La Philosophie à Paris

NIETZSCHE / Fragment d'une physique anonyme.

1 Mai 2007, 14:44pm

Publié par Paris 8 philo (Traduction de Oyseaulx)

Pour reprendre ce que dit Monsieur le plus sçavant des oyseaulx au sujet cette cette traduction qu'il a lui-même faite de ce fragment de Friedrich Nietzsche : "Si la veille ne naît pas du sommeil, tout finira par dormir. Si tout ce qui se fige reste définitivement figé, tout serait déjà figé ; or, il y a encore du mouvement ; donc, il y a un éternel retour. La preuve de l'éternel retour, c'est qu'il subsiste du mouvement : « Si le monde avait une fin, elle eût été atteinte. »."

Si le monde avait une fin, celle-ci eût été atteinte. S'il eût été susceptible d'un état final sans l'intention de le réaliser, celui-ci eût également été atteint depuis longtemps. Qu'il fût seulement capable d'inertie, d'engourdissement, d'«Etre», en eût-il été susceptible ne fût-ce que pendant un seul et bref instant dans tout le cours de son devenir, il en était fait depuis longtemps de tout devenir, donc aussi de toute pensée, de tout «Esprit». Le fait que l'«Esprit» poursuit son devenir apporte la preuve d'un monde sans but ni fin, dépourvu de tout «Etre».
    Telle est cependant la puissance de cette vieille compulsion à se figurer des fins à tout devenir, tout comme, au monde, un Dieu Créateur pour le conduire, que le penseur a du mal à ne pas se figurer cette absence de fin à son tour comme le résultat d'une intention. L'idée suivant laquelle le monde écarte intentionnellement une telle fin, voire, élude l'instauration d'un cycle, sera immanquablement le recours de tous ceux qui voudraient lui suggérer la faculté d'une incessante nouveauté, ce qui revient à attribuer à une énergie finie, déterminée, se conservant toujours en quantité constante, tel le monde, la faculté miraculeuse d'un incessant renouvellement dans ses formes et dans ses dispositions. A défaut de s'identifier à Dieu, le monde n'en serait pas moins doué d'une puissance créatrice proprement divine et d'une puissance de métamorphose infinie ; spontanément, il répugnerait à récupérer telle de ses dispositions précédentes, et on lui reconnaît ainsi, non seulement l'intention, mais encore les moyens de se garder de toute répétition. A tout instant, le moindre de ses mouvements serait contrôlé en vue d'une absence de buts, de fins et de répétitions, et tout ce qui peut s'ensuivre d'une manière aussi impardonnablement débile de penser et de vouloir. C'est toujours l'ancienne manière religieuse de penser et de sentir, une sorte de nostalgie, qui fait croire le monde pareil en quelque secrète manière à la chère vieille divinité créatrice-et-infinie, -qu'en quelque façon le vieux Dieu est encore vivant, nostalgie de Spinoza que traduit la formule deus sive natura (qu'il ressentit, du reste, comme un natura sive deus).
    Comment formuler, dès lors, le principe et la croyance qui traduisent le retournement décisif et le triomphe désormais acquis de l'esprit scientifique sur l'esprit religieux qui installe partout ses dieux ? Sinon ainsi : le monde, comme énergie, n'a pas à être conçu comme illimité, car il ne saurait être ainsi conçu. Nous nous interdisons le concept d'une force infinie, car l'infinité contredit le concept de force. Par suite, le monde ne saurait pas non plus être doué d'une puissance d'éternel renouvellement.

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Source : http://oyseaulx.org/news/fragment-d-une-physique-anonyme

