4 Novembre 2025
Rédigé par La Philosophie et publié depuis Overblog
Comment réussir à échouer (1986) publié sous le titre original The Situation is Hopeless, But Not Serious, constitue le pendant naturel de Faites vous-même votre malheur. Dans ce nouvel ouvrage, Paul Watzlawick poursuit son exploration ironique des mécanismes par lesquels nous sabotions nos propres objectifs tout en croyant sincèrement œuvrer à leur réalisation. Le titre français capture parfaitement le paradoxe central analysé par l'auteur : nous déployons souvent des efforts considérables qui garantissent exactement le contraire de ce que nous cherchons à obtenir. Cette logique de l'échec programmé traverse toute l'œuvre et trouve son expression la plus aboutie dans le concept d'ultrasolution qui désigne ces tentatives de résolution qui non seulement échouent mais créent des problèmes bien pires que le problème initial qu'elles visaient à éliminer.
L'ouvrage s'inscrit dans la continuité des travaux antérieurs de Paul Watzlawick sur les tentatives de solution dysfonctionnelles tout en approfondissant particulièrement les situations où ces tentatives atteignent une dimension catastrophique à grande échelle. Contrairement aux exemples cliniques individuels ou conjugaux qui dominaient les ouvrages précédents, Comment réussir à échouer élargit considérablement la focale pour examiner des phénomènes sociaux, politiques, économiques et écologiques d'ampleur collective. Cette extension démontre que les mécanismes psychologiques identifiés au niveau individuel opèrent similairement aux niveaux institutionnel et sociétal. Les organisations, les gouvernements, les systèmes économiques tombent dans les mêmes pièges logiques que les individus isolés, avec des conséquences d'autant plus graves qu'elles affectent des populations entières.
Comment réussir à échouer adopte une structure narrative qui prolonge la méthode ironique inaugurée dans Faites vous-même votre malheur. Paul Watzlawick organise son propos autour d'une série de cas concrets, d'anecdotes historiques, de fables et d'exemples tirés aussi bien de la vie quotidienne que de la grande histoire politique et sociale. Cette diversité des illustrations permet à l'auteur de démontrer l'universalité des mécanismes qu'il décrit. Le fil conducteur de l'ouvrage consiste à montrer comment des individus, des organisations ou des nations déploient des efforts considérables pour résoudre des problèmes mais finissent systématiquement par aggraver leur situation initiale. Cette dynamique de l'échec programmé traverse tous les chapitres selon des modalités variées mais obéissant à une logique sous-jacente commune.
L'auteur commence par établir que le titre lui-même constitue un paradoxe révélateur. Réussir à échouer signifie atteindre avec efficacité un résultat opposé à celui qu'on recherchait consciemment. Cette réussite dans l'échec n'est pas accidentelle mais résulte d'une logique interne cohérente qui garantit presque mathématiquement le résultat catastrophique. Paul Watzlawick s'attache à décrypter cette logique pour la rendre visible au lecteur. Une fois cette logique identifiée, elle apparaît comme évidente et l'on s'étonne de ne pas l'avoir perçue auparavant. Cette révélation constitue le premier pas vers la possibilité de sortir du piège.
Un thème central de l'ouvrage concerne les prophéties autoréalisatrices, mécanisme par lequel une croyance erronée sur une situation future provoque des comportements qui rendent cette situation réelle. Watzlawick développe longuement ce concept déjà présent dans ses travaux antérieurs mais qu'il approfondit ici par des exemples particulièrement frappants. La prophétie autoréalisatrice illustre parfaitement la manière dont nous créons activement les problèmes que nous redoutons tout en demeurant aveugles à notre propre contribution à leur matérialisation.
L'exemple classique de la panique bancaire démontre ce mécanisme avec une clarté exemplaire. Une banque parfaitement solvable fait l'objet d'une rumeur infondée selon laquelle elle serait au bord de la faillite. Les déposants, craignant de perdre leur argent, se précipitent pour retirer leurs dépôts. Cette ruée massive sur les guichets oblige la banque à liquider précipitamment ses actifs dans des conditions défavorables pour honorer les retraits. La banque, initialement saine, se trouve effectivement mise en faillite par le mouvement de panique qu'a déclenché la rumeur infondée. La prédiction fausse au départ est devenue vraie par l'effet même des comportements qu'elle a suscités. Personne dans cette dynamique n'a conscience de participer à la création du désastre qu'il cherche à éviter. Chaque déposant se vit comme quelqu'un qui réagit rationnellement à une menace externe et non comme quelqu'un qui contribue activement à créer cette menace.
Dans le domaine des relations interpersonnelles, Paul Watzlawick décrit le cas de la jalousie pathologique comme prophétie autoréalisatrice. Un mari convaincu sans raison objective que sa femme le trompe commence à la surveiller constamment, à l'interroger sur ses moindres déplacements, à vérifier ses communications, à manifester une méfiance omniprésente. Ce comportement oppressant détruit progressivement l'amour et la confiance que sa femme éprouvait pour lui. Excédée par cette surveillance étouffante et blessée par cette suspicion injustifiée, elle finit effectivement par chercher ailleurs l'affection et le respect qui lui sont refusés dans son couple. L'infidélité initialement imaginaire devient réelle, non malgré mais à cause de la jalousie qui voulait la prévenir. Le mari jaloux se vit comme la victime de la trahison qu'il avait pressentie, confirmant sa perspicacité initiale, sans jamais réaliser qu'il a lui-même fabriqué cette trahison par son comportement paranoïaque.
