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La Philosophie à Paris

PHILOSOPHE / Donna Haraway

Donna Haraway
(née en 1944)

Donna Haraway est une théoricienne féministe, historienne des sciences et critique culturelle américaine, dont les écrits pionniers explorent les zones de friction entre les humains, les animaux, les machines et les récits scientifiques qui les façonnent. Elle est surtout connue pour ses deux « manifestes » – A Cyborg Manifesto (1985) et The Companion Species Manifesto (2003) – qui ont profondément marqué la pensée contemporaine sur les identités hybrides, les relations interespèces et la technoscience.

Haraway est née à Denver, dans le Colorado, dans une famille marquée par un fort ancrage culturel : son père, journaliste sportif, et sa mère, issue d’une tradition catholique irlandaise, jouent chacun un rôle formateur dans son imaginaire. Elle évoque tendrement cette origine dans When Species Meet (2008), notamment dans un chapitre intitulé « Notes of a Sportswriter’s Daughter ». Si elle s’éloigne plus tard de la religion institutionnelle, elle revendique néanmoins l’influence durable du catholicisme, notamment de ses concepts d’incarnation et de transsubstantiation – qu’elle lit comme des opérations de fusion entre le matériel et le symbolique, thème majeur de toute son œuvre.

Après des études de zoologie et de philosophie à Colorado College, Haraway obtient un doctorat à Yale, où elle s’intéresse d’abord à la biologie expérimentale. Mais l’univers du laboratoire la déçoit, et elle oriente sa thèse vers l’étude des métaphores scientifiques dans la biologie du développement. Publiée sous le titre Crystals, Fabrics and Fields (1976), cette thèse propose une idée audacieuse : les systèmes théoriques en biologie reposent toujours sur des métaphores structurantes, qui influencent profondément la recherche. Elle enseigne ensuite à l’Université d’Hawaï et à Johns Hopkins, avant de rejoindre en 1980 le programme d’History of Consciousness à l’Université de Californie à Santa Cruz, où elle devient la première professeure de théorie féministe aux États-Unis. Elle y enseignera toute sa carrière.

À travers ses différents écrits, Haraway explore un thème central : la frontière entre nature et culture – non pas pour la fixer, mais pour la troubler. Elle adopte une approche dialectique au sens marxiste du terme, en montrant comment ces catégories sont mutuellement dépendantes. Bien que ses idées entrent en résonance avec la déconstruction, elle affirme s’être tournée tardivement vers Derrida ou Spivak, malgré ses passages par Yale et Johns Hopkins, alors foyers du poststructuralisme. Elle reconnaît néanmoins l’influence de Deleuze et Guattari (notamment pour le concept d’assemblage) tout en rejetant leur notion de devenir, qu’elle juge trop désincarnée. Elle revendique davantage un héritage de Whitehead, Peirce et Heidegger.

Son livre Primate Visions (1989) montre comment les sciences du comportement animal projettent sur les primates des catégories culturelles humaines – en particulier autour de la race, du genre et de l’agressivité. Elle y forge le concept de Simian Orientalism, inspiré d’Edward Said, pour désigner cette tendance à voir les singes comme des versions primitives de l’humain occidental. Mais c’est A Cyborg Manifesto (1985), publié dans Simians, Cyborgs and Women (1991), qui établit Haraway comme une figure incontournable de la scène intellectuelle. Ce texte visionnaire, rédigé à l’époque Reagan–Thatcher, explore la montée de l’informatique militaire, la transformation du vivant en données, et les identités fragmentées de l’ère technologique. Refusant à la fois le postmodernisme et le réalisme, Haraway y défend une pensée de la vérité située, faite de connexions partielles et d’instabilités fécondes. Elle y voit dans la figure du cyborg un trickster utopique : ni humain ni machine, ni nature ni culture, mais une manière de composer avec le troubleCe motif utopique se prolonge dans Modest_Witness@Second_Millennium. (1997), où Haraway s’attaque à ce qu’elle appelle le fétichisme génétique – une critique de la manière dont les gènes sont traités comme des objets isolables, autonomes et commercialisables, au mépris de leur ancrage corporel et relationnel.

Depuis les années 2000, Haraway oriente ses recherches vers les relations entre humains et animaux, dans une perspective éthique et politique. Avec The Companion Species Manifesto (2003) et When Species Meet (2008), elle explore la co-construction des identités entre espèces, à partir de sa propre relation avec ses chiens. Pour elle, un chien n’est pas simplement un « chien », pas plus que l’humain ne l’est en soi : nous devenons avec les autres. Elle y défend une ontologie relationnelle, non-transcendantale, pensée comme une danse où les êtres co-émergent à travers leurs interactions.

Dans Staying with the Trouble (2016), elle pousse plus loin cette réflexion. Elle rejette le terme d’Anthropocène, qu’elle juge trop centré sur l’humain, et propose à la place le concept de Chthulucene – un monde enchevêtré d’interdépendances terrestres, où la sympoïèse (le faire-avec) remplace l’autopoïèse (le faire-seul). Fidèle à son éthique de la relation, elle y appelle à cultiver des parentés choisies, des alliances inattendues, des « lignées de compagnonnage » avec les vivants non-humains.

Pour aller plus loin :

  • D. Haraway, Manifestly Haraway (2016)

  • J. Schneider, Donna Haraway: Live Theory (2005)

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