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La Philosophie à Paris

HIRSCHMAN / La rhétorique réactionnaire

Avant de commencer vous trouverez aussi notre article sur le maoïsme en France, assez complet, je pense, publié aussi aujourd'hui et en lien avec cet article, un artcile sur la restauration politique, écologique et architecturale.

 

Deux siècles de rhétorique réactionnaire, dont le titre original est The Rhetoric of Reaction, est un essai du sociologue et économiste Albert O. Hirschman, publié en 1991 aux États-Unis durant la présidence de Ronald Reagan. À travers cet ouvrage, Hirschman cherche à analyser les structures discursives du conservatisme politique opposé aux grandes réformes démocratiques et sociales, depuis la Révolution française jusqu’aux politiques de l’Etat providence du XXe siècle.

Plutôt que de se focaliser sur les contenus politiques ou idéologiques spécifiques, Hirschman s'intéresse à la forme rhétorique de l’argumentation réactionnaire, mettant en évidence trois figures principales qui se répètent de manière cyclique dans l’histoire occidentale : l’effet pervers, l’inanité et la mise en péril.

Les réactions historiques à la citoyenneté moderne
Hirschman part du postulat que chaque étape de progrès vers plus de droits collectifs (civils, politiques, sociaux) a provoqué des contre-réactions idéologiques puissantes, marquées par une rhétorique propre. Il s’appuie sur la typologie de T.H. Marshall, qui distingue trois grandes étapes de la citoyenneté. D'abord, les droits civils (liberté d’expression, religion, égalité devant la loi) à partir du XVIIIe siècle ; ensuite, les droits politiques (droit de vote, participation) au XIXe siècle ; enfin, les droits sociaux (protection sociale, éducation, santé) au XXe siècle.

Les trois thèses réactionnaires
◉  L’effet pervers (perversity). L'argument consiste à dire que toute tentative de réforme sociale produit le contraire de ce qu’elle vise. Par exemple, la liberté issue de la Révolution française mènerait à la terreur ou à la tyrannie. Ou encore les aides sociales désinciteraient au travail et appauvriraient davantage les bénéficiaires. On retrouve ce raisonnement chez Joseph de Maistre, Burke, ou encore chez des néo-conservateurs contemporains opposés aux politiques de redistribution.

◉  L’inanité (futility). Cette thèse soutient que les efforts de transformation sociale sont inutiles, car les structures profondes restent inchangées. Tocqueville souligne les continuités entre Ancien Régime et Révolution. Pareto affirme que tous les régimes sont in fine gouvernés par des élites, quelles que soient les réformes. C’est une vision pessimiste du changement, qui nie son efficacité réelle.

◉  La mise en péril (jeopardy). La troisième figure prétend que toute réforme mettrait en danger les acquis antérieurs, ou les équilibres fondamentaux de la société. Par exemple, les conservateurs anglais du XIXe siècle affirmaient que le suffrage universel risquait de détruire la Constitution. Aujourd’hui, on retrouve cet argument dans des discours alarmistes sur le danger que représenteraient certaines réformes sociales ou environnementales pour « les libertés » ou « l’économie ».

Nous verrons que les caractéristiques communes aux thèses réactionnaires sont les stratégies d’évitement et les références aux « lois naturelles ». Ces discours ne remettent jamais directement en question les valeurs de liberté, d’égalité, de progrès. Ils attaquent les moyens ou les conséquences, non les buts eux-mêmes. Quant au recours aux « lois naturelles ». Les conservateurs justifient leur opposition en s’appuyant sur des forces inéluctables comme dans La Providence (de Maistre), dans La « nature humaine » (Pareto, Mosca) ou encore dans Les « lois du marché » (Friedman). Ce sont autant d’arguments qui présentent le statu quo comme une fatalité, et la réforme comme un acte contre-nature.

Contradictions internes à la rhétorique réactionnaire
Hirschman note que ces trois thèses sont incompatibles puisque dire qu’un changement est inutile (inanité) contredit le fait qu’il serait dangereux (mise en péril) ou encore, dire qu’une réforme cause des effets pervers implique qu’elle modifie la société – ce qui va à l’encontre de l’argument de son inutilité. Ces contradictions montrent que la rhétorique réactionnaire est moins un système cohérent qu’un ensemble d’outils discursifs flexibles, mobilisables en fonction du contexte.

Au-delà de cela, il y a une tentative de critique symétrique du discours progressiste, tout aussi valable puisqu'on élève pas le débat. Dans un geste intellectuel rare, Hirschman applique également sa grille au discours progressiste radical, qu’il accuse parfois de symétrie rhétorique : 1°) le péril imminent, c'est-à-dire si on ne réforme pas, la société court à sa perte, est le miroir de l'effet pervers ; 2°) les lois de l’Histoire, c'est-à-dire on ne peut arrêter le progrès, est l'écho à l’idée de lois naturelles ; 3°) la synergie des réformes, c'est-à-dire chaque réforme en renforce une autre, est l'inverse de la mise en péril. Ainsi, même les progressistes peuvent verser dans une rhétorique dogmatique, oublieuse des incertitudes et complexités du réel.