Les prophéties autoréalisatrices opèrent aussi massivement dans le domaine éducatif. L'expérience célèbre de Rosenthal et Jacobson citée par Paul Watzlawick démontre comment les attentes des enseignants influencent les performances réelles des élèves. Des chercheurs ont indiqué à des enseignants qu'un test scientifique avait identifié dans leurs classes certains élèves comme particulièrement prometteurs, destinés à progresser rapidement. En réalité, ces élèves avaient été désignés aléatoirement sans aucun test préalable. Pourtant, à la fin de l'année scolaire, ces élèves arbitrairement désignés avaient effectivement progressé davantage que leurs camarades. Les attentes positives des enseignants s'étaient traduites par des comportements subtils (plus d'attention accordée, encouragements plus fréquents, attente de réponses élaborées) qui avaient stimulé les performances des élèves concernés. Cette expérience illustre comment les attentes deviennent réalités par les mécanismes interactionnels qu'elles déclenchent. L'inverse fonctionne tragiquement lorsque des élèves sont étiquetés comme faibles ou incapables. Les attentes négatives des enseignants génèrent des comportements qui confirment et renforcent les difficultés initiales, enfermant l'élève dans l'échec.
Paul Watzlawick consacre plusieurs chapitres à analyser ce qu'il nomme les jeux sans fin, ces interactions où chaque protagoniste réagit aux actions de l'autre dans une escalade qui devient rapidement incontrôlable. Ces dynamiques illustrent comment la recherche d'un coupable, d'une cause première, d'un responsable initial constitue souvent une entreprise vaine et contre-productive. Dans les systèmes interactionnels, il n'existe pas de commencement absolu mais seulement des boucles circulaires où chacun réagit aux réactions de l'autre dans un enchaînement sans fin.
L'exemple paradigmatique de l'escalade symétrique concerne les courses aux armements entre nations. Chaque pays augmente son arsenal militaire en réaction à l'augmentation de l'arsenal adverse, justifiant cette augmentation par la nécessité de maintenir un équilibre des forces et de se protéger contre une menace grandissante. L'autre pays perçoit cette augmentation comme une menace agressive qui nécessite à son tour un renforcement de sa capacité militaire. Cette dynamique circulaire conduit à une escalade exponentielle où chaque pays dépense des ressources colossales pour sa sécurité militaire tout en se trouvant finalement moins sécurisé qu'au début du processus. Les deux nations terminent dans une situation d'insécurité mutuelle accrue, de tension maximale et de dilapidation des ressources qui auraient pu servir au bien-être des populations. Chaque pays se vit comme réagissant défensivement aux agressions de l'autre, aucun ne reconnaît sa propre contribution à la spirale infernale.
Paul Watzlawick utilise la métaphore célèbre des deux marins qui tentent de stabiliser un bateau qui tangue. Le premier marin, sentant le bateau pencher à tribord, se déplace vers bâbord pour rééquilibrer. Le second marin, constatant que le bateau penche maintenant à bâbord à cause du déplacement du premier, se déplace vers tribord. Le premier marin réagit à ce nouveau déséquilibre en se déplaçant encore plus loin vers bâbord, et ainsi de suite dans une escalade qui fait tanguer le bateau de plus en plus violemment jusqu'au chavirement. Chaque marin perçoit son propre comportement comme une réaction raisonnable et stabilisatrice face aux actions déstabilisatrices de l'autre. Aucun ne comprend qu'ils créent ensemble le problème en cherchant individuellement à le résoudre. La solution consisterait à ce que l'un des deux cesse de réagir, acceptant temporairement le déséquilibre mineur plutôt que de l'amplifier par sa correction.
Dans les conflits conjugaux, cette dynamique d'escalade symétrique prend la forme classique du reproche mutuel. La femme reproche à son mari de se replier et de ne plus communiquer. Le mari se replie effectivement parce qu'il trouve les reproches de sa femme oppressants et qu'il cherche à éviter les conflits par le retrait. Ce retrait augmente les reproches de la femme qui se sent ignorée et abandonnée. Les reproches accrus renforcent le retrait du mari qui cherche à se protéger de cette pression. La dynamique circulaire s'intensifie progressivement jusqu'à créer une distance émotionnelle complète ou une séparation effective. Chacun attribue à l'autre la responsabilité du problème : la femme accuse le mari de fuir la communication, le mari accuse la femme de le harceler constamment. Aucun ne perçoit qu'ils co-construisent ensemble cette dynamique pathologique où le comportement de chacun provoque et renforce le comportement de l'autre qu'il dénonce.
Un thème majeur de l'ouvrage concerne ce que Paul Watzlawick nomme le syndrome d'Utopie, cette croyance qu'il existe un état de perfection atteignable et que tous les moyens sont justifiés pour y parvenir. Ce syndrome constitue le fondement psychologique des ultrasolutions et des catastrophes qu'elles engendrent. La pensée utopique repose sur plusieurs postulats destructeurs : la perfection est possible, elle peut être définie avec précision, elle justifie le sacrifice du présent et l'usage de moyens radicaux, ceux qui s'y opposent sont soit aveugles soit malveillants et doivent être rééduqués ou éliminés.
