16 Juin 2025
À la fin du Second Empire, Toulouse est une grande ville du Midi où cohabitent une bourgeoisie modérée, des élites républicaines libérales, et une population ouvrière de plus en plus politisée. L’économie locale est touchée par les effets de la guerre de 1870, et les tensions sociales s’aggravent. La chute de Napoléon III en septembre 1870 et la proclamation de la République suscitent espoir et mobilisation populaire, mais aussi de profondes divisions : les républicains sont eux-mêmes écartelés entre modérés, radicaux, socialistes et internationalistes. Dans les mois qui suivent, les clubs politiques prolifèrent, les comités républicains s’organisent, et la Garde nationale devient le principal outil d’encadrement des quartiers populaires. La ville, bien que globalement républicaine, est politiquement instable, et la crainte d’une restauration monarchique ou d’un pouvoir autoritaire cristallise les colères. La proclamation de la Commune de Toulouse se fait le 24 mars 1871. Regardons cela.
Lorsque la nouvelle de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871 arrive à Toulouse, elle rencontre un écho immédiat dans les milieux populaires. Le 24 mars, un comité révolutionnaire toulousain proclame à son tour la Commune, dans un climat de forte effervescence. Ce comité est composé de militants républicains radicaux, de membres de l’Internationale ouvrière (notamment la section bakouniniste locale), et de figures influentes du mouvement ouvrier toulousain.
La principale instance des communards est le Comité révolutionnaire de mars 1871, animé notamment par Dounet, Soulié, Chardon, Borie dont nous allons faire les brefs portraits, est l’organe qui tente de coordonner l’action insurrectionnelle. Il existe en parallèle plusieurs clubs républicains, dont le Club du Peuple et le Club des Travailleurs, où ces figures prenaient la parole régulièrement avant l’insurrection.
Camille Dounet (1838–1901) – est le principal animateur de la Commune de Toulouse et sans doute la figure centrale de la Commune toulousaine. Ouvrier relieur, autodidacte, militant de la Première Internationale, il est influencé par les idées socialistes et proudhoniennes. Il avait déjà participé activement à la proclamation de la République en septembre 1870 à Toulouse. Le 24 mars 1871, il prend la tête du Comité insurrectionnel, qui tente de proclamer la Commune. Militant pacifiste, il espère un renversement du pouvoir de Versailles sans violence. Son éloquence, sa probité et son engagement ouvrier font de lui un personnage respecté, même au-delà du cercle révolutionnaire. Après l’échec du mouvement, il est arrêté, jugé à Toulouse en juillet 1871, mais bénéficie de circonstances atténuantes. Il reste ensuite engagé dans les luttes sociales du sud-ouest, devenant une figure respectée du socialisme municipal.
Jean-Baptiste Chardon – est un militant ouvrier et militant blanquiste, partisan de la révolution insurrectionnelle. Il joue un rôle actif dans l’organisation du mouvement à Toulouse, notamment dans la mobilisation des quartiers populaires. Moins connu que Dounet, il représente la frange plus déterminée, favorable à l’usage de la force pour s’opposer à l’armée de Thiers.
Joseph Soulié – est un journaliste républicain, communard et homme de lettres actif dans la presse radicale toulousaine. Il soutient la Commune par ses écrits et participe à la diffusion de tracts et appels à l’insurrection. Il fut poursuivi après l’échec du mouvement pour avoir « excité à la révolte contre le gouvernement légal ». Il symbolise le rôle des intellectuels progressistes dans la Commune.
Pierre Borie – typographe de métier, il appartient au milieu ouvrier instruit, souvent au cœur des mobilisations politiques du XIXe siècle. Les typographes, du fait de leur proximité avec les idées, les journaux, et les cercles de lecture, jouent souvent un rôle actif dans les mouvements socialistes, républicains et mutualistes. Il fait partie des militants actifs à Toulouse dans les années 1860-1870, probablement membre de cercles républicains radicaux et sympathisant de la Première Internationale, voire proche des idées proudhoniennes ou bakouninistes. Il aurait participé à la diffusion de tracts, à l’agitation dans les clubs politiques, et aux préparatifs de l’insurrection toulousaine de mars 1871. Lors de la proclamation de la Commune de Toulouse en mars 1871, Pierre Borie aurait participé aux débats dans les clubs, notamment ceux animés par les ouvriers de la Garde nationale. Il aurait aussi siégé, brièvement, dans une commission populaire visant à organiser les services publics locaux pendant l’insurrection. Comme de nombreux militants de province, Borie est probablement arrêté après la chute du mouvement mais on perd ensuite sa trace dans les grandes biographies communardes, ce qui suggère qu’il n’a pas connu de destin spectaculaire comme la déportation ou l'exil. Il est donc représentatif de cette génération militante silencieuse.
