15 Juin 2025
Le maoïsme français, bien qu'inspiré de la pensée de Mao Zedong, est un phénomène singulier, propre à l'histoire politique, intellectuelle et sociale de la France post-1968. Il ne s'est jamais constitué en force de masse durable, mais a laissé une empreinte marquante sur une génération de militants, d'étudiants et d'intellectuels. Le maoïsme français n'est pas une simple transposition du maoïsme chinois. Il s’agit plutôt d’une appropriation critique et localisée de cette idéologie par des intellectuels français, en rupture avec le marxisme-léninisme stalinien et avec le réformisme du Parti communiste français (PCF). Le maoïsme français naît d'un double rejet : celui du stalinisme et du réformisme. Même le PSU, bien que plus ouvert, est perçu comme trop modéré, Alain Badiou y fera un passage. Il émerge autour de Mai 68, qui agit comme catalyseur de radicalité. Mai 68 révèle une jeunesse étudiante en rupture avec les institutions politiques et syndicales. Au delà de ça, pour de nombreux jeunes militants, la Révolution culturelle chinoise apparaît comme un modèle vivant de révolution permanente.
Le maoïsme français a été plus un style de militantisme qu’un courant idéologique cohérent. Toutefois, les leitmotivs du maoïsme français sont le refus du révisionnisme soviétique, l'importance de l'avant-garde intellectuelle plus que du parti électoraliste, l'internationalisme révolutionnaire, la critique radicale de l'État, de la légalité et des institutions bourgeoises.
L'anti-révisionnisme est marqué par le rejet de l’URSS, accusée d’avoir trahi le marxisme au profit d’un capitalisme d’État et la condamnation du PCF pour sa soumission à Moscou et son parlementarisme. La dictature du prolétariat et rôle de l’avant-garde prône l'importance du parti révolutionnaire dirigé par des intellectuels, un léninisme assumé supposant une conscience politique apportée aux masses « de l’extérieur », une solidarité active avec les luttes anti-impérialistes : Vietnam, Palestine, Angola, Chine, etc. Le troisième monde vu comme le moteur de la révolution mondiale, inspiré de Les damnés de la Terre de Fanon, ce qui amènera l'expression tiers-monde, calquée sur le tiers-état. En sus, la critique radicale de l’État bourgeois se marque d'un refus de participer aux élections tout en contestant le droit, la légalité, les institutions comme la justice, l'école, l'armée. Alain Badiou invente le slogan « Il faut briser le droit bourgeois ».
Deux grands courants maoïstes structurent la période post-68, le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF), créé en 1967, est dogmatique, soutenu par la Chine, et prône un maoïsme orthodoxe et la Gauche Prolétarienne (GP), fondée en 1969, est plus activiste et populaire, proche de figures comme Alain Geismar ou Benny Lévy. Elle se distingue par la pratique de l'établissement (des intellectuels vont travailler en usine) et une solidarité internationaliste très active. La différence entre ces deux grands courants est le rapport au Parti, le second courant prône davantage l'organisation politique : il faut s'organiser.
Les maoïstes français adoptent des pratiques militantes radicales comme 1°) l'établissement en usine pour militer depuis l'intérieur du monde ouvrier, 2°) l'intervention dans les grèves sauvages, contre la CGT jugée trop institutionnelle, 3°) le soutien aux luttes des travailleurs immigrés, notamment la grève des loyers des foyers Sonacotra ainsi que 4°) des interventions culturelles comme la perturbations de spectacles et la critique publique du droit bourgeois.