Paul Watzlawick analyse plusieurs utopies sociales et politiques qui ont produit des catastrophes historiques majeures. Les régimes totalitaires du XXe siècle incarnent tragiquement ce syndrome d'Utopie. Le nazisme promettait un Reich millénaire de pureté raciale, le communisme soviétique la société sans classes de l'homme nouveau, le maoïsme la révolution culturelle permanente. Ces projets utopiques ont justifié des violences de masse inouïes au nom de l'avènement du paradis terrestre. Les millions de victimes de ces régimes furent considérées comme des sacrifices nécessaires sur l'autel de l'Utopie. Plus la réalité résistait au projet utopique, plus la violence s'intensifiait pour forcer cette réalité récalcitrante à se conformer à l'idéal. Les échecs patents des politiques menées n'étaient jamais interprétés comme des signes que l'Utopie était irréaliste mais comme des preuves qu'il fallait redoubler de radicalité pour vaincre les résistances.
Le syndrome d'Utopie opère aussi à des échelles plus modestes dans la vie quotidienne. Les communautés utopiques des années 1960-1970 fournissent des exemples tragicomiques analysés par Paul Watzlawick. Ces communautés cherchaient à créer des microsociétés parfaites basées sur l'amour libre, le partage total, l'abolition de la propriété privée et de la jalousie, la communion permanente. L'expérience se terminait presque invariablement par des conflits violents, des jalousies ravageuses, des luttes de pouvoir féroces et une désintégration acrimonieuse. La volonté d'abolir les sentiments humains jugés négatifs comme la jalousie, l'envie ou le besoin d'intimité personnelle ne les supprimait nullement mais les refoulait jusqu'à ce qu'ils explosent de manière destructrice. L'exigence de transparence totale et de communion permanente créait une pression insupportable qui générait exactement l'inverse de l'harmonie recherchée.
Dans la vie personnelle, le syndrome d'Utopie se manifeste dans la quête du partenaire parfait, du travail idéal, de la vie sans problème. Cette poursuite de la perfection condamne à l'insatisfaction permanente car aucune réalité ne peut correspondre à l'idéal fantasmé. Chaque partenaire, chaque emploi, chaque situation présente des imperfections qui deviennent intolérables pour celui qui a fait de la perfection son critère. Cette personne passe d'une relation à l'autre, d'un emploi à l'autre, d'un projet à l'autre, découvrant chaque fois avec déception que la réalité ne correspond pas à son idéal. Elle ne réalise pas que le problème réside dans l'exigence de perfection elle-même plutôt que dans les imperfections des situations concrètes. L'acceptation de l'imperfection inévitable de toute existence humaine constituerait paradoxalement la voie vers une satisfaction réelle, mais cette acceptation est vécue comme une capitulation intolérable par celui qui souffre du syndrome d'Utopie.
Paul Watzlawick approfondit dans cet ouvrage son analyse des tentatives de solution qui perpétuent le problème qu'elles sont censées résoudre. Cette thématique, déjà présente dans ses travaux antérieurs, trouve ici des développements nouveaux et des illustrations particulièrement frappantes. L'auteur distingue plusieurs types de solutions dysfonctionnelles qui opèrent selon des logiques différentes mais produisent toutes le même résultat : le maintien voire l'aggravation du problème initial.
Le premier type de solution dysfonctionnelle consiste à nier qu'un problème existe quand il existe effectivement. Cette dénégation du réel conduit à ne pas traiter une difficulté tant qu'elle reste gérable, permettant ainsi son aggravation jusqu'à ce qu'elle devienne une crise majeure. L'alcoolique qui nie avoir un problème avec l'alcool illustre ce mécanisme. Tant qu'il refuse de reconnaître sa dépendance, il ne peut entreprendre aucune démarche pour s'en sortir. Sa situation se dégrade progressivement jusqu'à ce que des conséquences catastrophiques (perte d'emploi, rupture familiale, problèmes de santé graves) le forcent à reconnaître une réalité devenue impossible à nier. À ce stade, le problème s'est considérablement aggravé et sa résolution est devenue bien plus difficile qu'elle ne l'aurait été si le déni n'avait pas opéré pendant des années.
Le deuxième type de solution dysfonctionnelle consiste à définir un problème là où il n'en existe pas, créant ainsi artificiellement une difficulté. La médicalisation excessive de variations normales de l'expérience humaine illustre ce mécanisme. Des émotions ordinaires comme la tristesse après une perte, l'anxiété avant un examen, la timidité dans des situations sociales nouvelles sont redéfinies comme des pathologies nécessitant un traitement. Cette redéfinition transforme des expériences humaines normales en problèmes médicaux, conduisant à des interventions thérapeutiques souvent iatrogènes. La personne ainsi convaincue qu'elle souffre d'une pathologie développe effectivement des symptômes liés à cette inquiétude et à l'hypervigilance qu'elle génère. Le problème créé par le diagnostic remplace l'expérience normale initiale.
Le troisième type concerne les actions menées au mauvais niveau logique. Paul Watzlawick insiste sur la distinction cruciale entre changement de type 1 (changement à l'intérieur du système) et changement de type 2 (changement du système lui-même). Beaucoup de tentatives de solution échouent parce qu'elles consistent à faire plus de la même chose au lieu de changer la logique sous-jacente. Un exemple classique concerne l'insomnie. La personne qui ne parvient pas à s'endormir essaie de plus en plus fort de dormir, se concentrant intensément sur cet objectif, devenant de plus en plus tendue et anxieuse à mesure que le sommeil se dérobe. Cette tentative de solution de type 1 (intensifier l'effort pour dormir) aggrave le problème car le sommeil ne peut venir que dans le relâchement et non dans l'effort volontaire. La solution nécessite un changement de type 2 : cesser d'essayer de dormir, accepter l'éveil temporaire, s'occuper à une activité calme sans pression. Ce changement de logique permet paradoxalement au sommeil de revenir.
