son intérêt pour les questions d'éthique et d'esthétique le situe à distance des préoccupations politiques qui occupent massivement le devant de la scène philosophique française actuelle. Cette position marginale possède des avantages puisqu'elle lui permet de développer une pensée originale sans devoir se conformer aux attentes institutionnelles ni aux modes intellectuelles passagères.

L'itinéraire intellectuel de Paul Audi se caractérise par une fidélité constante à certains thèmes et certains auteurs qui traversent toute son œuvre depuis ses débuts jusqu'à ses publications les plus récentes. Sa fidélité à la tradition phénoménologique le place dans un courant qui a perdu l'hégémonie qu'il exerçait dans les années d'après-guerre. Rousseau constitue la référence permanente qui inspire sa réflexion éthique et politique, Audi lui a consacré plusieurs livres qui proposent des relectures originales de son œuvre. Nietzsche représente une autre référence majeure particulièrement pour les questions esthétiques et la critique de la morale traditionnelle. Michel Henry constitue l'interlocuteur principal dans le domaine de la phénoménologie, Audi prolonge et critique sa phénoménologie matérielle. Lacan rtient lieu de référence importante pour penser la psychanalyse même si Audi n'est pas lui-même psychanalyste. Mallarmé, Proust, Camus sont les écrivains qui nourrissent constamment sa réflexion sur la littérature.

La pensée d'Audi se caractérise par un refus des cloisonnements disciplinaires qui séparent la philosophie, la littérature, les arts et les sciences humaines. Il pratique une forme de philosophie qui se nourrit de la fréquentation assidue des œuvres artistiques et littéraires sans se contenter d'exemples illustratifs de thèses préétablies. Les tableaux, les poèmes, les romans constituent pour lui des sources de pensée à part entière qui permettent d'accéder à des dimensions de l'expérience que la philosophie abstraite ne peut atteindre. Cette méthode implique une pratique intensive de la lecture et de la contemplation qui précède et nourrit l'élaboration conceptuelle. Audi passe des heures dans les musées à regarder les tableaux, il relit inlassablement les mêmes textes littéraires en cherchant à épuiser leur richesse signifiante. Cette ascèse contemplative constitue la condition de possibilité de son écriture philosophique qui ne se contente pas de commenter des œuvres mais cherche à penser avec elles.

Œuvre écrite

En 2006, Paul Audi publie un livre important consacré à Michel Henry, philosophe phénoménologue français décédé en 2002 qu'il avait personnellement connu. Ce livre intitulé Michel Henry, une trajectoire philosophique constitue une introduction synthétique à l'œuvre complexe de ce penseur qui a développé une phénoménologie radicale de la vie. L'ouvrage témoigne de la dette intellectuelle d'Audi envers Henry tout en marquant ses points de divergence avec certains aspects de sa philosophie. Le livre est salué par la critique comme une contribution majeure aux études henriennes et il contribue à faire mieux connaître l'œuvre de ce philosophe important resté relativement marginal dans le paysage intellectuel français. Cette publication confirme la position d'Audi comme un interprète majeur de la tradition phénoménologique française capable de renouveler la lecture des auteurs classiques de ce courant.

À partir des années 2010, Paul Audi intensifie encore sa production intellectuelle en publiant quasiment un livre par an chez différents éditeurs parisiens. Il diversifie les maisons d'édition en publiant chez Christian Bourgois, Verdier, Galilée, Les Belles Lettres, Vrin, Stock qui sont toutes des éditeurs prestigieux de philosophie et de littérature. Cette diversification éditoriale témoigne de sa volonté de toucher différents publics et de ne pas s'enfermer dans un seul circuit de diffusion. Il publie des livres de tailles très variables allant de courts essais de cent pages à des ouvrages substantiels de plusieurs centaines de pages. Il expérimente différents styles d'écriture philosophique en passant du traité systématique au commentaire de texte en passant par l'essai libre et la méditation personnelle. Cette prolixité témoigne d'une capacité de travail exceptionnelle et d'une nécessité intérieure d'écrire qui semble ne jamais se tarir.

Paul Audi développe une activité de critique d'art qui complète son travail philosophique en publiant des textes sur des peintres contemporains et en préfaçant des catalogues d'exposition. Il écrit notamment sur Eugène Leroy, peintre français mort en 2000 qui a développé une pratique picturale singulière fondée sur l'accumulation de matière. Il rédige des essais sur Bacon, Freud, Auerbach qui constituent des contributions importantes à la compréhension de ces artistes majeurs du vingtième siècle. Ces textes ne sont pas de simples commentaires critiques, ils développent une véritable philosophie de la peinture qui interroge les conditions de possibilité de la figuration contemporaine. Ils montrent la capacité d'Audi à passer de la réflexion abstraite à l'analyse concrète des œuvres en pratiquant une description phénoménologique minutieuse des tableaux.

En 2011, Paul Audi publie Le Théorème du Surmâle consacré à Lacan et à sa relation avec Alfred Jarry. Ce livre audacieux propose une lecture originale de la théorie psychanalytique lacanienne en la mettant en rapport avec l'œuvre littéraire de Jarry qui a inventé la figure du surmâle et la science de la pataphysique. L'ouvrage reçoit le Prix Œdipe en 2012, distinction décernée par la Société psychanalytique de Paris qui récompense le meilleur essai psychanalytique de l'année. Cette reconnaissance par le milieu psychanalytique témoigne de la reconnaissance de la légitimité d'Audi à intervenir dans ce domaine malgré sa formation philosophique. Le livre ouvre des perspectives nouvelles sur la pensée de Lacan en montrant ses dimensions littéraires et humoristiques souvent négligées par les commentateurs sérieux qui se concentrent sur les aspects théoriques et cliniques de son enseignement.

Durant les années 2010, Paul Audi s'engage dans des débats publics sur des questions politiques et morales contemporaines en publiant des essais d'intervention comme L'Europe et son fantôme en 2003 ou Le Démon de l'appartenance en 2014. Ces textes prennent position sur des problèmes actuels comme la construction européenne, les revendications identitaires, la montée des nationalismes qui menacent les démocraties libérales. Audi y défend une position qui refuse tant le cosmopolitisme abstrait qui dissout toutes les appartenances particulières que le repli identitaire qui enferme les individus dans des communautés closes. Il plaide pour une citoyenneté qui préserve la singularité individuelle tout en permettant l'action collective. Ces interventions témoignent d'un souci de ne pas cantonner la philosophie dans les sphères académiques mais de la faire intervenir dans l'espace public pour éclairer les enjeux contemporains.

En 2017, Paul Audi publie Au sortir de l'enfance, livre qui marque un tournant vers une écriture plus personnelle et autobiographique. L'ouvrage évoque les souvenirs d'enfance à Beyrouth pendant la guerre civile en les soumettant à une réflexion philosophique sur le passage de l'enfance à l'âge adulte. Le livre mêle récit autobiographique et méditation philosophique selon un genre hybride qui devient de plus en plus fréquent dans la production ultérieure d'Audi. Cette évolution vers une écriture plus personnelle ne signifie pas un abandon de la rigueur conceptuelle, elle vise à ancrer la réflexion philosophique dans l'expérience vécue concrète plutôt que dans l'abstraction pure. Le livre témoigne de la volonté d'Audi de ne pas séparer hermétiquement la philosophie et la vie en montrant comment la pensée naît de l'expérience et y retourne pour l'éclairer.

En 2019, Paul Audi publie Curriculum, ouvrage qui retrace son parcours intellectuel à travers une série de textes qui reviennent sur les rencontres décisives avec des œuvres et des penseurs qui ont marqué son trajet philosophique. Le livre fonctionne comme une sorte d'autobiographie intellectuelle qui permet de comprendre la genèse et le développement de sa pensée. Il montre les fils conducteurs qui ont orienté ses recherches depuis ses débuts jusqu'à ses travaux les plus récents en révélant l'unité profonde d'une œuvre qui peut sembler dispersée entre des objets variés. Le curriculum révèle comment chaque livre constitue une étape dans une exploration continue des rapports entre création artistique et existence éthique selon différentes entrées thématiques et différents auteurs. L'ouvrage témoigne d'une capacité réflexive remarquable qui permet à Audi de prendre du recul sur son propre travail pour en dégager le sens global.

En 2020, Paul Audi publie L'Irréductible, ouvrage qui constitue une contribution majeure à la phénoménologie contemporaine. Le livre développe systématiquement le concept d'irréductible qui nomme ce qui dans l'expérience résiste à toute tentative de réduction ou d'élucidation définitive. L'ouvrage critique les prétentions de la phénoménologie classique à atteindre une transparence complète des phénomènes à travers les réductions méthodiques. Il propose une radicalisation de la démarche phénoménologique qui accepte l'opacité et l'excès comme dimensions constitutives de l'expérience plutôt que comme obstacles à surmonter. Le livre se situe dans le prolongement des travaux de Michel Henry tout en marquant des distances avec certains aspects de sa phénoménologie matérielle. L'ouvrage confirme la position d'Audi comme l'un des philosophes français contemporains les plus importants dans le champ de la phénoménologie.

En 2021, Paul Audi publie trois ouvrages qui témoignent de la diversité de ses intérêts intellectuels. Je ne vois que ce que je regarde développe une théorie du regard pictural qui affirme que la vision véritable de la peinture exige une attention concentrée. Le Choix d'Hémon constitue une fiction philosophique qui réinterprète la figure d'Hémon dans l'Antigone de Sophocle. Liberté, égalité, singularité propose une relecture de la philosophie politique de Rousseau qui montre comment ces trois principes s'articulent dans sa pensée. Cette production simultanée de trois livres sur des sujets différents révèle la capacité d'Audi à mener de front plusieurs chantiers intellectuels et à passer d'un registre à l'autre avec une grande agilité.

En 2022, Paul Audi publie deux ouvrages importants. La Riposte de Molière propose une interprétation de l'œuvre du dramaturge qui la comprend comme une série de ripostes aux attaques que Molière a subies. Troublante identité interroge l'expérience contemporaine d'une identité devenue incertaine et problématique. Ces deux livres témoignent de l'intérêt d'Audi pour la littérature française classique et pour les questions contemporaines d'identité qui traversent les débats publics actuels. Le livre sur Molière montre sa capacité à renouveler la lecture d'auteurs classiques en révélant des dimensions méconnues de leur œuvre. Le livre sur l'identité intervient dans un débat contemporain en apportant une perspective philosophique qui cherche à clarifier les enjeux en évitant les simplifications idéologiques.

En 2024, Paul Audi publie Tenir tête chez Stock, essai qui développe une réflexion sur l'attitude de résistance intellectuelle et morale face aux pressions conformistes. Le livre reçoit le prix Femina essai 2024, distinction littéraire prestigieuse qui récompense le meilleur essai de l'année. Cette reconnaissance par un jury composé de femmes de lettres témoigne de la reconnaissance de l'œuvre d'Audi au-delà des cercles philosophiques académiques. Le prix consacre un philosophe qui a su développer une pensée exigeante tout en maintenant une écriture accessible qui permet de toucher un public cultivé plus large que les seuls spécialistes. La même année, il publie Trois peintres de la Figure, livre qui analyse Bacon, Freud et Auerbach en montrant comment ils inventent des modalités spécifiques de représentation de la figure humaine. Il continue de publier régulièrement des livres qui explorent de nouveaux aspects de ses thèmes de prédilection.

Le style d'écriture d'Audi se caractérise par une recherche constante de clarté et de précision qui vise à rendre accessibles des concepts philosophiques complexes sans les simplifier abusivement. Il pratique une langue française classique qui évite le jargon technique tout en maintenant la rigueur conceptuelle. Ses phrases sont généralement longues et amples, elles se déploient selon une syntaxe élaborée qui permet de suivre le mouvement de la pensée dans ses nuances et ses hésitations. Le texte progresse par reprises et variations qui tournent autour des mêmes questions en les abordant sous des angles différents. Cette écriture spiralaire refuse la linéarité démonstrative du traité philosophique classique au profit d'une exploration qui avance par approfondissements successifs. Audi utilise fréquemment des formules frappantes qui condensent une idée complexe en une expression ramassée facile à mémoriser. Il pratique l'art de la citation en insérant dans son texte des fragments d'auteurs qui viennent appuyer ou éclairer son propos. Son écriture philosophique possède une dimension littéraire qui fait de ses livres des œuvres à part entière plutôt que de simples vecteurs d'idées abstraites.

L'œuvre de Paul Audi constitue une contribution majeure à la philosophie française contemporaine qui se distingue par son originalité conceptuelle, sa rigueur argumentative et la beauté de son écriture. Elle propose une articulation originale entre esthétique et éthique qui permet de penser ensemble la création artistique et l'existence morale. Elle développe une phénoménologie radicale qui pousse l'investigation des phénomènes jusqu'à leurs limites en acceptant l'opacité et l'excès comme dimensions constitutives de l'expérience. Elle renouvelle la lecture de grands auteurs comme Rousseau, Nietzsche, Mallarmé en révélant des dimensions méconnues de leur pensée. Elle propose des analyses pénétrantes d'artistes contemporains comme Bacon, Giacometti, Richter qui contribuent à la compréhension de leur œuvre. Elle intervient dans les débats contemporains sur l'identité, la justice, l'Europe en apportant une perspective philosophique qui cherche à clarifier les enjeux. Cette œuvre multiple et foisonnante dessine un paysage intellectuel cohérent qui témoigne d'une pensée puissante et originale qui continuera de nourrir la réflexion philosophique future.