Pour rappel, on distingue deux grands pôles dans le maoïsme français post-68 :
Créé en 1967, soutenu officiellement par la Chine, ce parti est structuré, hiérarchisé, dogmatique et est très proche du modèle chinois par le culte de Mao, la ligne de masse et la révolution culturelle. Très rigide dans son fonctionnement, il reste toutefois marginal. Les principales actions du PCMLF, sont l'organisation de manifestations pro-Chine maoïste, particulièrement pendant la Révolution culturelle, la publication de brochures, journaux militants, et diffusion de la propagande maoïste orthodoxe et des tentatives d’implantation dans les quartiers ouvriers et les usines. Le parti s'aligne sur les positions du gouvernement chinois et dénonce les « dérives spontanéistes » de la Gauche prolétarienne. Première personnalité notable. Jacques Jurquet (membre d'organisation maoïste de 1965 à 1985, exclu du PCF en 1964), résistant, employé de mairie à Marseille puis après guerre (1946) fonctionnaire des impôts, secrétaire de rédaction de L'humanité nouvelle (1965-1969) puis de L'humanité rouge (1969-1980), un des fondateur du Parti communiste marxiste-léniniste de France (décembre 1967-novembre 1968), à nouveau son direigeant de 1973 à 1983 et qui sort de la clandestinité en 1978 sous le nom de Parti communiste marxiste-léniniste (PCML). Seconde personnalité notable. François Marty, résistant, instituteur, membre du PCF (1926-1964 après exclusion), fondateur du journal Le Travailleur Catalan en 1936 cofondateur avec Jacques Jurquet du Parti communiste marxiste-léniniste de France, directeur du journal L'Humanité nouvelle, de l'organisation PCMLF. On compte aussi l'historien Jean-Luc Einaudi, spécialité sur le massacre du 17 octobre 1961.
Fondée en septembre 1968 par des anciens de l’UJC(ml), dont Benny Lévy (alias Pierre Victor), Olivier Rolin, Alain Geismar, elle est l’un des principaux groupes maoïstes français de l'après 68. C'est l’organisation la plus dynamique, inventive, influente médiatiquement. Moins doctrinaire, plus « activiste », la Gauche Prolétarienne met l’accent sur l’établissement en usine, c’est-à-dire que des intellectuels, souvent issus de l’Université de Vincennes ou de la Sorbonne, allaient travailler dans les usines pour militer directement auprès des ouvriers et pour se « prolétariser », on peut penser au livre de Robert Linhart, L'établi. Cette organisation militante mêlait l'action directe avec des interventions dans les usines, les quartiers ou les prisons c'est-à-dire lutte politique, culture populaire, et intervention directe dans les luttes sociales, on peut penser à la participation aux grèves sauvages de mai-juin 68 et soutien aux comités de grève autonomes ou aux interventions culturelles et politiques dans les milieux étudiants et ouvriers, avec des campagnes contre la bureaucratie syndicale et le réformisme du PCF. Elle prônait aussi une solidarité internationaliste avec le Vietnam, la Palestine, le Portugal, entre autres. Comme figures emblématiques, on retiendra Alain Geismar, l’un des leaders étudiants de Mai 68, très impliqué dans la GP ; Benny Lévy, philosophe proche de cette mouvance, il s’est plus tard tourné vers d’autres engagements, messianisme juif et sionnisme ; Henri Weber, militant trotskiste proche, souvent associé au milieu, notamment à Vincennes. Elle s’est auto-dissoute en novembre 1973, débordée par d’autres courants radicaux et internes.
Les autres groupes militants qui gravitent autour des deux courants principaux ou qui les précèdent et leur succèdent sont :
Fondée en 1966 après une scission avec les Jeunesses Communistes, elle est à l'origine de la Gauche Prolétarienne. Elle joue un rôle central dans les mobilisations étudiantes de 1968 avant d'être dissoute par décret gouvernemental. Elle prône le militantisme étudiant, soutien aux luttes ouvrières, diffusion de la pensée maoïste orthodoxe. Il a lancé des Comités Vietnam et ont beaucoup insisté sur la lutte anti-impérialiste. Une partie d’eux a contribué à la création de la Gauche Prolétarienne. Plusieurs jeunes militants normaliens qui ont fondé la Gauche Prolétarienne venaient de l’UJCml, comme Jean-Marc Salmon ou André Glucksmann avant qu’il ne se tourne vers le libéralisme. On note aussi Sylvain Lazarus et Natacha Michel, qui ont ensuite fondé l’UCFml. Comme actions notables, on peut relever l'organisation de manifestations de soutien au Vietnam et à d’autres luttes anti-impérialistes, la diffusion massive de tracts et brochures maoïstes et la création des Comités Vietnam de Base, qui mobilisaient les étudiants contre la guerre au Vietnam.
