La Philosophie à Paris

PORTRAITS DE FEMME PHILOSOPHE / Sarah Kofman

14 Mai 2011, 20:13pm

Publié par Anthony Le Cazals

Sarah Kofman


SarahKofman

 

philosophe, 1934-1994

 

 

Sarah Kofman est née Paris, le 14 septembre 1934. Son père, Bereck Kofman, a émigré de Pologne en 1929. Il est Rabbin d'une petite synagogue dans la rue Duc, dans le 18e arrondissement, non loin de leur domicile de la rue Ordener. Naturalisés français, ses parents continuent à parler yiddish à la maison avec leurs cinq enfants nés à Paris.
Sarah a huit ans lorsque la Seconde guerre mondiale éclate. Elle se souvient que le 16 juillet 1942, son père, averti d'une rafle qui allait avoir lieu, était parti le matin très tôt exhorter ses coreligionnaires à se cacher. Mais lui-même veut rester près de sa femme et ses enfants. Il est arrêté chez lui, devant eux. Ils ne le reverront plus. Le seul message qui leurs parvint fut une carte dans laquelle il demandait qu'on lui envoie des paquets de Gauloises bleues ou vertes. La carte avait été envoyée de Drancy et quelqu'un l'avait écrite pour lui en français, car lui même ne communiquait qu'en yiddish ou en polonais.
Après l'arrestation de son époux, la mère de Sarah tente de protéger ses enfants en les cachant en différents lieux. Sarah, elle, est placée à Nonancourt, chez une juive communiste mariée à un chrétien. Mais elle ne s'adapte pas et refuse de manger des aliments non kasher. Sa mère tente alors en vain de la confier aux curés de l'Église de Notre-Dame-des-Champs à Paris qui refusent de recueillir l'enfant sans la baptiser. Sarah retourne donc avec sa mère et elles se cachent toutes deux rue Labat, chez une ancienne voisine jusqu'à la fin de la guerre. Pendant ces deux années d'enfermement, Sarah a deux mères. Leur protectrice fait passer Sarah pour sa fille, tandis que les relations de Sarah avec sa vraie mère deviennent de plus en plus violentes et difficiles.
A la fin de la guerre, sa mère la confie à une maison d'enfants juifs, Le Moulin, installée d'abord à Moissac puis au château de Laversine. Désireuse de poursuivre un cursus classique, Sarah Kofman quitte cette institution qui ne dispense pas de cours de grec. Elle s'inscrit alors au lycée de Creil et retourne vivre chez sa mère avec laquelle la cohabitation est particulièrement pénible. Après sa réussite au baccalauréat, elle obtient une bourse et une chambre en cité universitaire. Elle entreprend des études en philosophie et une nouvelle vie s'ouvre à elle.
Après avoir été reçue à l'agrégation et avoir soutenu une thèse de doctorat, elle enseigne à Toulouse au lycée Saint-Sernin, puis au lycée Claude-Monet à Paris de 1960 à 1970. Elle est ensuite nommée Maître de Conférences à la Sorbonne. Au cours des vingt années suivantes, Sarah Kofman publie près d'une vingtaine d'ouvrages philosophiques essentiellement sur Freud et sur Nietzsche, qu'elle appelait " mes deux pères ". En 1991, elle est nommée Professeur des universités. Le refus de sa nomination à ce poste lors d'une tentative précédente avait entraîné la réprobation de plusieurs membres du jury.Frédéric Gaussen, 1988, p. 12
Quelques mois après avoir fait paraître son autobiographie, Rue Ordener, rue Labat, elle se donne la mort, le 15 octobre 1994. Elle avait soixante ans.
En 1998, quatre ans après sa décès, Les Temps modernes publient un entretien que Sarah Kofman avait accordé à Catherine Rodgers. Cette dernière souligne que les discriminations dont Sarah Kofman eut à souffrir dans sa jeunesse sont sans doute moins analysables en terme de misogynie qu'en terme d'antisémitisme. Le rabaissement des femmes pouvait, a priori, paraître secondaire par rapport aux persécutions subies pendant la guerre. Mais Sarah Kofman déclarait elle-même que c'est essentiellement à travers son enseignement et ses ouvrages qu'elle avait manifesté son féminisme :

" Ce qui est important, et c'est peut-être le seul geste féministe que j'accomplis, c'est de créer une œuvre comme je l'ai fait depuis vingt ans, de façon rationnelle, didactique et surtout continue (même si mon travail a aussi un tout autre aspect, autobiographique, ironique et jubilatoire). Le système métaphysique a toujours mis les femmes du côté de l'absence de constance, de l'irrégularité. Donc, il faut que les femmes dans la philosophie marquent une telle endurance, pour qu'elles puissent changer quelque chose. " Sarah Kofman, 1998, p. 22

Testament d'une enfant juive qui n'a jamais guérie de la guerre, son dernier livre dévoile avec pudeur son enfance tragiquement brisée par la déportation de son père. Elle y raconte aussi la souffrance d'avoir appris que son père aurait été abattu un kapo juif pour avoir refusé de travailler à Auschwitz le jour du shabbat :

Après la guerre arrive l'acte de décès d'Auschwitz. D'autres déportés reviennent. Un Yom Kippour, à la synagogue, l'un d'eux prétend avoir connu mon père à Auschwitz. Il y aurait survécu un an. Un boucher juif, devenu kapo (revenu du camp de la mort, il a rouvert boutique rue des Rosiers) l'aurait abattu à coup de pioches et enterré vivant, un jour où il aurait refusé de travailler. C'était un Shabbat : il ne faisait aucun mal, aurait-il dit, il priait seulement Dieu pour eux tous, victimes et bourreaux.
Pour cela, avec tant d'autres, mon père subit cette violence infinie : mourir à Auschwitz, ce lieu où ne pouvait, où ne devait être respecté aucun Repos. Sarah Kofman, Rue Ordener, Rue Labat, 1994, pp. 15-16

Frédéric Gaussen, " Education. Des décisions contestées du Conseil National de l'Université ", Le Monde, 26 novembre 1988, p. 12.
Sarah Kofman, 1998, p. 22.
Sarah Kofman, Rue Ordener, Rue Labat, 1994, pp. 15-16.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Aux éditions Galilée
Camera obscura, 1973
Quatre romans analytiques, 1974
L’Énigme de la femme, 1980

Contribution à  Les Fins de l’homme, 1981 « ça cloche »

Le Respect des femmes, 1982
Comment s’en sortir ?, 1983
Un métier impossible, 1983
Nietzsche et la métaphore, 1983
Autobiogriffures, 1984
Lectures de Derrida, 1984
L’Enfance de l’art, 1985
Mélancolie de l’art, 1985
Nietzsche et la scène philosophique, 1986
Pourquoi rit-on ?, 1986
Conversions, 1987
Paroles suffoquées, 1987
Socrate(s), 1989
Séductions, 1990
Il n’y a que le premier pas qui coûte, 1991
Explosion I, 1992
Explosion II, 1993
Rue Ordener, rue Labat, 1994
Le Mépris des Juifs, 1994
L’Imposture de la beauté, 1995


Chez d'autres éditeurs

Aberrations. Le devenir-femme d'Auguste Comte, Aubier-Flammarion, 1979.

Nerval. Le charme de la répétition, L'âge d'homme, 1979

Rousseau und die Frauen, 1986

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