20 Avril 2025
Colette Guillaumin
(1934–2017)
Sociologue et chercheuse au CNRS, Colette Guillaumin est une figure majeure du féminisme matérialiste français et une pionnière dans l’étude des constructions sociales de la race et du sexe. Née à Paris en 1934, elle consacre sa vie à l’analyse des mécanismes de domination en s’attachant à comprendre comment certaines différences — de sexe ou de « race » — deviennent des rapports sociaux de pouvoir. Après des études de lettres, elle se tourne vers la sociologie et rejoint le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), où elle mène des recherches à la fois théoriques et engagées sur les systèmes de classification sociale, les stéréotypes raciaux, le sexisme et les formes d’appropriation des corps. Elle participe activement aux débats féministes des années 1970 et 1980, notamment au sein de la revue Questions féministes, puis Nouvelles questions féministes, aux côtés de Christine Delphy, Monique Wittig ou Nicole-Claude Mathieu.
Déconstruire les « différences naturelles », s'attaquer au naturalisme est un des leitmotiv de Colette Guillamin, sont visés Foucault et Deleuze, et donc leur point aveugle, leur angle mort de la domination, de leur prétendue critique. L’un des apports fondamentaux de Guillaumin est sa critique de ce qu’elle appelle l’idéologie naturaliste. Selon elle, le racisme comme le sexisme reposent sur une fiction : l’idée qu’il existerait des différences "naturelles" entre les groupes humains — biologiques, psychiques ou morales — qui justifieraient leur inégalité sociale. Elle montre que ces différences sont en réalité socialement construites, assignées, et qu’elles servent à légitimer des rapports de domination.
Apports clés et thèses principales
📌 Race et racisation. Dans ses premiers travaux, notamment dans L’Idéologie raciste (1972), Guillaumin s’intéresse à la manière dont les sociétés européennes ont construit la notion de « race » comme une essence héréditaire, immuable et visible dans le corps. Elle y voit un outil de classement et de hiérarchisation, permettant de transformer des différences sociales ou culturelles en différences biologiques supposées.
📌 Sexage. Dans Le Sexe du social (1992), Guillaumin applique la même grille de lecture au genre. Elle y développe le concept de sexage, pour désigner le processus d’appropriation systématique des femmes par les hommes. Le corps des femmes est ainsi pensé comme ressource naturelle : pour la reproduction, le travail domestique, la sexualité ou la compagnie affective. Le sexage est un système de domination matérielle, qui repose sur la transformation des femmes en classe de service.
📌 Appropriation. Au cœur de sa pensée se trouve l’idée que les rapports sociaux de sexe et de race fonctionnent selon une logique d’appropriation : appropriation du corps, du temps, de la subjectivité. Les femmes et les racisé·es ne sont pas simplement « exploité·es » au sens marxiste, mais possédé·es, utilisés comme une extension des besoins et des désirs du groupe dominant.
Plus largement, la pensée de Colette Guillaumin reste d’une grande actualité pour comprendre les formes contemporaines d’oppression raciale et sexiste. Elle a influencé nombre de chercheuses et de militantes féministes, queer et antiracistes, en France comme à l'étranger. Son insistance sur les logiques d’appropriation des corps préfigure des analyses plus récentes sur la marchandisation de la reproduction, la division sexuelle du travail, ou encore les violences systémiques. Qui plus est, en refusant les évidences naturalisées, en révélant les rapports de pouvoir qui les sous-tendent, Colette Guillaumin apporte des outils puissants pour penser la domination et imaginer son renversement. Guillaumin rejette les explications psychologisantes ou culturelles des rapports de domination. Son approche matérialiste, proche de celle de Christine Delphy, s’attache à montrer que le genre est un rapport social de classe, structuré autour de l’exploitation directe du travail et du corps des femmes. Le féminisme, pour elle, ne peut donc se contenter de revendiquer l’égalité : il doit viser la suppression du groupe des femmes en tant que classe.
Principaux ouvrages