Les Comités militants créés par des étudiants maoïstes et gauchistes sont souvent affiliés à l’UJCml ou à la GP. Solidaires de la lutte vietnamienne contre l’impérialisme américain, ils organisent des manifestations, font de la propagande politique. Ils ont joué un rôle important dans la politisation des étudiants, en introduisant des perspectives internationales et anti-impérialistes.
L'Union des Communistes de France marxiste-léniniste (UCFml)
Organisation de jeunesse du Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF) créée en 1969 par des militants comme Alain Badiou, Natacha Michel ou Sylvain Lazarus à partir des Comités pour le Parti Communiste Révolutionnaire marxiste-léniniste, l’UCFml privilégie l’intervention idéologique et l’organisation de comités ouvriers autonomes. Elle incarne une forme plus théorique et « philosophe » du maoïsme. L’UCFml reste peu présente dans les récits dominants sur les années 1970. Pourtant, son engagement concret auprès des ouvriers immigrés et sa volonté de construire un militantisme de terrain en font un acteur important de la période. Ses militants ont tenté d’accompagner les révoltes plutôt que de les diriger. S’ils n’ont pas su créer une force durable, ils ont contribué à maintenir vivante l’idée d’un camp populaire en lutte contre l’ordre établi.
Moins connu, ce courant se concentre sur la propagande révolutionnaire dans les usines et sur la critique du syndicalisme traditionnel. Il conserve un ton très radical et une ligne durement anti-révisionniste.
Ces collectifs sont un soutien actif à la grève des foyers Sonacotra, une des luttes majeures des travailleurs immigrés. Ils organisent en plus des manifestations contre la répression et les discriminations dans les usines et les quartiers populaires et sensibilisent aux conditions de vie dans les foyers et dénonciation de la ségrégation raciale. on y retrouve encore Natacha Michel, militante maoïste engagée dans ces luttes, cofondatrice de l’UCFml et Sylvain Lazarus, intellectuel proche de ces mouvements, engagé dans la lutte pour les droits des immigrés.
C'est un groupe militant culturel lié à l’UCFml qui se fait remarquer pour ses activités de perturbation de spectacles et manifestations artistiques jugés réactionnaires, diffusion de bulletins critiques sur la culture bourgeoise. Il a pour particularité de représenter une forme d’intervention culturelle maoïste, visant à « décoloniser » les espaces culturels.
A-t-il existe un Groupe pour la Fondation de l’Union des Communistes Français Marxiste-Léniniste (UCFml) ?
Fondé au début des années 70 par d’anciens membres déçus de la GP, dont Sylvain Lazarus et Natacha Michel, ce groupuscule intervient dans les luttes ouvrières, notamment dans les usines, ainsi que dans les luttes des travailleurs immigrés. Ils ont défendu un maoïsme plus militant et moins dogmatique. Ils ont tenté de combiner la théorie marxiste-léniniste avec une attention aux mouvements sociaux locaux et aux luttes anti-coloniales.
Il a existé en France un maoïsme qui va au-delà du folklore révolutionnaire et qui ne s’est pas limité aux postures théâtrales des futurs journalistes ou communicants en quête de radicalité. Il a aussi tenté de s’enraciner dans les usines et les quartiers, en accompagnant les grèves ouvrières et les luttes de l’immigration. Ce courant s’est inscrit dans l’effervescence politique des années 1968, cherchant à faire émerger une force politique autonome à partir des masses elles-mêmes. Cet échec a peut-être donné raison aux situationnistes pour qui le prolétariat ne pouvait plus être la classe révolutionnaire.