Les applications contemporaines de la grille de Hirschman se retrouve dans différents domaines :
◉  En écologie. Des chercheurs comme André Pottier ou Philippe Bovet utilisent le schéma d’Hirschman pour analyser les discours climato-sceptiques, qui nient l’efficacité des politiques environnementales (inanité), les rendent responsables de catastrophes économiques (effet pervers), ou prétendent qu’elles détruisent des libertés fondamentales (mise en péril).

◉  Dans les études féministes. Des chercheuses, comme Diane Lamoureux, analysent l’antiféminisme contemporain comme une rhétorique réactionnaire : les avancées féministes menaceraient la « complémentarité » naturelle (lois naturelles), elles seraient inutiles car l’égalité serait déjà acquise (inanité), ou elles mettraient en péril la famille, la civilisation, la masculinité (mise en péril).

◉  Dans le discours bancaire. L’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran utilise Hirschman pour décrypter la rhétorique de l’inaction des banques et des lobbys financiers : les réformes financières sont inefficaces (inanité), elles déstabiliseraient les marchés (mise en péril), elles pourraient aggraver les crises (effet pervers).


Partie 1 :
L'effet pervers.

Les origines historiques de cet argument et ses premières formulations prennent place lors de la contre-révolution française ainsi qu'avec l'opposition suscité par le suffrage universel qui lui est contemporaine. Ces arguments viennent en réaction, c'est pour cela que pour qualifier ces discours conservateurs, Hirschman parle de rhétorique réactionnaire.

Dès 1789, les adversaires de la Révolution (Edmund Burke, Joseph de Maistre) soutiennent que la chute de l’Ancien Régime entraînera non la liberté, mais le chaos et la tyrannie. Pour eux, l’assemblée constituante, en brisant les équilibres séculaires, a semé les germes de la Terreur et de l’instabilité politique.

Au XIXᵉ siècle, des penseurs comme Gustave Le Bon ou Herbert Spencer affirment que l’extension du vote à toutes les classes sociales aboutira à des décisions collectives irrationnelles, alimentées par la démagogie, et donc à l’appauvrissement moral et économique des peuples.

Les mécanismes de l’effet pervers sont au nombre de deux. Il y a deux ressorts principaux qui sont la méconnaissance des systèmes complexes et les intérêts enracinés. Dans le premier cas, toute société est un système à multiples rétroactions : un changement législatif peut déclencher des comportements contre-intu­itifs (incitations perverses), que le législateur n’avait pas anticipés. Dans le second cas, les bénéficiaires du statu quo (élites politiques, lobbies économiques) jouent le rôle de « chevilles ouvrières» de l’argument : ils mettent en avant des conséquences fantasmées (ou exagérées) pour préserver un ordre qui leur profite.

Donnons quelques exemples historiques et contemporains. La révolution française n'a maintenu l'abolition des privilèges qu'au prix d'une terreur et d'une dictature postrévolutionnaire. Le suffrage universel par l'extension du vote qu'il génère, conduit à un virage populiste où la loi du nombre règne au détriment du droit. Au début du XXᵉ siècle, la Prohibition par interdiction de l’alcool fait exploser le crime organisé et la contrebande. De même, la lutte contre la drogue permet à travers la répression policière sur laquelle elle repose, des carrières criminelles plus rentables, ce qui entraîne inévitablement une surpopulation carcérale, sauf à fermer les prisons. La revalorisation salariale visée par l'instauration d'un salaire minimum conduirait à l'augmentation du chômage des plus précaires. Voilà dans différents contextes et à propos de différentes réformes visées, ce que l'effet pervers permet d'alléguer comme argument ad hoc. Il y a d'autre illustrations de l'effet pervers. 

L'effet pervers en économie, l’exemple du salaire minimum. Selon certains patrons ou économistes libéraux relayés par le discours réactionnaire, relever le SMIC provoquerait mécaniquement une hausse du chômage des jeunes et des personnes peu qualifiées. Mais ces prédictions omettent souvent les effets positifs (hausse de la demande intérieure, baisse de la rotation du personnel) et négligent la capacité d’adaptation des entreprises (investissement dans la productivité).

L’effet pervers en écologie. La mise en place de quotas ou de subventions vertes est parfois décriée comme un « renforcement de la bureaucratie » et un frein à l’innovation. Pourtant, l’histoire montre que des mécanismes de marché (taxes carbone, certificats échangeables) peuvent générer des innovations radicales, invalidant l’argument du blocage technologique.

