27 Juillet 2025
Maboula Soumahoro est l’une des voix les plus importantes de la pensée noire francophone contemporaine. Maboula Soumahoro est une conférencière recherchée, une enseignante engagée, une intellectuelle publique. Elle intervient dans les universités, les prisons, les festivals, les médias, les institutions. Elle participe à des documentaires, des podcasts, des émissions. Elle fait une apparition dans le film Ouvrir la voix d’Amandine Gay (2017), et collabore avec des artistes, des écrivain·es, des chercheur·es. Elle soutient les collectifs afroféministes comme Mwasi, le comité Adama Traoré, Décoloniser les arts, et participe à des événements comme le camp d’été décolonial. Elle critique les formes d’antiracisme institutionnel comme SOS Racisme, qu’elle accuse d’avoir dépolitisé la lutte contre le racisme. Elle défend une pensée accessible, non élitiste, transdisciplinaire, qui relie les savoirs universitaires et populaires, les récits intimes et les structures sociales. Elle affirme que la parole est un acte politique, que le silence est une violence, et que la transmission est une responsabilité. Le travail de Maboula Soumahoro s’inscrit dans le champ des French diaspora studies, discipline émergente qui croise histoire, sociologie, littérature, anthropologie et philosophie politique pour penser les trajectoires noires dans l’espace francophone. Elle s’inspire des travaux de Paul Gilroy (The Black Atlantic), Stuart Hall, Édouard Glissant, bell hooks, Frantz Fanon, Maryse Condé, Audre Lorde, et développe une pensée située entre trois continents.
Née le 3 février 1976 à Paris, Maboula Soumahoro est issue d’une famille dioula ivoirienne. Ses parents, arrivés de Côte d’Ivoire à la fin des années 1960 pour étudier et travailler, s’installent dans la banlieue parisienne. Elle grandit au Kremlin-Bicêtre, dans un quartier populaire, au sein d’une fratrie de sept enfants, élevée principalement par sa mère célibataire. Cette enfance, marquée par la précarité sociale, la fierté diasporique et la richesse culturelle, constitue le socle de sa pensée future. Elle raconte avoir longtemps cru que son avenir se trouvait en Côte d’Ivoire, avant de comprendre, au fil de ses expériences, que la France était aussi son pays, et que son identité ne pouvait être réduite à une seule appartenance. Cette tension entre origine et ancrage, entre héritage africain et socialisation française, devient l’un des fils conducteurs de son œuvre. Elle s’intéresse particulièrement à la double appartenance, à la socialisation raciale, à la mémoire de l’esclavage, à la construction des identités noires en France, et à la manière dont les personnes racisées doivent sans cesse traduire, expliquer, justifier leur présence dans un pays qui les considère comme étrangères.
En 1999 Maboula Soumahoro obtient une maîtrise avec un mémoire sur The Creation of the State of Liberia à l’Université Paris-Est Créteil, où elle avait entamé des études d’anglais. Elle poursuit ensuite un DEA sur le nationalisme noir, d’abord retoqué pour “communautarisme”, ce qui l’amène à changer d’université pour pouvoir le soutenir. Elle s’inscrit en doctorat à l’Université François-Rabelais de Tours, sous la direction de Claudine Raynaud, spécialiste des études afro-américaines.
Aux débuts des années 2000, elle effectue plusieurs séjours aux États-Unis, notamment à Columbia University à New York, où elle est chercheuse invitée (2002–2003) puis enseignante (2008–2009). Elle y découvre une autre manière de penser la race, la diaspora, l’histoire, et affirme que c’est là-bas qu’elle est “devenue noire” — non pas biologiquement, mais politiquement. Cette expérience transforme son rapport à la France, à l’Afrique, à l’Atlantique.
En 2008, elle soutient une thèse intitulée La couleur de Dieu ? Regards croisés sur Nation of Islam et le Rastafarisme, 1930–1950, qui interroge les spiritualités noires comme formes de résistance politique et identitaire. Elle devient ensuite maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’Université de Tours, où elle enseigne les études afro-américaines, les diasporas noires et les théories critiques.
Maboula Soumahoro est aussi une militante engagée.
En 2013, elle est nommée par le Premier ministre membre du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE). Elle y milite pour une reconnaissance pleine de l’histoire coloniale et esclavagiste de la France, et pour une transmission pédagogique et culturelle de cette mémoire.
En 2012, elle cofonde l’association Black History Month France, qui organise chaque année les Journées Africana, événements culturels et intellectuels consacrés aux mondes noirs. Elle y défend l’idée que l’histoire noire est aussi une histoire française, et que la République doit faire face à ses silences.
En 2020, Maboula Soumahoro publie Le Triangle et l’Hexagone. Réflexions sur une identité noire aux éditions La Découverte. Ce livre, à la croisée de l’essai, de l’autobiographie et de la critique sociale, est une méditation sur l’identité noire en France, à partir de son propre parcours. Le titre fait référence à deux géographies : le Triangle atlantique, espace de la traite négrière entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques, et l’Hexagone, métaphore de la France. Elle y raconte son enfance, ses études, ses voyages, ses lectures, ses blessures, ses colères, ses joies. Elle y théorise la charge raciale, le privilège blanc, la violence symbolique de l’universalisme républicain, et la nécessité de penser depuis les marges. Elle y affirme que l’objectivité scientifique est une illusion, et que le corps, l’expérience, la subjectivité sont des sources légitimes de savoir. Elle revendique une épistémologie incarnée, qui refuse la neutralité, le surplomb, la distance. Ce livre reçoit le Prix littéraire Maryse Condé, est traduit en anglais sous le titre Black Is the Journey, Africana the Name (Polity Press, 2021), et devient une référence dans les cercles universitaires, militants et littéraires.
En 2022, elle obtient une bourse de la Villa Albertine pour un séjour de recherche à Atlanta, ville emblématique de la culture afro-américaine. Elle y travaille sur la traduction de son œuvre en performance multimédia, mêlant texte, image, son, mémoire, spiritualité. Elle y explore les passages entre les langues, les lieux, les temps, dans une logique de relation, au sens glissantien. « Je suis fille de l’Hexagone et de l’Atlantique. » Cette phrase résume sa trajectoire : française et ivoirienne, noire et européenne, universitaire et militante, enracinée et diasporique. Elle incarne une pensée mobile, fluide, relationnelle, qui refuse les assignations, les clôtures, les essentialismes.
« La charge raciale, c’est ce à quoi toute personne qui n’est pas blanche doit faire face quotidiennement dans des sociétés qui ne sont pas conçues pour l’inclure. »