Paul Audi

Paul Audi

Conceptothèque à l'encre marine Paul Audi, 19-97 rue de la philosophie, 99000 Basse-de-basalte.

A

L’amour risqué conçoit un amour jamais possédé, soumis à l’épreuve du temps et de la décision; aimer consiste à recommencer la tenue d’un lien. L’érotique est une scène d’épreuve chez Paul Audi. Conception de l’érotique comme espace où vulnérabilité, consentement et sollicitude reconfigurent la loi du rapport à l’autre; l’érotique teste la tenue de soi et la justesse du lien.

Politiques de l’appartenance. Études des dispositifs qui promettent abri identitaire et coûtent la liberté; il faut organiser des appartenances non captatrices. Voir Démon de l'appartenance.

La légitimation actuelle de l’artiste. Analyse des scènes contemporaines où se distribue la reconnaissance des artistes par institutions, publics et critiques; la légitimité résulte d’une responsabilité réciproque, non d’un privilège auto-attribué. La légitimation de l'artiste constitue un concept qui interroge les conditions contemporaines de reconnaissance de la qualité artistique dans un contexte où les critères internes de jugement esthétique ont été largement remplacés par des mécanismes institutionnels et marchands. Ce concept ne vise pas simplement à dénoncer cette situation, il cherche à élaborer des critères alternatifs qui permettraient de distinguer la création véritable de ses simulations. Audi soutient que la légitimation véritable ne peut provenir que de l'œuvre elle-même dans sa capacité à créer un monde inédit et à transformer le regard de celui qui s'y confronte. Cette légitimation interne s'oppose à la légitimation externe qui dépend de la position de l'artiste dans le système institutionnel de l'art ou de sa cotation sur le marché. Le concept permet d'analyser la crise contemporaine de l'art qui se manifeste par la prolifération d'œuvres qui se contentent de répéter des gestes transgressifs devenus conventionnels ou d'illustrer des concepts théoriques à la mode sans posséder la puissance créatrice qui caractérise l'art véritable. La légitimation de l'artiste ne constitue pas un processus ponctuel qui s'établirait une fois pour toutes, elle doit être continuellement reconquise à travers chaque œuvre nouvelle qui doit prouver sa nécessité face à la possibilité toujours présente de l'échec. Le discours sur la légitimation de l’art enquête sur les critères qui autorisent l’art à valoir ce qu'il vaut pour nous car légitimer suppose des raisons publiques et des épreuves sensibles partagées, avant que de songer faire passer l'artiste au tribunal de l'époque.

L’artiste au tribunal de l’époque est une image, un tableau de ce qu'on pourrait nommer le jugement public où l’artiste répond de ses formes devant son temps.

C

La conception de la compassion non comme affect mou, mais comme puissance normative, comme capacité réglée à se laisser affecter par la souffrance d’autrui pour mieux juger et agir ; la compassion fonctionne comme boussole qui oriente le jugement vers la justice. La compassion comme discernement (krisis) est une fonction cognitive du souci d’autrui pour trier le juste et l’injuste; la compassion voit ce que la neutralité ignore. La compassion opère au sein de la justice distributive un lien entre souci d’autrui et répartition du dû; une distribution juste suppose une attention au mal concret tant et sibein qu'on peut parler d'économie de la compassion à travers la régulation des manières de prendre soin pour éviter tant l’épuisement que l’aveuglement; il faut une mesure juste du souci d’autrui.

Un peu différemment, l'empire de la compassion constitue un concept critique qui permet d'analyser les transformations contemporaines de la morale et de la politique. Cet empire désigne l'hégémonie d'un sentiment qui structure désormais les rapports sociaux, les politiques publiques et les relations internationales selon une logique victimaire. Le concept ne vise pas à disqualifier la compassion comme affect moral légitime, il dénonce sa transformation en principe dominant qui produit des effets pervers contraires à ses intentions humanitaires affichées. L'empire opère en hiérarchisant les souffrances selon leur visibilité médiatique, en transformant les sujets en victimes passives, en substituant l'émotionalité immédiate à l'analyse rationnelle des causes structurelles des injustices. Audi montre que cet empire se construit historiquement à partir de la transformation de la pitié rousseauiste en compassion humanitaire qui prétend transcender les frontières nationales et culturelles pour s'adresser à une humanité abstraite. Le concept permet de comprendre comment des intentions généreuses peuvent produire des dispositifs de pouvoir qui maintiennent paradoxalement les inégalités qu'ils prétendent combattre en enfermant certains groupes dans un statut victimaire qui les prive de leur capacité d'action politique. L'empire de la compassion fonctionne comme un analyseur des contradictions de l'humanitarisme contemporain qui soulage les symptômes sans transformer les structures.

Création comme mise à nu du sujet. Théorie selon laquelle créer expose son auteur à ses propres exigences et limites; l’œuvre engage une confession de responsabilité plutôt qu’un simple effet de style. Picaro, picador (typologie du créateur). Double figure du vagabond inventif et du torero frontal pour caractériser l’artiste; création oscille entre ruse et affrontement. Création et vulnérabilité. L’acte de créer expose et oblige; on crée en acceptant d’être atteint. L’artiste comme répondant. Position de l’artiste tenu de répondre de ses formes; créer engage à répondre.

Curriculum de pensée (parcours esth/éthique). Récit structuré des étapes d’une recherche qui construit ses outils en chemin; le parcours devient méthode. Idée de curriculum comme récit d’initiation critique. Mise en intrigue d’une formation par les œuvres; le parcours instruit la méthode.

D

Le démon de l’appartenance est une figure critique des attachements identitaires qui capturent la singularité; l’appartenance devient démon quand elle interdit le mouvement de liberté. Le démon de l'appartenance désigne la force obscure qui attache les individus à des identités collectives définies par des critères ethno-culturels, religieux ou nationaux. Le terme démon indique que cette force ne relève pas simplement de l'erreur cognitive ni de la manipulation idéologique, elle opère à un niveau plus profond qui engage la sécurité ontologique du sujet et son sentiment de continuité identitaire. Audi montre que ce démon s'est particulièrement renforcé dans les sociétés contemporaines malgré la globalisation qui aurait dû dissoudre les attachements particuliers, la multiplication des revendications identitaires témoigne paradoxalement de l'affaiblissement des identités traditionnelles qui cherchent à se reconstituer artificiellement. Le concept permet d'analyser les mécanismes psychiques et sociaux qui produisent cet attachement en examinant comment l'identité collective procure une protection imaginaire face à l'angoisse existentielle que génère la modernité. Le démon de l'appartenance ne constitue pas une simple aliénation idéologique qu'il suffirait de dénoncer pour s'en libérer, il nomme une structure anthropologique qui traverse toute l'histoire humaine tout en prenant des formes spécifiques selon les contextes. Le concept exige de penser ensemble la persistance transhistorique des attachements identitaires et leurs transformations contemporaines qui les exacerbent en réponse à la déstabilisation moderne des cadres traditionnels.

E

L'écriture comme modalité expressive. Clarté comme devoir d’écrire, comme réquisit inscrit. Obligation stylistique de rendre lisible l’exigence (voir poème) ; la clarté est éthique. Discrétion métaphysique et exactitude phénoménale. Principe de sobriété ontologique au profit de descriptions précises du vécu; moins de métaphysique, plus d’exactitude de l’apparaître. La résistance du style est la force par laquelle la forme protège une exigence de vérité ; c'est par le style qu'on tient tête aux simplifications.

Esth/éthique. Assemblage méthodique qui traite l’esthétique et l’éthique comme une seule pratique de discernement sensible, où la forme vécue engage la responsabilité du sujet dans ce qu’il regarde et dans ce qu’il fait; son principe est que juger une œuvre, c’est assumer une obligation pratique née de l’expérience même du sensible. Ivresse de l’art. Intensification du sentir qui accroît le pouvoir de former et de juger au lieu de l’abolir; l’ivresse devient critère d’élévation de la lucidité dans l’expérience esthétique. Ce thème traverse nombre de livres (voir plus bas).

L'esthétique de la proximité et l'exigence de proximité (contre la distance esthétique). La première est refus d’un regard lointain qui neutralise l’œuvre; la seconde est un programme perceptif qui privilégie la venue des formes à courte distance ; se rapprocher pour mieux juger. De cette exigence qui vise à plus de justesse quand il s'agit cette fois de lecture, qui se fait toujours dans la proximité, bref, de cette exigence proximale naît un rapprochement distal. En somme une communauté naît d’obligations de justesse, et cette communauté est la communauté des lecteurs, un collectif formé par des exigences partagées de lecture. En corrollaire inaperçu à cela se tient l'intermittence de la présence, qui est le mode d’apparaître (bref la modalité) en éclairs discontinus qui exige vigilance ; la présence n’est pas donnée en continu, elle est donc d'autant plus perceptible que l'on est dans la proximité, qui cette fois n'est plus picturale.

La supériorité de l’éthique. L’éthique, pour Paul Audi, est indissociable de la création, de la compassion active et de la reconnaissance de la singularité de l’autre, et elle constitue la condition de possibilité d’une véritable émancipation du sujet. Thèse hiérarchique selon laquelle toute activité théorique ou artistique doit être mesurée par des critères pratiques touchant au juste et au digne; l’éthique sert de norme d’évaluation première, avant le savoir et avant l’efficacité technique. Éthique des commencements. Attention aux premiers gestes, aux inaugurations, aux serments de départ; bien commencer engage la suite. Éthique mise à nu par ses paradoxes. Diagnostic des tensions internes d’une éthique sans transcendance (obligation sans garant, norme sans absolu); les paradoxes instruisent le jugement au lieu de l’abolir. Éthique de la voix. Responsabilité attachée à ce que l’on fait avec sa voix et sa parole; parler engage. Éthique du regard. Règles pratiques du voir juste: attention, lenteur, adresse à l’œuvre; voir engage. Paradoxe de l’éthique sans fondement transcendant. Tenir ensemble obligation et contingence; la force d’une norme se prouve dans ses usages situés.

F

Fantôme européen. Reste non pacifié de l’histoire et des promesses de l’Europe; le fantôme appelle une fidélité critique. L'Europe et son fantôme. Nom de ce qui hante le projet européen entre promesse universaliste et mémoire tragique, le fantôme indique un reste non traité qui réclame une politique du jugement.

H

Héritage voir réception et voir lecture.

La honte d’être soi chez Gary. Analyse d’un affect moteur où la honte pousse à inventer des vies et des noms; la honte propulse une éthique de responsabilité narrative.

I

La critique de l’idéalisme esthétique que pose Paul Audi est marquée par un refus d’un art hors du monde humain ; l’œuvre appartient au champ du vivre et du juger. C'est là une défense du jugement sensible par la légitimation du sentir comme instance de connaissance ; comprenez le sensible pense.

La relève de l'identité troublée passe par le diagnostic des fictions rassurantes de l’identité et de leur coût subjectif ; le trouble devient ressource critique pour une liberté ouverte. La mise en cause de l’appartenance identitaire revient à une dénonciation des enfermements catégoriels ; ouvrir l’identité, c'est protèger la liberté. A propos de la relève, voir lecture.

La fin de l’impossible est une conversion de l’« impossible » en ligne de crête mobile travaillée par la décision et par l’invention; la fin signifie transformation de régime, non disparition de la limite. L’impossible comme catégorie mobile. Requalification de l’impossible en limite déplaçable par l’invention; l’action reconfigure les frontières. « La Fin de l’impossible » s’interroge sur la possibilité de l’impossible, sur la capacité de l’art et de la pensée à ouvrir des espaces inédits.

L’irréductible. « L’Irréductible. Essai sur la radicalité en phénoménologie » analyse la figure de l’irréductible en phénoménologie qui se définit par le minimum résistant de l’expérience qui ne se laisse pas dissoudre par explication ou réduction; l’irréductible nomme le seuil qui fait tenir le sujet dans ses engagements. L'irréductible introduit dans la phénoménologie une dimension critique qui refuse les prétentions de cette discipline à atteindre une transparence complète des phénomènes à travers les réductions méthodiques. L'irréductible nomme ce qui dans l'expérience vécue résiste à toute tentative d'élucidation définitive et qui persiste comme opacité constitutive après toutes les analyses possibles. Ce concept ne désigne pas un résidu empirique qui témoignerait simplement d'une analyse incomplète à poursuivre, il nomme une dimension structurale de l'expérience qui appartient à son essence même. Audi montre que la phénoménologie husserlienne repose sur le postulat d'une clarification intégrale possible qui permettrait d'atteindre la couche ultime du sens en éliminant progressivement toutes les obscurités et les confusions qui brouillent l'expérience naïve. L'irréductible conteste ce postulat en affirmant que l'opacité, la résistance et l'excès font partie intégrante des phénomènes et ne peuvent être considérés comme de simples obstacles épistémologiques. Cette thèse possède des conséquences considérables pour la pratique phénoménologique qui doit renoncer à son ambition de science rigoureuse au sens husserlien pour accepter une forme de description qui maintient la tension et l'indécidabilité comme dimensions constitutives de son objet. Le concept d'irréductible permet de penser philosophiquement l'excès, le reste, le supplément qui débordent toutes les tentatives de systématisation conceptuelle.

