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La Philosophie à Paris

PHILOSOPHE / Theodor W. Adorno

PHILOSOPHE / Theodor W. Adorno

Theodor W. Adorno
(1903–1969)

Philosophe allemand, sociologue, musicologue et théoricien de la culture, né en 1903 à Francfort-sur-le-Main. Figure majeure de l'École de Francfort, Theodor Wiesengrund Adorno est l’un des penseurs les plus influents et les plus intransigeants du XXe siècle. Son œuvre s’inscrit dans un effort critique total visant à penser les ravages du fascisme, les métamorphoses du capitalisme tardif, les transformations de la culture de masse et les impasses de la rationalité occidentale. Pensée difficile, souvent hermétique, mais d’une rigueur et d’une lucidité redoutables, sa philosophie s'est toujours voulue fidèle à une exigence éthique : celle de tirer les leçons d’Auschwitz. La pensée d’Adorno est marquée par une tension constante entre la rigueur théorique et l’exigence éthique. Refusant toute consolation facile, il défend une philosophie qui n’oublie pas la souffrance du réel, et qui refuse de se réconcilier avec un monde toujours menacé par la barbarie. Il est l’un des penseurs qui ont le plus profondément interrogé les échecs de la modernité et les promesses trahies des Lumières.

Formation et premières œuvres
Adorno grandit dans un environnement intellectuel riche, baigné de musique et de culture. Il fut très tôt influencé par son mentor Siegfried Kracauer et par les figures de la phénoménologie allemande, notamment Husserl, à qui il consacre sa thèse de doctorat en 1924. Son premier projet d’habilitation (nécessaire à une carrière académique) est rejeté – comme celui de son ami Walter Benjamin. Mais à la seconde tentative, en 1931, il parvient à obtenir son habilitation avec une thèse sur Kierkegaard. 
Ce court répit académique est cependant interrompu par l’accession au pouvoir des nazis en 1933. Adorno, d’origine juive par sa mère, est rapidement déchu de son droit d’enseigner. Il quitte l’Allemagne et s’installe à Oxford, puis à New York où Max Horkheimer, directeur de l’Institut für Sozialforschung (Institut de recherche sociale), l’invite à rejoindre l’équipe de l’École de Francfort, exilée à Columbia University. Il y collabore aussi à des recherches sur les médias de masse, notamment à la Princeton Radio Research Project, s’intéressant à la portée idéologique de la radio.

L’exil américain et la critique de la modernité
Adorno s’installe à Los Angeles en 1941, dans une communauté d’exilés allemands comprenant Thomas Mann, Arnold Schoenberg ou encore Bertolt Brecht. C’est durant cette période qu’il rédige, avec Horkheimer, le texte fondamental de la théorie critique, Dialectique de la raison (Dialektik der Aufklärung, 1944). Dans cet ouvrage, les deux penseurs développent une thèse radicale : la raison occidentale, héritée des Lumières, s’est pervertie en un instrument de domination. La rationalité instrumentale, axée sur l’efficacité et la maîtrise, a préparé le terrain à la barbarie moderne. Auschwitz, loin d’être un accident de l’histoire, serait ainsi le produit immanent de la civilisation occidentale. 
Cette critique s’étend à la culture moderne, que les auteurs analysent dans leur célèbre chapitre sur l’industrie culturelle. Celle-ci transforme l’art et la pensée en produits standardisés et interchangeables, contribuant à l’apathie politique et à la régression de la conscience critique. La culture devient un outil d’aliénation plutôt qu’un vecteur d’émancipation.

Un pessimisme lucide : penser après Auschwitz
Cette ligne critique se poursuit dans deux œuvres majeures :

  • Minima Moralia (1951), recueil d’aphorismes rédigés en exil, sous-titré « Réflexions issues de la vie endommagée », où Adorno scrute les blessures morales et sociales infligées par le nazisme et le capitalisme.
  • Dialectique négative (1966), son ouvrage philosophique le plus dense et radical, dans lequel il proclame une nouvelle "impératif catégorique" : penser et agir de manière à empêcher qu’Auschwitz ne se reproduise. Adorno y refuse toute pensée affirmative, toute réconciliation prématurée avec le réel. Il propose une "dialectique négative" qui vise à maintenir la tension entre concept et réalité, entre théorie et souffrance.

Il y formule aussi l'une de ses phrases les plus célèbres et controversées : « écrire un poème après Auschwitz est barbare ». Il ne s’agit pas pour lui de condamner la poésie, mais de pointer l’impossibilité de la beauté ou de l’expression esthétique traditionnelle après une telle catastrophe, à moins de tomber dans le mensonge ou la complaisance.

