La Philosophie à Paris

HOMMAGE à Georges-Arthur Goldschmidt

18 Janvier 2013, 12:37pm

Publié par Anthony Le Cazals

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Georges-Arthur Goldschmidt a été traducteur de Freidrich Nietzsche et de Peter Handke. C'est à lui que l'on doit cette formule : "la philosophie n'est pas là où elle est formulée"

 

Sur la traduction.

 

Le premier livre de Peter Handke que j’ai traduit, c’était Bienvenue au conseil d’administration. J’ai écrit à Handke pour lui demander une précision et il ne m’a pas répondu. Christian Bourgois un beau jour me téléphone pour me proposer de rencontrer Handke qui était à Paris : “qu’il aille se faire voir ! Il est tellement impoli qu’il n’a pas répondu à une lettre de son traducteur !” Bourgois me dit de m’arranger avec lui et me donne son numéro. Je lui téléphone et Handke me propose de venir le voir car, dit-il, il n’a jamais reçu ma lettre. On est devenu extrêmement amis et c’est pour cela que je suis tombé dans la soupe de la traduction. Mais, au départ, je ne voulais pas traduire. Je me suis aperçu depuis que vous ne pouvez pas écrire sans traduire. Tout écrivain est un traducteur, il traduit un texte muet. Peu à peu, je me suis aperçu à quel point la traduction vous apprend à écrire. J’ai mené mon oeuvre personnelle en même temps que je traduisais. Quand vous traduisez, vous avez dans le dos l’envie d’écrire. L’une et l’autre se renforcent. C’est extraordinairement excitant. L’écriture mûrit pendant qu’on traduit. J’ai appris en écrivant que ce n’était pas nécessaire d’accumuler des brouillons : c’est la masse de l’attente qui est le vrai brouillon. Pendant que vous traduisez ça s’accumule dans votre tête, puis vous allez vous promener et quand vous rentrez, vous ne savez même plus si vous traduisez ou si vous écrivez. Vous passez de l’un à l’autre presque automatiquement.


Si je me suis tellement mêlé à la querelle Heidegger qui pour moi est le militant nazi type, ce n’est pas du tout pour faire le malin, c’est parce que j’étais désespéré de voir ce pays qui m’a préservé, dont cinq habitants ont risqué leur peau pour me sauver, sombrer dans le délire de l’admiration du nazisme intégral. Mais je ne veux donner de leçon à personne. Je voulais simplement dire « Français faites attention où vous mettez les pieds quand vous vous occupez d’affaires allemandes ». C’était une très grande tristesse de voir de fins penseurs français, intelligents, sensibles, particulièrement avisés, se laisser couillonner à ce point. C’était de l’indignation personnelle. Comment peut-on se laisser aller dans l’ignorance absolue d’une langue à vous prêcher ce qui n’est pas. J’étais indigné devant autant de connerie. Ce côté salonard, distingué de certains est meurtrier ! Ce sont des gens qui jouent avec l’horreur sans le savoir. Ils n’ont pas vu que le paragraphe 27 du fameux Être et temps était une proclamation d’extermination la plus radicale. Heidegger écrit pour toute oreille allemande : « les youpins au four ! » C’est dit explicitement et tout confirme que c’est bien ce qu’il disait. Et les penseurs français sont là en admiration et lisent ce qu’ils ne comprennent pas. C’est terrible ! C’est vraiment un appel à l’élimination de l’inauthentique. Heidegger évite le mot de pureté, car il n’est pas naïf, mais son concept d’authenticité signifie qu’il n’y a que l’Allemagne d’authentique.


Voici un extrait d'une récension par Laurent Margantin de L’Esprit de retour de Georges-Arthur Goldschmidt

L’Esprit de retour est en effet ponctué de remémorations commandées par une seule et unique obsession : celle du corps comme sujet et objet du péché, péché originel puisqu’il est profondément lié à l’Allemagne, où « le refoulement sexuel était particulièrement véhément, puisque la sexualité était pour la bourgeoisie le mal absolu », dit Goldschmidt dans un entretien . Là-bas, Arthur assiste encore enfant à la première fessée d’un camarade devant toute la classe, avant d’en être lui-même la victime en Haute-Savoie, par la directrice de l’internat qui l’envoie choisir la branche de coudrier avec laquelle il sera fouettée, les fesses nues. Kellerlicht ne se libérera jamais de cette scène inaugurale, qui se fondra à un sentiment de culpabilité lié non seulement à la sexualité née de cette punition, mais aussi au fait d’avoir échappé à l’extermination. L’enfant se découvre juif – lui qui est issu d’une famille protestante ayant tout fait pour gommer cette identité –, coupable d’une faute qui lui reste incompréhensible, mais également coupable d’avoir été nourri et logé, protégé, quand tant d’autres périssaient dans les camps : « Il vivait dans la honte d’être encore là ». Au fil des pages, on mesure le poids et la complexité de ce sentiment, associé toujours à l’expérience de n’être jamais à sa place, d’être toujours celui qui est de trop et qui risque à chaque instant de subir l’ultime châtiment.

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