REPONSE A SANCHO / Rebondir
« la science de Platon » : Platon n’a nullement inventé la philosophie, la pratique de la pensée mais a fixé l’effervescence philosophique des penseurs qui le précédaient en introduisant dans la pensée beaucoup de ressentiment parce qu’il avait râté sa carrière politique. Il a surtout introduit en philosophie le genre de l’Autre, qui parce qu’il était trop abstrait et rigide ne pouvait se confondre, dévoyant ainsi toute la riche pensée des physiciens (comme Héraclite, Empédocle…) et celle de son « père » le théoricien Parménide, qui inventa la célèbre phrase que penser et exister c’est le même délire : le même (la même chose) est à la fois penser et être. Tout platonicien comprendra alors que le à la fois est vide, parce que la dialectique est une pense de genres, c’est-à-dire d’ensembles purs. Alors pour Platon le même (pris comme un genre) ne pouvait permettre à lui seul de penser les différences dans la nature, il fallait y adjoindre de l’autre : horreur, gabegie. Ainsi Platon dévoya la pensée. Ceci se joue dans le dialogue sur le sophiste, dialogue qui repris par Aristote introduira la métaphysique en occident. Quand Sancho étudiera le sophiste là on sera fixés.
Pas sûr que l’ivresse de vivre ou l’ivresse d’exister soit « philosophique ». Nullement, pas besoin de philosophie pour ça. La philosophie a d’autres tâches bien plus indélébiles comme indiquer ce qui n’est pas mais peut advenir avec vigueur, comme introduire deux dimensions que sont l’infini et l’éternité (attention ce n’est nullement l’idée de penser en immortel comme le veut Aristote). Chez Badiou malheureusement, le penseur académique, le réchauffé de Platon, ça se transforme en immortalité (grande prétention) et en interminable (parce que Badiou à une grande peur de commettre des désastres comme quand Platon en appelait à tuer tous les poètes et les sophistes de la cité). Mais il est fort probable que l’envie de se relever, l’ivresse de se dépasser dans une direction donnée par la philosophique soit « philosophique ». A ce moment-là la philosophie disparaît dans le rythme de la vie, comme l’envisageait Hegel, comme le polissait Spinoza.
Quand tu dis des choses fort abruptes à propos du Qu’est-ce que la philosophie ? de Deleuze, (du philosophe qui jette un regard derrière lui sur sa vie en se demandant ce qu’il a fait tout du long) tu as sans doute raison. « On a étouffé la philosophie », dis-tu, ça alerte mais ta lecture révèle bien que les concepts fixes pour un moment le flux de la vie. Tu n’es pas le seul à avoir en horreur ce livre de Deleuze, un temps je me suis détourné de Deleuze à cause de ses derniers livres, Mon maître Loraux aussi, j’ai dû le « persuader » de dire du « bien » de Deleuze à la Sorbonne parce que c’était le seul qui pouvait le faire. Comble du comble, c’est aussi pour cela que Badiou aime tant Qu’est-ce que la philosophie ?, ce dernier a un flair de chien de chasse pour repérer les livres qui seyent si bien à son teint philosophique, qui catégorisent. Tout ceci tient à la question qui consiste à définir et non à pratiquer dans l’ivresse ou l’intensité la philosophie. Au comment ça marche Deleuze avec l’inadvertance de Guattari passe au qu’est-ce que c’est-y donc ça. Ce que tu as expérimenté là bon nombre de lecteurs en ont fait certainement l’expérience, je me suis détourné un temps de Deleuze, avant d’écrire Deleuze et les deux éternités pour bien comprendre que chez lui deux pensées ont coexisté l’une formelle (son ontologie qu’il a fait tout seul) et l’autre plus subversive (qu’il n’aurait pas atteinte sans Guattari et ses étudiants. José Gil (la contreverse avec Badiou dans la revue multitudes) et Alain Beaulieu (sa thèse sur Deleuze et la phénoménologie) pensent de même au fond. C’est même le parti pris de Badiou qui a permis d’éclairer tout ça. JE DIRAI JUSTE POUR TE RECONCILIER QUE CE QUI A DE L’IMPORTANCE, DE L’INTERET C’EST DE VIBRER. Et là Sancho no problemo.
Ca me permet d’embrayer sur ta petite allusion au fait que ça serait absurde de distinguer problèmes et faux-problèmes. C’est juste que les seconds ne disparaissent jamais insolubles comme l’équation p=(non-p) ou la fameuse et très conne question métaphysique pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien (je sais pour toi ça serait la marque exalté de l’étonnement face au mode, mais là encore c’est parce que tu ramène tout à « moi » que personnellement et mes amis on n’en veux pas). Ca ne mène à rien, sans doute toi ça te fait bander tout les matins mais d’autres (d’anciens dépressifs comme moi, ils ont pleins de noms que tu pourra lire dans les prochains articles) ça ne les soulagent guère, ça ne leur apporte rien, ça ne libère aucun shakra. Insensiblité de ce point de vue là. Je te laisse donc avec « ce message propre à la philosophie est humaniste et politique au plus fort sens du terme, c'est-à-dire en un sens résolument subversif et gros d’avenir » (ibid).
