21 Avril 2025
École de Francfort
L'École de Francfort désigne collectivement un groupe de penseurs ainsi que le corpus théorique associé, issus ou proches de l'Institut für Sozialforschung (Institut de recherche sociale), un centre indépendant affilié à l’université de Francfort. En 1937, Max Horkheimer définit l’approche de l’Institut comme une théorie critique, un terme qui deviendra pratiquement synonyme de l’École de Francfort. Aujourd’hui encore, dans certains cercles des Cultural Studies anglo-américains, cette école est parfois perçue à tort comme élitiste, austère et méfiante vis-à-vis de la culture populaire. Une telle vision caricaturale révèle à la fois une méconnaissance des textes et une posture idéologique défensive face à la critique du capitalisme qu’elle développe.
Fondé en 1923 grâce au soutien financier de Felix Weil, fils d’un riche marchand de céréales, l’Institut visait à expérimenter avec les idées marxistes, de manière large et non orthodoxe. Son autonomie financière lui permettait une liberté rare : il n’était pas tenu d’enseigner ou de produire des recherches répondant à une commande. Le premier directeur, Carl Grünberg, professeur autrichien de droit et de politique, entretenait des liens étroits avec l’Institut Marx-Engels de Moscou et se distinguait par l’audace de publier clandestinement des manuscrits inédits de Marx et Engels — un acte risqué dans le contexte politique de l’époque. Mais les jeunes membres de l’Institut le trouvaient peu imaginatif. C’est avec l’arrivée de Max Horkheimer à la direction en 1930 que l’Institut gagne en cohérence et en rayonnement intellectuel.
Horkheimer révolutionne l’Institut en intégrant de nouveaux collaborateurs et en favorisant une approche plus philosophique du marxisme. Il encourage la psychanalyse comme outil d’analyse sociale, encore marginale à l’époque, et fonde avec Leo Löwenthal la revue Zeitschrift für Sozialforschung (Revue de recherche sociale), qui deviendra un organe central du projet intellectuel. Des figures comme Theodor Adorno, Herbert Marcuse, Erich Fromm et Leo Löwenthal rejoignent l’Institut, apportant des perspectives innovantes sur la culture, l’autorité, l’aliénation et la modernité. Walter Benjamin, bien qu’il ne soit jamais membre à part entière, est également une figure centrale à son influence.
Horkheimer, observant la montée du nazisme, prend l’initiative de transférer l’Institut à Genève en 1931, protégeant ainsi ses membres — majoritairement juifs — des persécutions. En 1934, l’Institut s’installe à New York et s’associe à l’université Columbia, un choix révélateur de son éloignement progressif du marxisme soviétique. Depuis cette base, Horkheimer utilise les ressources de l’Institut pour aider d’autres intellectuels à fuir l’Europe fasciste. Mais en 1939, de mauvaises décisions financières contraignent l’Institut à réduire ses activités. Des chercheurs, comme Erich Fromm, doivent partir, provoquant des tensions internes.
Pendant la guerre, l’Institut s’installe à Los Angeles, dans une forme plus informelle. Après la guerre, à l’invitation du gouvernement ouest-allemand — en partie pour réparer les injustices du nazisme — l’Institut retourne à Francfort. C’est à ce moment-là que l’appellation « École de Francfort » devient courante. En 1958, Horkheimer cède la direction à Adorno, dont la contribution, bien que brillante, est assombrie par sa décision malheureuse de faire intervenir la police contre les étudiants protestataires en 1969. L’École attire cependant des penseurs majeurs, notamment Jürgen Habermas, qui deviendra l’un des plus importants intellectuels du XXe siècle.
L’Institut existe encore aujourd’hui, perpétuant une tradition de recherche interdisciplinaire — l’une des plus grandes contributions de l’École de Francfort aux sciences humaines et sociales. En effet, ses membres ont refusé de cloisonner les disciplines, combinant philosophie, psychanalyse, théorie marxiste, sociologie et économie pour appréhender la complexité du monde moderne.
Dans le sillage de l’École de Francfort, Herbert Marcuse partage avec Fromm une ambition commune : comprendre les formes modernes d’aliénation et imaginer une issue émancipatrice. Mais leurs diagnostics diffèrent profondément. Là où Fromm insiste sur les mécanismes psychiques qui poussent les individus à désirer leur propre servitude, Marcuse, dans L’Homme unidimensionnel (1964), met l’accent sur la manière dont le capitalisme avancé intègre la critique elle-même dans sa logique, rendant la révolte quasiment impensable. Fromm, quant à lui, reste attaché à l’idée que la transformation intérieure est la condition d’une transformation sociale. Là où Marcuse cherche dans l’art, l’éros ou la jeunesse des forces de rupture, Fromm croit en la reconstruction d’une éthique humaniste et universaliste, fondée sur l’autonomie, l’amour et la responsabilité. Le conflit entre les deux hommes a été marqué : Fromm reprochait à Marcuse son pessimisme technocratique, Marcuse à Fromm son "idéalisme petit-bourgeois".
On pourrait encore parler de Jürgen Habermas qui y est venu étudier et enseigner à l’Institut de Recherche sociale de Francfort-sur-le-Main. En 1956, il obtient une bourse qui le fait devenir l'astitant de Max Horkheimer et de Theodor Adorno. Il y rencontre Herbert Marcuse qui dès 1956 le fait passé du marxisme orthodoxe à la lecture de Freud et du jeune Marx.