Dans les années 1970, une nébuleuse maoïste secoue la gauche radicale française. Le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF) se veut fidèle à Pékin, tandis que Vive la Révolution (VLR) s’ouvre à la contre-culture. L’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCML), fondée par de jeunes normaliens, rejette Mai 68, qu’elle juge trop spontané, et appelle à un retour à l’ordre révolutionnaire. En faillite politique, ses dirigeants créent la Gauche Prolétarienne (GP), qui, après une tentative d’ancrage ouvrier, se laisse séduire par le romantisme de la lutte armée. Face à cette dérive, Natacha Michel quitte la GP. Avec Sylvain Lazarus, elle fonde en 1969 l’Union des communistes de France marxiste-léniniste (UCFml). Ce nouveau groupe rejette à la fois le Parti communiste, les syndicats traditionnels, les mouvements gauchistes et la GP. L’UCFml prône un retour au terrain : enquêter, écouter, s’ancrer dans les réalités d’usine et de quartier. Alain Badiou les rejoint, apportant un soutien intellectuel à cette démarche, notamment avec sa brochure La Révolution prolétarienne en France à l’époque de la pensée Mao Tsé Toung.
Les maoïstes se distinguent des trotskistes de la LCR, plus intégrés au jeu électoral et syndical. Là où les trotskistes agissent à l’intérieur des structures, les maos rejettent l’État et les institutions, dénonçant le Parti communiste comme un organe conservateur. L’UJCML envoie même ses militants dans les usines pour s’y implanter. Natacha Michel, marquée dès sa jeunesse par l’antisémitisme, s’engage politiquement à l’époque de la guerre d’Algérie. La rencontre avec Sylvain Lazarus l’oriente vers un marxisme fondé sur l’enquête populaire. Pour eux, Mai 68 confirme la validité de la « ligne de masse » : ce ne sont pas les partis mais les masses qui déclenchent les soulèvements. Les barricades, la grève générale, le refus des étudiants de devenir les cadres du capitalisme ouvrent une brèche historique.
L’UCFml entend incarner l’esprit de Mai 68 dans la durée, à travers un travail militant de terrain. Loin des coups d’éclat de la GP, elle soutient les mobilisations dans les quartiers populaires et les usines. Des luttes comme celle du bidonville des Francs-Moisins à Saint-Denis ou la grève des OS de Renault en 1971 illustrent cette stratégie d’implantation. L’UCFml défend l’autonomie ouvrière : les exploités doivent s’organiser eux-mêmes, sans représentants professionnels. La stratégie repose sur une coordination locale des luttes dans les usines, les foyers de travailleurs immigrés et les quartiers. Une grève emblématique éclate chez Talbot entre 1982 et 1984 : les revendications dépassent la question salariale pour revendiquer une dignité ouvrière ignorée par la CGT.
De l’UCFml à l’Organisation politique. L’UCFml disparaît en 1983 pour devenir l’Organisation politique (OP), marquée par les idées post-léninistes de Lazarus. L’OP se détourne des formes classiques d’organisation et soutient notamment le mouvement des sans-papiers, avec l’occupation de l’église Saint-Bernard en 1996. Mais plutôt que de constituer un simple comité de soutien, l’OP mise sur l’organisation autonome des sans-papiers, en particulier ceux des foyers. Un collectif est formé en 1997 pour rompre l’isolement des ouvriers sans-papiers, mais leur refus de rejoindre l’Organisation politique montre les limites d’un militantisme souvent perçu comme extérieur. L’impact réel reste modeste, malgré l’intensité de l’engagement. Dans Le roman de la politique, Natacha Michel livre un récit personnel sur ces années militantes. Elle y expose les tensions d’un groupuscule tenté par la hiérarchie, même en prônant l’autonomie. Le fonctionnement de l’UCFml reste centralisé, avec un noyau dirigeant composé d’elle-même, de Badiou et de Lazarus. Cette organisation hiérarchisée entre en contradiction avec la critique maoïste de la bureaucratie syndicale. Le modèle d’avant-garde léniniste, puis sa version « post-léniniste », peinent à convaincre, notamment face à la recomposition du monde ouvrier et à l’éclatement du tissu industriel
Des enquêtes populaires ou de terrain comme celles menées par La Mouette Enragée (voir plus bas) montrent que le salariat n’a pas disparu, bien au contraire. Les luttes sociales sont toujours d’actualité, mais elles réclament de nouvelles formes d’organisation, en rupture avec les modèles fermés et verticaux.