Paul Watzlawick développe longuement le concept de ponctuation, cette manière dont chaque participant à une interaction découpe la séquence des événements pour attribuer les rôles de cause et d'effet, d'initiateur et de réacteur. Cette ponctuation différente entre les protagonistes constitue souvent la source fondamentale des conflits persistants. Chacun ponctue la séquence de manière à se présenter comme réagissant défensivement aux actions offensives de l'autre, aucun ne se perçoit comme initiateur du problème.
L'exemple célèbre du couple où madame critique et monsieur se retire illustre parfaitement ce problème de ponctuation. Madame ponctue ainsi la séquence : « Je critique parce que mon mari se retire et ne communique plus ». Monsieur ponctue inversement : « Je me retire parce que ma femme me critique constamment ». Chacun se vit comme réagissant défensivement au comportement problématique de l'autre. Chacun considère son propre comportement comme une conséquence et le comportement de l'autre comme la cause. Cette ponctuation différente rend toute résolution impossible tant que les protagonistes y restent enfermés. La solution nécessite de reconnaître le caractère circulaire de la séquence où critique et retrait se renforcent mutuellement dans une boucle sans commencement absolu.
Paul Watzlawick montre comment les conflits internationaux persistants reposent largement sur des ponctuations incompatibles entre les parties. Chaque nation ponctue l'histoire du conflit de manière à se présenter comme la victime réagissant légitimement aux agressions de l'adversaire. Les historiens de chaque camp sélectionnent dans la chronologie des événements ceux qui confirment cette ponctuation, occultant ceux qui la contrediraient. Un observateur extérieur constate que chaque camp a effectivement commis des actions répréhensibles et subi des torts légitimes, mais que chacun se concentre exclusivement sur les torts subis et les actions de l'autre, niant ou minimisant ses propres actions et les torts causés. Cette ponctuation sélective entretient le conflit indéfiniment car chaque partie se sent totalement justifiée dans sa position et considère toute concession comme une capitulation injuste face à l'agresseur.
Un thème philosophique traverse l'ensemble de l'ouvrage : l'existence humaine comporte des contradictions inhérentes, des paradoxes insolubles qu'il faut apprendre à tolérer plutôt que chercher à résoudre définitivement. Cette sagesse paradoxale s'oppose frontalement à la logique cartésienne qui cherche des solutions claires et distinctes à tous les problèmes. Paul Watzlawick s'inscrit ici dans une tradition philosophique orientale et dans la lignée de penseurs occidentaux comme Kierkegaard ou les existentialistes qui ont souligné l'absurdité fondamentale de la condition humaine.
Le paradoxe de la spontanéité illustre cette dimension tragico-comique de l'existence. On ne peut être spontané sur commande. L'injonction « Sois spontané ! » crée une situation impossible car obéir à cette injonction supprime précisément la spontanéité qu'elle exige. Dans les relations amoureuses, ce paradoxe devient particulièrement douloureux. « Tu ne me dis plus que tu m'aimes » provoque un « Je t'aime » qui ne satisfait pas la plainte initiale précisément parce qu'il a été provoqué et n'est donc pas spontané. Cette demande impossible crée une impasse relationnelle où le partenaire se trouve coincé entre ne rien dire (confirmant qu'il n'aime plus) et dire quelque chose (confirmant que ce n'est pas spontané donc pas authentique). Paul Watzlawick montre que la seule issue à ce type de paradoxe consiste à reconnaître son caractère insoluble et à accepter l'imperfection de toute communication humaine.
Le paradoxe du bonheur constitue un autre exemple développé dans l'ouvrage. Plus on cherche délibérément le bonheur, plus il se dérobe. Le bonheur survient comme effet secondaire d'autres activités menées pour elles-mêmes, non comme résultat d'une poursuite directe. L'obsession contemporaine du bonheur comme objectif à atteindre crée paradoxalement beaucoup de malheur. Les individus scrutent constamment leur état émotionnel pour vérifier s'ils sont heureux, se comparent aux autres qui semblent plus heureux, s'inquiètent de ne pas être assez heureux. Cette hypervigilance anxieuse au bonheur empêche précisément l'expérience de satisfaction qu'elle recherche. Paul Watzlawick suggère que renoncer à la quête du bonheur comme objectif pourrait paradoxalement permettre d'éprouver davantage de satisfaction dans l'existence ordinaire.
Le paradoxe du contrôle traverse aussi l'ouvrage. Nous ne pouvons contrôler directement certaines fonctions qui ne peuvent opérer que spontanément : le sommeil, l'érection sexuelle, la créativité, l'oubli. Plus nous essayons de contrôler volontairement ces fonctions, plus nous les perturbons. L'insomniaque qui essaie de forcer le sommeil l'empêche de venir. L'homme anxieux de performance qui se concentre sur son érection la perd. L'écrivain qui cherche désespérément l'inspiration la fait fuir. Celui qui veut absolument oublier un souvenir douloureux le fixe dans sa mémoire par cette obsession même. Ces paradoxes du contrôle démontrent les limites de la volonté consciente et la nécessité d'accepter certains processus spontanés qui échappent à notre maîtrise directe.
Paul Watzlawick développe une critique acérée de ce qu'il nomme la rationalité instrumentale, cette forme de pensée qui considère tous les problèmes comme techniquement solubles par l'application de la méthode rationnelle adéquate. Cette confiance excessive dans la raison instrumentale caractérise la modernité occidentale et produit selon Paul Watzlawick beaucoup de catastrophes. La pensée instrumentale excelle dans l'analyse des moyens pour atteindre des fins données, mais elle se révèle incapable de questionner les fins elles-mêmes et de saisir les dimensions existentielles qui échappent au calcul rationnel.