Tout cela est soumis à des limites de validité et aussi à des critiques légitimes. L’argument tient quand l’effet pervers est réel. L’effet pervers se produit dès lors que l’on modélise mal les réactions des agents économiques ou sociaux : c’est un appel légitime à la prudence et à l’évaluation ex ante (tests pilotes, simulations). L’argument devient fallacieux, quand il sert de cache-misère à tout refus de réforme ; on produit des scénarios catastrophes invérifiables pour paralyser le débat. Hirschman appelle à confronter chaque prédiction d’effet pervers à des données empiriques et à distinguer :

- les risques avérés, modélisés et documentés ;
- les effets hypothétiques, sans fondement scientifique solide.

Ainsi l’effet pervers, première figure de la rhétorique réactionnaire, joue un rôle essentiel dans la constitution d’un climat de défiance à l’égard de tout projet de changement. Le recours systématique à cet argument crée une barrière psychologique qui, avant même la discussion des mérites de la réforme, en bloque la mise en œuvre.

Partie 2 : 
L’inanité (futility)

La thèse de l’inanité soutient que les réformes politiques ou sociales, aussi ambitieuses soient-elles, demeurent vaines : elles n’apportent pas de transformation réelle des structures de pouvoir ou des rapports sociaux. En d’autres termes, « plus ça change, plus c’est la même chose » : le statu quo se perpétue, malgré les apparences de nouveauté.

La genèse de l’argument est assez simple. Alexis de Tocqueville est souvent cité comme le premier grand théoricien de cette idée. Dans De la démocratie en Amérique, il remarque que la Révolution française, tout en abattant les privilèges héréditaires, n’a pas empêché l’émergence de nouvelles formes d’inégalités et de centralisation bureaucratique : « Même après la chute de la Bastille, les habitants de France ont souvent continué de vivre sous l’empire d’un pouvoir rigide et omniprésent. » Alphonse Karr, en 1849, résume ce sentiment par sa célèbre formule : « Plus ça change, plus c’est la même chose. »

Les mécanismes de l’inanité sont la reproduction des élites, l'adaptation formelle sans changement substantiel et la neutralisation des innovations.

◉  Reproduction des élites. Selon Vilfredo Pareto, toute société, quelle que soit son organisation, est gouvernée par une minorité d’élites. L’élargissement du suffrage ou l’instauration de mécanismes participatifs ne fait que remplacer un petit groupe par un autre, sans remise en cause du principe même de domination oligarchique.

◉  Adaptation formelle sans changement substantiel. Les institutions peuvent adopter de nouveaux textes, de nouvelles procédures, mais garder intacts leurs rapports de force internes, leurs réseaux de clientélisme ou leurs rouages bureaucratiques. La « réforme » se limite alors à un habillage cosmétique.

◉  Neutralisation des innovations. Toute avancée sociale ou technique peut être détournée ou récupérée par les acteurs en place, de sorte qu’elle ne produit pas l’émancipation espérée : un droit nouveau devient un fardeau administratif, une mesure de redistribution alimente de nouveaux privilèges.

Donnons quelques illustrations historiques et contemporaines. Pendant la Révolution française, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen a maintenu la centralisation monarchique sous un autre nom, même s'il était difficile de remettre en cause le poids démographique de Paris. Le suffrage universel en tant qu'extension du droit de vote fait apparaître de nouveaux notables et de réseaux clientélaires. La décentralisation au XXᵉ siècle transfert des compétences aux régions tout en créant de nouvelles strates bureaucratiques qui redoublant l’administration centrale. Les réformes pédagogiques à travers les programmes de pédagogies « modernes » affrontent l'inertie des écoles dont les enseignants n'ont pas été formés à cet effet, dès lors, les programmes restent non appliqués sur le terrain. Les plans de lutte contre la pauvreté des politiques urbaines sont impuissant à réduire durablement les inégalités et peut-être même induisent une ghettoïsation renforcée insidieuse.

Voyons à présent quelques critiques et la portée légitime de l’argument. Il possède une force heuristique en tant que telle. L’inanité rappelle la nécessité de mesurer la profondeur réelle d’une réforme : un simple changement de nom ou de procédure ne suffit pas à transformer la vie des citoyens. A contrario, la force de l'argument inclus des limites. À force de tout juger comme vain et futile, on risque de basculer dans un cynisme politique qui pose qu'aucun progrès ne serait possible, que donc toute action collective serait illusoire. La véritable question est de distinguer les changements superficiels c'est-à-dire cosmétiques ou administratifs des véritables transformations de fond que sont les modifications des rapports de pouvoir ou un simple changement dans la redistribution effective des ressources. Hirschman met en garde contre l’excès de pessimisme nie la capacité de la réforme à produire un changement substantiel.


Partie 3 : 
La mise en péril (jeopardy)

La mise en péril est le présupposé que chaque nouvelle avancée menace les acquis antérieurs et l’équilibre social. La thèse de la mise en péril affirme que toute nouvelle réforme ou extension de droits constitue une menace directe pour les acquis antérieurs et pour la stabilité de l’ordre social. Selon cet argument, les progrès se font toujours au détriment des libertés ou des équilibres déjà établis : on échange un avantage contre un risque plus grand.