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O
    Certes, mais nous avions bien souligné, à l'époque où cette traduction circulait dans les ménageries schopenhaueriennes et nietzschéennes, très exactement à l'occasion de la présentation que nous en donnâmes, vers avril 1982, au séminaire du mercredi soir du totem Derrida, que ce texte ne doit pas se comprendre comme reflétant la doctrine de Nietzsche, mais constitue sa réaction, non destinée, dans son esprit, à être un jour publiée par les ramasseurs de miettes philosophiques, à la lecture de l'ouvrage d'un connard, une sorte de sous-produit d'Eduard von Hartmann (que Nietzsche, à cette époque, avait probablement déjà depuis longtemps oublié), et qui avait été l'auditeur de certains cours de Nietzsche et que la doctrine qui est présentée ici n'est pas celle de Nietzsche, mais celle dudit connard. Il appartient aux philologues de Nietzsche d'examiner les relations, sûrement complexes, qu'entretient ce fragment (qui pourrait être le reflet d'une conversation vénitienne avec Köselitz  à laquelle il est fait allusion ailleurs et qui pourrait avoir eu lieu quelques semaines auparavant, entre avril et début juin 1885, bien que ce dernier point ne soit pas une certitude : l'expression employée est très vague et pourrait se rapporter à des époques très antérieures ; cf., sur ce point, la lettre de Nietzsche à Köselitz du 23 juillet 1885, KSB, t. 7, n° 613, p. 69, l. 42-65, lettre qui est capitale pour l'interprétation du fragment que nous traduisions ; l'expression employée figure l. 64-65) avec ce qu'on peut reconstituer comme étant la pensée propre, ou, du moins, la réflexion personnelle de Nietzsche, particulièrement sur la question complexe de la signification du recours à l'idée d'un éternel retour. Cet aspect de la question nous a toujours paru singulièrement embrouillé, ne serait-ce que parce que nous n'hésitons pas à voir, dans les cours bâlois de Nietzsche, des entreprises de propagande schopenhauerienne (inspirées par un transfert wagnérien mal maîtrisé et non surmonté à cette date) appuyées sur une philologie assurée, mais dont le caractère de propagande n'enlève rien, à nos yeux, à l'apport proprement philologique de ces cours, issus d'un travail critique approfondi sur Diogène Laërce, à une époque où il ne faut jamais perdre de vue que les Doxographi Graeci de Diels n'étaient pas parus (il faut attendre 1879), pour ne rien dire des Fragmente der Vorsokratiker). Toute étude qui voudra examiner sérieusement la signification de la référence à l'éternel retour dans la pensée de Nietzsche devra commencer par s'interroger sur les conditions singulières dans lesquelles s'effectue ce travail philologique de Nietzsche dans les années qui suivent 1869 (et qui peuvent remonter aux années antérieures, puisqu'il est, aujourd'hui, établi que le fameux cours, sempiternellement resservi à Bâle, sur les Choéphores a été pompé sur l'un des professeurs de Pforta . . .).    Nous avons donné toutes précisions utiles à la critique du fragment traduit en une autre occasion, à laquelle nous renvoyons et où nous donnions toutes les références nécessaires : http://philosophons.wordpress.com/2007/02/13/gentilmechant-beaulaid-ouinon-vraifaux-extremistedemocrate-bienmal/#comments
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C
C'est oublier que la volonté de puissance n'est pas une substance ou une force substantielle, mais quelque chose de nécssairement pluriel, multiple, et d'essentiellement interprétatif. Plus que ma représentation, comme le pensait Schopenhaueur, le monde est mon interprétation -- et c'est l'interprétation qui est, si l'on veut à tout prix maintenir le terme, "créatrice", au sens où le texte de la réalité ne la précède pas. Nietzsche refuse l'idée d'originaire et d'originarité. Ce qui est divin, c'est de comprendre que "tout est bon"...
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O
Eh bien, non, car, pas plus que la civilité, la raison socio-professionnelle n'appartient aux oyseaulx. Ceux-ci ne souhaitent pas s'enfermer dans une cage trop humaine, ni que leur travail soit présenté comme étant de nature simplement philosophique, alors que leurs intérêts s'étendent beaucoup plus loin et que leurs préoccupations relèvent, du reste, plus de la philologie que de la philosophie. Quant au souci de publicité, il nous est délibérément étranger.
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P
Pardon mais cela Madame vous fera certainement de la publicité car votre site mérite d'être connu. Même s'il semble qu'il faille faire du lobbying pour augmenter le nombre des publication. <br /> Est-ce que monsieur Oyseaul ne voudrait pas rejoindre la communauté des blogs de philosophie.
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O
On ne sçaurait dire « Monsieur » à un oyseaul, fût-il le plus sçavant d'entre eux.
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