Les désastres écologiques résultent largement de cette rationalité instrumentale appliquée sans considération des conséquences systémiques. L'efficacité technique de court terme prime sur toute autre considération. Les forêts sont rasées parce que c'est le moyen le plus efficace d'obtenir rapidement du bois et des terres agricoles, sans considération pour les services écosystémiques à long terme. Les pesticides sont massivement utilisés parce qu'ils constituent le moyen le plus efficace d'augmenter les rendements agricoles à court terme, sans considération pour leurs effets sur la biodiversité et la santé humaine. Cette rationalité instrumentale myope crée des catastrophes précisément par son efficacité technique appliquée à des objectifs étroits sans vision systémique.
Dans les organisations humaines, la rationalité instrumentale produit ce que Paul Watzlawick nomme l'absurdité rationnelle. Les bureaucraties modernes développent des règles rationnellement justifiées qui, appliquées systématiquement, créent des situations absurdes. L'employé qui applique strictement le règlement pour bloquer une demande évidemment légitime incarne cette absurdité rationnelle. Chaque règle prise isolément possède une justification raisonnable, mais leur application mécanique sans considération du contexte et du sens produit le contraire de ce que l'organisation cherche à accomplir. Watzlawick cite des exemples bureaucratiques kafkaïens où des individus se trouvent pris dans des impasses réglementaires parfaitement logiques mais absurdement inextricables.
L'ultrasolution représente l'apport conceptuel majeur de cet ouvrage. Paul Watzlawick forge ce néologisme pour désigner un type particulièrement pernicieux de tentative de solution où l'on cherche à éradiquer complètement et définitivement un problème par une intervention radicale qui finit par créer une situation bien plus problématique que celle qu'on voulait résoudre. L'ultrasolution se caractérise par plusieurs traits distinctifs. Premièrement, elle procède d'une vision totalitaire du problème considéré comme un mal absolu qu'il faut éliminer entièrement plutôt que gérer ou contenir. Deuxièmement, elle repose sur l'illusion qu'une solution définitive existe et qu'il suffit d'avoir le courage et les moyens de l'appliquer radicalement. Troisièmement, elle néglige complètement les effets systémiques secondaires de l'intervention envisagée, se focalisant exclusivement sur l'objectif immédiat. Quatrièmement, elle persévère dans sa logique même lorsque les effets délétères commencent à apparaître, interprétant ces effets comme des signes qu'il faut intensifier encore l'intervention plutôt que la remettre en question.
La logique de l'ultrasolution procède d'un raisonnement apparemment rationnel mais profondément vicié. Face à un problème identifié, on raisonne ainsi : si un peu de solution produit un peu d'amélioration, alors beaucoup de solution produira beaucoup d'amélioration, et une solution totale éliminera totalement le problème. Cette extrapolation linéaire méconnaît la nature non-linéaire des systèmes complexes où au-delà d'un certain seuil, l'intensification d'une intervention produit des effets qualitativement différents et souvent opposés à ceux recherchés. Paul Watzlawick compare cette logique à celle d'une personne qui, constatant qu'une aspirine soulage son mal de tête, déciderait d'en prendre cinquante pour éliminer définitivement toute possibilité de céphalée future, provoquant ainsi une intoxication médicamenteuse bien plus grave que le symptôme initial.
L'ultrasolution se distingue des simples tentatives de solution dysfonctionnelles par son ampleur et sa radicalité. Une tentative de solution ordinaire maintient le problème dans un équilibre stable, créant une homéostasie dysfonctionnelle certes, mais n'aggravant pas dramatiquement la situation. L'ultrasolution franchit un seuil qualitatif en créant une déstabilisation majeure du système qui produit des conséquences catastrophiques imprévisibles. Cette différence quantitative devient qualitative lorsque l'intervention dépasse la capacité homéostatique du système à absorber les perturbations. Le système bascule alors dans un état nouveau radicalement différent et généralement beaucoup plus problématique que l'état initial.
Paul Watzlawick mobilise de nombreux exemples historiques pour illustrer le fonctionnement catastrophique des ultrasolutions à grande échelle. La prohibition de l'alcool aux États-Unis entre 1920 et 1933 constitue un cas d'école particulièrement éclairant. Face au problème réel de l'alcoolisme et de ses conséquences sociales, les prohibitionnistes adoptèrent une ultrasolution : interdire totalement la production, la vente et la consommation d'alcool. Cette mesure radicale visait à éliminer définitivement le fléau de l'alcoolisme en supprimant sa cause supposée, la disponibilité de l'alcool. Les effets de cette ultrasolution s'avérèrent catastrophiques. L'interdiction totale ne supprima nullement la consommation d'alcool qui se poursuivit clandestinement. Elle créa un marché noir immensément profitable contrôlé par le crime organisé qui connut une expansion sans précédent durant cette période. La mafia américaine se structura et s'enrichit considérablement grâce au trafic d'alcool, développant des réseaux criminels qui perdurèrent bien après l'abrogation de la prohibition. La qualité de l'alcool clandestin étant incontrôlée, de nombreux consommateurs furent empoisonnés par des productions frelatées. Le mépris généralisé de la loi prohibitionniste entraîna une démoralisation civique et une corruption massive des forces de police. Au final, la prohibition créa infiniment plus de problèmes qu'elle n'en résolut, illustrant parfaitement la logique de l'ultrasolution.