On trouve les premières occurrences dans l'Angleterre du XIXᵉ siècle. Les Tories ou conservateurs s’opposaient aux Whigs (progressistes) à chaque proposition d’élargir le suffrage. Ils assuraient que donner le vote à « la masse » ferait disparaître les libertés traditionnelles et menacerait la Constitution britannique. Un autre exemple advient dès lors qu'on s'oppose aux taxations et aux réglementations. Plus tard, lors de l’avènement de l’État-providence, on accuse chaque impôt supplémentaire ou nouvelle règle sociale de mettre en péril l’économie de marché, donc la richesse collective.

Les mécanismes de la mise en péril sont l'effet domino, la déstabilisation des équilibres et le sentiment d’injustice. 

◉  Effet domino. La réforme A conduit inévitablement à la réforme B, puis C… jusqu’à une transformation révolutionnaire ou autoritaire, on peut illustrer cela par le fait que chaque subvention écologique mènerait à une intervention croissante de l’État, conduisant peu à peu à la nationalisation de l’économie.

◉  Déstabilisation des équilibres. Les dispositifs de protection sociale créent des dépendances qui, face à une crise, ne pourraient être financées, menaçant ainsi l’économie entière et on retrouve cette préoccupation à travers le cas du financement de la retraite par répartition : il condamnerait le pays à un effondrement démographique lorsqu’arriveront en masse les générations nées dans le baby-boom.

◉  Sentiment d’injustice. Les bénéficiaires des droits acquis considèrent toute extension de droits comme une spoliation, on peut penser par exemple aux avantages fiscaux pour les bas revenus perçus comme une attaque contre la propriété ou la rémunération des classes moyennes.

À présent quelques exemples historiques et contemporains. En Grande-Bretagne, le Reform Act de 1832 en élargissant le droit de vote érode un peu plus la Constitution en accentuant le rapport de force entre royauté et Parlement. Au XIXᵉ s., aux États-Unis, les amendements successifs garantissant les droits civils induisent une rupture de l’équilibre fédéral et une montée du « tyran » fédéral pour les libertariens. Au XXᵉ s., en Europe, l'État providence ruinerait financièrement les nations tout en aboutissant à une montée des prélèvements obligatoires. C'est le genre d'arguments que l'on rencontre. Au XXIᵉ s., cette fois, pour démonter les thèses de l'écologie, la taxe carbone conduirait à une fuite des capitaux tout autant qu'à une perte de compétitivité industrielle. Les réformes du droit du travail, avec par exemple l'allongement des congés payés ou la baisse de l'âge de départ à la retraite démotivae les employeurs à embaucher.

La mise en péril possède un atout rhétorique certain, l’appel à la peur. Celle-ci concerne et appréhende la ruine, le chaos, l’injustice. C'est un levier puissant dans le débat politique, là où la tristesse serait un frein. Il mobilise les électeurs autour de la défense des acquis et offre un avertissement tangible face à l’inconnu, à l'incertitude. On peut aussi formuler une critique. Si l’on refuse tout changement sous prétexte qu’il pourrait tout emporter, la société devient stérile, incapable de s’adapter aux évolutions techniques, économiques ou culturelles.
Il s’agit donc de mesurer les risques réels et de prévoir les garde-fous plutôt que de rejeter a priori toute innovation.

La mise en péril, en jouant sur la préservation des acquis et la peur du futur, vient compléter les motifs que sont l'effet pervers et l’inanité. Ensemble, ces trois thèses forment une triple digue face à toute politique de réforme. Voyons à présent comment Hirschman identifie les points communs entre ces trois figures argumentatives, notamment la stratégie d’évitement et le recours aux lois naturelles, avant d’aborder leurs contradictions et divergences.

Partie 4 : 
Points communs entre les trois thèses réactionnaires

Hirschman montre que, malgré leurs différences, l’effet pervers, l’inanité et la mise en péril partagent des traits rhétoriques et stratégiques fondamentaux. Ces points communs expliquent la puissance et la pérennité de la rhétorique réactionnaire.

La stratégie d’évitement
◉ Éviter le débat de fond.
Les discours réactionnaires refusent de remettre en question les objectifs déclarés des réformateurs (liberté, égalité, progrès social). Ils concentrent leur critique sur les modalités de la réforme, ou sur ses conséquences supposées, sans jamais engager une discussion sur la légitimité ou la valeur des finalités.

◉ Neutraliser l’adversaire. En cadrant le débat autour de « scénarios catastrophes » (effets pervers), de la vanité des efforts (inanité) ou de la menace qu’ils font peser (mise en péril), on place les auteurs des réformes sur la défensive, obligés de justifier leur propre bien-fondé, plutôt que de défendre leur projet.

L’idée de « lois naturelles »
La rhétorique des lois naturelles sert à diaboliser toute initiative de réforme, en la présentant comme un affront à l’ordre intrinsèque du monde. Elle s’appuie sur la notion d’inévitabilité.

