16 Juin 2025
La proclamation de la République le 4 septembre 1870, au lendemain de la défaite de Sedan et de la capture de Napoléon III, fut un soulèvement populaire autant qu’un acte politique. À Paris, la foule envahit l’Assemblée, et les républicains modérés (Gambetta, Jules Favre, etc.) proclament la Troisième République depuis l’Hôtel de Ville. Ce geste n’attend aucune légalité institutionnelle : il est né du vide du pouvoir impérial et de l’urgence patriotique.
À Lyon, le 4 septembre 1870, à sept heures et demie, à la lecture des affiches annonçant la défaite de Sedan, des groupes de manifestants occupent l’Hôtel de Ville où siègent le préfet et la Commission municipale nommés par le pouvoir impérial. Le préfet est fait prisonnier. À 9 heures, la République est proclamée, une demi-journée avant Paris. Militants socialistes, blanquistes et internationalistes participent eux aussi à l’effervescence révolutionnaire. Dès ce jour, la tension entre deux Républiques naissantes s’installe : l’une conservatrice et centralisatrice, l’autre populaire, sociale et fédéraliste. C’est ainsi que le conseil municipal, pour ne pas heurter la population, décide, le 24 septembre, que le drapeau rouge, « signal de la patrie en danger, restera arboré sur l’Hôtel de ville jusqu’à ce que le péril ait cessé ». Le drapeau rouge flotte au sommet de l’Hôtel de Ville, Place Bellecour. Il y restera jusqu’au 4 mars 1871.
Les insurgés mettent en place un Comité de Salut Public composé d’une majorité de militants appartenant à la tendance néo-jacobine, radicale, libre-penseuse, associés à quelques internationalistes admis à titre individuel. On y trouve aussi des républicains modérés comme l’ex député Hénon, battu aux élections de 1869 par le radical Bancel, ami de Raspail. Trois commissions, finances, guerre et intérêts publics, préparent des décrets communiqués au public au moyen d’affiches sous le titre de « COMMUNE DE LYON » en caractères beaucoup plus importants que le sous-titre, « République française ». En dix jours, du 5 au 15 septembre, les décisions prises par le CSP anticipent sur celles de la Commune, six mois plus tard à Paris : suppression des aides aux organisations religieuses, séparation de l’Église et de l’État, suppression de l’octroi, création de chantiers nationaux pour remédier au chômage et activer les travaux de défense, restitution des objets déposés au Mont-de-Piété, impôt exceptionnel sur les valeurs mobilières et immobilières, élection des commissaires de police.
À Lyon, la proclamation de la République le 4 septembre 1870 ne calme pas les ardeurs révolutionnaires. La chute du Second Empire n’est qu’une étape pour les militants républicains radicaux, socialistes ou anarchistes, qui veulent transformer la République politique en République sociale. Dans ce contexte, la ville devient l’un des foyers majeurs de l’Internationale ouvrière. L’arrivée de Mikhaïl Bakounine, le 15 septembre, donne un souffle nouveau aux aspirations les plus radicales. Le révolutionnaire russe, figure centrale du socialisme libertaire, entend faire de Lyon un centre d’impulsion d’une insurrection fédéraliste à l’échelle nationale. Aux côtés des dirigeants locaux de l’AIT — Albert Richard, Eugène Saignes, Gaspard Blanc — il organise des réunions où l’idée d’une Fédération révolutionnaire des communes est débattue avec enthousiasme.
Le 28 septembre, deux mouvements sociaux convergent vers l’Hôtel de ville : d’un côté, la manifestation décidée par les internationalistes pour proclamer la rupture avec le pouvoir central ; de l’autre, une protestation ouvrière contre la baisse des salaires sur les chantiers de fortification. Ce croisement entre mouvement politique et lutte sociale donne au rassemblement une ampleur inédite. Les manifestants envahissent l’Hôtel de ville. Depuis le balcon, Saignes proclame la création d’une Fédération des communes révolutionnaires, annonçant la fin de l’État centralisé et la montée d’un pouvoir communal. L’ex-officier Gustave Cluseret, tout juste arrivé de Paris, est nommé général en chef des « armées révolutionnaires ».
