PENSEE / Lutte et sélection chez Deleuze et Nietzsche
Lutte et sélection chez Deleuze
Le petit extrait qui suit explique non seulement l'attrait de Nietzsche et Deleuze pour Lamarck plus que pour Darwin, mais surtout la distance qu'avait le Deleuze d’avant 68 pour l'engagement politique.
C'est le propre des valeurs établies d'être mises en jeu dans une lutte, mais c'est le propre de la lutte de se rapporter toujours à des valeurs établies : luttes pour la puissance, lutte pour la reconnaissance ou lutte pour la vie, le schéma est toujours le même. ... Les seules valeurs que [la lutte] crée sont celles de l'esclave qui triomphe : la lutte n'est pas le principe ou le moteur de la hiérarchie, mais le moyen par l'expression active des forces, ni la manifestation d'une volonté de puissance qui affirme; pas plus que son résultat n'exprime le triomphe du maître ou du fort. La lutte, au contraire, est le moyen par lequel les faibles l'emportent sur les forts, parce qu'ils sont le plus grand nombre. C'est pourquoi Nietzsche s'oppose à Darwin : Darwin a confondu la lutte et la sélection, il n'a pas vu que la lutte avait le résultat contraire à celui qu'il croyait ; qu'elle sélectionnait, mais ne sélectionnait que les faibles et assurait leur triomphe [VP°I,395] .
La joute demeure un duel et n'est donc jamais le triomphe du plus grand nombre. Si chez Deleuze,10 ans après, apparaît le concept de machine de guerre avec lequel même Guattari avait des problèmes quand certains de ses amis étrangers disait vouloir en venir à la lutte armée et à sa violence (notamment ses amis chiliens ou argentins). Il n’en demeure pas moins que le combat ou la guerre (le polemos) n’est pas la lutte, faite d’une honte toute révolutionnaire : N’est pas Sartre qui disait que Marx avait raison de dire que « la honte est révolutionnaire ».
La joute chez Nietzsche
Les dimensions de joute et de guerre ne sont pas étrangères à l'éducation guerrière défendue par Nietzsche, il en héritait d'Héraclite. Le guerrier n’est pas celui qui exerce inconsidéremment sa violence, si l’on doit caractériser le guerrier ; il est mu par deux choses l’audace et la prise de risque. Son propre investissement est donc entier, au sens où il ne se repose qu’une fois la tâche accompli, le rythme du guerrier n’est donc pas celui du quotidien de beaucoup de salariés. On peut toute fois se demander, si Nietzsche par le terme de joute (agôn), n’introduit pas une nuance supplémentaire entre la lutte des plus nombreux pour leur reconnaissance et le combat au sein de la sphère créatrice de la société, qui tient de la joute, du duel où les nombre entre chaque partie en conflit est identique ou réduite. L’Etat ou le Pouvoir en place n’y intervient pas directement, car cette forme de joute entre hommes libres et avant tout une sélection entre pairs, une manière d’évaluer la force de chacun. Voir pour cela un de ses premiers textes appelé la joute chez Homère ou l’ensemble des textes intitulés la philosophie à l’époque tragiques des Grecs. Nous avions parler dans un post sur les arts martiaux de cette composante affective qui consiste à faire ressentir une peur libératrice chez l’adversaire (c’est la troisième forme de poing, la troisième manière de porter un coup).