(militant, philosophe et héritier des luttes)
Le mouvement de Mai 68 marque un tournant politique décisif pour Alain Badiou. Alors cadre du PSU en province, il se détourne progressivement du réformisme pour embrasser le maoïsme, perçu comme une alternative au stalinisme du Parti communiste. Cette nébuleuse idéologique se structure autour de deux pôles : d’une part, le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF), représentant d’un maoïsme orthodoxe ; d’autre part, la Gauche Prolétarienne (GP), fondée par de jeunes normaliens issus de l’UJCml, qui privilégient une immersion dans la classe ouvrière à travers des actions de terrain et les Comités Vietnam de base.
À l’origine, Badiou se limite à une activité de propagande électorale, loin des syndicats et du mouvement ouvrier. Mais la révolte de Mai 68, vécue à Reims — ville ouvrière par excellence — le percute de plein fouet. Il soutient les étudiants mobilisés et participe à une manifestation qui converge avec des usines en grève. La rencontre physique entre étudiants et jeunes ouvriers venus discuter depuis leurs barricades transforme profondément sa conception de la politique. Il comprend alors l'importance vitale du lien entre intellectuels et travailleurs. Il s’engage résolument dans une perspective révolutionnaire.
Tout en demeurant un cadre du PSU rémois, il tente d’y impulser une ligne marxiste-léniniste. Mais rapidement, la dynamique maoïste l’emporte. Des militants déçus de la GP comme Sylvain Lazarus et Natacha Michel proposent de créer une nouvelle organisation : l’UCFml (Union des communistes de France marxiste-léniniste). Badiou y prend une place centrale, fort de son expérience militante. Dès son installation à Paris, il avait initié un travail politique à l’usine Rhône-Poulenc de Vitry avec d’anciens grévistes, rédigeant une brochure sur les comités de grève autonomes, distribuée à la porte de l’usine. Ce lien concret entre intellectuels et ouvriers s’intensifie.
En parallèle, en 1969, Alain Badiou est nommé, avec Michel Foucault, pour fonder le département de philosophie de l’université expérimentale de Vincennes. Il y recrute majoritairement de jeunes maoïstes, comme Jean-Marc Salmon ou André Glucksmann, tandis qu’Henri Weber apporte une caution trotskiste. Dans cette effervescence gauchiste, les cours de philosophie se mêlent aux joutes politiques ; les étudiants contestent et perturbent leurs enseignants, dans un esprit de remise en cause radicale.
L’UCFml se structure dans les années 1970 autour de luttes concrètes, en particulier dans les bastions ouvriers comme Renault-Billancourt ou Chausson-Gennevilliers. L’organisation soutient les ouvriers immigrés, en dénonçant les hiérarchies racistes imposées par le patronat, et participe activement à la grève de Chausson en mai 1975. Refusant les négociations syndicales proposées par la CGT, des jeunes ouvriers occupent l’usine et affrontent la police avec l’appui des maoïstes, qui défendent un programme égalitariste allant jusqu’à revendiquer un salaire égal de l’ouvrier non qualifié au cadre.
Le mot d’ordre devient clair : briser le droit bourgeois, refuser les compromis, dépasser la légalité capitaliste. Ce radicalisme se décline aussi dans le domaine culturel — à travers le groupe Foudre — et sur le plan internationaliste avec les Comités ProVopv, en soutien à la révolution portugaise. L’UCFml intervient également dans les foyers de travailleurs immigrés, notamment lors de la grève des loyers dans les résidences Sonacotra entre 1975 et 1979. Cette action de masse échappe aux partis traditionnels, révèle une capacité autonome d’organisation, mais finit par s’effondrer sous les coups de la répression et de l’isolement identitaire.
Face à la montée du néolibéralisme dans les années 1980, la désindustrialisation et la dislocation de la concentration ouvrière, le reflux des luttes conduit Badiou à se recentrer sur la philosophie et le théâtre. Jusqu’alors principalement auteur de tracts militants, il commence à élaborer une œuvre philosophique plus systématique.