Les politiques de guerre contre la drogue fournissent un exemple contemporain d'ultrasolution toujours en cours. Face au problème de la consommation de substances psychoactives et de ses conséquences, de nombreux gouvernements ont adopté une stratégie d'éradication totale basée sur l'interdiction, la répression et la guerre déclarée aux trafiquants. Cette ultrasolution repose sur le postulat qu'en rendant les drogues totalement inaccessibles par une répression suffisamment vigoureuse, on éliminera le problème de la toxicomanie. Après plusieurs décennies d'application de cette stratégie avec des moyens considérables, les résultats s'avèrent désastreux. La consommation de drogues n'a nullement diminué globalement et a même augmenté pour certaines substances. L'interdiction a créé un marché noir d'une rentabilité extraordinaire contrôlé par des organisations criminelles qui ont développé une puissance économique et militaire rivalisant avec celle des États dans certaines régions. Les cartels de la drogue déstabilisent des pays entiers, corrompent les institutions, assassinent des milliers de personnes. L'absence de contrôle de qualité des produits illégaux multiplie les risques sanitaires pour les consommateurs. La criminalisation des usagers transforme un problème de santé publique en problème judiciaire, engorgean[...]problème qu'on voulait résoudre. Le traitement ultrasolutionniste transforme un problème spécifique en catastrophe généralisée.
La négation ou minimisation des effets secondaires constitue une autre caractéristique des ultrasolutions. Face aux conséquences négatives qui commencent à apparaître, les promoteurs de l'ultrasolution les nient, les minimisent ou les attribuent à des causes externes plutôt que de reconnaître qu'elles résultent de l'intervention elle-même. Cette dénégation permet de persévérer dans la même logique malgré les signaux d'alarme. Lorsque la négation devient impossible devant l'ampleur des dégâts, on invoque souvent l'argument selon lequel l'intervention n'a pas été appliquée de manière suffisamment radicale, qu'il faut l'intensifier encore pour obtenir les résultats escomptés. Cette fuite en avant aggrave progressivement la situation selon une spirale catastrophique.
L'absence de clause de réversibilité caractérise aussi les ultrasolutions. Une fois engagée, l'ultrasolution crée des effets irréversibles qui rendent impossible le retour à l'état initial. Les transformations du système induites par l'intervention radicale produisent une nouvelle configuration qui ne peut être défaite simplement en cessant l'intervention. Les dégâts écologiques causés par certaines ultrasolutions environnementales illustrent cette irréversibilité. L'assèchement de la mer d'Aral résultant du détournement massif des fleuves pour l'irrigation intensive du coton en Asie centrale soviétique représente une catastrophe écologique irréversible. Même si l'on cessait aujourd'hui tous les prélèvements d'eau, la mer d'Aral ne retrouverait pas son état antérieur à l'échelle d'une vie humaine.
Face aux dangers des ultrasolutions, Paul Watzlawick propose une sagesse systémique qui repose sur plusieurs principes fondamentaux. Le premier principe consiste à accepter que certains problèmes ne peuvent être résolus définitivement mais seulement gérés et contenus. Cette acceptation de l'imperfection et de la persistance de certaines difficultés heurte profondément l'idéal de maîtrise totale qui caractérise la modernité occidentale. Pourtant, reconnaître qu'un problème doit être vécu avec plutôt qu'éradiqué constitue souvent la seule approche réaliste et sage. Les maladies chroniques dans le domaine médical fournissent une analogie pertinente. Un diabétique ne peut éliminer définitivement sa maladie mais peut la gérer efficacement par un traitement et une hygiène de vie appropriés. Chercher une guérison définitive par des méthodes radicales risquerait de créer plus de problèmes que la gestion prudente de la condition chronique.
Le deuxième principe de sagesse systémique insiste sur l'attention aux effets secondaires et aux conséquences systémiques de toute intervention. Avant d'appliquer une solution, surtout si elle est radicale, il convient d'examiner attentivement comment elle affectera l'ensemble du système, quels équilibres elle perturbera, quelles réactions en chaîne elle déclenchera. Cette pensée systémique complexe s'oppose à la pensée linéaire simpliste qui ne considère que le lien direct entre intervention et problème ciblé. Les écologistes contemporains ont développé cette sensibilité systémique en montrant comment des interventions apparemment bénéfiques dans un domaine produisent des effets catastrophiques dans d'autres domaines interconnectés. L'introduction d'une espèce exogène pour contrôler une population considérée comme nuisible illustre ce type de problème. Les lapins introduits en Australie pour fournir du gibier, les crapauds buffles introduits dans le Queensland pour contrôler les insectes ravageurs des cannes à sucre, sont devenus eux-mêmes des fléaux écologiques majeurs, démontrant les dangers des solutions radicales appliquées sans considération des effets systémiques.
Le troisième principe recommande d'intervenir avec parcimonie et progressivité plutôt que radicalement. Les interventions minimales permettent d'observer les effets et d'ajuster le tir avant d'avoir créé des dégâts irréversibles. Cette approche graduelle et prudente contraste avec l'hubris caractéristique des ultrasolutions qui prétendent transformer radicalement une situation d'un seul coup. La sagesse médicale traditionnelle qui prescrit de commencer par le traitement le moins invasif et de n'intensifier que si nécessaire illustre ce principe de parcimonie. On ne commence pas par la chirurgie radicale si un traitement conservateur peut suffire. Cette prudence devrait s'appliquer similairement aux interventions sociales et politiques où la tentation est grande de chercher des transformations révolutionnaires rapides plutôt que des améliorations progressives et réversibles.
