6 Juillet 2025
Jeanne Deroin
(1805–1894)
Jeanne Deroin (1805–1894) est une figure exceptionnelle du féminisme pré-républicain, ayant porté une parole politique audacieuse à une époque où les femmes étaient exclues de la citoyenneté. Lingère autodidacte devenue institutrice et philosophe politique, elle incarne un féminisme profondément social, nourri par les idéaux égalitaires du mouvement saint-simonien et par les revendications concrètes des classes populaires.
Née dans un milieu ouvrier, Jeanne Deroin débute sa carrière comme lingère, métier qui lui expose dès l’enfance à la précarité et à l’isolement des femmes laborieuses. Refusant d’accepter la soumission féminine comme donnée naturelle, elle poursuit seule sa formation intellectuelle. Elle devient institutrice, métier qui lui permet d’articuler éducation, émancipation et transmission.
Loin de toute posture élitiste, elle reste toujours fidèle aux classes populaires. Cette trajectoire illustre une volonté farouche de conjuguer savoir et action militante, sans transiger sur l’autonomie féminine. Dans les années 1830, elle rejoint les saint-simoniens, courant utopique prônant l’égalité entre les sexes et une refonte morale et sociale de la société.
Elle milite pour le droit de vote des femmes, à une époque où cette idée est quasi impensable. Elle participe aux débats internes du mouvement, critiquant les limites patriarcales persistantes et affirmant la légitimité des femmes dans la sphère politique. Son engagement montre que les idéaux réformateurs ne suffisent pas : il faut aussi des voix féminines pour les incarner.
Lors des révolutions de 1848, Deroin donne un tournant à sa vie et accompagne le mouvement historique. Elle défend l’idée que « la cause du peuple et la cause des femmes sont intimement liées », affirmant que les oppressions sociales sont solidaires. Malgré l’absence de soutien massif, elle se porte candidate aux élections législatives de mai 1849, devenant l’une des premières femmes à le faire publiquement. Son initiative — symbolique mais révolutionnaire — remet en cause les fondements du suffrage masculin et pose la question de la citoyenneté universelle. Son projet de mettre fin au salariat, qu’elle considère comme une nouvelle forme d’esclavage, inquiète les autorités.
Peu avant l’instauration du Second Empire, elle est emprisonnée pendant plus d’un an. Ce passage en prison n’interrompt pas son combat : elle part en exil à Londres dès 1852, où elle poursuit son action militante. Elle y soutient des coopératives ouvrières, développe des réseaux féminins d’entraide, et continue d’écrire et publier. Son exil devient un laboratoire intellectuel et militant, à la croisée des luttes internationales.
Jeanne Deroin fut une féministe sans compromis, une ouvrière devenue philosophe politique, une pionnière dans la pensée et l’action. Par son courage et sa lucidité, elle montre que le féminisme n’est pas un combat à part, mais un élément fondamental des luttes sociales universelles. Une voix précieuse, encore trop méconnue.