J

La jubilation critique. Joie d’ajustement du jugement quand forme et valeur coïncident dans l’expérience; la jubilation n’est pas euphorie, c’est la clarté acquise d’un discernement. La jubilation désigne l'affect spécifique que produit l'expérience esthétique véritable qui se distingue du simple plaisir par son intensité et sa dimension transformatrice. Ce concept refuse les théories hédonistes qui réduisent l'expérience esthétique à une sensation agréable et les théories cognitivistes qui en font un jugement intellectuel portant sur les propriétés formelles de l'œuvre. La jubilation nomme un état d'exaltation qui engage la totalité du sujet dans ses dimensions sensible, intellectuelle et morale, état qui ne peut être réduit à aucune de ces dimensions prises isolément. Audi montre que la jubilation se produit quand l'œuvre parvient à ouvrir une expérience qui excède les codes établis et qui force le spectateur à inventer de nouveaux modes de perception et de compréhension. Cette ouverture génère un affect joyeux qui provient de l'élargissement des possibilités existentielles que l'œuvre rend accessible. La jubilation ne constitue pas un état de bien-être paisible, elle comporte une dimension d'inquiétude et d'inconfort puisqu'elle déstabilise les repères habituels du sujet et le confronte à l'inconnu. Le concept permet de penser la spécificité de l'expérience esthétique sans la couper de l'existence éthique puisque cette jubilation transforme le rapport du sujet au monde et à lui-même selon des modalités qui engagent toute sa vie.

La justesse. Le témoin chez Camus. Figure du sujet qui atteste en première personne sans surplomb doctrinal; témoigner consiste à tenir une mesure juste face au réel. Choix d’Hémon (éthique tragique). Décision située au croisement des lois civiles et des fidélités intimes; la tragédie mesure la justesse d’un choix sans garantie. Éthique et passion chez Rousseau. Thèse que la justesse morale dépend d’une éducation du sentir; les passions deviennent sources de discernement. Tension entre loi et désir. Nœud conflictuel où se mesure la justesse d’un choix; il faut tenir la loi sans écraser le désir. Tenir tête. Vertu de persévérance et de fermeté sans dureté, face aux forces d’abaissement; tenir tête, c’est refuser ce qui avilit et maintenir la mesure juste. Hiérarchie pratique: éthique avant savoir. Ordre qui pose la conduite comme première mesure; on commence par le juste, puis par le vrai. Estime de la singularité. Reconnaissance active de la valeur d’une différence personnelle; estimer la singularité protège la justice commune. Autorité de la pensée. Pouvoir d’obliger qui vient de la justesse éprouvée et partageable d’un raisonnement; une pensée a autorité quand elle répond de ce qu’elle exige des autres.

Le courage comme exigence de justice. Obligation de rendre à chacun ce qui lui est dû dans des situations concrètes; la justice se demande au présent et s’adresse à des responsables identifiables. Justice comme tâche infinie. Conception procédurale de la justice toujours à reprendre; on n’en a jamais fini avec le juste. Courage critique. Capacité d’énoncer et de maintenir un jugement difficile; le courage rend possible la justice du dire. Doit-on s'en tenir à la critique ? Ethique clitique, consolidantion, renforcement, soutien. La justice dès lors qu'elle se soutient de la confiance est annonciatrice du courage et non pas le courage qui amène la justice, c'est l'exigence, la discipline qui l'amènent. 

L

Lecture et relève d'un trait. L’individuation par la lecture. Idée que lire forme un sujet en l’obligeant à répondre de ce qu’il comprend et de ce qu’il devient; la lecture produit une signature de responsabilité. Lectures croisées Mallarmé–Celan. Confrontation de deux poétiques de l’extrême densité; le poème devient école d’attention. Sur les conflits de lectures. L’« affaire » Nietzsche. Nom des batailles interprétatives qui instrumentalisent Nietzsche; la solution est une méthode de lecture orientée par nos obligations présentes. En contrepartie cette lecture est marquée par un critère de responsabilité herméneutique, qui n'est rien d'autre que le devoir de répondre de ses interprétations devant les textes et les autres ; interpréter expose à la critique. En même temps il y a une critique de la pure neutralité critique, un rejet du regard ou de la lecture prétendument sans position ; la vraie critique assume ses engagements. La lecture est davantage performative que passive ou réceptive. La lecture qui fait ce qu’elle dit en ajustant son geste au texte ; interpréter, c’est agir.

P

Passibilité à travers la Crucifixion comme figure du délaissement. Allégorie de l’abandon et de la passivité extrême comme lieu de discernement éthique; l’exposition à la douleur d’autrui devient principe de responsabilité.

Épreuve proximale de la peinture. Idée que la peinture n’est pas objet neutre, mais test de notre capacité à supporter matière, temps et altérité; regarder un tableau constitue une mise à l’épreuve éthique du regard. Cette subjectivation par la peinture, comprenez le processus où le regardeur se constitue au contact des œuvres apporte un regard libéré (comme dans l'essai sur Eugène Leroy). Désentravement du voir hors des clichés perceptifs par l’épreuve de la matière picturale ; libérer le regard, c’est consentir à la lenteur et à l’épaisseur ; en effet regarder transforme celui qui regarde. Toute phénoménologie est au fond un ralentissment, c'est ce malentendu qui affleure parfois avec la dromologie de Paul Virilio, un autre phénoménologue. C'est ce qu'on retrouve dans la Proximité du tableau. A la fois présence de celui-ci mais sur le nom d'une méthode de regard qui suppose une approche lente, un angle court, un durée d'exposition et surtout un ajustement focal et perceptif ; voir exige en somme de se rendre proche pour laisser l’œuvre nous assigner. Pour qu'une pensée de la pâte, de la surface, du grain comme présence charnelle advienne. A travers la matière picturale, une vie se fait sentir. Voir esthétique de la proximité et exigence de la proximité

Phénoménologie. L’intériorité affective (Michel Henry). Lieu d’apparition originaire de la vie sentie qui fonde la normativité; le sentir se donne comme première vérité. L’écrivain témoin de soi. Auteur qui engage sa personne dans l’acte de dire et se tient pour responsable; écrire équivaut à signer une tenue. Expérience de l’ivresse comme critère. Usage de l’intensité comme indicateur d’ajustement et non d’aveuglement; l’ivresse qui clarifie vaut, celle qui abrutit disqualifie. Corps senti vs corps vu (un peu à la Merleau-Ponty). Distinction entre le corps vécu de l’intérieur et le corps objet de perception; le premier fonde l’accès au second. Trajectoire phénoménologique. Fil conducteur qui va de la description du vécu à la responsabilité; décrire pour mieux répondre. Microphénoménologie de l’affect au sens d'une phénoménologie pré-consciente, non advenue à son attention. Description fine des micromouvements du sentir ; le détail affectif oriente l’action. (Micro-décisions comme chez Mouchkine ?)

Le poème comme expérience-limite qui engage ; le poème est le lieu où la langue frôle ses bornes et instruit la responsabilité ; le poème éduque le souffle et l’écoute ; le poème allitère le délètère, le fracasse par un sursaut de responsabilité né des microphénoménologies. Le sursaut de la responsabilité, c'est le moment où le sujet se redresse et répond ; le sursaut convertit l’affect en décision. Ce sursaut est marqué par une inactualité choisie, en tant que décision de se soustraire aux modes pour mieux voir ; l’inactualité sert la précision du poème. Tout ceci se concentre en des moments, notamment par exemple dans la sortie de l’enfance, l'enfance qui n'est que le processus d’apprentissage des limites, des promesses et d’une voix propre ; devenir adulte signifie endosser la conséquence de ses actes, c'est tenir le sursaut de responsabilité. Voir la justice comme ce qui est annonciateur, si l'exigence est là, d'un courage.

R

La radicalité phénoménologique désigne l'exigence de pousser la description des phénomènes jusqu'à leurs limites extrêmes sans chercher à les résorber dans une synthèse harmonieuse ou une clarification définitive. « L’Irréductible. Essai sur la radicalité en phénoménologie » analyse la notion de radicalité, ce qui ne peut être réduit à autre chose, en phénoménologie. Cette radicalité ne consiste pas simplement à appliquer plus rigoureusement les méthodes phénoménologiques classiques, elle implique une transformation de ces méthodes qui acceptent de confronter des phénomènes limites qui excèdent les capacités descriptives habituelles. Les radicaux de la phénoménalité sont les éléments minimaux par lesquels quelque chose apparaît (chair, temps, affect) ; toute méthode doit respecter ces radicaux. Audi montre que certaines expériences comme la souffrance extrême, la jouissance orgasmique, l'angoisse mortelle ou l'extase mystique révèlent les limites de la phénoménologie standard qui présuppose un sujet stable capable de décrire ses vécus avec distance réflexive. Ces expériences limites dissolvent cette stabilité et cette distance en emportant le sujet au-delà de lui-même dans un mouvement qui rend impossible la position d'observateur impartial de sa propre expérience. La radicalité phénoménologique exige de maintenir la fidélité à ces expériences sans les normaliser ni les évacuer comme pathologiques ou exceptionnelles, elle doit inventer des modes de description qui respectent leur caractère excessif et leur résistance à la conceptualisation. Le concept de radicalité phénoménologique permet de prolonger le projet husserlien tout en le transformant profondément en le confrontant à ses propres limites.

Réception. Héritage sans servitude (Rousseau). Recevoir une œuvre en créant ses obligations propres; hériter, c’est inventer des usages justes. Voir lecture.

Sur Rousseau. Singularité rousseauiste. Conception d’une singularité non narcissique, tenue par une exigence de justice et de sincérité affective; être singulier signifie répondre correctement à autrui. Liberté, égalité, singularité. Triade politique qui ajoute à la liberté et à l’égalité la tâche de protéger la différence personnelle; la singularité devient valeur civique à part entière. L’âme rousseauiste. Centre affectif où se nouent sincérité, justice et compassion; l’âme n’est pas substance, c’est foyer d’épreuves morales. 

S

Le sentiment intérieur constitue un concept repris de Rousseau et réélaboré par Audi pour désigner la modalité fondamentale selon laquelle le sujet se rapporte à lui-même dans sa dimension affective. Ce sentiment ne se réduit ni à la conscience intellectuelle ni aux émotions ponctuelles, il désigne la tonalité affective globale qui colore l'existence à un moment donné et qui se révèle à travers ses modifications temporelles. Le sentiment intérieur n'est pas une donnée psychologique immédiate accessible par simple introspection, il se dévoile progressivement à travers l'attention que le sujet porte aux variations de son état affectif au cours de l'existence. Audi montre que ce concept permet de penser la subjectivité autrement que comme substance stable ou comme flux dispersé de vécus, il désigne une continuité affective qui assure l'unité de l'expérience tout en se modifiant constamment. Le sentiment intérieur constitue le mode primordial d'ouverture au réel avant toute objectivation cognitive, c'est à travers lui que se donne la signification existentielle des situations et des événements qui ne sont jamais simplement des faits neutres mais possèdent toujours déjà une valeur pour le sujet qui les vit. Ce concept permet d'éviter tant le cognitivisme qui réduit l'expérience à des représentations mentales que l'empirisme qui la dissout en sensations élémentaires, il maintient l'unité structurale de l'expérience subjective tout en respectant sa dimension temporelle et affective. L'analyse du sentiment intérieur se fait par micro-descriptions ou descriptions préconscientes des nuances affectives comme ressources de connaissance pratique; le sentir instruit la décision.

Le Surmâle jarryen relu par la psychanalyse. Utilisation du mythe jarryen pour penser les intensités du désir et leurs montages symboliques; la psychanalyse éclaire l’excès comme structure, non comme caprice. Théorème du Surmâle. Relecture croisée de Jarry et de Lacan qui formule une loi du désir poussé à sa limite formelle; le Surmâle désigne l’excès structurant où création, érotique et loi symbolique se reprennent et se déforment. Portrait de l’artiste en surmâle. Profil d’un créateur propulsé par un désir qui déborde les cadres habituels; la puissance d’invention se paye d’une mise en risque du sujet. 

T

Tentative (Mallarmé) comme figure de la création. Modèle d’un acte de création qui s’avance sans garantie de réussite et institue ses critères en agissant; la tentative définit l’œuvre comme procès risqué où le sujet se constitue. L’essai comme laboratoire. Genre où s’éprouvent des hypothèses à même les œuvres; l’essai fabrique des instruments de lecture.

Épreuve du tragique. Rencontre avec des conflits insolubles qui exigent décision; le tragique instruit sans garantir.

V

Valeur et dignité du sensible. Reconnaissance du sensible comme lieu de valeur; ce qui se sent peut obliger. Esthétique et valeur sans transcendance. Construction d’échelles de valeur immanentes aux expériences; la valeur naît de la manière dont une forme nous transforme. Interpénétration des registres (éthique/esthétique/politique). Thèse d’une continuité des sphères de valeur; séparer affaiblit la justesse.

Topique du corps et de l’esprit. Cartographie vécue du « où » subjectif qui articule corps senti et opérations de pensée; le sujet habite des lieux d’expérience plutôt qu’une substance séparée.

Ironie lacanienne. Trait de discours qui déplace la solennité et rouvre l’accès à l’expérience du sujet parlant; l’ironie sert de levier critique contre la rigidification doctrinale.

La riposte (Molière). Pratique du théâtre comme correction publique par le rire et la scène; riposter signifie instruire sans humilier.

