21 Avril 2025
Max Horkheimer
(1895–1973)
Max Horkheimer naît en 1895 à Stuttgart, dans une famille juive prospère, spécialisée dans le textile. Cette enfance dans le confort bourgeois lui donne paradoxalement très tôt une conscience aiguë des injustices sociales engendrées par le capitalisme. S’il entre initialement dans l’entreprise familiale, ce n’est que par devoir filial, car sa vocation profonde se situe ailleurs : dans la pensée critique, la philosophie, la compréhension des mécanismes sociaux.
En 1917, il est conscrit pour le service militaire, mais en est exempté pour raisons médicales. Cette période marque un tournant. Libéré de ses obligations militaires, il peut enfin s’adonner à ses passions intellectuelles. En 1919, il s’inscrit à l’université de Munich pour étudier la philosophie, la psychologie et l’économie. Son engagement politique et intellectuel naissant se manifeste même dans des circonstances étonnantes : il est arrêté par erreur, pris pour l’écrivain révolutionnaire Ernst Toller. Cela en dit long sur le climat agité de l’après-guerre et sur les tensions sociales qui nourriront sa pensée future. Il poursuit ensuite ses études à l’université de Francfort, puis à Fribourg, où il côtoie des figures majeures comme Edmund Husserl et Martin Heidegger. Il soutient sa thèse sous la direction de Hans Cornelius, un professeur rigide, qui rejettera par la suite les travaux de deux proches de Horkheimer : Theodor Adorno et Walter Benjamin.
Le moment décisif de sa carrière survient en 1930, lorsqu’il est nommé directeur de l’Institut für Sozialforschung (Institut de Recherche Sociale) de Francfort. Son discours inaugural en 1931 est un manifeste fondateur : il y définit les grandes orientations d’une philosophie sociale interdisciplinaire, qui lie philosophie, sociologie, économie, culture et psychologie. Il plaide pour une actualisation du marxisme, qui ne soit pas limitée aux dimensions économiques, mais qui intègre les questions de culture, de subjectivité et de domination idéologique. Très vite, le contexte politique le rattrape : la montée du nazisme contraint Horkheimer à organiser l’exil de l’Institut.
Après un passage par Genève, l’équipe se fixe à New York en 1934, au sein de Columbia University. Horkheimer s’installe aux États-Unis avant les autres, et orchestre patiemment le transfert des chercheurs de l’Institut, sauf Walter Benjamin, resté tragiquement en Europe. Durant cet exil, Horkheimer coordonne un important travail de recherche sur l’autorité, la famille et la psyché dans les sociétés modernes. Mais les ressources financières s’épuisent en 1939, ce qui entraîne la dispersion temporaire de l’équipe. Horkheimer poursuit malgré tout sa réflexion, notamment avec la publication de « Théorie traditionnelle et théorie critique » en 1937, un texte majeur qui définit les fondements de la théorie critique : une approche de la société qui s’oppose à la neutralité prétendue de la science, et qui vise une transformation radicale de l’ordre social.
Sa collaboration la plus célèbre reste toutefois « La Dialectique de la Raison » (Dialectic of Enlightenment), coécrite avec Theodor Adorno en 1944 à Los Angeles. Ce livre-phare de l’École de Francfort est une méditation sombre sur les promesses trahies des Lumières, montrant comment la rationalité moderne, au lieu d’émanciper l’humanité, peut aussi devenir un outil de domination (via la technique, les médias, la rationalisation de la vie sociale). Les auteurs y analysent la montée du nazisme, non comme une aberration isolée, mais comme le fruit logique de processus présents dans toutes les sociétés industrielles modernes.
Après la guerre, Horkheimer retourne à Francfort en 1949. Il rouvre l’Institut en 1950 et devient recteur de l’université entre 1951 et 1953. Bien qu’il écrive peu dans les années suivantes, il continue d’exercer une forte influence. Il enseigne à l’université de Chicago avant de prendre sa retraite en 1955. Il meurt en 1973, à l’âge de 78 ans.
Apports théoriques majeurs
La Théorie critique. Horkheimer est le principal fondateur de ce courant, qui s’oppose à la théorie traditionnelle (objective, positiviste, neutre). La théorie critique est une pensée radicale qui :
La Théorie critique passe aussi par une critique de la raison instrumentale ou techique. Avec Adorno, Horkheimer montre que la rationalité moderne (issue des Lumières) a glissé vers une raison purement instrumentale, centrée sur l’efficacité et le contrôle, au détriment de la raison critique, éthique, libératrice. Ce détournement ouvre la voie à la technocratie, au conformisme, et même au totalitarisme.
Analyse de la culture, de l’autorité et de la famille comme modes de la domination. Sous sa direction, l’Institut mène des recherches pionnières sur les structures familiales et les racines psychologiques de l’obéissance, qui influencent des travaux ultérieurs comme « La personnalité autoritaire ». Horkheimer est l’un des premiers à penser que la culture de masse – loin d’être un espace neutre ou libérateur – peut devenir un outil de contrôle idéologique subtil, en façonnant les désirs, les perceptions, et les comportements.
Ouvrages majeurs
Pour aller plus loin - Études secondaires :