PAUL LANGEVIN & ALAIN / Les prétentions sociales du fascisme
COMITÉ D’ACTION ANTIFASCISTE ET DE VIGILANCE
Le manifeste aux travailleurs, dont Paul Rivet, Professeur au Muséum, l’écrivain Alain et Paul Langevin, Professeur au Collège de France, ont pris la responsabilité dès le 5 mars, et que l’on trouvera à la fin de la présente brochure, a été signé depuis cette époque par 2.800 savants, médecins, ingénieurs, avocats, écrivains, artistes, professeurs d’enseignement supérieur et secondaire, instituteurs, étudiants, éducateurs de tous les degrés, intellectuels de toutes les catégories, — réunis dans le Comité dont le manifeste annonçait la constitution et qui a pris nom de Comité d’Action Antifasciste et de Vigilance.
Ce Comité assume une double tâche : vigilance à l’égard du fascisme, lutte intellectuelle contre la démagogie fasciste. Il publie un bulletin bimensuel : Vigilance (*) et une série de brochures scientifiquement établies sur les principaux problèmes relatifs au fascisme, dont voici la seconde.
Ces brochures doivent être diffusées à travers tous le pays par les membres du Comité et par les grandes organisations antifascistes et prolétariennes avec lesquelles nous collaborons fraternellement. En effet, le Comité compte parmi ses membres des représentants de toutes ces forces : membres de la Ligue des Droits de l’Homme, membres des Comités antifascistes locaux, anciens combattants, pacifistes, démocrates, socialistes, communistes, confédérés, unitaires, inorganisés, tous ensemble collaborent d'un même cœur à une môme action. La liste des adhérents sera publiée par le bulletin « Vigilance ». Indiquons ici quelques-uns d’entre eux.
Parmi les savants on trouve :
Jean Perrin, lauréat du Prix Nobel de physique,
Jacques Hadamard,
Lucien Lévy-Bruhl,
Georges Urbain
(tous quatre membres de l’Institut),
et un grand nombre de maîtres au Collège de France, du Muséum et de nos Facultés des Sciences, parmi lesquels
MM. Auger, Barrabé, Blayac,Bourdelle, G. Cerf, J. Chapelon, R. Combes, Maurice Curie, E. Dubois, O. Duboscq, E. Faure-Fremiet, Favard, Lucien Febvre, Gosse, Gay, L. Genevois, A. Kirmànn, H. Laugier, M. Lemarchands, L. Longchambon, M. Maresquelle, Marcel Mauss, J. Millot, Petit, Henri Piéron, Marcel Prenant, E. Rabaud, Mme Ramart, E. Sollaud, J. Soula, Turrière, Wolfers, L. Zoretti,
les astronomes Henri Mineur, Daniel Chalonge, G. Meyer
les jeunes Louis Cartan, Georges et Jeanne Fournier, M. Hamon, Irène Joliot-Curie, Frédéric Joliot-Curie, Francis Perrin, Pierre Urbain, avec des assistants et des chefs de travaux.
Parmi les maîtres des facultés des lettres :
Prosper Alfaric, Gaston Bachelard, E. Bataillon, M. Bataillon, E. Bouvier, Geneviève Bianquis, Marc Bloch, G. Connes, H. Daudin, Darbon, Delage, R. Farotier, D. Faucher, P. Fauconnet, Foucau, Fournier, Fourquet, Gougenheim, O. Guignebert, Guillaumie, J Hatzfeld, Georges Lefebvre, Théodore Lefebvre Marouzeau, H. Meyer, Oguse, G. Poyer, A. Renaudet, Séchan, H. Sée, M. Souriau, P. Trahard, Ed. Vermeil, Henri Wallon.
Parmi les maîtres des Facultés de Droit :
R-E. Charlier, E. Dolléans, Fourgeaud, Lampué, Emm, Lévy, H. Lévy-Bruhl, Robert Mossé, André Philip, M. Waline.