 

Bibliographie presque exhaustive (1997-2025)

De la véritable philosophie. Rousseau au commencement (1994) propose de relire Rousseau pour établir un point de départ normatif : commencer en philosophie revient à s’exposer à une exigence de vérité pratique où la pensée ne se sépare pas de la conduite de vie, et où la « véritable » philosophie désigne un exercice d’immanence critique orienté par la dignité du sensible et la droiture du jugement. Les pages situent d’emblée l’éthique comme mesure du discours philosophique et préparent la monographie rousseauiste à venir. C'est le premier ouvrage d'Audi qui établit les fondements de sa démarche philosophique en prenant Rousseau comme point de départ. Le livre soutient que Rousseau représente le commencement de la véritable philosophie moderne parce qu'il a rompu avec la tradition métaphysique qui cherchait la vérité dans un ordre transcendant pour la situer dans l'expérience subjective de l'existence humaine. Audi montre comment Rousseau a déplacé le questionnement philosophique du problème de la connaissance vers celui de la légitimité, du théorique vers le pratique, de l'universel abstrait vers la singularité concrète. La véritable philosophie se distingue de ses simulations académiques ou mondaines par sa capacité à transformer l'existence de celui qui la pratique, elle ne se contente pas d'accumuler des connaissances sur le monde mais engage une métamorphose du sujet lui-même. Rousseau incarne cette véritable philosophie parce que sa pensée est indissociable de sa vie, parce qu'il a refusé les compromissions que la société philosophique de son temps exigeait et parce qu'il a maintenu jusqu'au bout la primauté du sentiment intérieur contre toutes les formes d'aliénation sociale. L'ouvrage analyse les textes majeurs de Rousseau en montrant comment ils développent une conception de l'âme qui anticipe la phénoménologie moderne dans sa description de la vie subjective et de ses modifications affectives.

L’Autorité de la pensée (1997) analyse ce qui fait qu’une pensée oblige sans recourir à la force : l’autorité provient de sa capacité à répondre du réel et à organiser des raisons partageables. La thèse lie autorité et responsabilité : une pensée n’obtient sa force qu’en se soumettant à l’épreuve de ce qu’elle demande aux autres de faire et de sentir. Par cette réflexion sur la nature de l'autorité proprement philosophique, Paul Audi interroge ce qui confère à une pensée son pouvoir de s'imposer sans recourir à la contrainte extérieure ni à l'argument d'autorité traditionnel. L'autorité de la pensée ne provient ni de la position institutionnelle de celui qui l'énonce ni de sa conformité à des dogmes établis, elle réside dans sa force interne qui se manifeste par sa capacité à éclairer l'expérience et à ouvrir des perspectives inédites. Cette autorité se distingue du pouvoir qui s'exerce de l'extérieur par la menace ou la séduction, elle opère depuis l'intérieur de la conscience de celui qui la reconnaît comme telle. Audi analyse comment la philosophie contemporaine a largement perdu cette autorité en se réfugiant dans la technicité académique ou dans le commentaire érudit qui la coupe de l'expérience vécue. Le livre examine les conditions dans lesquelles la pensée philosophique peut retrouver son autorité propre en renouant avec les questions fondamentales de l'existence humaine et en refusant de se soumettre aux exigences de la spécialisation disciplinaire. L'autorité véritable ne cherche pas à dominer mais à libérer, elle ne s'impose pas par la force de l'argument logique seul mais par sa capacité à résonner avec l'expérience de celui qui la reçoit.

Rousseau, éthique et passion (1997) montre comment Rousseau lie la normativité morale aux passions, non comme obstacles, mais comme sources de discernement. L’ouvrage soutient que l’éducation du sentir conditionne la justice, faisant de la sensibilité une instance de jugement. Cette lecture de Rousseau en se concentrant sur l'articulation entre la réflexion éthique et la vie passionnelle conteste les interprétations qui font de Rousseau un penseur rationaliste de la morale ou au contraire un irrationaliste qui dissoudrait l'éthique dans le sentiment. Le livre montre comment Rousseau élabore une conception de l'éthique qui ne sépare pas la raison de la passion mais les articule selon un mode qui reconnaît la primauté du sentiment sans pour autant renoncer à la normativité. La passion n'est pas chez Rousseau une perturbation de l'ordre moral qu'il faudrait discipliner ou supprimer, elle constitue au contraire la source même de l'énergie morale qui permet d'agir selon le bien. Les passions se distinguent entre celles qui sont naturelles et favorisent le développement de l'humanité et celles qui sont artificielles et produites par les déformations sociales. Audi analyse particulièrement la passion de la pitié qui joue un rôle central dans l'éthique rousseauiste comme fondement naturel de la sociabilité, tout en montrant les ambiguïtés de cette notion qui peut aussi bien conduire à la reconnaissance d'autrui qu'à une forme de condescendance. Le livre examine les textes majeurs de Rousseau depuis les Discours jusqu'aux Rêveries en montrant la cohérence d'une pensée qui refuse de séparer la théorie éthique de l'expérience vécue des affects.

La Tentative de Mallarmé (1997, remanié dans Créer, 2010) lit le mot « Tentative » comme paradigme d’une création qui s’avance sans garantie de réussite, où l’acte poétique institue son propre critère en se risquant. La tentative devient modèle pour penser l’œuvre comme procès de subjectivation. Paul Audi propose une interprétation du projet poétique mallarméen qui le comprend comme une tentative au sens plein du terme, c'est-à-dire comme une entreprise qui vise un but situé aux limites du possible et qui assume le risque de l'échec. Audi récuse les lectures qui font de Mallarmé un poète formaliste préoccupé exclusivement par le travail du langage, il montre au contraire que la poésie mallarméenne vise une transformation de l'existence par la création d'un monde poétique qui ne se contente pas de représenter le réel mais prétend le remplacer. La tentative mallarméenne consiste à créer le Livre absolu qui contiendrait la totalité du monde dans sa pure essence et qui permettrait de substituer à l'existence contingente et chaotique un ordre poétique nécessaire et harmonieux. Cette tentative était vouée à l'inachèvement non par insuffisance des moyens du poète mais par la nature même de son projet qui visait l'impossible. Audi analyse la tension entre l'ambition métaphysique de Mallarmé et sa pratique poétique effective qui produit des textes fragmentaires, obscurs, résistant à toute synthèse définitive. Le livre examine des œuvres majeures comme Un coup de dés et montre comment elles mettent en scène leur propre impossibilité tout en affirmant la nécessité de la tentative poétique malgré son échec inévitable.

Picasso, picaro, picador. Portrait de l’artiste en surmâle (1998) élabore une typologie de la figure créatrice chez Picasso à partir des figures du picaro et du picador, articulant puissance d’invention, défi et transgression, jusqu’à une lecture du surmâle comme intensification problématique du désir de forme. Cette  analyse de l'œuvre de Picasso le comprend à travers deux figures apparemment contradictoires. Le picaro désigne le personnage picaresque de la littérature espagnole, vagabond rusé qui survit par son intelligence et son absence de scrupules, figure de la mobilité et de l'adaptation constante aux circonstances. Le picador désigne le cavalier de la corrida qui affronte le taureau avec sa pique, figure du combat et de l'affrontement viril. Audi montre comment Picasso incarne simultanément ces deux figures dans sa pratique artistique qui combine l'adaptation opportuniste aux modes et aux marchés avec l'affirmation d'une puissance créatrice qui défie toutes les normes établies. Le livre analyse comment Picasso a construit son personnage d'artiste surmâle qui multiplie les conquêtes amoureuses et les révolutions stylistiques avec la même voracité insatiable. Cette construction n'est pas une simple stratégie de promotion, elle participe de l'œuvre elle-même qui ne se sépare jamais de la vie de son créateur. Audi examine les périodes successives de l'œuvre picassienne en montrant comment elles correspondent moins à une évolution stylistique linéaire qu'à une série de ruptures violentes où l'artiste détruit ce qu'il vient de créer pour inventer de nouvelles formes. L'analyse se concentre particulièrement sur les représentations de la femme dans l'œuvre de Picasso qui oscillent entre l'idéalisation et la déformation monstrueuse, révélant la dimension profondément ambivalente de la relation de l'artiste au féminin.

L’Éthique mise à nu par ses paradoxes, même (2000) dégage les paradoxes structurants de l’éthique quand elle refuse les garanties transcendantes : comment obliger sans absolu, comment juger sans déserter la contingence, comment tenir une norme tout en restant fidèle à la vulnérabilité du sensible. Les paradoxes ne sont pas des impasses, ils instruisent le jugement. Tout ceci constitue une investigation systématique des contradictions internes qui travaillent la pensée morale. Le titre fait référence au Grand Verre de Duchamp et suggère que l'éthique ne peut être comprise qu'en acceptant sa nudité paradoxale plutôt qu'en cherchant à résoudre artificiellement ses tensions. Audi montre comment toute proposition éthique génère immédiatement son contraire ou du moins suscite des objections qui semblent aussi légitimes que l'affirmation initiale. Le paradoxe n'est pas un accident de la pensée morale qu'une meilleure formulation pourrait éviter, il constitue sa structure même qui provient du fait que l'éthique doit articuler des exigences hétérogènes et partiellement incompatibles. Le livre examine les grands paradoxes éthiques qui traversent l'histoire de la philosophie morale, depuis le paradoxe socratique selon lequel nul n'est méchant volontairement jusqu'aux antinomies kantiennes de la raison pratique. Audi soutient que ces paradoxes ne doivent pas conduire au scepticisme moral ni au relativisme, ils exigent au contraire un approfondissement de la réflexion qui accepte de maintenir la tension sans chercher une résolution dialectique illusoire. L'éthique véritable se caractérise par sa capacité à assumer ses propres contradictions et à décider dans l'incertitude plutôt que d'attendre une clarification théorique définitive qui ne viendra jamais.

Crucifixion (2001) propose une méditation sur l’abandon, la souffrance et la passivité éprouvée comme lieu d’un discernement nouveau, où l’image de la crucifixion devient figure critique pour penser l’exposition à la douleur d’autrui. C'est une méditation sur l'expérience de la dépossession absolue à partir de la figure christique de la crucifixion. Audi ne propose pas une interprétation théologique de cet événement, il l'analyse comme paradigme d'une expérience existentielle de dessaisissement radical où le sujet est dépouillé de tout ce qui constituait ses supports identitaires et ses protections psychiques. La crucifixion désigne le moment où l'existence est réduite à sa pure nudité, exposée sans défense aux atteintes du monde et des autres. Cette expérience peut être subie dans certaines situations limites de souffrance extrême, de trahison ou d'abandon qui révèlent la précarité fondamentale de toute existence humaine. Le livre examine comment la philosophie et l'art ont représenté cette expérience de dépossession en analysant des œuvres picturales qui figurent la crucifixion depuis les primitifs italiens jusqu'à Francis Bacon. Audi montre que la crucifixion n'est pas seulement un thème iconographique parmi d'autres, elle constitue un défi pour la représentation elle-même qui doit trouver les moyens de figurer l'infigurable de la souffrance absolue. La méditation sur la crucifixion conduit à interroger les ressources dont dispose l'existence humaine pour affronter cette possibilité de dépossession totale et pour éventuellement en faire le lieu d'une transformation qui ne soit pas simplement un retour à l'état antérieur.

L’Europe et son fantôme (2003) s’attache à la scène politique et culturelle européenne en interrogeant ce qui hante le projet européen : promesse universaliste, mémoire tragique, désir d’un commun non identitaire. L’essai plaide pour une Europe entendue comme tâche de justice et de culture du jugement. Cette analyse de  la situation contemporaine du continent européen soutient que l'Europe est hantée par un fantôme qui n'est autre qu'elle-même sous sa forme passée. Le fantôme européen désigne la présence spectrale d'une certaine idée de l'Europe comme civilisation porteuse de valeurs universelles et comme puissance capable de façonner le monde selon ses principes. Cette Europe-là a disparu avec les catastrophes du vingtième siècle qui ont révélé la capacité du continent à engendrer la barbarie à une échelle inédite. L'Europe actuelle se construit sur l'oubli de cette histoire tout en étant obscurément hantée par elle, elle prétend incarner des valeurs humanistes universelles tout en étant incapable d'assumer son passé colonial et totalitaire. Audi critique le projet de construction européenne institutionnelle qui se réduit à une intégration économique et technique sans dimension culturelle ou spirituelle véritable. Le livre interroge ce qui pourrait constituer une identité européenne qui ne soit ni un retour nostalgique à l'Europe impériale ni une simple zone de libre-échange. Cette interrogation conduit à revisiter l'histoire intellectuelle européenne pour identifier des ressources conceptuelles permettant de penser une Europe qui assume ses responsabilités historiques tout en restant ouverte à l'altérité des autres civilisations.

L’Ivresse de l’art. Nietzsche et L’esthétique (2003) revient au couple ivresse/forme chez Nietzsche pour penser l’intensité affective non comme débordement, mais comme élévation du pouvoir de juger. L’ivresse devient opérateur critique qui permet d’articuler énergie, style et valeur. L'Ivresse de l'art développe une interprétation de l'esthétique nietzschéenne centrée sur le concept d'ivresse qui désigne l'état physiologique et psychique propre à la création et à la réception artistiques. Audi montre que Nietzsche ne pense pas l'art depuis le point de vue du spectateur désintéressé comme le fait la tradition kantienne, il le comprend depuis l'expérience du créateur qui se trouve emporté au-delà de lui-même par la puissance productive qui s'empare de lui. L'ivresse n'est pas une métaphore approximative, elle nomme un état réel caractérisé par une intensification de toutes les fonctions vitales, une augmentation de la sensibilité perceptive et une levée des inhibitions habituelles. Cet état se distingue de la simple excitation ou de l'agitation désordonnée par le fait qu'il s'accompagne d'une lucidité extrême et d'une maîtrise accrue des moyens expressifs. Le livre examine comment Nietzsche élabore cette esthétique de l'ivresse en opposition à la conception schopenhauerienne de l'art comme contemplation apaisée qui suspend la volonté. Pour Nietzsche au contraire, l'art exprime l'intensification maximale de la volonté qui s'affirme dans la création de formes nouvelles. Audi analyse les textes nietzschéens depuis La Naissance de la tragédie jusqu'aux fragments posthumes en montrant comment cette conception de l'art s'articule avec l'ensemble de la philosophie de Nietzsche et particulièrement avec sa critique de la morale et sa conception du surhomme.