◉ La Providence comme ordre supérieur. Chez Joseph de Maistre et d’autres réactionnaires d’inspiration religieuse, c’est la Volonté divine ou la Providence qui fixe l’ordre social.

◉ La théorie des élites. Gaetano Mosca, Vilfredo Pareto et Robert Michels formulent une « loi naturelle » de la domination oligarchique : quelles que soient les institutions, une minorité détient et conservera le pouvoir.

◉ Les divines lois du marché. Milton Friedman et d’autres économistes libéraux présentent le marché comme un système auto-régulateur : toute intervention extérieure (impôt, réglementation, redistribution) viole ses lois immuables et conduit à l’échec.

L’usage du catastrophisme et de la peur
◉  Amplification des risques.
Les thèses réactionnaires partagent la tendance à exagérer les conséquences négatives. Les données scientifiques ou historiques sont souvent tournées de façon à souligner l’exceptionnel, pour faire oublier la fréquence des résultats neutres ou positifs.

◉  Appel aux émotions. Plutôt que d’argumenter par la raison seule, ces discours jouent sur les peurs collectives : peur du changement, peur de la perte, peur du chaos. L’émotion sert de catalyseur et court-circuite la réflexion critique.

La neutralisation de l’incertitude
◉  Prétention de certitude.
Les trois figures présentent leurs prédictions (effets pervers, absence de résultat, mise en péril) comme sûres et scientifiquement fondées, alors qu’elles reposent souvent sur des hypothèses non démontrées ou des généralisations abusives.

◉  Refus du risque. En stigmatisant toute marge d’erreur comme inacceptable, la rhétorique réactionnaire instaure une culture de la prudence absolue où l’inaction devient la seule posture « responsable ».

En résumé, ces points communs offrent une figure, une visée concrète. Par la stratégie d’évitement, il s'agit de critiquer uniquement les moyens et conséquences, jamais les objectifs. Par la référence aux lois naturelles, on ancre davantage les discours convoquant la Providence, élites, marché inviolable. Par l'usage du catastrophisme, on obtient une exagération des scénarios négatifs et on fait appel aux peurs les plus enfouies. Par la prétention et quête inextinguible de certitude, on présente des arguments comme infaillibles et par là même on rejette de l’incertitude qui reste sinon le moteur de l'existence, son sel. Convaincant, non ?

Ces traits partagés expliquent pourquoi les discours réactionnaires, au-delà des contextes et des époques, conservent une efficacité rhétorique redoutable. Ils forment un « kit de rhétorique” aisément convocable face à toute proposition de changement.


Partie 5 : 
Contradictions et divergences des thèses réactionnaires

Albert O. Hirschman observe avec acuité que, bien qu'elles semblent s'accorder sur une même stratégie rhétorique — celle de l'évitement du débat de fond et de l'invocation de prétendues « lois naturelles » immuables —, les trois figures majeures de la rhétorique réactionnaire que sont l'effet pervers, l'inanité et la mise en péril sont en réalité profondément incompatibles. Elles ne se distinguent pas uniquement par la nature de leurs arguments, mais par les postulats opposés sur lesquels elles reposent.

Ainsi, une thèse comme celle de l'effet pervers suppose que les réformes ont bel et bien un effet, mais qu'il est inverse aux intentions initiales, souvent catastrophique. En revanche, la thèse de l'inanité postule une inefficacité totale des actions politiques : « tout change pour que rien ne change », pour reprendre la célèbre formule inspirée du « Guépard » de Lampedusa. Quant à la mise en péril, elle se fonde sur la conviction que les réformes compromettent des acquis antérieurs essentiels, menaçant l'équilibre fragile d'une société déjà établie.

Comme le souligne Hirschman : « Ce sont trois thèses qui, prises individuellement, présentent une logique persuasive, mais qui, combinées, s'annulent mutuellement. » Cette dissonance interne, souvent passée sous silence par les rhétoriciens réactionnaires eux-mêmes, constitue un point de vulnérabilité crucial que le camp progressiste peut exploiter pour démontrer l’incohérence des résistances au changement.

Chaque thèse émerge selon les conditions historiques et les alliances idéologiques : on invoquera l’effet pervers quand on croit au changement possible (mais dangereux), l’inanité quand on est persuadé de l’immuabilité, la mise en péril quand on redoute la perte des acquis. Il y a donc un usage contextuel de ces arguments. Bien que l’effet pervers, l’inanité et la mise en péril partagent une même logique d’évitement et d’appel à des « lois naturelles », Hirschman souligne qu’elles sont logiquement incompatibles les unes avec les autres, et qu’elles reposent sur des présupposés différents.