La prise de l’Hôtel de Ville, acte symbolique fort, est menée avec le soutien de sections de la Garde nationale. Une administration provisoire est établie, composée d’élus du peuple et de représentants des quartiers ouvriers. L’objectif est clair : faire de Toulouse une commune libre, liée aux autres communes insurgées dans un projet fédéraliste et démocratique, inspiré du modèle de 1793 mais aussi des idéaux proudhoniens et bakouninistes. Comme dans d’autres villes insurgées, la Commune de Toulouse ne dispose que de peu de temps et de moyens pour mettre en œuvre son programme. Toutefois, ses intentions sont limpides. Elle entend : instaurer l’élection directe des magistrats et des responsables municipaux ; proclamer l’autonomie des communes et leur fédération volontaire ; soutenir les ouvriers et les plus pauvres par des aides sociales et le contrôle des prix ; affirmer une République démocratique, sociale et décentralisée, en opposition au régime autoritaire de Thiers. La Commune toulousaine exprime une défiance croissante envers l’Assemblée nationale élue en février 1871, largement monarchiste, et dont le déplacement à Versailles est vu comme un reniement des idéaux républicains.
Dans son livre La Commune à Toulouse, le radical Duportal (1814-1887) relate les faits :
« À proprement parler, la proclamation de la Commune à Toulouse n'est pas un mouvement communaliste et n'a pas la signification socialiste qui l’a affectée à Paris et dans quelques autres villes des départements. C'est une question de garde nationale qui a provoqué ce mouvement, et c'est exclusivement la garde nationale qui l'a consommé, sans la participation d'aucun élément socialiste et avec la seule attache révolutionnaire du moment et du prétexte choisi pour le faire éclater. L'Internationale et ses mots d'ordre ne sont pour rien dans tout ce qui s'est passé, et les magistrats instructeurs qui ont mis deux grands mois à sonder les profondeurs de cette algarade de corps de garde ont dû bien étonner MM. les officiers supérieurs de la garde nationale, chefs naturels de ce mouvement de pompons rebiffés, s'ils leur ont posé la question de connivence avec l'infernale association. »
Dans L’Émancipation du 26 mars, le journal radical de Duportal on trouve ces mots :
« Le corps d'officiers de la garde nationale sédentaire au grand complet est entré un instant après. Ils ont rencontré le préfet quittant la préfecture, ainsi qu'il l'avait annoncé à M. de Kératry. M. Duportal étant revenu sur ses pas pour leur donner audience, MM. les officiers lui ont déclaré à l'unanimité que, loin de soutenir l'Assemblée, ils étaient prêts à marcher contre elle.
M. Duportal leur a alors appris que, n'étant plus préfet, il ne pouvait se charger de transmettre leurs dispositions au Gouvernement.
Les officiers ont déclaré, à leur tour, que si le Gouvernement ne voulait pas rompre avec l'Assemblée et faire la paix avec les parisiens, ils étaient prêts à proclamer la Commune comme expression de leur répugnance contre les auteurs de toutes les difficultés de la situation. »
« À ce mot de Commune, des cris enthousiastes de « Vive la Commune ! Vive Paris ! » ont éclaté de toutes parts, et les officiers ont ajouté qu'ils étaient à cet égard les interprètes de la garde nationale tout entière, réunie en ce moment en bon ordre sur la place de la préfecture. Le préfet leur a donné acte de cette déclaration et les officiers, prenant la tête de leurs compagnies respectives, se sont dirigés vers la place du Capitole, où un piquet d'honneur a en quelque sorte entraîné le préfet lui-même. »
La Commune de Toulouse fait face à une répression rapide et déterminée comme pour les autres villes de province. Dès les premiers jours, la Commune se heurte à une opposition ferme des autorités préfectorales. Le préfet, fidèle à Thiers, refuse de reconnaître l’insurrection et organise la riposte. Les forces de l’ordre, appuyées par des unités militaires, entreprennent la reconquête progressive de la ville. Le rapport de force est inégal. Les insurgés toulousains manquent d’armes, de munitions, et surtout de coordination. Les tentatives d’extension du mouvement aux faubourgs ou aux villes voisines échouent. Le 3 avril, la révolte est écrasée. L’Hôtel de Ville est repris, et les meneurs sont arrêtés. Les conséquences sont lourdes : arrestations, condamnations à la prison ou à l’exil. Certains militants fuient vers l’Espagne ou vers Paris, espérant rejoindre la Commune encore debout.
Si la Commune de Toulouse est brève et rapidement réprimée, elle révèle la profondeur du malaise social et politique du Midi républicain et elle témoigne aussi de l’élan communaliste de 1871, il n'a pas été un phénomène purement parisien, mais un mouvement national, enraciné dans des luttes sociales, des traditions révolutionnaires locales avec l’aspiration à une République plus juste.
Toulouse, comme Marseille, Narbonne ou Lyon, a connu sa propre tentative de démocratie directe, de justice sociale, d’autonomie municipale. La Commune y fut une expérience politique lucide, même si éphémère, qui influencera durablement les cercles socialistes, fédéralistes et anarchistes du sud de la France.
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