Mais cette tentative insurrectionnelle reste très fragile. Aucune réelle coordination n’est établie, la population ne suit pas massivement, les forces en présence sont désorganisées. Bakounine et Cluseret sont brièvement arrêtés puis relâchés, tandis que les ouvriers des chantiers se désolidarisent progressivement de l’action. Le soir venu, à l’appel du maire et sans grande résistance, la Garde nationale fidèle à la République modérée reprend l’Hôtel de ville. Cet échec fragilise durablement l’Internationale à Lyon, dont les dirigeants sont désormais perçus comme irresponsables, voire dangereux. L’événement marque la première confrontation réelle entre deux visions de la République : une république sociale décentralisée portée par les sections ouvrières, et une république d’ordre incarnée par la municipalité modérée.
Malgré le revers de septembre, les quartiers populaires de Lyon conservent un ferment révolutionnaire puissant. L’annonce de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871 ravive l’espoir d’un soulèvement fédéré. Le Comité central démocratique de la Garde nationale, resté fidèle à l’élan révolutionnaire du 4 septembre, convoque une assemblée le 22 mars au Palais Saint-Pierre. L’exigence est claire : la ville de Lyon doit se rallier à la Commune de Paris. En fin de journée, excédés par les atermoiements du maire Hénon et du préfet Valentin, plusieurs compagnies de la Garde nationale — notamment du quartier populaire de la Guillotière — pénètrent dans l’Hôtel de ville. Une commission provisoire est constituée, le drapeau rouge hissé, et Riciotti Garibaldi, fils du général italien Giuseppe Garibaldi, est nommé à la tête de la Garde nationale.
Le 23 mars au matin, une affiche proclame officiellement la Commune de Lyon, dans la continuité du comité de salut public né le 4 septembre 1870. L’objectif affiché est double : soutenir la Commune parisienne et instaurer une démocratie locale forte. Ses revendications sont similaires à celle de Paris : fédération des communes et rejet de l’État central ; République sociale, fondée sur l’égalité réelle ; Élection des magistrats, des fonctionnaires, et contrôle populaire ; Organisation du travail, défense des ouvriers et des pauvres. Cependant, ce pouvoir insurrectionnel, formé à la hâte, divisé et mal organisé, ne dispose ni de soutien militaire solide, ni d’un véritable appui populaire massif. Le mouvement n’est pas unifié et est tiré entre blanquistes centralisateurs, fédéralistes proudhoniens, socialistes pragmatiques et anarchisants. La direction du soulèvement elle aussi est partagée. Très vite, le contexte tourne à l’avantage des autorités. Les troupes régulières se rassemblent autour de la ville, et l’entrée dans Lyon, le 25 mars, des mobiles ayant défendu Belfort, accueillis en héros, redonne confiance aux modérés. Le soir même, sentant le vent tourner, la commission insurrectionnelle annonce sa démission, sans combat.
Le gouvernement Thiers, replié à Versailles, entend réprimer sans délai toutes les Communes insurrectionnelles de province. À Lyon, la garnison reste en grande partie fidèle à la République “légale”, et l’armée réagit rapidement. Le 25 mars, après à peine trois jours d’occupation, les troupes reprennent le contrôle de l’Hôtel de Ville. L’insurrection est matée sans effusion majeure de sang, mais de nombreux militants sont arrêtés, poursuivis ou poussés à l’exil.
Les deux tentatives communalistes lyonnaises de 1870 et 1871 traduisent la vitalité du mouvement révolutionnaire dans cette grande ville ouvrière et républicaine. Le rôle de Bakounine dans l’épisode de septembre symbolise l’irruption de l’anarchisme dans le paysage politique français. Quant à la Commune du 23 mars, elle montre la rémanence des aspirations à une République sociale décentralisée, dans le sillage de Paris. Mais ces expériences échouent pour plusieurs raisons : absence de coordination nationale, manque de soutien populaire massif, divisions internes, et surtout capacité de réaction rapide des autorités locales et militaires.
En avril 1871, alors que la Commune de Paris bat son plein, les quartiers populaires de Lyon restent animés d’une forte ferveur révolutionnaire. Le souvenir des journées de septembre 1870 et de mars 1871, bien que soldé par des échecs, n’a pas éteint l’ardeur des militants de l’Internationale et des partisans d’une République sociale. Au contraire, la répression grandissante et la volonté du gouvernement de Versailles de restaurer l’ordre bourgeois ravivent les tensions. Le décret du 14 avril 1871 sur l’organisation municipale constitue l’étincelle : en prévoyant des élections municipales pour le 30 avril tout en refusant aux villes de plus de 20 000 habitants le droit d’élire leur maire, la loi est perçue comme un affront à l’autonomie communale, un déni de démocratie locale. À Lyon, cette décision attise la colère populaire et relance les velléités insurrectionnelles.