Où je suis. Topique du corps et de l’esprit (2004) propose une cartographie phénoménologique du « où » subjectif : localisation vécue, articulation du corps senti et de l’esprit, manière dont le sujet habite ses actes et ses images. La topique du « où » renouvelle les problèmes classiques du dualisme. Ici s'interroge la question du lieu de l'existence subjective. Le livre part de la question apparemment naïve « où suis-je ? » pour montrer qu'elle ouvre sur des problèmes philosophiques fondamentaux concernant le rapport entre la conscience et le corps, entre l'intériorité et l'extériorité, entre le vécu subjectif et l'espace objectif. Audi récuse les solutions dualistes qui séparent l'esprit et le corps en les localisant dans des espaces différents, il montre que l'existence est toujours déjà spatiale et corporelle sans pour autant se réduire à un simple corps-objet situé dans l'espace physique. La topique désigne ici non pas une simple localisation géographique mais une cartographie des régions de l'expérience qui articule différents modes de spatialisation du vécu. Le livre examine comment la philosophie depuis Descartes a thématisé cette question du lieu en analysant les apories qu'elle génère et les fausses solutions qu'elle a produites. Audi développe une conception de l'incarnation qui refuse tant le réductionnisme matérialiste que le spiritualisme désincarné, il affirme que l'existence humaine se caractérise par un certain mode d'habitation de l'espace et du corps qui ne coïncide jamais complètement avec sa situation objective. La question « où je suis » reçoit donc une réponse essentiellement paradoxale qui affirme que je suis là où mon corps se trouve tout en étant capable de me projeter imaginativement et affectivement dans d'autres lieux et d'autres temps.

Michel Henry. Une trajectoire philosophique (2006) reconstitue la cohérence d’une phénoménologie de la vie et précise ce qu’elle change pour l’éthique : l’affectivité originaire devient lieu d’apparition de la valeur, d’où un recentrage sur le sentir comme source de normativité. Ce livre présente une analyse de la trajectoire philosophique du phénoménologue français en mettant l'accent sur sa théorie de l'auto-affection et sa philosophie de la vie. Audi montre comment Henry a développé une phénoménologie radicale qui refuse la primauté accordée par Husserl et Heidegger à l'intentionnalité pour se concentrer sur la dimension auto-affective de la conscience qui se révèle à elle-même avant tout rapport à un objet transcendant. Cette auto-affection constitue selon Henry l'essence de la vie qui se caractérise par sa capacité à s'éprouver elle-même sans passer par la médiation d'une extériorité. Le livre examine comment cette conception conduit Henry à critiquer la culture moderne qui privilégie la représentation objective au détriment de la vie subjective et qui produit une forme de barbarie caractérisée par l'oubli de la dimension affective de l'existence. Audi évalue les forces et les limites de cette philosophie de la vie en montrant comment elle permet de penser des dimensions de l'expérience que la phénoménologie classique avait négligées, tout en soulignant les problèmes que pose son refus de l'extériorité et de la transcendance. L'analyse porte particulièrement sur les œuvres majeures de Henry comme L'essence de la manifestation et La barbarie, en montrant comment elles développent une critique radicale de la modernité qui rejoint par certains aspects celle de Nietzsche tout en s'appuyant sur des fondements conceptuels différents.

Supériorité de l’éthique (première éd. 1999) installe la thèse cardinale selon laquelle toute hiérarchie des pratiques doit reconnaître la priorité de l’éthique. L’ouvrage en établit les conditions et l’usage dans la critique littéraire et artistique. Supériorité de l'éthique affirme de manière frontale la thèse centrale de la philosophie d'Audi selon laquelle le questionnement moral prime sur toute autre forme d'interrogation philosophique. Le livre développe les arguments qui fondent cette primauté en montrant que l'éthique ne constitue pas une branche spécialisée de la philosophie au même titre que l'épistémologie ou l'esthétique, elle concerne la totalité de l'existence humaine dans la mesure où celle-ci se trouve toujours déjà engagée dans des relations avec autrui qui soulèvent des questions de justice, de respect, de responsabilité. La supériorité de l'éthique ne signifie pas que les autres domaines de la philosophie seraient négligeables ou subordonnés de manière hiérarchique, elle indique que tout questionnement philosophique se trouve ultimement confronté à des enjeux éthiques qu'il ne peut éluder sans se renier lui-même. Audi critique les formes de philosophie qui se réfugient dans la technicité abstraite ou dans l'érudition historique pour éviter d'affronter les questions morales concrètes qui engagent l'existence du philosophe lui-même. Le livre examine comment cette supériorité de l'éthique se manifeste dans les grandes œuvres philosophiques qui, même lorsqu'elles ne traitent pas explicitement de morale, sont travaillées par des préoccupations éthiques qui orientent leur démarche. L'argumentation s'appuie sur des analyses de textes allant de Platon à Levinas en montrant comment ces penseurs ont affirmé de différentes manières la primauté du bien sur le vrai ou du juste sur l'être.

Je me suis toujours été un autre. Le paradis de Romain Gary (2007) lit Gary comme laboratoire de l’identité narrative et de la duplicité assumée. La formule souligne une subjectivité qui se constitue dans la fiction responsable de soi. Cette lecture de l'œuvre de Romain Gary à travers le prisme de la question identitaire - dont le titre reprend et transforme la formule rimbaldienne « Je est un autre » pour exprimer l'expérience d'une identité constitutivement divisée - montre comment Gary a vécu et représenté dans son œuvre cette division identitaire qui le conduisait à multiplier les pseudonymes et les personnages fictifs au point de rendre impossible toute stabilisation de son identité personnelle. Le paradis de Gary désigne cette capacité à inventer des vies multiples et à échapper par la fiction à la fixation identitaire que la société cherche à imposer. Le livre analyse comment cette expérience de l'altération identitaire ne constitue pas une pathologie psychologique mais révèle au contraire une vérité de l'existence humaine qui est d'être toujours déjà autre à elle-même. Gary incarne de manière exemplaire cette condition humaine d'une identité qui ne se possède jamais complètement et qui doit sans cesse se réinventer. Audi examine les œuvres majeures de Gary depuis La Promesse de l'aube jusqu'à La Vie devant soi en montrant comment elles mettent en scène des personnages qui tous luttent contre l'assignation à une identité fixe et cherchent à créer leur propre existence par la fabulation. Le livre interroge les limites de cette stratégie d'échappement identitaire qui conduit Gary au suicide, comme si la multiplication des identités fictives finissait par rendre impossible toute consistance existentielle.

Rousseau, une philosophie de l’âme (2008) approfondit le cœur affectif de la pensée rousseauiste : l’âme n’est pas substance séparée, elle renvoie à un foyer d’expérience où se joue la justice du jugement et la qualité de la relation à autrui. Ce livre présente une interprétation synthétique de la pensée rousseauiste centrée sur le concept d'âme. Audi montre que Rousseau élabore une philosophie de l'âme qui se distingue tant de la psychologie empiriste que de la métaphysique rationaliste par sa description de la vie subjective dans sa dimension affective et morale. L'âme désigne chez Rousseau non pas une substance spirituelle séparée du corps mais le principe d'animation et de sensibilité qui constitue l'être humain comme sujet capable de se rapporter à lui-même et aux autres. Le livre examine comment Rousseau décrit les modifications de l'âme depuis son état naturel caractérisé par la simplicité et l'unité jusqu'à son état social marqué par la division et l'aliénation. Cette transformation de l'âme ne constitue pas un simple processus historique externe, elle affecte la structure même de la subjectivité qui se trouve dénaturée par les exigences contradictoires de la vie sociale. Audi analyse les textes autobiographiques de Rousseau, particulièrement les Confessions et les Rêveries, comme des tentatives de retrouver l'unité de l'âme perdue à travers une remémoration qui ne se contente pas d'enregistrer les événements passés mais cherche à ressaisir les états affectifs qui constituaient la vérité de l'existence. Le livre montre comment cette philosophie de l'âme anticipe la phénoménologie moderne dans sa description de la temporalité vécue et de la constitution du sens à partir de l'expérience subjective.

Jubilations. Incursions dans l’esth/éthique (2009) rassemble des essais où la joie critique surgit de lectures et d’œuvres éprouvées comme lieux d’apprentissage du jugement. La jubilation n’est pas euphoriquement esthétisante, elle signale l’ajustement d’un regard, c'est un ensemble d'incursions dans ce qu'Audi nomme l'esth/éthique, concept qui fusionne l'esthétique et l'éthique. Le titre désigne l'affect spécifique de la jubilation qui caractérise l'expérience de la rencontre avec une œuvre d'art véritable. La jubilation se distingue du simple plaisir esthétique par son intensité et sa dimension transformatrice, elle désigne un état d'exaltation qui modifie le rapport du sujet à lui-même et au monde. Le livre propose des analyses d'œuvres picturales, littéraires et musicales qui toutes visent à montrer comment l'art véritable produit cet affect de jubilation par sa capacité à ouvrir des expériences inédites. Audi récuse les approches formalistes qui réduisent l'œuvre à ses propriétés structurales ou techniques, il affirme que l'œuvre doit être comprise depuis l'expérience qu'elle produit chez celui qui s'y confronte véritablement. Cette expérience ne relève pas du domaine purement esthétique, elle engage la totalité de l'existence dans ses dimensions sensible, intellectuelle et morale. Les incursions désignent le mode d'investigation qu'Audi privilégie, mode qui refuse la systématicité des traités d'esthétique pour procéder par approches ponctuelles qui respectent la singularité de chaque œuvre. Le livre examine des artistes aussi différents que Vermeer, Rembrandt, Goya, Cézanne, Giacometti en montrant comment chacun invente une modalité spécifique de production de la jubilation à travers des moyens formels qui ne peuvent être généralisés en règles universelles.

Créer. Introduction à l’esth/éthique (première éd. 2005) pose le programme général : croiser esthétique et éthique, montrer que créer engage, que juger une œuvre suppose un discernement qui répond. Le livre définit des catégories opératoires pour ce croisement. C'est le premier livre que nous avions lu de Paul Audi avec un autre conseillé je ne sais plus pourquoi par Jean-Pierre Peneau. Créer s'attache au concept central de la pensée de aul Audi concernant l'art et ce livre affirme que la création artistique et l'existence éthique partagent une structure commune qui est celle de l'invention de formes de vie inédites face à l'impossibilité de se contenter de reproduire des modèles préétablis. Créer ne désigne pas la simple production d'objets nouveaux, le terme nomme l'acte par lequel un sujet fait advenir ce qui n'existait pas et qui ne pouvait être déduit de conditions préalables. Cette création implique un risque puisqu'elle se lance vers un résultat qui n'est pas garanti d'avance et qui peut se révéler être un échec. Le livre examine les conditions de possibilité de la création en refusant tant les théories romantiques du génie inspiré que les conceptions techniques qui réduisent la création à l'application de procédés maîtrisés. Audi montre que la création véritable suppose un moment d'abandon où le créateur se dessaisit de son contrôle conscient pour laisser advenir quelque chose qui le dépasse, tout en maintenant simultanément une maîtrise des moyens expressifs qui permet de donner forme à ce qui advient. L'esth/éthique désigne précisément cette articulation entre l'expérience créatrice dans l'art et l'invention de soi dans l'existence morale, articulation qui ne dissout pas la spécificité de chaque domaine mais révèle leur structure commune. Le livre développe une critique de l'art contemporain qui a largement perdu cette dimension créatrice pour se réduire à la production d'objets conceptuels ou à la transgression mécanique des normes établies.

Le Regard libéré d’Eugène Leroy (2010) propose, sous couvert d'une monographie consacrée au peintre français Eugène Leroy, une phénoménologie de la pâte picturale et de la lenteur du voir, où « libéré » signifie désentravé des clichés perceptifs, rendu à la proximité des formes en gestation. Par ce biais, Paul Audi analyse comment Leroy a développé une pratique picturale caractérisée par l'accumulation de couches de peinture qui produisent une matérialité extrême de la surface du tableau. Cette matérialité ne constitue pas un obstacle à la vision mais au contraire la condition d'un regard libéré, c'est-à-dire d'un regard affranchi des conventions de la représentation figurative comme de l'abstraction géométrique. Les tableaux de Leroy se situent à la limite de la figuration et de l'abstraction, ils représentent des corps, des paysages, des portraits tout en les dissolvant dans une pâte épaisse qui rend impossible toute identification précise. Le livre montre comment cette dissolution de la figure ne vise pas à abolir la représentation mais au contraire à libérer le visible de sa subordination aux formes reconnaissables. Le regard libéré désigne cette capacité à voir la réalité dans sa pure présence sensible avant qu'elle ne soit capturée par les catégories de l'entendement. Audi examine comment Leroy parvient à produire cette libération du regard à travers un travail de stratification de la matière picturale qui oblige le spectateur à abandonner ses attentes habituelles et à accepter une temporalité ralentie de la perception. L'analyse s'appuie sur un examen détaillé d'œuvres majeures de Leroy en montrant comment chacune invente sa propre solution au problème de la représentation.

