15 Juin 2025
À l’image de la Commune de Paris, la ville de Marseille fut, au printemps 1871, le théâtre d’un soulèvement populaire et révolutionnaire qui demeure, malgré sa brièveté, un épisode significatif de l’histoire républicaine française. Cette insurrection, connue sous le nom de Commune de Marseille, s’inscrit dans le contexte troublé de l’après-guerre franco-prussienne, qui vit l’effondrement du Second Empire et l’instauration d’une République vacillante, encore contestée dans ses fondements. Après la capitulation de Napoléon III à Sedan en septembre 1870, un gouvernement de défense nationale fut mis en place à Paris. Celui-ci, bien qu’ayant proclamé la République, restait très conservateur dans ses pratiques et suscitait la défiance d’une partie croissante de la population, notamment dans les grandes villes industrielles où les idéaux républicains, socialistes et ouvriers gagnaient en vigueur.
À Marseille, ces tensions étaient particulièrement vives. Ville portuaire, carrefour commercial et foyer de bouillonnement politique depuis la Révolution française, Marseille comptait de nombreux cercles républicains radicaux, socialistes et internationalistes. Lorsque, le 18 mars 1871, la Commune de Paris fut proclamée en réaction à la tentative du gouvernement d’Adolphe Thiers de désarmer la Garde nationale, un vent de solidarité souffla sur plusieurs villes de province. À Marseille, la nouvelle fut accueillie avec enthousiasme dans les milieux populaires et militants. Le 22 mars, une insurrection éclata : des membres de la Garde nationale, des ouvriers, des militants socialistes et des républicains avancés prirent d’assaut l’hôtel de ville, proclamèrent une Commune libre et formèrent un Comité insurrectionnel. Ce comité se voulait l’émanation directe du peuple marseillais, et entendait établir une république véritablement démocratique, sociale et décentralisée.
L’une des figures majeures de cette tentative révolutionnaire fut Gaston Crémieux, avocat, journaliste et militant républicain d’origine juive, fortement influencé par les idées socialistes. Humaniste passionné, défenseur acharné des libertés publiques, il incarna les espoirs d’un régime fondé sur la justice sociale, la laïcité et la souveraineté populaire. Il dirigea avec détermination le Comité de Salut public mis en place par la Commune marseillaise, dans l’intention de réorganiser la ville sur des bases nouvelles. Mais cette expérience ne dura que quelques jours. Le gouvernement de Versailles, résolu à mater toutes les velléités de rébellion en province, dépêcha rapidement des troupes pour reprendre la ville. Le 4 avril 1871, l’armée mit le siège devant la préfecture, où s’étaient retranchés les derniers communards marseillais. Après de violents affrontements, l’insurrection fut écrasée dans le sang. Plus de trente insurgés furent tués, et des centaines d’arrestations suivirent.
La répression fut brutale et exemplaire. Comme à Paris, le gouvernement versaillais fit le choix de la rigueur pour étouffer les espoirs révolutionnaires. Gaston Crémieux, bien qu’il ait toujours refusé la violence aveugle, fut arrêté, traduit devant un conseil de guerre, condamné à mort et fusillé le 30 novembre 1871. Son exécution suscita l’indignation de nombreux républicains modérés et laissa dans la mémoire populaire un souvenir tragique, celui d’un homme de principes sacrifié au nom de l’ordre. La Commune de Marseille, bien que méconnue et souvent reléguée au second plan par rapport à sa sœur parisienne, incarne un moment fort de l’histoire sociale et démocratique du XIXe siècle. Elle témoigne de la vigueur des aspirations populaires à une République plus juste, plus égalitaire, plus proche du peuple, à une époque où le pouvoir central restait aux mains des élites conservatrices.
So ! La Commune de Marseille reste le symbole d’une tentative avortée de transformation radicale de la société, et reflète les tensions profondes qui traversaient la France à la sortie d’un conflit dévastateur. Elle préfigure aussi les luttes futures pour l’émancipation politique, sociale et culturelle des classes populaires. Dans l’histoire longue du mouvement ouvrier et des combats pour la démocratie, cet épisode tragique, malgré sa brièveté, mérite d’être rappelé et étudié, non seulement comme un fait local, mais comme une expression emblématique d’un désir de rupture avec l’ordre établi.