5.1. Effet pervers vs. Inanité

Il y a une contradiction centrale aux origines idéologiques. Quand l'effet pervers postule que la réforme modifie la société, mais en produisant un résultat négatif ; l'inanité postule que la réforme ne modifie pas la société, qu’elle est sans effet. L’effet pervers s’appuie souvent sur une vision religieuse ou morale telle que le péché originel, le rôle du destin ou de la Providence : le changement apparaîtrait comme une transgression aux conséquences funestes. L’inanité se réclame, quant à elle, d’une vision plus scientifique avec en arrière-fond une théorie des élites ou le présupposé d'existence de lois du marché : la société obéirait à des lois stables qui neutraliseraient toute tentative de transformation.

La contradiction entre les thèses de l'effet pervers et de l'inanité constitue une des tensions les plus visibles au sein de la rhétorique réactionnaire. La thèse de l'effet pervers affirme que les réformes ont bel et bien un impact, mais que cet impact est fondamentalement négatif : elles produisent des effets contraires à leurs intentions initiales. Hirschman donne l'exemple de certains auteurs contre-révolutionnaires comme Joseph de Maistre, qui considéraient que la Révolution française avait engendré une tyrannie plus dure encore que celle de l'Ancien Régime, et qu'ainsi, la tentative de libération s'était retournée contre elle-même.

En revanche, la thèse de l’inanité repose sur une perspective tout à fait différente : elle nie que les réformes aient le moindre effet réel. Selon cette vision, les structures sociales et politiques sont si résistantes au changement qu’elles absorbent toute tentative de réforme sans altération notable. Cette position est illustrée par des penseurs comme Alexis de Tocqueville ou Vilfredo Pareto. Ce dernier soutenait que, quels que soient les changements institutionnels, une élite finit toujours par dominer, ce qui rendrait toute entreprise démocratique illusoire.

Ainsi, l’effet pervers et l’inanité proposent deux diagnostics incompatibles : l’un affirme que le changement produit du chaos, l’autre qu’il est inefficace. Hirschman résume cette aporie en soulignant : « Si une action politique est à la fois sans effet et catastrophique, il est difficile de maintenir une cohérence intellectuelle. » C’est cette incohérence que le penseur exhorte à révéler et à critiquer dans le débat public.

Le fondement idéologique de la contradiction entre l'effet pervers et l'inanité repose sur deux visions du monde profondément divergentes. La thèse de l'effet pervers est souvent enracinée dans une conception morale ou religieuse de l'ordre social. Elle suppose que les réformes, bien que mues par de nobles intentions, aboutissent à une corruption de la société. Cette idée s'illustre notamment chez Joseph de Maistre, pour qui l'histoire est guidée par une Providence divine, et toute tentative humaine d'en bouleverser le cours ne peut que mener à la catastrophe. Il affirmait ainsi que : « L’homme ne crée rien, il ne fait que se détruire. » Cette vision tragique et cyclique de l’histoire fait du changement un acte sacrilège.

En revanche, la thèse de l’inanité se réclame d’un rationalisme pseudo-scientifique. Elle avance que les structures sociales sont régies par des lois invariantes qui rendent toute transformation illusoire. C’est ce que l’on retrouve chez Vilfredo Pareto, dont la théorie des élites postule que, quels que soient les systèmes politiques, une minorité dirigeante finira toujours par émerger et accaparer le pouvoir. Cette idée conduit à penser que l’action politique, si elle ne bouleverse pas ces lois naturelles, est vouée à l’échec. Comme le résume Hirschman : « Le discours de l’inanité dissimule souvent un fatalisme scientifique, qui naturalise les hiérarchies et les injustices sociales. »

Ainsi, les deux thèses divergent tant dans leur regard sur la société que dans les types de légitimité qu'elles mobilisent — l'une relevant d’un ordre moral supérieur, l’autre d’une rationalité prétendument objective et immuable.


5.2. Inanité vs. mise en péril

Dans les deux cas, on n'a pas affaire au même risque. L'inanité prétend que l’action est inutile, donc sans risque, en effet elle ne produit rien. La mise en péril quant à elle soutient que l’action est dangereuse, car mettant en péril ce qui est acquis. On n'a pas non plus affaire aux mêmes objets. L’inanité s’attaque à la futilité de l’objet même de la réforme, postulant qu'elle ne changera rien. La mise en péril s’attaque d'emblée à la sécurité des acquis puisque elle fait courir un risque.

La contradiction entre l'inanité et la mise en péril prend racine dans deux représentations radicalement opposées du risque associé au changement social. D’un côté, la thèse de l’inanité repose sur l’idée que les réformes politiques ou sociales sont fondamentalement inefficaces : elles ne parviennent pas à transformer les structures profondes de la société. Cela induit une forme de scepticisme désabusé, voire de cynisme, face à l'action politique. Le risque n’est pas tant dans le changement lui-même, mais dans l’illusion qu’il produit : on s’agite, on légifère, mais rien ne change vraiment. Comme le souligne Hirschman, ce discours suggère que « l’histoire est un théâtre d’ombres où les réformes ne laissent aucune empreinte durable ». Ainsi, dans cette perspective, le risque est presque inexistant, puisqu’il n’y a pas de véritable transformation.