Le quatrième principe insiste sur la réversibilité et l'expérimentation. Les interventions devraient autant que possible être conçues de manière réversible, permettant un retour en arrière si les effets s'avèrent négatifs. Cette réversibilité requiert de conserver des marges de manœuvre, de ne pas brûler tous les ponts, de maintenir des solutions alternatives. L'approche expérimentale qui teste des solutions à petite échelle avant de les généraliser incarne ce principe de réversibilité. Les pilotes, les expérimentations locales, les mises en œuvre progressives permettent d'identifier les problèmes avant qu'ils ne prennent une ampleur catastrophique. Cette sagesse expérimentale s'oppose à l'application immédiate et universelle d'une solution considérée a priori comme parfaite.
Le cinquième principe valorise la diversité et la redondance comme protections contre les échecs catastrophiques. Les ultrasolutions tendent vers l'uniformisation et l'optimisation, éliminant toute diversité jugée inefficace. Cette rationalisation maximale crée une fragilité extrême car le système optimisé pour une situation donnée se trouve démuni face à des changements de contexte. La diversité apparemment inefficace constitue en réalité une assurance contre l'imprévu, une réserve de solutions alternatives mobilisables si la solution principale échoue. L'agriculture industrielle moderne qui réduit drastiquement la diversité des variétés cultivées au profit de quelques hybrides optimisés illustre ce danger. Ces monocultures maximisent le rendement dans des conditions idéales mais se trouvent extrêmement vulnérables aux maladies, aux parasites ou aux changements climatiques, là où les agricultures traditionnelles maintenant une grande diversité variétale possédaient une résilience supérieure face aux aléas.
Si Paul Watzlawick illustre principalement le concept d'ultrasolution par des exemples collectifs, ce mécanisme opère aussi aux niveaux individuel et relationnel avec des conséquences certes moins spectaculaires mais psychologiquement dévastatrices. Dans le domaine éducatif, l'ultrasolution prend la forme du contrôle parental total visant à protéger complètement l'enfant de tout danger, de toute frustration, de toute difficulté. Ces parents surprotecteurs cherchent à éliminer définitivement tous les risques auxquels leur enfant pourrait être exposé. Cette ultrasolution éducative produit des effets opposés aux intentions bienveillantes qui la motivent. L'enfant ainsi protégé ne développe pas les compétences nécessaires pour faire face aux difficultés inévitables de l'existence. Il devient fragile, anxieux, incapable de tolérer la moindre frustration. La surprotection qui visait à prévenir toute souffrance future crée un adulte émotionnellement handicapé, démuni face aux défis ordinaires de la vie adulte. L'ultrasolution parentale transforme un problème gérable, les dangers normaux de l'enfance contre lesquels une vigilance raisonnable suffit, en problème majeur, un adulte psychologiquement fragile et dépendant.
Dans les relations amoureuses, l'ultrasolution se manifeste dans la tentative d'éliminer totalement toute source de conflit ou de tension pour créer une harmonie parfaite permanente. Cette quête de la relation idéale sans ombre ni difficulté conduit paradoxalement à détruire la relation. L'évitement systématique de tout désaccord empêche la confrontation nécessaire à la croissance relationnelle. Les ressentiments non exprimés s'accumulent sous la surface apparemment harmonieuse, créant une distance émotionnelle croissante entre les partenaires. L'exigence de perfection relationnelle génère une pression insupportable qui étrangle la spontanéité et l'authenticité. Les partenaires marchent sur des œufs, censurant toute expression qui pourrait troubler l'harmonie illusoire. Cette relation aseptisée finit par mourir d'asphyxie ou exploser brutalement lorsque la pression accumulée devient insoutenable. L'ultrasolution qui visait une harmonie parfaite détruit la vitalité relationnelle et crée soit une séparation, soit une coexistence morte bien plus problématique que les conflits ordinaires qu'on voulait éliminer.
Dans le domaine de la santé mentale, l'ultrasolution prend la forme de la quête obsessionnelle d'un bien-être psychologique parfait et permanent, d'une élimination complète de toute émotion négative, de toute anxiété, de toute tristesse. Cette poursuite du bonheur absolu caractérise certaines dérives contemporaines du développement personnel et des thérapies positives. L'individu engagé dans cette quête ultrasolutionniste considère toute émotion négative comme anormale et pathologique, quelque chose à éliminer immédiatement plutôt qu'à éprouver et traverser. Cette intolérance aux émotions désagréables crée paradoxalement une souffrance psychologique majeure. La personne devient hypervigilante à ses états émotionnels, scrutant anxieusement chaque variation d'humeur, s'alarmant du moindre signe de tristesse ou d'inquiétude. Cette hypervigilance anxieuse génère précisément l'anxiété qu'elle cherche à éviter. De plus, le refus d'éprouver des émotions négatives normales prive l'individu d'informations précieuses sur sa situation. La tristesse signale une perte qui demande à être reconnue et élaborée, l'anxiété alerte sur un danger potentiel nécessitant attention, la colère indique une transgression de ses limites. Supprimer ces signaux émotionnels par des techniques de positivité forcée revient à désactiver les voyants d'alerte sur un tableau de bord plutôt qu'à s'occuper des problèmes qu'ils signalent.