Retour en Allemagne et dernière décennie
Malgré ses critiques profondes de la société allemande, Adorno retourne à Francfort en 1953. Il y occupe une chaire de philosophie et sociologie et reprend la direction de l’Institut pour la recherche sociale. Il continue de publier activement : des textes sur la musique (il était aussi musicologue), sur les médias (télévision, horoscopes, culture populaire), et surtout La personnalité autoritaire (1950), enquête pionnière sur les dispositions psychologiques au fascisme dans la société américaine. 
Il développe également une critique virulente de Heidegger, qu’il accuse d’utiliser un langage obscurantiste et idéologiquement suspect (Le Jargon de l’authenticité, 1964). À la fin de sa vie, il travaille à une grande synthèse de sa pensée esthétique, publiée à titre posthume sous le titre Théorie esthétique (1970), dans laquelle il explore la capacité paradoxale de l’art à critiquer la société depuis l’intérieur même du système marchand.

Conflit avec les mouvements étudiants et mort
Dans les années 1960, Adorno devient une figure de plus en plus contestée, notamment par la nouvelle gauche étudiante. Si lui-même est solidaire de leur opposition à la guerre du Vietnam, il refuse leur spontanéisme, leur anti-intellectualisme et leur violence symbolique. En 1969, une altercation avec un groupe d’étudiants à l’Institut, suivie d’un appel à la police, le bouleverse profondément. Épuisé par les tensions, il part en vacances en Suisse, où il meurt d’une crise cardiaque après une ascension en montagne.

Œuvres :

  • L'actualité de la philosophie et autres écrits, traduction et annotation de Pierre Arnoux, Julia Christ, Georges Felten, Anne Le Goff, Florian Nicodème et Matthias Nicodème, sous la direction de Jacques-Olivier Bégot, Rue d'Ulm, 2008, nouv. éd. 2018.
  • Kierkegaard. Construction de l'esthétique (1933), trad. Éliane Escoubas, Payot, 1995 ; rééd. Klincksieck, coll. Critique de la politique, 330 p., 2025.
  • Le Caractère fétiche dans la musique et la régression de l'écoute (1938), trad. Christophe David, Éditions Allia, 2001, 2020.
  • (avec Max Horkheimer) La Dialectique de la Raison (1944), trad. Eliane Kaufholz, Gallimard, 1974 (« Le Schéma de la culture de masse », trad. Christophe David, Mortibus, no 10-11, automne 2009).
  • La psychanalyse révisée (1946), traduction de J. Le Rider, suivi de Jacques Le Rider, L'allié incommode, Paris, Éditions de l'Olivier, Collection: « Penser, rêver », 2007, ([lire en ligne]
  • Philosophie de la nouvelle musique [« Philosophie der neuen musik »] (trad. de l'allemand par Hans Hildenbrand et Alex Lindenberg), Paris, Gallimard, coll. « Tel » (n° 42), 1962 (1re éd. allemande 1948 (de)), 222 p. 
  • Essai sur Wagner (1952), trad. Hans Hildenbrand et Alex Lindenberg, Gallimard, 1966.
  • Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, trad. Eliane Kaufholz et Jean-René Ladmiral, Payot, 1980
  • Prismes (1955), trad. Geneviève et Rainer Rochlitz, Payot, 1986
  • Contribution à une métacritique de la théorie de la connaissance, Études sur Husserl et les antinomies de la phénoménologie (1956), trad. de l'allemand et anglais par Christophe David et Alexandra Richter, Payot, 2011
  • (de) Dissonanzen. Musik in der verwalteten Welt (1956).
  • Notes sur la littérature (1958, 1961, 1965, 1974), trad. Sibylle Muller, Flammarion, 2004 (Extraits)
  • Mots de l'étranger et autres essais. Notes sur la littérature II, trad. L. Barthélémy et G. Moutot, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 2004
  • Figures sonores (1959), trad. Marianne Rocher-Jacquin, Contrechamps, 2006
  • Gustav Mahler : une physionomie musicale (1960), trad. Jean-Louis Leleu et Theo Leydenbach, Minuit, 1976.
  • Introduction à la sociologie de la musique (1962), trad. Vincent Barras et Carlo Russi, Contrechamps, 1994
  • Trois études sur Hegel (1963), trad. Collège de philosophie, Payot, 1979
  • Modèles critiques I (1963) et II (1965), trad. Marc Jimenez, Eliane Kaufholz, Payot, 1984, 2003
  • (de) Der getreue Korrepetitor. Lehrschriften zur musikalischen Praxis, S. Fischer, 1963.
  • Quasi una fantasia. Écrits musicaux II (1963), trad. Jean-Louis Leleu, 1982
  • Moments musicaux (1964), trad. Martin Kaltenecker, Contrechamps, 2003
  • Jargon de l'authenticité. Sur l'idéologie allemande (1965), trad. Éliane Escoubas, Payot,, 1989, rééd. 2009
  • Dialectique négative (1966), trad. Collège de philosophie, Payot, 1978
  • (de) Ohne Leitbild. Parva Aesthetica (1967)
  • (de) Impromptus (1968)
  • Alban Berg : le maître de la transition infime (1968), trad. Rainer Rochlitz, Gallimard, 1989
  • Musique de cinéma (avec Hanns Eisler, 1969), trad. Jean-Pierre Hammer, L'Arche, 1972
  • Kulturindustrie : raison et mystification des masses (trad. de l'allemand par Eliane Kaufholz), Paris, Allia, 2012, 112 p. (ISBN 979-10-304-1066-2)
  • (de) Œuvres complètes, sous la direction de Rolf Tiedemann, 20 vol., Suhrkamp (1970-1980)
  • (de) Nachgelassene Schriften (Écrits posthumes), édition en cours depuis 1993, Suhrkamp.