Dans "Le Rouge et le Tricolore", Alain Badiou revient sur sa trajectoire militante avec une honnêteté qui éclaire l’intensité des luttes des années 1970. Son témoignage donne chair à la fameuse « idée communiste » qu’il théorisera plus tard. Il insiste sur la nécessité d’une gauche ouvrière tournée vers les travailleurs les plus exploités : les immigrés, laissés pour compte par une CGT focalisée sur les ouvriers qualifiés. Ces « damnés de la Terre », en contact direct avec le colonialisme et le racisme, s’avèrent réceptifs aux pratiques d’action directe maoïstes.
Badiou critique également la fragmentation croissante des luttes sociales. À ses yeux, ce ne sont pas seulement l’arrivée de la gauche au pouvoir ou la répression qui expliquent le reflux du mouvement ouvrier, mais une dérive identitaire. L’ouvrier immigré devient tour à tour « Beur », « musulman », voire sujet humanitaire, et perd sa centralité dans la lutte des classes. Sur le féminisme, sa critique se fait plus problématique : au lieu de viser le féminisme bourgeois, elle flirte parfois avec la misogynie.
Sa focalisation sur l’UCFml constitue à la fois la force et la limite de son récit. Il méprise, à tort, les luttes portées par la CFDT, alors en pointe sur l’auto-organisation, comme le montrent les comités de grève ou la figure de Charles Piaget, ouvrier catholique à la tête des Lip. Là où les maoïstes insistent sur l’avant-garde intellectuelle et la direction révolutionnaire, les syndicalistes chrétiens mettent en avant les pratiques concrètes, souvent plus efficaces que les postures idéologiques.
La croyance maoïste en une classe ouvrière incapable de conscience politique sans l’apport de l’intellectuel dirigeant révèle une forme de mépris de classe. Or, les grèves de 1968 et des années 1970 montrent au contraire une forte capacité d’auto-organisation spontanée. Ce sont les pratiques offensives — occupations, séquestrations, refus de la légalité — qui inspirent les travailleurs, bien plus qu’un folklore idéologique venu de Pékin.
Le maoïsme s’est distingué par des pratiques radicales, centrées sur l’action :
L’établissement en usine 🏭 Des intellectuels et étudiants s’embauchent volontairement comme ouvriers pour militer de l’intérieur. Ils entendent « se fondre dans le peuple », abolir la coupure intellectuel/travailleur. C'est une pratique inspirée du maoïsme chinois avec le refus de la division entre savoir théorique et pratique révolutionnaire.
Interventions dans les luttes par des grèves sauvages en rupture avec les syndicats, CGT et CFDT, jugés trop légalistes, par la grève des loyers menée avec les travailleurs immigrés dans les foyers Sonacotra
Justice populaire : certains groupes (GP, Secours Rouge) soutiennent ou pratiquent des actions d’illégalité politique (actions contre la police, les patrons, interventions dans les prisons).
Ce collectif naît à la suite des grèves de 1968 et s'installe durablement dans les usines de Franche-Comté. Il publie des enquêtes ouvrières et donne la parole aux travailleurs sans médiation syndicale. S’inscrivant dans une logique d’autonomie ouvrière, il refuse toute forme de représentation hiérarchique, y compris celle d’un parti révolutionnaire. Bien qu’influencé par le maoïsme, il développe une orientation plus libertaire.
Issu de dissidences internes à l’UCFml, ce petit collectif mène des actions dans des entreprises de la banlieue parisienne. Il refuse le centralisme bureaucratique, privilégie l’intervention directe dans les foyers de travailleurs immigrés et se structure autour d’un journal militant. Il incarne un tournant vers des pratiques plus souples et locales du maoïsme, souvent plus pragmatiques que dogmatiques.
Composé d’anciens de l’UJCml et de militants ouvriers, ce collectif grenoblois s’implante dans les quartiers populaires et les petites entreprises. Il publie des tracts et des journaux locaux, participe à des luttes de locataires, et critique les formes autoritaires du centralisme maoïste tout en gardant une base idéologique marxiste-léniniste.