Dans le domaine professionnel, l'ultrasolution se manifeste dans les tentatives d'optimisation totale et de maximisation absolue de l'efficacité qui éliminent toute marge, toute redondance, tout temps mort. Cette rationalisation poussée à l'extrême crée des systèmes extrêmement fragiles qui s'effondrent au moindre imprévu. Les organisations fonctionnant en flux tendu sans aucune réserve ni flexibilité maximisent l'efficacité à court terme mais deviennent incapables de faire face à toute perturbation. La pandémie de Covid-19 a révélé cruellement cette fragilité des systèmes ultrasolutionnistes optimisés. Les hôpitaux fonctionnant avec un taux d'occupation maximal et un personnel minimal se sont trouvés totalement débordés face à l'afflux de patients. Les chaînes d'approvisionnement internationales optimisées pour minimiser les stocks se sont effondrées à la première perturbation logistique. Ces ultrasolutions managériales qui visaient l'efficacité maximale ont créé une vulnérabilité catastrophique.
Le concept d'ultrasolution développé par Paul Watzlawick dans Comment réussir à échouer conserve une pertinence remarquable pour comprendre de nombreux problèmes contemporains. Les crises écologiques actuelles résultent largement d'ultrasolutions technologiques qui ont créé des problèmes infiniment plus graves que ceux qu'elles prétendaient résoudre. Le changement climatique provoqué par l'usage massif des énergies fossiles constitue la conséquence d'une ultrasolution énergétique qui visait le développement économique illimité sans considération des effets systémiques sur le climat planétaire. Les solutions actuellement envisagées pour résoudre ce problème risquent elles-mêmes de constituer de nouvelles ultrasolutions si elles ne tiennent pas compte de la complexité systémique. La géo-ingénierie qui propose de modifier artificiellement le climat à grande échelle pour contrer le réchauffement présente tous les traits d'une ultrasolution potentielle : radicalité de l'intervention, confiance dans une solution technologique définitive, négligence des effets secondaires imprévisibles dans un système aussi complexe que le climat terrestre.
Dans le domaine social, de nombreux problèmes contemporains appellent à des interventions qui risquent de tomber dans le piège de l'ultrasolution. La polarisation politique croissante dans les démocraties occidentales suscite des tentations ultrasolutionnistes : censurer radicalement les discours jugés dangereux, éliminer totalement les fake news, purifier l'espace public de toute expression problématique. Ces tentatives d'éradication totale risquent de produire des effets pires que les problèmes qu'elles visent en sapant les libertés fondamentales, en créant un sentiment de persécution qui radicalise davantage les exclus, en poussant les discours problématiques dans des espaces clandestins où ils deviennent encore plus extrêmes. Une approche plus sage consisterait à accepter qu'une société libre produira toujours une certaine quantité de discours problématiques, et à chercher non à les éradiquer totalement mais à en limiter les effets nocifs tout en préservant les libertés fondamentales.
La leçon fondamentale de Paul Watzlawick concernant les ultrasolutions réside dans la nécessité d'une humilité face à la complexité des systèmes humains et naturels. Cette humilité reconnaît les limites de notre capacité à prévoir toutes les conséquences de nos interventions, particulièrement lorsqu'elles sont radicales. Elle accepte que certains problèmes doivent être tolérés ou gérés plutôt qu'éliminés. Elle valorise la prudence, la progressivité, la réversibilité face à la tentation de solutions définitives et spectaculaires. Cette sagesse systémique ne conduit pas au fatalisme ou à l'inaction mais à une action plus modeste, plus attentive aux effets secondaires, plus respectueuse de la complexité des systèmes sur lesquels nous intervenons. Dans un monde confronté à des défis majeurs qui appellent urgence et radicalité, ce message de prudence peut sembler décevant. Il constitue pourtant probablement la seule voie pour éviter de transformer nos problèmes actuels en catastrophes futures par des ultrasolutions bien-intentionnées qui créeraient des situations infiniment pires que celles que nous cherchons à résoudre.
L'ouvrage se termine sur une note philosophique en plaidant pour ce que Paul Watzlawick nomme la sagesse de l'imperfection. Contre la quête utopique de solutions parfaites et définitives, contre la rationalité instrumentale qui prétend tout maîtriser, contre la fuite en avant dans les ultrasolutions, Paul Watzlawick propose une sagesse plus modeste qui accepte les limites de notre maîtrise, l'imperfection inévitable de l'existence humaine, la nécessité de tolérer l'ambiguïté et le paradoxe. Cette sagesse ne conduit pas au fatalisme mais à une action plus prudente, plus attentive aux effets systémiques, plus respectueuse de la complexité. Cette philosophie de l'imperfection rejoint des traditions orientales comme le taoïsme ou le bouddhisme zen qui valorisent le non-agir, l'acceptation du flux des choses, le renoncement au contrôle total. Elle s'inscrit aussi dans la tradition occidentale du scepticisme philosophique qui reconnaît les limites de la raison humaine. Paul Watzlawick ne propose pas d'abandonner toute tentative d'améliorer notre condition mais d'adopter une attitude plus humble et plus sage face aux problèmes de l'existence. Reconnaître que certains problèmes n'ont pas de solution définitive, que toute intervention produit des effets secondaires imprévisibles, que la perfection est illusoire, constitue paradoxalement la voie vers une vie plus satisfaisante que la quête épuisante et vouée à l'échec d'un bonheur parfait et d'un contrôle total.
Nous avons fait une récension pour chacun de ces ouvrages :
Travaux académiques reconnus :
Une logique de la communication (1967) (écrit à trois)
Changements, paradoxes et psychothérapie (1974) (écrit à trois)
Essais personnels :
Faites vous-même votre malheur (1983)
Comment réussir à échouer (1986)
Les Cheveux du baron de Münchhausen (1988)
Nous espérons que ces textes vous serons utiles.
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