Écrits inachevés :

  • Théorie esthétique (1970), trad. Marc Jimenez, Klincksieck, 1974, 2011
  • Sur Walter Benjamin (1970), trad. Christophe David, Gallimard, 2001, rééd. Allia, 1999. 
  • Beethoven. Philosophie de la musique, préface Jacques-Olivier Bégot, trad. Sacha Zilberfarb, Rue d'Ulm, 2020. (de) Beethoven. Philosophie der Musik. Fragmente und Texte, 1993.
  • Der Schatz des Indianer-Joe. Singspiel nach Mark Twain, 1979.
  • Zu einer Theorie der musikalischen Reproduktion, 2001.

Écrits sociologiques :

  • Soziologische Schriften I, Suhrkamp, 1972, dont : La psychanalyse révisée, trad. Jacques Le Rider, Éditions de l'Olivier, 2007. Introduction, Sociologie et recherche empirique, Sur la logique des sciences sociales dans: Theodor W. Adorno, Karl R. Popper e. a., De Vienne à Francfort: la querelle allemande des sciences sociales, Éditions Complexe, 1979
  • Soziologische Schriften II, 2 vol., Suhrkamp, 1975, dont : The Psychological Technique of Martin Luther Thomas' Radio Addresses, Stanford University Press, 2000. 
  • Des étoiles à la terre : analyse de la rubrique astrologique du "Los Angeles Times" : étude sur une superstition secondaire (1974), trad. Gilles Berton, Exils, 2007.

Cours publiés :

  • (de) Kants Kritik der reinen Vernunft (1959) ; La "Critique de la raison pure" de Kant, trad. fr. Michèle Cohen-Halimi, dir. Rolf Tiedemann, Klincksieck, coll. Critique de la politique, 288 p., 2024.
  • (de) Probleme der Moralphilosophie (1963) ; Problèmes de la philosophie morale, trad. fr. Isabelle Kalinowski, Klincksieck, coll. Critique de la politique, 1996, 208 p.
  • Métaphysique, concept et problèmes (1965), trad. Christophe David, Payot, 2006.
  • (de) Zur Lehre von der Geschichte und von der Freiheit (1964-65), 2001; Leçons sur l’histoire et sur la liberté, trad. Laurent Cantagrel, Klincksieck, coll. Critique de la politique, 345 p., 2024.
  • (de) Ontologie und Dialektik (1960-61), 2002.
  • (de) Vorlesung über Negative Dialektik. Fragmente zur Vorlesung (1965-66), 2003.
  • Terminologie philosophique I et II » (Philosophische Terminologie I und II, 2016), édité par Henri Lonitz, traduit de l’allemand par Marc de Launay, Klincksieck, « Critique de la politique », 2022, 638 p.

Correspondance :

  • Theodor W. Adorno et Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940 (1992), trad. Philippe Ivernel, La Fabrique, 2002
  • Theodor W. Adorno et Alban Berg, Correspondance 1925-1935 (1999), trad. Marianne Dautrey, Gallimard, 2006
  • Theodor W. Adorno et Paul Celan, Correspondance, trad. Christophe David, Nous, 2008
  • Theodor W. Adorno et Thomas Mann, Correspondance 1943-1955, trad. Pierre Rusch, Klincksieck, 2009
  • Theodor W. Adorno et Siegfried Kracauer, Correspondance 1923-1966, trad. Wolfgang Kukulies, Le Bord de l'eau, 2018

Pour aller plus loin :

  • Arno Münster, Adorno, Une Introduction, Editions Hermann, 2008, Paris, 270 p.
PHILOSOPHE / Theodor W. Adorno
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