Issu d’une dissidence de la Gauche Prolétarienne, ce collectif radical adopte un ton plus violent et clandestin. Inspiré par la GP mais critique de sa dissolution, il mène des actions de rue, de propagande et d’agitation, notamment dans les milieux lycéens et étudiants de la banlieue.
Issus d’un croisement entre militantisme maoïste et solidarité internationaliste, ces comités soutiennent la lutte palestinienne et organisent des manifestations, des campagnes d’affichage et de diffusion militante. Certains groupes développent une critique anti-impérialiste proche de celle du maoïsme tiers-mondiste.
Inspirés par les maoïstes, des comités ouvriers se créent en rupture avec les syndicats traditionnels. À Montreuil, par exemple, des militants soutiennent les ouvriers immigrés dans des entreprises de mécanique. Ces comités agissent de manière autonome, refusant la délégation et pratiquant l’action directe (occupations, grèves sauvages, tracts collectifs).
Autour de la grève des loyers, des collectifs très actifs voient le jour, souvent animés par des maoïstes ou proches. Ils soutiennent les comités de résidents, organisent des piquets, des concerts de soutien, des brochures politiques. La convergence entre luttes de l’immigration et projet révolutionnaire y est forte.
Déjà cité dans ton document, il mérite d’être identifié comme une expérience locale forte : ce comité organisé avec le soutien de l’UCFml représente l’une des tentatives les plus claires de mise en pratique d’une grève auto-organisée, refusant toute médiation syndicale.
La lutte des ouvriers de l’usine Lip, bien que non maoïste à l’origine, attire l’attention de plusieurs groupes d’extrême gauche, y compris maoïstes. Cette grève emblématique de 1973, autogérée par les travailleurs, devient un laboratoire d’organisation ouvrière et de prise de parole collective. Des militants maoïstes s’y impliquent ponctuellement, mais la dynamique reste largement autonome.
Des collectifs de professeurs, surveillants et étudiants maoïstes organisent des réunions régulières, produisent des journaux muraux, critiquent les programmes, et tentent d’insérer l’action révolutionnaire dans le cadre éducatif. À Vincennes, ces pratiques se mêlent à la pédagogie alternative.
Autre expérience locale qui pratique l'enquête populaire : La Mouette Enragée. Parmi les expressions les plus originales du maoïsme français figure l'expérience de La Mouette Enragée.La Mouette Enragée est une expérience autogestionnaire et maoïste locale née dans les années 1970 à Dunkerque, une ville industrielle du nord de la France. Le nom provient d’un journal local autoédité, fondé en 1974 par un collectif de militants révolutionnaires, dont certains liés aux courants maoïstes. L'expérience émerge dans une période de reflux des grandes organisations maoïstes comme la Gauche Prolétarienne, et de recherche de formes d’organisation plus horizontales, enracinées localement. Elle est emblématique de la tentative, par certains militants maoïstes, de rompre avec le centralisme politique classique et d’expérimenter de nouvelles formes de vie militante, d’organisation et d’engagement. La Mouette Enragée s’ancre dans les luttes locales liées à la condition ouvrière, au logement, au racisme notamment et adopte un fonctionnement horizontal tout en refusant la hiérarchie. Le journal, publié de manière collective, rend compte des luttes sociales locales tout en portant une critique globale du capitalisme. Inspirée par le maoïsme mais mêlant aussi des influences libertaires et situationnistes, cette expérience locale cherche à renouveler la pratique révolutionnaire par l’ancrage territorial et l’expérimentation. Elle symbolise une tentative de redonner vie à l’idéal révolutionnaire en dehors des dogmes et des grandes métropoles. On peut redonner leurs objectifs et leurs pratiques : 1°) Il s’agit de créer un lien direct entre intellectuels révolutionnaires et ouvriers de la région dunkerquoise. 2°) Refus des structures hiérarchiques : le collectif fonctionne en autogestion et privilégie la démocratie directe. 3°) Forte présence dans les luttes locales autour du logement, de l'emploi, des luttes ouvrières, des luttes contre les violences policières. Leurs actions notables sont : 1°) Activisme militant direct, souvent sous forme de provocations politiques et d’interventions dans des luttes ouvrières. 