8 Juillet 2025
Née Gloria Jean Watkins le 25 septembre 1952 à Hopkinsville, petite ville du Kentucky encore marquée par la ségrégation raciale, bell hooks grandit dans une famille ouvrière noire. Son père est concierge, sa mère domestique. Elle est l’une des six enfants d’un foyer modeste, mais profondément attaché à l’éducation et à la lecture. C’est dans cette enfance marquée par la pauvreté, le racisme et le sexisme qu’elle forge une conscience aiguë des rapports de pouvoir. Elle choisira plus tard le pseudonyme bell hooks, en hommage à son arrière-grand-mère maternelle, et l’écrira sans majuscules pour signifier que l’important n’est pas l’autrice, mais le contenu de ses livres. Ce geste, à la fois modeste et radical, résume son éthique : décentrer l’ego pour recentrer la pensée.
Après des études secondaires dans des écoles noires, puis intégrées, elle obtient une licence d’anglais à Stanford University (1973), une maîtrise à l’Université du Wisconsin (1976), puis un doctorat en littérature à l’Université de Californie à Santa Cruz (1983), avec une thèse sur Toni Morrison.
Mais son véritable apprentissage, dit-elle, vient de l’expérience vécue : celle d’être pauvre, noire, femme, et en colère. À Stanford, elle découvre l’invisibilisation des femmes noires dans les programmes. Elle décide alors de produire ses propres savoirs, depuis la marge, pour recentrer les voix minorées.
À 19 ans, elle commence à écrire ce qui deviendra son premier essai majeur : Ain’t I a Woman? Black Women and Feminism, publié en 1981. Le titre reprend le célèbre discours de Sojourner Truth, ancienne esclave devenue militante abolitionniste, qui interrogeait déjà en 1851 l’exclusion des femmes noires du féminisme blanc. Dans ce livre, bell hooks démonte les trois oppressions imbriquées qui pèsent sur les femmes noires : le racisme, le sexisme et le classisme. Elle critique à la fois :
- le féminisme blanc, qui ignore les réalités des femmes racisées ;
- le mouvement noir, souvent sexiste et patriarcal ;
- le capitalisme, qui exploite les femmes pauvres.
Elle y écrit : « Les femmes noires contemporaines eurent l’impression qu’on leur demandait de choisir entre un mouvement noir qui servait les intérêts des hommes noirs sexistes et un mouvement féministe qui servait ceux des femmes blanches racistes. » Ce livre devient un texte fondateur de l’afroféminisme, bien avant que le mot ne soit popularisé.
Une pensée intersectionnelle avant l’heure. Avant même que le terme intersectionnalité ne soit forgé par Kimberlé Crenshaw en 1989, bell hooks en incarne la pratique. Elle montre que les oppressions ne s’additionnent pas, mais s’entrelacent dans des expériences spécifiques. Être femme noire, ce n’est pas être femme + noire : c’est une position sociale singulière, souvent ignorée par les discours dominants.
Elle développe cette idée dans Feminist Theory: From Margin to Center (1984), où elle critique le féminisme institutionnel pour son aveuglement de classe et de race. Elle y appelle à un féminisme inclusif, radical, populaire, qui parte des marges pour transformer le centre.
bell hooks a publié plus de 40 ouvrages : essais, poèmes, livres pour enfants, autobiographies, critiques culturelles. Cela en fait une œuvre prolifique, accessible et transversale. Parmi ses titres majeurs :
Talking Back: Thinking Feminist, Thinking Black (1989) – sur la parole comme acte de résistance ;
Black Looks: Race and Representation (1992) – sur les stéréotypes raciaux dans les médias ;
Killing Rage: Ending Racism (1995) – sur la colère noire comme force politique ;
Bone Black: Memories of Girlhood (1996) – récit autobiographique de son enfance ;
All About Love: New Visions (2000) – réflexion sur l’amour comme pratique politique ;
The Will to Change: Men, Masculinity, and Love (2004) – appel à une masculinité libérée du patriarcat.
Son style est clair, direct, accessible, loin du jargon académique. Elle écrit pour toutes et tous, pas seulement pour les universitaires. Elle dit : « La théorie est un lieu de guérison. »
Enseignante à Yale, Oberlin, City College of New York, puis à Berea College (Kentucky), bell hooks développe une pédagogie critique, inspirée de Paulo Freire. Pour elle, enseigner, c’est aimer, écouter, libérer. Elle refuse la hiérarchie professeur·e/élève, prône l’apprentissage mutuel, la parole partagée, la désobéissance intellectuelle. Elle fonde en 2014 le bell hooks Institute, espace de recherche, d’archives et de transmission féministe, dans sa ville natale.
Dans les années 2000, bell hooks se tourne vers une réflexion sur l’amour comme force transformatrice. Dans All About Love, elle affirme que l’amour n’est pas un sentiment, mais un acte de volonté, de soin, de responsabilité. Elle y voit une alternative au capitalisme, au patriarcat, à la haine de soi. Elle écrit : « L’amour de soi est le fondement de notre pratique de l’amour. » Elle critique la masculinité toxique, appelle les hommes à se libérer du patriarcat, et propose une politique de la tendresse.
bell hooks meurt le 15 décembre 2021, à 69 ans, des suites d’une longue maladie. Son œuvre est traduite dans plus de 15 langues, étudiée dans les universités du monde entier, citée dans les mouvements féministes, antiracistes, queer, décoloniaux. Elle laisse une pensée vivante, incarnée, radicale et accessible, qui continue d’inspirer. les afroféministes francophones comme Rokhaya Diallo, Kiyémis, Maboula Soumahoro, les pédagogues critiques, les militant·es queer et antiracistes s'en inspire.
bell hooks n’a jamais séparé la théorie de la vie, ni la politique de l’amour. Elle a écrit pour celles et ceux qu’on n’écoutait pas, pour les enfants, pour les mères, pour les hommes blessés, pour les femmes en colère, pour les rêveuses et les fatigués. Elle a montré que penser peut être un acte de soin, que l’amour peut être une stratégie révolutionnaire, et que la parole peut être une arme douce et tranchante à la fois. Elle disait : « Je suis en train d’écrire pour que les gens ne se sentent plus seuls. » Et c’est peut-être cela, son plus grand legs.