C’est dans ce climat que s’organise une nouvelle tentative de soulèvement, préparée dans la clandestinité. À la tête de ce projet, on retrouve des militants chevronnés : des membres de l’Internationale, mais aussi des blanquistes, habitués à l’action insurrectionnelle et convaincus que la force seule permettra d’imposer un changement de régime. L’état-major révolutionnaire, bien que fragile, élabore un plan centré sur le quartier de la Guillotière, bastion ouvrier situé sur la rive gauche du Rhône. Le 30 avril, la population y répond massivement à l’appel à la résistance. Des drapeaux rouges sont hissés, des manifestants envahissent les bâtiments municipaux, et les barricades s’élèvent dans les rues. Une foule de près de 20 000 personnes se rassemble, déterminée à empêcher la tenue des élections et à proclamer de nouveau la Commune.
Face à cette mobilisation spectaculaire, l’armée hésite. L’effet de masse joue temporairement en faveur des insurgés. Les autorités municipales sont paralysées, tandis que la colère gronde dans les faubourgs. Mais la riposte ne tarde pas. Le préfet de Lyon, Henri Valentin, homme de confiance du gouvernement de Thiers, donne l’ordre de mater la rébellion. À la tombée de la nuit, les troupes régulières, appuyées par l’artillerie, attaquent les barricades. Les canons sont déployés dans les rues de la Guillotière, et l’assaut est d’une extrême brutalité. Le choc entre l’armée et les insurgés tourne rapidement au carnage. Malgré la résistance acharnée des habitants, les forces répressives reprennent le contrôle du quartier dans la nuit.
Au matin du 1er mai 1871, le calme est revenu, mais au prix du sang : une trentaine de morts jonchent les pavés de la Guillotière. Cette répression sanglante marque le dernier acte de la tentative communaliste à Lyon. Alors que Paris est encore en proie à la guerre civile, la ville des Canuts, bastion ouvrier et foyer du socialisme naissant, voit sa dernière flamme révolutionnaire s’éteindre sous les obus. La violence de la répression, l’isolement du quartier insurgé, et l’absence de coordination avec d’autres quartiers ou d’autres villes ont condamné la tentative dès ses premières heures.
À Lyon, comme dans d'autres villes de province, la Commune n’a pas sombré dans la violence ou l’utopie irréaliste, mais elle n’a pas su mobiliser au-delà des cercles militants. Elle reflète un moment d’espoir, bref mais intense, où des citoyens ont tenté de réinventer la République sur des bases fédéralistes et sociales. Son échec ouvre la voie, dès février 1871, à un net retour en force des conservateurs, qui remportent les élections. La ville rouge devient alors un champ clos entre mémoire révolutionnaire et ordre républicain modéré.
Le mouvement communaliste lyonnais est donc antérieur à celui de Paris même si dans sa partie finale, en mars 1871, il n’a pas l’ampleur de celui de Paris, ni même de Marseille ou Narbonne. Mais il témoigne de la dimension nationale du soulèvement de 1871, et de la volonté populaire, dans plusieurs grandes villes de France, d’instaurer une République, fédérale et sociale. Véritablement démocratique cela n'est pas possible sans tirage au sort et son contrôle avant, pendant et après mandat. Cela montre aussi que la coupure des métroploe d'avec leur arrièrepays a isolé les communes en recondudistinction ville-campagne que souhaite faire disparaître le communisme tant marxiste que blanquiste inspiré des réformes de Clisthène (cf. le livre de pierre Vidal-aquet ou les écrits d'Antoine Houlou-Garcia). La Commune de Lyon est souvent oubliée dans la mémoire collective, éclipsée par sa grande sœur parisienne. Pourtant, elle révèle combien le mouvement communaliste de 1871 fut profondément enraciné dans les réalités locales, nourri de revendications ouvrières, d’une défiance ancienne envers l’État central, et d’un idéal de démocratie directe. Elle a aussi été un moment de convergence entre ouvriers organisés, militants socialistes et anarchistes, qui allait marquer durablement le paysage politique radical de la ville. Si elle a échoué militairement, la Commune de Lyon fut une expérience politique intense, lucide et ambitieuse, qui annonce bien des combats du XXe siècle.
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