2°) Tentatives d’infiltration dans les usines pour y créer des cellules militante. 3°) Participation à des manifestations radicales et des campagnes contre le racisme et la répression policière. 4°) Publication régulière du journal La Mouette Enragée, qui relaie les combats de terrain, les prises de parole populaires et les critiques de la société capitaliste. Bien qu’influencé par le maoïsme, ce collectif se démarque par un rejet de tout dogmatisme et un attachement à l’expérimentation sociale. Ce collectif mêle influences libertaires, marxistes, situationnistes et maoïstes, ce qui en fait un espace de pensée critique hybride. Ce collectif revendique une rupture avec l’intellectualisme d’avant-garde et une volonté d’ancrage populaire. La Mouette Enragée a marqué les tentatives de décentralisation des luttes révolutionnaires et reste une référence dans les cercles militants alternatifs. Son journal est souvent cité comme un exemple de presse militante autogérée de qualité, portée par un collectif ancré dans son territoire. Bref, la Mouette Enragée, c’est le maoïsme à hauteur d’homme, réinventé à l’échelle locale, plus proche des préoccupations quotidiennes que des dogmes révolutionnaires. C’est une tentative concrète de faire vivre une politique radicale dans les marges industrielles de la France.
7. Conclusion
La fin des années 1970 marque l'affaiblissement du maoïsme. Viennent donc le déclin et la postérité. De l'intérieur, le maoïsme s’essouffle avec la fin des luttes sociales massives, la répression, la désillusion et la conversion idéologique de plusieurs figures. Qui plus est, La Gauche Prolétarienne se dissout en 1973 et la pratique de l’établissement s'épuise. Une bascule intellectuelle s'opère. De l'extérieur, les grandes usines ferment ou se restructurent, éparpillant la classe ouvrière. Il y a de fait des changements de trajectoire, certains anciens militants deviennent intellectuels médiatiques. Plusieurs anciens maoïstes deviennent des intellectuels en vue comme Alain Badiou, Jacques Rancière, André Glucksmann, Bernard-Heny Lévy., c'est un passage du militantisme à l’écriture théorique et parfois même à la réaction. Le maoïsme laisse place à d'autres formes de radicalité comme l'autonomie politique, l'écologie, le féminisme.
Par contre, cette revitalisation de la figure de l’intellectuel engagé est illustrée par des pratiques d’immersion dans le prolétariat inédites dans le marxisme occidental, une anticipation de certaines luttes postcoloniales et antiracistes. Elle comporte des limites telles que l'inévitablem épris de classe envers les ouvriers jugés incapables de conscience autonome, le dogmatisme doctrinaire dans certaines branches (PCMLF), la déconnexion de la réalité ouvrière, l'autoritarisme et le culte du chef sur le modèle de Mao, la justification possible de la violence. on peut noter toutefois une faiblesse stratégique à long terme.
Le 20 mars 2006, Alain Badio déclarait " le maoïsme lacanien c'est fini". On peut donner le bilan critique suivant. Le maoïsme français a renouvelé l'engagement politique à gauche par 1°) Son enracinement dans le terrain social et ouvrier, 2°) sa volonté de rupture avec les institutions, 3°) son internationalisme militant, mais il souffre aussi de limites comme le dogmatisme, le culte de l'avant-garde, le mépris de la conscience autonome des ouvriers, le faible ancrage populaire durable. En définitive, le maoïsme français fut plus un moment qu'un mouvement, mais il révèle l'intensité de la crise politique et sociale post-68, et la recherche d'une voie révolutionnaire alternative aux modèles dominants.
Le maoïsme français fut une tentative radicale de réinventer la révolution en France dans les années 1968-1978. À mi-chemin entre le militantisme ouvrier, l’activisme intellectuel et l’utopie internationaliste, il constitue un moment intense mais éphémère de l’histoire politique française. S’il a échoué à structurer une force durable, il a laissé une empreinte dans les formes d’engagement, dans la critique des institutions, et dans la biographie politique de nombreux intellectuels majeurs.