NIETZSCHE / Fragment d'une physique anonyme.
Pour reprendre ce que dit Monsieur le plus sçavant des oyseaulx au sujet cette cette traduction qu'il a lui-même faite de ce fragment de Friedrich Nietzsche : "Si la veille ne naît pas du sommeil, tout finira par dormir. Si tout ce qui se fige reste définitivement figé, tout serait déjà figé ; or, il y a encore du mouvement ; donc, il y a un éternel retour. La preuve de l'éternel retour, c'est qu'il subsiste du mouvement : « Si le monde avait une fin, elle eût été atteinte. »."
Si le monde avait une fin, celle-ci eût été atteinte. S'il eût été susceptible d'un état final sans l'intention de le réaliser, celui-ci eût également été atteint depuis longtemps. Qu'il fût seulement capable d'inertie, d'engourdissement, d'«Etre», en eût-il été susceptible ne fût-ce que pendant un seul et bref instant dans tout le cours de son devenir, il en était fait depuis longtemps de tout devenir, donc aussi de toute pensée, de tout «Esprit». Le fait que l'«Esprit» poursuit son devenir apporte la preuve d'un monde sans but ni fin, dépourvu de tout «Etre».
Telle est cependant la puissance de cette vieille compulsion à se figurer des fins à tout devenir, tout comme, au monde, un Dieu Créateur pour le conduire, que le penseur a du mal à ne pas se figurer cette absence de fin à son tour comme le résultat d'une intention. L'idée suivant laquelle le monde écarte intentionnellement une telle fin, voire, élude l'instauration d'un cycle, sera immanquablement le recours de tous ceux qui voudraient lui suggérer la faculté d'une incessante nouveauté, ce qui revient à attribuer à une énergie finie, déterminée, se conservant toujours en quantité constante, tel le monde, la faculté miraculeuse d'un incessant renouvellement dans ses formes et dans ses dispositions. A défaut de s'identifier à Dieu, le monde n'en serait pas moins doué d'une puissance créatrice proprement divine et d'une puissance de métamorphose infinie ; spontanément, il répugnerait à récupérer telle de ses dispositions précédentes, et on lui reconnaît ainsi, non seulement l'intention, mais encore les moyens de se garder de toute répétition. A tout instant, le moindre de ses mouvements serait contrôlé en vue d'une absence de buts, de fins et de répétitions, et tout ce qui peut s'ensuivre d'une manière aussi impardonnablement débile de penser et de vouloir. C'est toujours l'ancienne manière religieuse de penser et de sentir, une sorte de nostalgie, qui fait croire le monde pareil en quelque secrète manière à la chère vieille divinité créatrice-et-infinie, -qu'en quelque façon le vieux Dieu est encore vivant, nostalgie de Spinoza que traduit la formule deus sive natura (qu'il ressentit, du reste, comme un natura sive deus).
Comment formuler, dès lors, le principe et la croyance qui traduisent le retournement décisif et le triomphe désormais acquis de l'esprit scientifique sur l'esprit religieux qui installe partout ses dieux ? Sinon ainsi : le monde, comme énergie, n'a pas à être conçu comme illimité, car il ne saurait être ainsi conçu. Nous nous interdisons le concept d'une force infinie, car l'infinité contredit le concept de force. Par suite, le monde ne saurait pas non plus être doué d'une puissance d'éternel renouvellement.
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Source : http://oyseaulx.org/news/fragment-d-une-physique-anonyme