Pour relever quelques faux-problèmes, quelques problèmes qui persistent chez toi donc : on a « le moi, c’est un problème qui m’assaille plus fort que tous les problèmes du monde. » (Qu'est-ce qu'il y a?), la personne qui « ne voit aucun problème à dire « je veux » » (JE suis génial!), « il y a un problème vertigineux du moi. » ou encore « Le seul remède à la bêtise est pourtant la conscience aiguë que ce moi est bien un problème. » (le moi). Et puis après le faux-problème du moi et du monde (de l’existence qui n’est pas l’être) on a les « problèmes d’école » interminables (Le philosophe et l'érection) et pour finir « on vient de buter sur l’un des plus vieux problèmes de la philosophie, l’un des plus désespérants aussi » et après cela tu me diras qu’il n’y a pas de faux-problèmes, des problèmes qui empêchent la pensée de se mouvoir. Car peut-être admettras-tu qu’on ne pense jamais seul, ou alors il te faudrait ne pas tenir compte de cet article, qu’au fond on délire toujours à deux et comme tu le relèves très bien sur ton blog "On ne peut pas être ivre tout seul" (dixit malingénie). Et même si tu ne nous parles pas d’un moi narcissique donc ton moi tu peux gentiment (:-p) te le mettre au cul (moi solaire et iradiant), simplement parce qu’un jour ton moi va être refroidi et que ça va pas être du joli tu vas être ressentimenteux de ne plus être exalté. Pour prendre un exemple après l’ivresse de la coupe du monde qu’est-ce qui se passe, après ce « panem et circensem » spécial spectateurs, et bien l’ambiance retombe et on en garde pas grand chose sinon un souvenir de joie. Mais comme il n’y a eu aucun effort de la part du spectateur (je ne parle pas des braillements et des encouragements), on a atteint aucune éternité, aucune intensité qui affirme la vie, parce que là-dedans il n’y avait aucune rigueur, juste un délire jouissif et nihiliste auquel j’ai, avec mon petit moi mégalo, participé. Tu te rends compte. Attention j’essaye pas de te dégriser juste de te dire qu’il saut savoir cadrer le délire, d’où la notion de rigueur empruntée à Bergson, après t’inquiètes pas on peux se lâcher, mais le jeu ne consiste pas, s’il est philosophique, à dériver sans fin, sans faire de rencontre, sans faire de noo-choc (pour faire style pop philo).
Enfin pour finir tu parles à un moment donné d’ivresse provoquée, de même que tu parles ailleurs d’ivresse avec du vin, de l’ecstasy, ou tout autre substances, pour moi c’est la même chose puisque comme tu le fait remarquer à partir de deleuze et ce ses extraits sur Miller on peut se saouler avec un vers d’eau. Ca m’arrive de me saouler avec de l’air et de me lancer dans de grand enthousiasme avec mon frère ou un pote mais il faut que je sois accompagner. Le meiux c’est quand c’est une fille ou mon professeur Loraux qui me provoque une ivresse de penser, la plupart des textes que tu aimes bien sont écrits dans cet état et signé le Cazals, parce qu’ils procèdent d’un effort surmonté par un délire, une inspiration qui me prend aux lèvres et aux articulations, qui me soulèvent la peau (certainement les capillaires qui se réveillent). Ca bouillonne. Et alors on ne peut plus dire que l’ivresse d’exister ne soit plus une ivresse de pensée. Simplement parce qu’une perfection d’essence et une perfection d’existence c’est la même chose, pensée et exister varie de la même manière. Le même est à la fois penser et être. Histoire de rembarrer ton : « c’est une fausse ivresse. C’est une ivresse de la pensée et des mots. Ce n’est pas une ivresse d’exister, d'exister avec les autres, d’être au monde. » (Retour sur l'ivresse de Phèdre), même si au fond nous sommes d’accord et que c’est un malentendu sur les mots. Je sais je vais passer pour un vilain monsieur, mais j’ai juste envie d’épingler un peu d’éternité dans ton « existence » et j’ai surtout pas envie d’aiguillonner ta conscience. Simplement parce que tout le monde peut vivre cela (un moment d’éternité, d’intensité inoui) dès lors qu’il en prend le risque et qu’il s’en donne la peine. Car pour finir ce qui fait la philosophie c’est qu’on sait qu’on a atteint quelque chose et qu’un jour ou l’autre on pourra le réatteindre, j’ai éviter d’employer le verbe acquérir par que l’intensité c’est elle qui vous possède, mais tout les philosophes disent au fond ce qui est acquis, l’est pour toujours. Donc l’autonomie que Deleuze et Guattari on produit une fois est reproductible question de sillage que l’on a chez Nietzsche ou dans les aspects « mystiques », une façon d’indiquer autre chose que le moi. En quelques mot je joue le rôle du Dépeupleur (celui que Badiou a joué dans ma trajectoire) « Mais je commence, enfin je l’espère, à y voir clair (je crois que je suis encore capable de faire machine arrière, si je m’aperçois que toute mon approche de la philosophie comme ivresse n’est qu’un égarement, mais alors ce sera pour ne plus jamais tenter de philosopher » (Socrate se voile ). Il faut juste réduire le champ de tir, Zidane au vestiaires. Coup de boule ! Coup de boule !
PS la question Qui suis-je? reste la pire des questions parce qu’elle amène pleins de problèmes dans les pattes, dixit mon maître Loraux, au sujet de Sartre et ses problèmes de conscience. Personnellement ce n’est pas une question qui m’a effleuré dans mon existence mais peut-être suis-je un cas pathologique pour répondre à cette question et ramener tout à des problèmes d’individus.
PPS Réponse en ayant fait aucune citation de Nietzsche qui ne manqueraient pas pour égayer tout ça. Mais tu comprendras peut-être pourquoi Delezue ne répondait pas souvent aux journalistes, mais facilement aux questions de ces étudiants, en fait il cherchait à produire du langage intime ou minoritaire (logos endiatitos) et non du langage dissuasif comme je viens de le faire (logos prophoricos). Peut-être que le vaccin aura son effet inverse que l’aiguillon de Socrate. Espérons en tout cas.