L’Empire de la compassion (2011) traite de la compassion comme principe organisateur d’une éthique moderne affranchie de la transcendance, pensée comme attention agissante au mal d’autrui et comme économie réglée de la réponse. Telle est la critique de l'hégémonie contemporaine du sentiment de compassion dans les rapports sociaux et politiques et Paul Audi insiste sur le fait que la compassion est devenue le principe dominant qui structure les politiques publiques, les relations internationales et même les rapports interpersonnels selon une logique victimaire. Cet empire désigne moins une domination territoriale qu'une emprise psychique et morale qui s'exerce à travers la valorisation systématique de la souffrance et de la victimisation. Le livre analyse comment cette hégémonie de la compassion produit paradoxalement des effets pervers qui contredisent ses intentions humanitaires affichées. La compassion transforme ceux qu'elle vise en objets passifs de sollicitude plutôt qu'en sujets actifs de droits, elle hiérarchise les souffrances selon leur visibilité médiatique plutôt que selon leur gravité objective, elle favorise l'émotionalité immédiate au détriment de l'analyse rationnelle des causes structurelles des injustices. Audi s'appuie sur la critique rousseauiste de la pitié pour montrer que ce sentiment, lorsqu'il devient hégémonique, peut devenir un obstacle à la reconnaissance de l'égalité fondamentale entre les êtres humains. Le livre examine des cas concrets de politiques humanitaires, d'actions caritatives et de mobilisations émotionnelles médiatiques pour montrer comment l'empire de la compassion fonctionne effectivement. La critique ne vise pas à disqualifier le sentiment de compassion en lui-même, elle cherche à lui assigner sa juste place dans l'économie morale en le subordonnant à l'exigence de justice qui seule permet de transformer les structures d'oppression plutôt que de simplement soulager les symptômes de la souffrance.

Le Théorème du Surmâle. Lacan selon Jarry (2011, Prix Œdipe 2012) explore la résonance entre Jarry et Lacan pour faire du Surmâle une formule théorique du désir poussé à sa limite, et en tirer des conséquences pour une psychanalyse de la création. Le Théorème du Surmâle propose une lecture croisée de Lacan et de Jarry en soutenant qu'il existe une homologie structurale entre la théorie lacanienne du sujet et la figure du surmâle telle que Jarry l'invente dans son roman. Le surmâle désigne chez Jarry un être doté de capacités physiques et sexuelles qui excèdent infiniment les normes humaines ordinaires, personnage qui incarne l'ambition d'outrepasser toutes les limites naturelles. Audi montre que cette figure littéraire apparemment fantaisiste peut être lue comme une anticipation de la théorie lacanienne du désir qui affirme que le sujet se constitue dans un rapport à un objet impossible qui le pousse à une quête infinie de satisfaction. Le théorème désigne la formulation rigoureuse de cette homologie qui permet d'éclairer réciproquement la théorie psychanalytique et la fiction littéraire. Le livre analyse comment Lacan construit sa théorie du sujet à travers une série de concepts comme le stade du miroir, l'objet a, le grand Autre, en montrant comment ces concepts peuvent être mis en résonance avec la figure jarryesque du surmâle. Audi soutient que cette lecture croisée permet de révéler la dimension proprement ironique de la théorie lacanienne qui se présente sous une forme scientifique rigoureuse tout en mettant en scène son propre caractère fictif et performatif. Le livre examine comment Lacan lui-même procède par fictions théoriques qui ne prétendent pas décrire objectivement la réalité psychique mais visent à produire des effets de vérité à travers des constructions conceptuelles audacieuses.

Discours sur la légitimation actuelle de l’artiste (2012) interroge les instances qui accordent ou refusent légitimité, montrant que la légitimation est une scène de responsabilité réciproque entre œuvres, publics, institutions et critiques. Quelles conditions contemporaines de reconnaissance de la qualité artistique ? Audi constate que le monde de l'art actuel fonctionne selon des mécanismes institutionnels et marchands qui ont largement remplacé les critères internes de jugement esthétique. La légitimation de l'artiste ne provient plus de son œuvre elle-même dans sa capacité à transformer le regard et à créer des formes inédites, elle dépend de sa visibilité dans les institutions muséales, de sa cotation sur le marché de l'art, de son inscription dans les discours critiques et théoriques qui légitiment sa démarche. Le livre développe une critique radicale de ce système de légitimation qui produit une confusion entre la valeur artistique et le succès commercial ou institutionnel. Audi montre comment cette situation conduit à une prolifération d'œuvres qui se contentent de répéter des gestes transgressifs devenus conventionnels ou d'illustrer des concepts théoriques à la mode sans posséder la puissance créatrice qui caractérise l'art véritable. Le discours sur la légitimation vise à élaborer des critères alternatifs qui permettraient de distinguer la création véritable de ses simulations en s'appuyant sur l'expérience effective que produit l'œuvre chez celui qui s'y confronte avec attention. Le livre examine des cas d'artistes contemporains pour montrer concrètement comment ces critères peuvent opérer dans le jugement esthétique.

La Fin de l’impossible (première éd. 2005) redéfinit l’impossible comme ligne mobile : au lieu d’un interdit métaphysique, une limite travaillée par la décision, le courage et l’invention formelle. Fin signifie transformation du régime d’impossibilité. Poyr Paul Audi, la modernité se caractérise par la disparition progressive de l'impossible comme horizon régulateur de l'existence humaine. L'impossible désignait traditionnellement ce qui ne peut pas être réalisé du fait de limites naturelles, techniques ou morales qui définissaient les frontières de l'action humaine possible. Audi montre que la modernité technique a systématiquement repoussé ces limites en rendant réalisable ce qui était considéré comme impossible, depuis le vol aérien jusqu'à la manipulation génétique en passant par la communication instantanée à distance. Cette disparition de l'impossible ne constitue pas un progrès univoque, elle produit une transformation anthropologique majeure qui affecte le rapport de l'être humain à sa propre finitude. Quand tout devient possible, rien n'est plus véritablement désiré puisque le désir se nourrit précisément de l'écart entre le possible et l'impossible. Le livre examine les conséquences existentielles, éthiques et politiques de cette fin de l'impossible en montrant comment elle produit une forme d'apathie généralisée et une incapacité à concevoir des projets collectifs qui transcenderaient l'horizon de la satisfaction immédiate des besoins individuels. Audi analyse comment la littérature et l'art peuvent maintenir vivante l'expérience de l'impossible en créant des œuvres qui résistent à toute assimilation facile et qui continuent à désigner un horizon qui excède nos capacités actuelles de compréhension et de réalisation.

L’Affaire Nietzsche (2013) revient sur les querelles d’interprétation nietzschéennes et propose une méthode : lire Nietzsche à l’épreuve de nos obligations présentes, contre les captations partisanes. Cette analyse de la réception de Nietzsche montre comment sa pensée a été systématiquement déformée par ses commentateurs. L'affaire désigne le scandale philosophique que constitue cette trahison continue qui fait de Nietzsche tantôt un précurseur du nazisme, tantôt un nihiliste destructeur, tantôt un relativiste postmoderne, toutes interprétations qui méconnaissent la radicalité et la cohérence de son projet philosophique. Audi montre comment ces déformations proviennent de la difficulté à accepter les thèses les plus radicales de Nietzsche concernant la mort de Dieu, la volonté de puissance et l'éternel retour. La solution consiste souvent à atténuer ces thèses en les interprétant métaphoriquement ou à les isoler de leur contexte pour les rendre compatibles avec des préoccupations philosophiques contemporaines qui sont étrangères à Nietzsche. Le livre propose une relecture de textes majeurs de Nietzsche depuis Ainsi parlait Zarathoustra jusqu'aux fragments posthumes de la dernière période en restituant leur signification littérale et en montrant leur cohérence interne. Audi défend une interprétation qui affirme que Nietzsche doit être lu comme un penseur de l'affirmation radicale de la vie dans toutes ses dimensions, y compris ses aspects les plus terribles, et non comme un critique nihiliste qui se contenterait de détruire les valeurs traditionnelles. L'affaire Nietzsche désigne le fait que cette lecture affirmative a été systématiquement occultée au profit d'interprétations qui normalisent ou diabolisent sa pensée pour éviter d'en affronter les conséquences les plus dérangeantes.

Qui témoignera pour nous ? Albert Camus face à lui-même (2013) pose la question du témoin : non celui qui surplombe, mais celui qui répond au réel en première personne, au plus près de la mesure juste. Camus devient une figure de tenue éthique. Le titre suggère que Camus s'est confronté au problème de savoir qui pourra témoigner de l'existence humaine après les catastrophes du vingtième siècle qui ont anéanti tant de vies sans laisser de traces. Audi montre que cette question du témoignage traverse toute l'œuvre de Camus depuis L'Étranger jusqu'à La Chute en passant par La Peste. Meursault incarne le personnage qui refuse de témoigner pour lui-même en refusant de donner un sens à ses actes selon les catégories morales conventionnelles. Tarrou dans La Peste assume la responsabilité de témoigner pour les victimes de l'épidémie en tenant un journal qui enregistre les événements et les réactions humaines. Clamence dans La Chute pratique une forme perverse de témoignage qui transforme la confession en accusation généralisée. Le livre analyse comment ces figures successives explorent différentes modalités et différentes limites du témoignage qui se heurte toujours à l'impossibilité de rendre compte adéquatement de l'expérience vécue. Audi examine comment Camus élabore une éthique du témoignage qui refuse tant le silence complice que le bavardage qui dissout la singularité de l'expérience dans des généralités abstraites. Le témoignage véritable exige une fidélité à la réalité concrète de ce qui a été vécu tout en acceptant que cette réalité excède toujours les moyens dont dispose le langage pour la dire.

Le Démon de l’appartenance (2014) analyse la tentation identitaire et ses promesses d’abri. L’ouvrage établit que l’appartenance peut dévorer la singularité et que l’éthique impose de tenir ensemble don d’origine et liberté d’écart. Cette analyse tente de fixer ou à tout le moins d'apprivoiser la force obscure qui attache les individus à des identités collectives définies par des critères ethno-culturels, religieux ou nationaux. Le démon désigne une puissance qui n'est pas purement rationnelle ni purement affective, elle opère à un niveau plus profond qui engage le sentiment d'identité personnelle et la sécurité ontologique du sujet. Audi montre que cette force démoniaque s'est particulièrement intensifiée dans les sociétés contemporaines malgré ou à cause de la globalisation qui aurait dû dissoudre les attachements particuliers. La multiplication des revendications identitaires, des conflits ethniques et des replis communautaires témoigne de la persistance et du renforcement de ce démon de l'appartenance. Le livre examine les mécanismes psychiques et sociaux qui produisent cet attachement en analysant comment l'identité collective procure un sentiment de protection face à l'angoisse existentielle que génère la condition moderne caractérisée par la dissolution des structures traditionnelles. Audi critique les théories multiculturalistes qui célèbrent les identités collectives comme des ressources positives permettant l'épanouissement des individus, il montre au contraire que ces identités fonctionnent comme des prisons qui enferment les sujets dans des assignations qu'ils n'ont pas choisies. Le livre oppose au démon de l'appartenance le principe de singularité qui affirme que chaque existence est unique et irréductible à ses appartenances collectives, principe qui exige de résister à la tentation identitaire sans pour autant prétendre à une universalité abstraite qui nierait les particularités concrètes de chaque existence.

Terreur de la peinture, peinture de la Terreur. Sur « Les Onze », de Pierre Michon (2015) offre une lecture serrée du récit de Michon, Les Onze, qui met en scène la création d'un tableau collectif représentant les membres du Comité de salut public. La peinture devient scène de la Terreur politique et où la terreur s’inscrit dans la chair picturale. La réversibilité du titre condense une esthétique du choc. Terreur de la peinture, peinture de la Terreur propose une analyse du roman de Pierre Michon . Audi montre comment le texte de Michon interroge le rapport entre l'art et la violence politique en imaginant ce tableau qui n'a jamais existé. La terreur de la peinture désigne l'effroi que peut produire une image qui représente les visages de ceux qui ont exercé la Terreur révolutionnaire avec sa violence extrême. Cette terreur n'est pas simplement celle que ces personnages historiques ont exercée, elle provient de la puissance même de l'image qui rend présents ces visages et qui force le spectateur à les regarder en face. La peinture de la Terreur nomme la représentation picturale de cette période historique, représentation qui pose le problème de savoir comment l'art peut figurer la violence politique sans la banaliser ni l'esthétiser. Le livre examine comment Michon construit son récit autour de la description fictive de ce tableau en alternant les perspectives du peintre, des modèles et des spectateurs ultérieurs. Audi analyse la stratégie narrative qui consiste à créer verbalement un tableau qui n'existe pas pour interroger les pouvoirs et les limites de la représentation artistique face aux événements historiques extrêmes. Le texte de Michon fonctionne comme une ekphrasis qui génère l'image dans l'imagination du lecteur tout en maintenant son absence effective, absence qui devient signifiante et qui interroge ce qui de la Terreur peut ou ne peut pas être représenté.