À l’opposé, la mise en péril se fonde sur la conviction inverse : le changement est non seulement possible, mais il est porteur d’un danger imminent. Les réformes, loin d’être anodines, sont perçues comme des menaces pour l’équilibre social, les traditions ou les acquis historiques. Cette posture est animée par une peur quasi existentielle d’un effondrement moral, identitaire ou institutionnel. Comme le note Hirschman, « là où l’inanité rassure, la mise en péril alarme ». L’un neutralise le changement par le doute, l’autre l’attaque par la crainte. Le risque, ici, est maximal : toute réforme pourrait précipiter une déstabilisation irréversible des fondements de la société.

Cette opposition entre une absence de risque (l’inanité) et un excès de risque (la mise en péril) illustre l’incohérence fondamentale de la rhétorique réactionnaire, qui peut dans un même discours minimiser et diaboliser le changement selon l’effet recherché.

Positionnement dans le débat. La tension entre les thèses de l'inanité et de la mise en péril se manifeste également dans la manière dont elles orientent le débat public. La première tend à désengager les individus de toute action politique en insinuant son inutilité. C’est le discours du « À quoi bon ? », qui invite à l’inaction, au repli, à une posture de spectateur désabusé face à la marche du monde. Elle repose sur un scepticisme profond envers la capacité de l’humanité à infléchir le cours de l’histoire. Hirschman souligne à ce propos : « Le discours de l’inanité est un somnifère idéologique : il endort les volontés sous le couvert du réalisme. » Ce fatalisme résigné se veut rassurant, en ce qu’il nie l’impact réel des réformes, et propose une stabilité illusoire.

À l’opposé, la thèse de la mise en péril adopte une posture de mobilisation. Elle ne nie pas l’effet des réformes, bien au contraire : elle les rend responsables de tous les désordres à venir. C’est le discours de l’alarme, du « Attention, on risque de tout perdre ! », qui cherche à créer un réflexe de défense, souvent irrationnel, vis-à-vis de toute tentative de transformation. Elle dramatise le changement pour inciter à une réaction rapide et viscérale. Comme l’écrit Hirschman, « cette rhétorique est une sirène hurlante qui transforme tout projet de réforme en péril imminent, mobilisant ainsi la peur pour bloquer la réflexion. »

Ainsi, les deux thèses empruntent des voies diamétralement opposées dans leur rapport à l’action. L’une inhibe, l’autre excite. L’une dissuade par le doute, l’autre condamne par la terreur. Leur coexistence au sein d’un même arsenal rhétorique montre que la cohérence argumentative n’est pas une priorité dans les discours réactionnaires : ce qui compte, c’est l’effet produit sur l’auditoire, même si les moyens pour y parvenir sont contradictoires.

L’inanité tend à délégitimer l’engagement politique par un « À quoi bon ? »

La mise en péril mobilise une peur concrète en sonnant l'alerte : « Attention, on risque de tout perdre. »


5.3. Effet pervers vs. Mise en péril

L’effet pervers imagine un retournement du progrès en mal quand la mise en péril promet une destruction des acquis

Effet pervers et mise en péril s'opposent quant au rapport à l'histoire et au passé et quant au rapport au futur. Les deux s’appuient sur la peur, mais l’effet pervers insiste sur la fatalité d’un mauvais retournement quand la mise en péril insiste, elle, sur une cascade d’événements menaçant le socle institutionnel. Dans les deux cas, le rapport à l’histoire est différent.

L’effet pervers s’ancre dans une vision cyclique ou tragique de l’histoire. La mise en péril s’inscrit dans une logique de conservation du passé. Le rapport à l’histoire constitue un point de divergence majeur entre la thèse de l’effet pervers et celle de la mise en péril. La thèse de l’effet pervers s’inscrit dans une conception cyclique ou tragique du temps historique. Elle postule que les grandes entreprises de réforme, bien qu’animées par des idéaux de progrès, sont en réalité condamnées à reproduire les erreurs du passé ou à générer des conséquences inattendues, souvent plus graves que les maux qu’elles cherchaient à éradiquer. Hirschman, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, affirme ainsi : « L’histoire devient ici une succession de revers, où chaque tentative de rupture avec l’ordre établi ne fait que reproduire, sous d’autres formes, les travers qu’elle entendait abolir. » Cette perspective rappelle les conceptions anciennes du destin tragique, voire les lectures providentialistes de l’histoire telles que défendues par Joseph de Maistre ou Louis de Bonald, pour qui le cours historique est gouverné par une Providence supérieure, rendant toute tentative humaine de changement vouée à l’échec.

