6 Juillet 2025
Claire Démar
(1800–1833)
Claire Démar (1800–1833) incarne une figure tragique et visionnaire du féminisme romantique, à la croisée de l’utopie saint-simonienne et du républicanisme insurgé. Par une pensée incandescente et une critique radicale des institutions patriarcales, elle pose les jalons d’un féminisme subversif, centré sur la transformation des mœurs autant que sur celle de la société.
L'Appel d’une femme pour dénoncer la fiction du mariage. Dans son texte Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme, Démar affirme que le mariage est une prostitution légale, une institution fondée sur la soumission féminine et l’échange marchand du corps des femmes. Elle revendique l’amour libre, affranchi des contrats patriarcaux, comme seule forme d’union respectueuse et critique la double morale qui stigmatise les femmes tout en excusant les hommes dans les relations affectives et sexuelles tout en appellant à l’émancipation collective, en s’adressant directement au peuple, non seulement aux femmes. Cette parole provocante, souverainement révoltante est l’un des premiers cris féminins contre la violence symbolique du mariage.
Ma loi d’avenir : penser autrement l’éducation, la famille et le corps. Publié à titre posthum par Suzanne Voilquin, Ma loi d’avenir constitue une œuvre philosophique rare, à la frontière de la fiction politique et du manifeste. Démar y défend le secret de la vie privée, contre le culte de la transparence défendu par Enfantin. Elle conteste la structure familiale traditionnelle : autorité paternelle, loi du sang, et transmission biologique sont autant de concepts qu’elle remet en cause. Elle propose de confier l’éducation des enfants à une mère sociale, détachée de la filiation biologique, afin de rompre l’exploitation de l’humanité par l’humanité. Son imaginaire politique est révolutionnaire : abolition de la famille patriarcale, réinvention des rôles éducatifs, critique des assignations biologiques.
Claire Démar ne sépare jamais la transformation des mœurs de la transformation sociale et voit dans la révolution des mœurs conjugales un levier pour renverser toutes les formes d’oppression. Elle prône une insubordination affective : refuser les rôles assignés, réinventer les liens, abolir les hiérarchies de genre dans la sphère intime. Elle fait de la sexualité, du désir et de l’amour des terrains d’émancipation aussi importants que le droit au travail ou à l’éducation. Son féminisme est existentiel, poétique, fulgurant.
Claire Démar se suicide en 1833, à seulement 33 ans. Ce geste, interprété comme celui d’une femme désespérée mais aussi lucide face au monde qui étouffe sa pensée, marque la fin prématurée d’une voix unique. Elle a été trop radicale pour les saint-simoniens, trop libre pour les républicains, trop moderne pour son époque. Pourtant, ses écrits résonnent aujourd’hui avec une puissance intacte : critique du mariage, affirmation du corps féminin, remise en question des modèles familiaux. Elle demeure une figure de la dissidence féminine, une pionnière dont la modernité dépasse les cadres du XIXe siècle. Claire Démar est une météorite dans le ciel du féminisme. Une voix poétique et politique, ardente et insoumise, qui n’a jamais accepté que l’ordre social s’impose à l’intimité. En revisitant ses textes, on redécouvre une pensée libre, indomptable — et étrangement contemporaine.