Lacan ironiste (2015) insiste sur une ironie structurale chez Lacan qui déplace la solennité doctrinale et rouvre l’accès à l’expérience du sujet parlant, avec des effets précis pour la lecture des œuvres. Cette interprétation du style et de la pratique de Lacan les comprend comme relevant fondamentalement de l'ironie. Audi montre que Lacan ne doit pas être lu comme un théoricien systématique qui chercherait à établir des vérités scientifiques sur l'inconscient, il pratique une forme d'ironie qui consiste à affirmer des thèses tout en minant simultanément leur prétention à la vérité. Cette ironie ne relève pas du scepticisme qui douterait de toute vérité possible, elle constitue une stratégie discursive qui vise à maintenir le discours théorique dans un état de mobilité et d'indécidabilité. Le livre examine comment cette ironie se manifeste dans les Écrits et les Séminaires de Lacan à travers des procédés comme l'obscurité volontaire, les jeux de mots, les références énigmatiques, les retournements paradoxaux qui tous visent à déstabiliser le lecteur et à l'empêcher de transformer la théorie lacanienne en un corps de doctrine figé. Audi analyse comment cette pratique ironique s'articule avec la conception lacanienne de l'inconscient comme ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire, formule qui indique que l'inconscient résiste à toute formalisation définitive. L'ironisme de Lacan ne constitue pas une simple coquetterie stylistique, il est intrinsèquement lié à son projet théorique qui vise à maintenir ouverte la question du sujet contre toutes les tentatives de le réifier en un objet de connaissance positive.

Le Pas gagné de l’amour (2016) travaille et conçoit un amour jamais possédé, toujours à gagner, où la réussite se mesure à une tenue dans le temps, et où l’épreuve amoureuse instruit l’éthique du quotidienpar une conquête toujours précaire plutôt que comme état stable ou comme sentiment naturel. Chaque avancée dans la relation constitue un pas gagné qui peut à tout moment être perdu, ce qui confère à l'amour sa dimension dramatique et tragique. Audi récuse tant les conceptions romantiques qui idéalisent l'amour comme fusion immédiate des âmes que les analyses structuralistes ou psychanalytiques qui le réduisent à des mécanismes impersonnels de projection ou de répétition. Le livre affirme que l'amour se construit progressivement à travers une série d'épreuves qui testent la solidité du lien et qui exigent des décisions et des engagements répétés. Cette construction ne garantit jamais un résultat définitif puisque la relation amoureuse reste toujours exposée aux aléas du temps et aux transformations des partenaires. Audi analyse la dialectique complexe de la proximité et de la distance dans la relation amoureuse, dialectique qui exige de maintenir une certaine séparation pour que puisse exister un désir qui suppose toujours un écart entre les amants. Le livre examine comment la littérature et particulièrement le roman ont exploré ces dimensions de l'amour en créant des figures et des situations qui révèlent les paradoxes et les tensions qui travaillent la relation amoureuse. L'analyse porte sur des œuvres allant de La Princesse de Clèves jusqu'à Proust en montrant comment elles inventent des formes narratives qui permettent de représenter la temporalité spécifique de l'amour faite d'attentes, d'espoirs, de déceptions et de retrouvailles.

Analyse du sentiment intérieur (2017) propose une micro-phénoménologie du sentir : décrire, démêler, nommer des nuances affectives pour mieux ajuster le jugement et l’action. Le sentiment devient une instance de connaissance pratique. Analyse du sentiment intérieur, paru en 2017, développe une investigation systématique de la vie affective subjective à partir des concepts rousseauistes. Le sentiment intérieur désigne cette capacité proprement humaine de se rapporter à soi-même dans un mouvement réflexif qui ne se réduit pas à la conscience intellectuelle, il inclut toute la dimension affective de l'existence et particulièrement la souffrance et la jouissance qui constituent les pôles extrêmes de l'expérience subjective. Audi montre que ce sentiment intérieur ne constitue pas une donnée psychologique immédiate accessible par simple introspection, il se révèle à travers ses modifications et ses variations qui scandent l'existence temporelle du sujet. Le livre développe une phénoménologie descriptive de ces modifications en analysant les différents états affectifs comme l'inquiétude, l'ennui, l'exaltation, le désespoir, la sérénité qui marquent les étapes du parcours existentiel. Audi s'oppose aux conceptions qui réduisent les affects à des états purement subjectifs coupés du monde, il montre au contraire que le sentiment intérieur constitue le mode primordial d'ouverture au réel et que c'est à travers lui que se donne la signification existentielle des situations et des événements. L'analyse examine comment Rousseau dans les Confessions et surtout dans les Rêveries du promeneur solitaire a élaboré une méthode d'investigation du sentiment intérieur qui anticipe la phénoménologie moderne tout en maintenant une attention à la singularité concrète de l'expérience qui excède les descriptions eidétiques. Le livre critique la philosophie analytique des émotions qui traite les affects comme des états mentaux discrets susceptibles d'analyse conceptuelle sans prendre en compte leur dimension temporelle et leur inscription dans la totalité de l'existence subjective.

Au sortir de l’enfance (2017) médite la traversée vers l’âge adulte comme apprentissage de limites, de fidélités, de promesses tenues. Le livre met l’accent sur la formation d’une voix propre. Le passage de l'enfance à l'âge adulte est un moment crucial de constitution du sujet. Le sortir désigne non pas un franchissement ponctuel mais un processus étendu dans le temps qui implique des ruptures, des pertes et des conquêtes. Audi montre que ce passage ne constitue pas simplement une maturation biologique ni une socialisation progressive, il engage une transformation existentielle qui affecte le rapport à soi, aux autres et au monde. L'enfance ne désigne pas seulement une période chronologique de la vie, elle nomme une modalité spécifique d'habiter le monde caractérisée par une ouverture et une plasticité que l'âge adulte tend à rigidifier. Le livre examine comment la sortie de l'enfance implique nécessairement une perte de cette ouverture originaire tout en rendant possible l'accès à de nouvelles capacités de compréhension et d'action. Audi analyse la mélancolie qui accompagne souvent le souvenir de l'enfance, mélancolie qui ne relève pas de la nostalgie régressive mais témoigne de la conscience d'une richesse existentielle qui s'est perdue dans le processus de maturation. Le livre s'appuie sur des textes littéraires qui mettent en scène ce passage comme les romans d'apprentissage qui suivent le parcours d'un jeune héros confronté aux épreuves qui le conduisent à l'âge adulte. L'analyse montre comment ces récits révèlent les dimensions complexes et souvent contradictoires de ce processus qui ne peut être réduit à une acquisition progressive d'autonomie selon un modèle linéaire de développement.

« … et j’ai lu tous les livres ». Mallarmé – Celan (2017) organise une confrontation discrète de deux poétiques du retrait et de l’extrême concentration, afin de penser le poème comme lieu de respiration pour une éthique de l’attention. Lecture croisée donc de Mallarmé et de Celan à travers la lecture totale que ces deux poètes ont entretenu. Le titre cite un vers de Mallarmé qui exprime l'ambition d'une lecture exhaustive de la tradition littéraire comme condition de la création poétique. Audi montre que cette ambition ne relève pas d'une érudition compilatoire, elle désigne le désir de s'approprier intégralement l'héritage pour pouvoir le transmuter en œuvre nouvelle. Le livre analyse comment Mallarmé et Celan ont tous deux développé une poétique qui suppose cette assimilation préalable de la totalité de la littérature tout en visant à produire une rupture radicale avec la tradition. Audi examine la tension entre cette dette envers les œuvres antérieures et l'exigence de créer quelque chose d'absolument inédit qui ne soit pas simple variation sur des thèmes déjà traités. Le livre montre comment les deux poètes résolvent cette tension de manières différentes, Mallarmé à travers une poétique de la suggestion et du silence qui vise à dire l'indicible en creusant le langage de l'intérieur, Celan à travers une poétique du témoignage qui cherche à dire l'expérience limite de la Shoah en inventant une langue qui porte la trace de la catastrophe. L'analyse porte sur des poèmes spécifiques qui sont soumis à un commentaire serré qui révèle leurs procédés formels et leurs enjeux existentiels.

De l’érotique (2018) travaille l’expérience érotique comme scène de vulnérabilité et de puissance, où se joue une économie du consentement, de la sollicitude et de la tenue de soi. Il s'agit d'une réflexion sur la dimension érotique de l'existence humaine distincte de la sexualité biologique comme de l'amour romantique. L'érotique désigne le domaine où le désir corporel et la reconnaissance d'autrui s'articulent selon des modalités singulières qui engagent la totalité de l'existence. Audi récuse les théories qui réduisent l'érotique soit à une sublimation culturelle de pulsions biologiques soit à un jeu social réglé par des codes et des conventions. Le livre affirme que l'érotique constitue une dimension autonome de l'expérience humaine qui possède sa logique propre irréductible aux logiques de la survie biologique ou de l'échange social. Cette logique propre est celle du désir qui se distingue du besoin par le fait qu'il ne vise pas simplement la satisfaction d'un manque mais la relation avec un autre désirant qui résiste à toute appropriation définitive. Audi analyse la temporalité spécifique de l'expérience érotique qui oscille entre l'attente, la tension, la jouissance et la séparation selon un rythme qui ne peut être planifié ni contrôlé. Le livre examine comment la littérature érotique depuis Ovide jusqu'à Bataille a exploré ces dimensions de l'érotique en créant des scènes et des figures qui révèlent sa puissance transformatrice. L'analyse critique les discours contemporains sur la sexualité qui la normalisent en la réduisant à une activité hygiénique ou à un échange consensuel réglé par des protocoles qui évacuent toute sa dimension transgressive et dangereuse.

Réclamer justice (2019) prend le parti d’une justice demandée au présent, non comme abstraction mais comme adresse directe à des institutions et à des consciences, en se fondant sur le diagnostic esth/éthique. C'est une réflexion sur l'exigence de justice distincte de la demande de compassion ou de réparation. La réclamation désigne un acte par lequel un sujet affirme ses droits et exige qu'ils soient reconnus, acte qui suppose une posture active plutôt que passive. Audi oppose cette réclamation à la posture victimaire qui attend de la sollicitude d'autrui une compensation pour les torts subis sans remettre en cause les structures qui ont produit ces torts. Le livre montre que la justice véritable ne peut provenir que d'une transformation des rapports sociaux qui supprime les conditions de l'injustice plutôt que de simplement soulager ses effets. Cette transformation exige que ceux qui subissent l'injustice se constituent en sujets politiques capables de formuler leurs revendications et de lutter pour leur réalisation. Audi analyse comment les mouvements sociaux historiques comme le mouvement ouvrier ou les luttes de décolonisation ont incarné cette logique de réclamation en affirmant l'égalité fondamentale de ceux qui étaient traités comme inférieurs. Le livre critique les formes contemporaines de mobilisation politique qui se fondent sur l'exhibition de la souffrance et la revendication d'une reconnaissance compassionnelle plutôt que sur la formulation de droits universels. L'analyse examine des cas concrets de luttes sociales pour montrer comment la logique de réclamation peut être distinguée de la logique victimaire et comment elle seule permet une émancipation véritable.

Curriculum. Autour de l’esth/éthique (2019) retrace le parcours intellectuel de Paul Audi à travers une série de textes qui reviennent sur les étapes de son élaboration de l'esth/éthique. Ce texte dégage des nœuds conceptuels, installe un auto-commentaire méthodique qui aide à lire l’ensemble de l’œuvre. Le curriculum désigne moins un récit chronologique linéaire qu'une reconstruction rétrospective qui met en évidence les fils conducteurs qui ont orienté la recherche philosophique. Le livre rassemble des essais écrits à différentes périodes qui portent sur des artistes, des écrivains et des philosophes qui ont nourri la réflexion d'Audi. Ces essais ne constituent pas de simples commentaires érudits, ils montrent comment la confrontation avec ces œuvres a permis l'élaboration progressive des concepts centraux de la pensée d'Audi. Le livre inclut des textes sur Rousseau, Nietzsche, Michel Henry, Lacan qui explicitent les dettes intellectuelles et les points de divergence avec ces penseurs majeurs. Il contient des analyses d'artistes comme Giacometti, Bacon, Richter qui montrent comment leur pratique picturale a nourri la réflexion sur l'esth/éthique. Le curriculum fonctionne comme une sorte d'autobiographie intellectuelle qui permet de comprendre la genèse et le développement de la pensée d'Audi à travers ses rencontres successives avec des œuvres qui ont marqué son trajet philosophique. Le livre révèle l'unité profonde d'une démarche qui peut sembler dispersée entre des domaines variés, unité qui réside dans l'interrogation constante du rapport entre création artistique et existence éthique.

L’Irréductible. Essai sur la radicalité en phénoménologie (2020) définit l’irréductible comme ce qui, dans l’expérience, résiste aux réductions explicatives sans se changer en dogme. La radicalité y est travail méthodique, pas gesticulation. Cet essai sur la radicalité en phénoménologie développe systématiquement et donc paradoxalement le concept central de l'irréductible, à savoir ce qui se dérobe dans l'expérience phénoménologique à toute mise en concept. Plus techniquement, ce terme désigne ce qui dans l'expérience vécue résiste à toute tentative de réduction eidétique ou transcendantale, ce reste inassimilable qui persiste après toutes les mises entre parenthèses méthodiques. Audi soutient que la phénoménologie husserlienne et ses développements ultérieurs ont largement méconnu cette dimension irréductible en cherchant toujours à atteindre une couche ultime de sens ou une structure universelle de la conscience. Cette recherche d'une essence pure ou d'une structure transcendantale suppose que l'opacité et la résistance de l'expérience peuvent être surmontées par un approfondissement méthodique de l'analyse. Le livre affirme au contraire que cette opacité et cette résistance constituent des dimensions constitutives de l'expérience qui ne peuvent être considérées comme de simples obstacles épistémologiques. La radicalité phénoménologique exige donc de maintenir une fidélité absolue aux phénomènes tels qu'ils se donnent dans leur complexité contradictoire, ce qui implique d'accepter qu'ils comportent une part irréductible à toute élucidation définitive. Audi examine comment certains phénoménologues comme Michel Henry ont approché cette dimension de l'irréductible à travers le concept d'auto-affection qui désigne l'épreuve immédiate que la vie fait d'elle-même sans médiation représentative. Le livre montre les limites de cette approche qui tend à reconduire l'irréductible à une forme d'immanence pure alors que l'irréductible se manifeste précisément dans la tension entre immanence et transcendance, dans l'impossibilité de stabiliser l'expérience dans l'un ou l'autre de ces pôles. L'analyse examine des expériences limites comme la souffrance extrême, la jouissance orgasmique, l'angoisse mortelle qui révèlent particulièrement cette dimension irréductible qui excède les capacités descriptives et conceptuelles de la phénoménologie classique.