À l’inverse, la thèse de la mise en péril s’appuie sur une lecture linéaire et conservatrice de l’histoire, centrée sur la protection d’un passé idéalisé. Dans cette optique, l’histoire est envisagée comme un socle fait d’institutions, de traditions et de valeurs accumulées, formant l’identité collective d’un groupe. Le changement n’est pas vu comme une répétition cyclique mais comme un saut dans l’inconnu susceptible de menacer cet héritage fragile. La réforme est donc suspectée, non pour son échec éventuel, mais pour le risque qu’elle fait peser sur la continuité d’un legs essentiel. Hirschman note à ce propos que « le passé devient un refuge moral, une source de légitimité que l’avenir ne saurait égaler. » Cette sacralisation du passé confère aux discours réactionnaires une force émotionnelle considérable, mobilisant la peur de la perte et l’attachement aux traditions afin de paralyser toute volonté de transformation.

Ainsi, ces deux thèses opposent deux temporalités antagonistes : celle de l’effet pervers, qui conçoit l’histoire comme un cycle tragique où le changement génère son propre malheur, et celle de la mise en péril, qui voit l’histoire comme un patrimoine fragile à défendre contre les risques d’effacement. Cette opposition éclaire également la façon dont la rhétorique réactionnaire manipule la mémoire collective, disqualifiant l’avenir à travers deux logiques distinctes — soit comme retour inévitable d’une tragédie, soit comme menace irréversible pesant sur un passé sacralisé.

L'opposition entre l'effet pervers et la mise en péril se révèle particulièrement révélatrice lorsqu'on l'examine à travers le prisme du rapport au futur. Dans la logique de l'effet pervers, le futur est perçu comme l'espace d’un retournement inattendu, souvent dramatique, des intentions initiales. Les réformes, même animées par des objectifs louables, seraient vouées à produire des conséquences inverses à celles escomptées. Ainsi, ce n’est pas l’inaction, mais bien l’action même, qui se transforme en menace. Hirschman écrit à ce sujet : « L'effet pervers suggère que le progrès est une illusion dangereuse, car il engendre son contraire. » Le futur est donc un miroir inversé du présent, où toute tentative de mieux se retournerait contre ses auteurs.

En revanche, dans la rhétorique de la mise en péril, le futur est envisagé comme la scène possible d'une régression grave, non pas parce que l’action échoue, mais précisément parce qu’elle réussit à transformer l’ordre établi. Cette thèse repose sur une valorisation nostalgique des acquis antérieurs, qu’elle estime menacés par le changement. Le futur y devient alors une menace pour le passé : il risque de dissoudre des héritages considérés comme fondamentaux. C’est ce que Hirschman décrit comme « une peur de la tabula rasa », un effacement pur et simple des repères historiques au nom d’une modernité présumée libératrice. Le futur devient alors l’espace de toutes les pertes, un horizon d’effondrement plutôt que d’émancipation.

Ainsi, Hirschman montre que la rhétorique réactionnaire est un recueil d’arguments modulables, mais sans cohérence systématique. Cette plasticité lui donne sa force, mais ses contradictions internes fournissent aux réformateurs des points d'appui et des portes d’entrée pour déconstruire ces discours et faire progresser le débat vers l’analyse des fondamentaux plutôt que vers le catastrophisme. Les deux thèses décrivent un avenir dangereux, mais selon des logiques distinctes. L’effet pervers diabolise l’avenir comme contresens du présent, tandis que la mise en péril le condamne comme trahison du passé.


5.4. Illustrations

Les opposants à une réforme peuvent à travers une rhétorique flexible passer d’une thèse à l’autre, voire les combiner de façon sélective, en fonction de leur auditoire et de la nature de la réforme à déconstruire. À l'inverse, les réformateurs peuvent exploiter ces contradictions comme des failles argumentatives et démontrer ainsi l’incohérence des critiques. Si vous dites que la réforme ne sert à rien (inanité), pourquoi en craindre les effets ? Et si vous prétendez qu’elle va tout chambouler (mise en péril), comment nier qu’elle modifie la société (effet pervers) ?

Certains détracteurs affirment que la privatisation serait inutile (inanité), d’autres qu’elle détruirait le service public (mise en péril), d’autres encore que la privatisation retournerait le secteur concerné contre l’usager (effet pervers). Dès lors, confronter ces discours révèle leurs incompatibilités logiques, et affaiblit l’argumentaire global.

Autre illustration, le dialogue sur la transition énergétique. Les mêmes acteurs peuvent tour à tour dénoncer le caractère inutile des subventions vertes, les qualifier de dangereuses pour l’économie, ou prédire qu’elles entraîneront des carences énergétiques catastrophiques.


Ouverture finale :

Avec Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Albert O. Hirschman ne fait pas qu’analyser les discours conservateurs : il propose un outil heuristique puissant pour décrypter tout discours d’opposition au changement, quelle que soit sa coloration idéologique. Son œuvre souligne l’importance de reconnaître les biais rhétoriques, non seulement chez ses adversaires politiques, mais aussi dans son propre camp. C’est un plaidoyer pour une démocratie réflexive, où l’on débat des réformes sur le fond, en dépassant les automatismes de la peur ou de l’idéalisme aveugle.
 

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