Parmi les maîtres de l’Ecole des Hautes-Etudes :
A. Chauchard, M. Cohen, J. Bloch, Albert Dauzat, J.-M. Lahy, Ignace Meyerson, Paul Passy.
Parmi les maîtres de l’Ecole des Langues Orientales :
F. Dominois, Granet, Mirambel, Sauvageot et Vaillant.
Parmi les médecins :
MM. Henri Roger et Tiffeneau, membres de l’Académie de Médecine, Dalsace, chef de laboratoire des hôpitaux, Roussy et Verne, professeurs à la Faculté de Médecine de Paris, Delefontaine, Joltrain, anciens chefs de clinique, et Rouques, chef de clinique à la Faculté de Médecine de Paris, Galavielle, chef de clinique à la Faculté de Médecine de Montpellier, Alphonse Labbé, professeur à l’Ecole de Médecine de Nantes, Jean Paraf, médecin des Hôpitaux de Paris, Faure-13eaulieu, médecin de l’Hôpital Saint-Antoine, Odiette, assistant à l’Institut du cancer, de nombreux internes des Hôpitaux, etc.
Parmi les ingénieurs :
Leclerc de Pulligny, ancien inspecteur général des Ponts-et-Chaus- sées, Eugène Beaurepaire, Paul Boucherot, M. Jean Saphores et un grand nombre d’autres, dont un groupe de vingt-cinq anciens élèves de l’Ecole Polytechnique.
Parmi les artistes :
Simon Bussy, Francis Jourdain, André et Jean Lurçat, Ozenfant, Paul Signac, etc.
Parmi les écrivains :
Louis Aragon, Julien Benda, André Breton, Jean Cassou, Léon-Paul Fargue, Jean Guéhénno, Jean-Richard Bloch, Ramon Fernandez, Roger Martin du Gard, André Gide, Jean Giono, Romain Rolland, Jean Rostand, Charles Vildrac, Marcel Abraham, Pierre Abraham, Arcos, Aveline, J. Ballard, Jean-Jacques Bernard, Marc Bernard, Jean Blanzat, Auguste Bréal, René Crevel, Eugène Dabit, René Daumal, Paul Desjardins, Paul Eluard, Elie Faure, Jeanne Galzy, Claire Charles-Geniaux, Pierre Gérême, Maurice Guvot, Paul Gsell, Joseph Jolinon, René Lalpu, Ludovic Massé, Magdeleine Paz, Georges Pioch, Henri Poulaille, Lucien Psichari, Léon-Pierre Quint, A. de Richaud, André Spire, Léon Werth, André Wurmser ;
les journalistes
G. Boris, F. Crucy, Ch. Dülot, Yves Farge, Nicolas Lerouge, Jules Rivet, Simone Téry, Andrée Viollis.
Parmi les avocats :
Gaston Bergery, Maurice Paz, etc.
Un grand nombre de professeurs et instituteurs, parmi lesquels on remarque les syndicalistes :
Bruhat, Cogniot, Janets, Lacroix, Mérat, Marseillan, P. Bouthonnier, Auriaux, Baldacci, Boulanger, Mlle Cavalier, Mme Chamard, Mlle Compan, Cornee, Delmas, Dumas, Giron, Hielte, Jacquemard, G. Lapierre, Levasseur, Mme Pichorel, Presson, Mlle Robert, Mme Roulet, L. Roussel, Mme Santucci, Yivès, V. Barne, Pruvost, Rebois, André Dubois.
Parmi les membres de la Ligue des Droits de l’Homme, se sont joints à nous les Professeurs :
Victor Basch, A. Bayet, Barthélémy, F. Challaye, Mme Suzanne Collette, Emery, Em. Kahn, Michon, Prudhommeaux.
Parmi toutes ces personnalités, les anciens combattants et les défenseurs de la paix auront reconnu les leurs. Citons pour finir ces noms aimés par eux :
Michel et Jeanne Alexandre, Béziès, Demartial, Mme Duchène, Camille Drevet, Mme Eidenschénk, René Gérin, Gouttenoire de Toury, Guy Jéramm, G. de Lacaze-Duthiers, Jean Scnnac, Madeleine Vernet.
