LETTRE A JULIEN DUTANT LE ZURICHOIS ET MANUEL HUTIN LE BERLINOIS / Sur la philosophie synthétique et la philosophie analytique
LETTRE A JULIEN DUTANT LE GENEVOIS ET MANUEL HUTIN LE BERLINOIS /
Sur la philosophie synthétique et la philosophie analytique
Pour le dire en quelques mots, le cognitif st un avachissement de l’esprit, de l’esprit compris par Pascal, Montaigne, Voltaire (voire Goethe) en tant que direction, c’est-à-dire, je ne développe pas ici, ce qui dépasse la conscience, qui n’est qu’une forme réactive de l’intellect. La direction est affirmatrice (apophanticos).
Faire du cognitif, cette résurgence « moderne » de l’épistémè une valeur à travailler est des plus douteuses. Que cache un telle jargon ? « Voyez dans l’évolution d’un peuple les époques où le savant passe au premier plan, ce sont des époques de fatigue, souvent de crépuscule et de déclin. » Notre époque est au wittgensteinisme, au positivisme logique, à la philosophie des sciences, à l’epsistémologie, comme repli sûr de la pensée (sous la forme d’une procédure de désignation du vrai qui hante encore). Mais que nenni ! La philosophie analytique est un amoindrissement de la pensée, tout juste si Strawson parle de référence (pour une proposition), mais aucune indication, aucune direction. Certes cela est la marque intéressante de ce que l’on a longtemps appeler esprit se transforme, passant par un vague de nihilisme. Certes il y a nivellement, on est loin des Lumières de Voltaire. Mais c’est surtout que la formule « Dieu est mort » est passée par là. Ce n’est pas un énoncé spéculatif, mais une formule qui ouvre à nouveau à la pensée tragique. Ce que dit cette formule c’est qu’on ne plus faire de Dieu l’objet d’une connaissance synthétique ou d’un contemplation spéculative sans y mettre la mort. D’où l’advenue de la philosophie analytique qui demeure transitoire, symptôme d’un désert, d’un repli de pensée, du risque que l’on souhaite prendre à penser. Quine, Goodman, Strawson sont la marque de ce que l’on ne peut plus avoir une connaissance synthétique mais seulement analytique de Dieu (le Référent ultime chez Strawson). Si je parle de référent ultime c’est que je pense à la phrase de Heidegger dont la dernière résurgence est la philosophie « aride et restreinte » de Badiou : « Si Dieu a quitté sa place dans le monde supra-sensible cette place, quoique vide, demeure. La région vacante du monde suprasensible et du monde idéal peut-être maintenue. La place vide appelle même en quelque sorte à être occupée de nouveau, et à remplacer le Dieu disparu par autre chose » (Heidegger, Holzwege).
Nous ne parlerons pas de vos convictions intimes que pour l’heure sous les formules de sciences cognitive ou de philosophie analytique vous avez mis entre parenthèse, mais celles-ci ressortiront tôt ou tard.. S’il y avait un nouveau régime de pensée, son élément ne serait plus le vrai (le référent), mais la valeur (l’important, le remarquable), c’est-à-dire les forces, les volontés, les personnalités qui s’emparent puissamment de la pensée, plus qu’elle ne se laissent traverser par elle. Deleuze, très tôt appelait cela une nouvelle image de la pensée (Nietzsche et la philosophie, p. 119), je signale à Manuel qu’il n’a donc pas attendu Différence et répétition mais que cette ouvrage clos une période métaphysique de dix ans.
Ce texte, seulement pour pousser l’exigence plus loin, plus loin que les valeurs modernes ou du commun.