Je ne vois que ce que je regarde. Proximité du tableau, I (2021) propose une éthique du regard : voir suppose de s’approcher, de prendre le temps, de laisser l’œuvre nous assigner. La proximité devient concept opératoire et autorise en présence une théorie du regard pictural qui affirme que la vision véritable de la peinture. Tout cela requiert une attention concentrée qui se distingue du simple coup d'œil distrait. Le titre formule le paradoxe selon lequel la vision est toujours sélective et partielle plutôt qu'exhaustive, je ne vois effectivement que ce sur quoi je porte mon regard avec attention. Cette limitation n'est pas un défaut à corriger, elle constitue la condition même de la vision en profondeur qui permet d'accéder à la richesse de l'œuvre picturale. Audi montre que le regard pictural exige du temps, il ne peut se satisfaire de la perception instantanée qui caractérise la consommation visuelle contemporaine saturée d'images. La proximité du tableau désigne à la fois la distance physique réduite qui permet de voir les détails de la facture et la relation d'intimité qui s'établit entre le spectateur et l'œuvre quand la contemplation se prolonge suffisamment. Le livre analyse des tableaux spécifiques en pratiquant cette méthode de regard approfondi qui décrit minutieusement ce qui se donne à voir dans la matérialité de la peinture. Audi examine des œuvres de peintres comme Rembrandt, Velázquez, Chardin en montrant comment leur pratique picturale engage une conception spécifique de la visibilité et de l'apparaître. Le livre refuse les approches iconographiques qui réduisent le tableau à son contenu représentatif ou les analyses formalistes qui l'abstraient de toute signification existentielle, il maintient que la peinture donne à voir le réel lui-même dans sa présence sensible à travers la médiation matérielle de la couleur et de la forme.

Le Choix d’Hémon (2021) relit la figure d’Hémon dans la tradition tragique pour penser une éthique de la décision face au conflit des lois, où le lien amoureux et la justice commune entrent en tension. Pourquoi faire une réinterprétation de la figure d'Hémon dans l'Antigone de Sophocle ? Hémon est le fils de Créon et le fiancé d'Antigone qui se trouve pris entre l'obéissance à son père et la fidélité à celle qu'il aime. Le choix d'Hémon désigne la décision qu'il prend de se ranger du côté d'Antigone contre son père, décision qui le conduira au suicide. Audi montre que ce choix possède une portée philosophique qui excède le cadre de la tragédie antique, il incarne la possibilité d'une résistance éthique au pouvoir politique lorsque celui-ci devient tyrannique. Le livre analyse la structure de ce choix qui ne constitue pas simplement une préférence affective mais engage une position éthique fondamentale concernant la hiérarchie des devoirs. Hémon affirme que les lois non écrites qui commandent de rendre les honneurs funèbres aux morts possèdent une légitimité supérieure aux décrets du pouvoir politique qui les transgressent. Audi examine comment cette position préfigure la distinction moderne entre légalité et légitimité qui permet de critiquer les lois positives au nom de principes éthiques qui les transcendent. Le livre montre que le choix d'Hémon n'est pas un choix tragique au sens où il serait déchiré entre deux valeurs incompatibles de même poids, c'est un choix lucide qui assume ses conséquences même si elles sont dramatiques. L'analyse situe cette figure dans la tradition des résistants éthiques qui refusent d'obéir aux ordres injustes en acceptant d'en payer le prix. Le livre développe une réflexion sur les conditions et les limites de l'obéissance politique en montrant que celle-ci ne peut jamais être absolue sans supprimer la liberté morale du sujet.

Liberté, égalité, singularité. Rousseau en héritage (2021) actualise Rousseau : à côté de liberté et égalité, la singularité comme troisième terme politique et moral. Cette relecture de la philosophie politique de Rousseau montre comment ces trois principes s'articulent dans sa pensée. Le livre affirme que la devise républicaine Liberté Égalité Fraternité doit être réinterprétée en substituant la singularité à la fraternité pour saisir l'héritage véritable de Rousseau. La fraternité désigne un lien affectif entre membres d'une communauté qui risque toujours de reconduire la logique de l'appartenance que Rousseau critiquait, la singularité désigne au contraire l'unicité irréductible de chaque existence qui doit être préservée malgré l'exigence d'égalité. Audi montre que Rousseau ne conçoit pas l'égalité comme uniformisation qui supprimerait les différences individuelles, il la comprend comme égalité de droits et de dignité qui est compatible avec la diversité des talents et des inclinations. La liberté rousseauiste ne consiste pas dans l'absence de contraintes mais dans l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, formule qui désigne l'autonomie morale du sujet capable de se donner à lui-même ses propres règles. Le livre examine comment ces trois principes s'articulent dans les textes politiques majeurs de Rousseau depuis le Discours sur l'inégalité jusqu'au Contrat social. Audi montre que la pensée politique de Rousseau ne peut être réduite ni au libéralisme qui privilégie la liberté individuelle ni au collectivisme qui dissout l'individu dans la communauté, elle vise une synthèse originale qui préserve la singularité dans l'égalité et la liberté dans la soumission à la loi commune. L'analyse examine les tensions et les paradoxes de cette synthèse qui ont fait l'objet de critiques depuis Benjamin Constant jusqu'à aujourd'hui, critiques qui selon Audi méconnaissent la subtilité de la position rousseauiste. Le livre précise les conditions d’un héritage actif qui produit du discernement.

La Riposte de Molière (2022) montre comment Molière oppose à la morale dure une politique de la scène et du rire qui corrige sans humilier. La riposte est une pédagogie publique du jugement. La Riposte de Molière propose une interprétation de l'œuvre de Molière qui la comprend comme une série de ripostes aux attaques que le dramaturge a subies de la part des dévots, des médecins et des gens de lettres de son temps. La riposte désigne une réaction offensive qui ne se contente pas de se défendre passivement mais retourne l'attaque contre l'agresseur en révélant ses faiblesses et ses contradictions. Audi montre que les grandes comédies de Molière comme Tartuffe, Dom Juan, Le Misanthrope ou Le Malade imaginaire constituent des ripostes à des controverses spécifiques qui menaçaient sa position sociale et professionnelle. Ces pièces ne se réduisent pas à des règlements de comptes personnels, elles élaborent une critique philosophique des impostures et des illusions qui caractérisent la société de son temps. Le livre analyse comment Molière utilise le rire comme arme critique qui permet de démasquer les faux dévots, les faux savants et les faux nobles en révélant l'écart entre leurs prétentions et leur réalité. Audi examine la structure dramaturgique de ces ripostes qui procèdent en mettant en scène les imposteurs dans des situations qui les forcent à révéler leur véritable nature. Le livre montre que la riposte moliéresque ne relève pas du cynisme ni du nihilisme, elle s'appuie sur une confiance dans la possibilité de distinguer le vrai du faux, le juste de l'injuste à travers l'exercice critique de la raison et du rire. L'analyse situe Molière dans la tradition des moralistes français qui incluent Montaigne, La Rochefoucauld et Pascal en montrant comment son théâtre développe une anthropologie lucide qui refuse les illusions consolantes sur la nature humaine.

Troublante identité (2022) démonte les fictions identitaires sécurisantes et leur coût subjectif. L’ouvrage appelle à une identité tenue dans l’ouverture, où le trouble devient ressource critique. Troublante identité interroge l'expérience contemporaine d'une identité devenue incertaine et problématique. Le trouble identitaire ne désigne pas simplement une confusion psychologique individuelle, il caractérise une condition collective qui affecte les sociétés occidentales confrontées à la dissolution des cadres traditionnels qui assuraient la stabilité du sentiment de soi. Audi analyse comment cette dissolution produit une angoisse identitaire qui génère paradoxalement un durcissement des revendications identitaires qui tentent de reconstituer artificiellement ce qui s'est défait. Le livre examine les différentes dimensions de cette identité troublante en distinguant l'identité personnelle qui concerne le sentiment de continuité du soi à travers le temps, l'identité sociale qui désigne les rôles et les statuts occupés dans les structures collectives, et l'identité narrative qui se construit à travers les récits que le sujet produit sur lui-même. Audi montre que ces trois dimensions sont devenues problématiques dans la modernité avancée qui se caractérise par l'accélération temporelle, la fluidité des structures sociales et la multiplicité des récits possibles sur soi. Le livre critique les théories postmodernes qui célèbrent cette fluidité identitaire comme une libération qui permettrait aux individus de se réinventer librement en changeant d'identité comme de costume. Audi soutient au contraire que cette fluidité génère une souffrance réelle qui provient de l'impossibilité de se reconnaître dans une image stable de soi et de se projeter dans un avenir prévisible. L'analyse examine les stratégies contemporaines de gestion du trouble identitaire qui incluent tant les fixations identitaires rigides que les explorations identitaires ludiques, stratégies qui échouent toutes deux à résoudre le problème fondamental.

Tenir tête (2024, prix Femina essai 2024) met en avant la tenue comme vertu cardinale : persévérer, répondre, ne pas céder à ce qui avilit. Le livre articule gestes quotidiens et exigences majeures du temps présent. Tenir tête, récompensé par le prix Femina essai, développe une réflexion sur l'attitude de résistance intellectuelle et morale face aux pressions conformistes. Tenir tête désigne la capacité de maintenir sa position malgré les intimidations, les menaces ou les séductions qui visent à obtenir la soumission ou le ralliement. Cette attitude ne relève pas de l'entêtement obstiné ni de la simple opposition systématique, elle suppose un jugement autonome qui a évalué les raisons de sa position et qui refuse de céder aux arguments d'autorité ou aux chantages affectifs. Audi montre que la capacité de tenir tête constitue une condition fondamentale de l'autonomie morale et politique du sujet, sans elle l'individu devient manipulable par toutes les formes de pouvoir qui cherchent à obtenir son consentement. Le livre analyse des figures historiques et littéraires qui ont incarné cette attitude comme Socrate refusant de cesser de philosopher malgré les menaces, Antigone maintenant son droit d'ensevelir son frère contre les ordres de Créon, les résistants refusant de collaborer avec l'occupant malgré les dangers encourus. Ces figures révèlent les conditions et les coûts de l'attitude de tenir tête qui exige du courage puisqu'elle expose à des sanctions sociales ou politiques. Audi examine les pressions contemporaines au conformisme qui opèrent moins par la coercition directe que par les mécanismes subtils de la normalisation sociale et de la censure douce qui découragent la dissidence. Le livre montre que les réseaux sociaux et les médias de masse produisent un conformisme de masse qui se présente paradoxalement sous l'apparence de la diversité et de la liberté d'expression. Tenir tête exige aujourd'hui de résister à ces pressions invisibles qui façonnent les opinions et les comportements sans passer par la conscience réfléchie des sujets. L'analyse développe une éthique de la résistance qui distingue l'opposition légitime aux pouvoirs injustes de la simple réactivité qui s'oppose par principe sans évaluer les raisons.

Trois peintres de la Figure. Proximité du tableau, II (2024) prolonge l’exploration de la proximité par l’analyse de trois œuvres figuratives, pour dégager une grammaire de la figure, du contour à la chair picturale, et préciser l’éthique du voir. Trois peintres de la Figure, deuxième volume de Proximité du tableau, se concentre sur l'analyse de trois peintres contemporains qui ont maintenu la pratique de la figuration dans un contexte artistique dominé par l'abstraction puis par l'art conceptuel. Le livre examine Bacon, Freud et Auerbach en montrant comment chacun invente une modalité spécifique de représentation de la figure humaine qui ne relève ni du réalisme traditionnel ni de l'expressionnisme émotionnel. Audi analyse comment Bacon déforme systématiquement les corps qu'il représente en les soumettant à des torsions et des liquéfactions qui révèlent la vulnérabilité et la précarité de l'existence incarnée. Les corps baconiens ne possèdent pas la stabilité que la tradition picturale conférait à la figure humaine, ils sont saisis dans des moments de cris, de spasmes, d'effondrements qui les rapprochent de la viande animale. Le livre examine comment Freud développe une pratique opposée qui consiste à peindre les corps avec une attention minutieuse aux détails de la chair, des plis de la peau, des volumes musculaires qui confère une présence massive et presque oppressante aux figures représentées. La figuration freudienne ne cherche pas la beauté idéale mais l'exactitude charnelle qui respecte les imperfections et les particularités de chaque corps. Audi analyse comment Auerbach élabore une technique qui accumule d'épaisses couches de peinture qui sculptent littéralement la surface du tableau en créant un relief qui fait saillie hors du plan. Les figures d'Auerbach émergent difficilement de cette matière picturale accumulée comme si elles luttaient pour accéder à la visibilité. Le livre montre que ces trois pratiques partagent un refus de la représentation conventionnelle qui prétend rendre présent le modèle de manière transparente, elles affirment au contraire l'opacité constitutive de la représentation picturale qui ne donne jamais directement accès au réel mais le reconstruit à travers la médiation matérielle de la peinture.

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