Un grand nombre d’élèves des grandes écoles et d’étudiants se sont joints à nous.
Le Conseil Général de la Ligue de l’Enseignement, dans sa séance du 12 avril, a adopté le manifeste à l’unanimité.
La Fédération de l’Enseignement vient de décider de soutenir officiellement le Comité et conseille à ses membres d’y adhérer.
Notre mouvement s'engage seulement et il doit s’amplifier. Nous n’avons touché, jusqu’à présent, qu’un petit nombre de ceux qui sont appelés à signer notre manifeste et à se grouper avec nous. Si nous voulons que notre action soit efficace, que nos bulletins, nos brochures, atteignent les masses, que nos études soient mises à la portée de tous, d est indispensable que nous soyons très nombreux. C’est pourquoi nous demandons à tous ceux qui, lisant cette brochure, croiront pouvoir se joindre à nous, de nous communiquer leur adhésion.
Le 15 juin 1934.
LES PRETENTIONS SOCIALES DU FASCISME
Par Alain, Pierre Gerome, Paul Langevin, Marcel Prenant et Paul Rivet
La crise s’étend de plus en plus, et presque tous en souffrent. De plus en plus se répand l’opinion qu’il faut, pour en sortir, une transformation économique. Aux siècles passés, la misère pouvait s’expliquer parfois par la pénurie de produits; à l’heure actuelle, des dizaines de millions d’hommes meurent de faim à côté de greniers pleins, tandis qu’on détruit des stocks et qu’on cherche à limiter la production industrielle et agricole, ce qui dénote évidemment un vice d’organisation. Certains croient et travaillent à faire croire que la transformation nécessaire a été effectuée en Italie, qu’elle est en voie d’exécution en Allemagne et que, pour triompher de la crise, nous devrions, en France, suivre ces exemples en les adaptant à notre pays.
Les uns estiment qu’il suffirait de remplacer le régime parlementaire par un gouvernement fort. D’autres, plus précisément, pensent à imiter le régime corporatif. D’autres insistent encore et disent : « Les pays fascistes sont en train de réaliser le socialisme. »
Les uns et les autres croient, en somme, le gouvernement fort du fascisme assez puissant pour imposer sa volonté suprême aux grands capitalistes aussi bien qu’aux ouvriers, et soumettre le crédit, l’industrie, l’agriculture, les prix, aux intérêts de la collectivité.
Nous pensons, nous, que si les gouvernements fascistes sont bien autoritaires et même despotiques, leur puissance s’exerce en réalité au profit de quelques privilégiés.
Pour cette démonstration, le plus simple est de rappeler les promesses faites par le fascisme en Italie et en Allemagne et de les comparer avec ce qu’il a réalisé une fois maître de l’Etat.
LE FASCISME AU SERVICE DES GRANDS CAPITALISTES EN ITALIE
Le fascisme n’a jamais été à court de théories économiques, mais elles ont été très variables. Quant à la législation mussolinienne, les principes en ont été différents selon les circonstances et les époques. Pensée flottante et contradictoire ; action discontinue en apparence : il n’est pas facile ae s y reconnaître immédiatement. Mais à l’étude on constate que es mots et les actes, soumis à une même nécessité inavouée, n'ont guère cessé de servir les intérêts de l’oligarchie financière et industrielle.
Pendant la campagne pour le pouvoir
Premières théories
En 1919, l’Italie est en plein désarroi économique, le mouvement ouvrier très puissant. Le programme de Mussolini au moment où il constitue ses faisceaux de combat, est violemment anticapitaliste. Il exige :
« La dissolution des sociétés anonymes, industrielles et financières, la suppression de toute espèce de spéculation, des banques et des bourses ; la création d’un organisme national avec sections régionales pour la distribution du crédit. (Article 9.)