La Commune de Marseille naît dans un climat de crise profonde, à la jonction de deux ébranlements majeurs : la défaite militaire de la France face à la Prusse en 1870, et l’écroulement du Second Empire, suivi de l'instauration hésitante de la Troisième République. Comme Paris et d'autres grandes villes françaises, Marseille est bouleversée par la misère, la colère sociale et les aspirations démocratiques frustrées.
Depuis des années, la ville est une terre fertile pour les idées socialistes, républicaines radicales et internationalistes. L’activité du mouvement ouvrier, stimulée par l’Association internationale des travailleurs (AIT), y est intense. La guerre de 1870-71, avec son lot de sacrifices inutiles, l’humiliation nationale et le vide du pouvoir impérial, agit comme un détonateur. À Marseille, la mobilisation populaire, déjà vive en 1848, reprend de plus belle : elle vise à instaurer une République véritablement sociale, loin des demi-mesures du gouvernement d’Adolphe Thiers. Aparté, la République bourgeoise avait été proclamée le 4 Septembre d'où la station de métro 4 Septembre sur la ligne 7.
Le 23 mars 1871, à peine cinq jours après l’insurrection parisienne, la Commune de Marseille est proclamée à l’issue d’un soulèvement populaire dirigé par le Comité central républicain des quartiers de Marseille, un regroupement de clubs, de sections de l’Internationale et de militants républicains avancés. Le meneur le plus emblématique est Gaston Crémieux, avocat engagé, socialiste influencé par les idéaux de 1848 et proche de la pensée proudhonienne.
La Commune marseillaise se revendique clairement comme une extension de la Commune de Paris. Elle en partage les mots d’ordre : refus du centralisme autoritaire, démocratie directe, souveraineté populaire, organisation fédérale des communes, justice sociale. L’hostilité envers le gouvernement Thiers, vu comme conservateur, bourgeois et traître aux idéaux de la Révolution, est manifeste.
Le palais de la préfecture est investi, les autorités locales renversées, et un gouvernement communaliste provisoire se met en place. Des gardes nationaux et des ouvriers armés assurent la sécurité de la ville, tandis que des comités populaires prennent en main la gestion courante. Le programme reste encore flou, mais la dynamique est réelle : il s'agit d'établir une autonomie politique locale dans le cadre d'une république démocratique et sociale.
Ce qui distingue la Commune de Marseille, c’est son ancrage fédéraliste. Elle s’inscrit dans la tradition proudhonienne, largement partagée en Provence, qui rejette l'État centralisé au profit d’une confédération de communes libres. Le modèle parisien est moins un prototype qu’un frère d’armes : à Marseille, on parle de fédération des Communes républicaines.
Sur le plan social, la Commune souhaite réorganiser la société sur des bases égalitaires : élection des magistrats, amélioration des conditions de travail, abolition des privilèges, instruction gratuite et laïque. Toutefois, faute de temps et de moyens, ces ambitions restent largement théoriques. Aucune réforme structurelle majeure n’a le temps d’être appliquée. Comme à Paris, les communards marseillais sont pressés par l’urgence, mal armés et isolés.
Le gouvernement Thiers, après avoir fui Paris pour Versailles, prend très au sérieux cette révolte marseillaise. Il craint un effet domino dans tout le Midi. Rapidement, une force militaire est dépêchée depuis Aix et Avignon sous les ordres du général Espivent de La Villesboisnet. À Marseille, les communards tentent une résistance armée, mais manquent de coordination, de troupes aguerries et d'alliances.
Le 4 avril 1871, les troupes gouvernementales investissent la ville. Elles encerclent la préfecture, où les derniers insurgés se sont réfugiés. Le combat est bref mais violent. Plusieurs dizaines de morts sont recensées, dont des civils. La répression est brutale : les leaders sont arrêtés, les clubs dissous, les journaux suspendus. Gaston Crémieux est fusillé en novembre 1871, malgré une intense campagne de soutien national et international.
La Commune de Marseille fut l’une des plus importantes insurrections communales de province en 1871, avec Lyon, Narbonne ou Toulouse. Bien qu’éphémère, elle incarne une tentative sincère de démocratie populaire locale, dans la lignée des luttes de 1848 et annonciatrice des combats républicains à venir. Sa mémoire, longtemps étouffée par l’histoire officielle, renaît aujourd’hui dans les mouvements qui interrogent le pouvoir centralisé, la démocratie représentative et la justice sociale.
Comme la Commune de Paris, celle de Marseille fut une utopie armée, née de la douleur nationale, de la misère sociale et d’un espoir révolutionnaire qui n’a jamais totalement disparu.