« Le recensement et la redistribution de la richesse nationale, le paiement de la dette du vieil Etat aux frais des riches. (Article 10.)
« La terre confiée aux paysans, l’exploitation des indus tries des transports et des services publics confiée aux syndicats des techniciens et des travailleurs. (Article 12.) »
Et diverses autres mesures : journée de 8 heures, impôt progressif sur le capital, « prenant la forme d’une expropriation partielle de la richesse », confiscation de certains revenus épiscopaux, large taxe successorale, restitution de 85 % des profits de guerre, révision des marchés militaires.
A cette époque, l’anticapitalisme des fascistes renchérit sur celui des socialistes. Mais les fascistes sont aussi des nationalistes décidés, voire frénétiques, qui réclament à grands cris « la valorisation de la victoire ». A l’origine, le fascisme mussolinien a été un national-socialisme (1).
Dans une autre brochure relative au péril fasciste en France, nous examinerons de plus près ce double jeu démagogique.
(1) La chose est importante à rappeler au moment où anticapitalisme et nationalisme commencent à se combiner dans la propagande de nos fascistes. Notons d’ailleurs que le programme de 1919 n'eut aucun succès. Le fascisme italien ne prit de l’importance qu'au reflux du mouvement ouvrier, à partir de fin 1920, avec des troupes violemment réactionnaires.
Observons seulement ici que les fascistes, tentant une œuvre de division parmi les travailleurs, servaient déjà les intérêts des ploutocrates contre lesquels ils déclamaient si fort.
Nouvelles théories
En 1921, changement de front. Après de lourdes fautes, le mouvement ouvrier de 1920 a avorté. Les capitalistes exploitent leur victoire. Ils trouvent à leur disposition le mouvement fasciste qui entre en lutte violente et sanglante contre les organisations ouvrières. L’idéologie fasciste ne tarde pas à s’adapter à la situation nouvelle — spécialement en matière économique.
Pendant l’été de 1922, la crise économique de 1920 étant passée, les économistes fascistes se rattachèrent à l’école dite « libérale », qui fait uniquement confiance à la gestion privée des industries et professe que le meilleur système économique est celui où l’Etat laisse toute liberté au jeu des intérêts privés — théories qui convenaient fort aux capitalistes maîtres de l’économie italienne, peu soucieux d’abandonner une fraction quelconque de leurs pouvoirs à la collectivité.
Avant la marche sur Rome, Mussolini s’est prononcé catégoriquement en faveur d’une limitation de l’Etat à ses fonctions juridiques et politiques — c’est-à-dire contre ses interventions en matière économique (1).
Ainsi, pendant sa campagne pour le pouvoir, le fascisme italien servit l’oligarchie économique en professant tour à tour l’anticapitalisme et le « libéralisme ». Nous allons voir comment, une fois maître du gouvernement, il trouva moyen de servir les mêmes intérêts en trahissant toutes ses promesses précédentes, qu’elles fussent anticapitalistes ou libérales.
(1) C'est la vieille théorie chère au "Temps" et que professent aussi chez nous l'Action Française et le colonel de la Rocque. Elle plaît à ceux qui sont mécontents des méthodes administratives de l'Etat. sans se demander si cette incapacité de l'Etat actuel ne résulte pas précisément de sa dépendance à l'égard des puissances d'argent, qui l'affaiblissent, le domestiquent, lui interdisent les mesures les plus nécessaires.
Mussolini au Pouvoir
Le pseudo-libéralisme fasciste (1922-1926)
Pendant les premières années de son existence, période de prospérité relative pour l’Italie comme pour les autres pays, le gouvernement fasciste appliqua une partie de son pro gramme de 1921-1922, en ce sens qu’il affranchit les banques et les sociétés d’assurances (1). Mais ce serait une grande erreur de croire que même pendant cette période l’Etat fasciste s’abstint d’intervenir en matière économique : seule ment l’Etat n’intervint plus guère que pour subventionner le grand capital (renflouement du Banco di Roma, primes et subsides à diverses sociétés).
Il n’était plus question d’anticapitalisme. La législation fiscale, en particulier, viola cyniquement les promesses faites. Douze jours après la prise du pouvoir fut détruit le seul obstacle à la fraude fiscale sur les revenus mobiliers, par l’abrogation de la loi sur les valeurs industrielles et bancaires. Le programme de 1919-1920 comportait « la révision de tous les contrats de fournitures de guerre et la confiscation des superprofits de guerre laissés improductifs ». Mussolini com mentait cet article de la façon suivante : « Pendant la guerre sont apparus de nouveau riches : des commerçants au bord de la faillite, des aventuriers, des spéculateurs embusqués dans des cavernes où l’on jouait sur les marchés de guerre, des députés, des sénateurs, des fonctionnaires et des individus suspects s’engraissent joyeusement en marge de la guerre. C’est un spectacle éhonté (1). »
(1) Le monopole d’Etat des assurances sur la vie fut aboli au profit des compagnies privées. Pour les banques, voir un peu plus loin la législation, des valeurs mobilières.
Or, le gouvernement précédent avait fait instituer une commission d’enquête parlementaire qui avait déjà décidé le remboursement de plus d’un milliard à l’Etat. Une loi fasciste, du 19 novembre 1922, ordonna la dissolution de cette commission, interdit de publier ses travaux annula sa décision et mit à l’abri les bénéfices de guerre. Il n y avait fallu que trois semaines. En reconnaissance, les sociétés anonymes qui, menacées par la commission, avaient appuyé la marche sur Rome, ouvrirent une souscription pour offrir au parti fasciste le palais Vidoni.
Les 16 et 21 décembre 1922, presque en même temps qu’il augmentait la solde des généraux, et pour la première fois en Italie, le fascisme frappa les salaires par un impôt de 10 %. En février 1925, l’Etat fasciste supprima l’impôt complémentaire sur les valeurs mobilières et les réserves des sociétés anonymes. Il réduisit de moitié la taxe de luxe. Il exonéra les capitaux étrangers investis dans l’industrie italienne. Il abandonna graduellement le principe progressif de l’impôt sur le revenu.
En ce qui concerne les agriculteurs, la révision du cadastre ordonnée le 7 janvier 1923 fut faite sous le contrôle des grands propriétaires, qui bénéficièrent d’inégalités scandaleuses dans l’évaluation des terres. De semblables iniquités existent dans l’assiette de l’impôt sur le revenu agricole (décret du 4 janvier 1923).
Livrés à la fiscalité fasciste, les agriculteurs italiens sont accablés de dettes. Un total de 8 milliards de lire fut avoué à la Chambre des députés, en 1932.
le pseudo-socialisme fasciste (1926-1934)
La crise économique a commencé en Italie trois ans avant la crise mondiale. Cela amena le pouvoir fasciste à pratiquer dès 1926 une politique décidée d’intervention économique.
Par des exemptions d’impôt (décret du 23 juillet 1927), par es subventions, par des primes, par des droits protecteurs, par toute une politique de crédit et de participation, l’Etat fasciste consacra et renforça les grands monopoles de fait détenus par les capitalistes : trust des banques, qui rapidement absorba les petites banques locales et réduisit en 1928 une centaine de petites banques catholiques qui résistaient encore, trust des engrais chimiques — Montecatini (1) — cartel du sucre, trust des chantiers de constructions navales, trust des véhicules ferroviaires, trust de l’exportation du ciment, trust des filatures de coton, trust de la soie, récemment fondé, trust de la sidérurgie, etc.
Il faut bien insister sur ce fait que, dans les trusts, les capitalistes restent les maîtres.
L’effort de l’Etat pour assurer son contrôle sur les groupements d’industriels se manifesta surtout par la loi de 1932 sur les consortiums obligatoires, qui fit grand bruit. Elle donna à l’Etat un large pouvoir de contrôle ; elle a été présentée comme un instrument essentiel de l’économie dirigée par l’Etat fasciste. Le malheur est que cette loi est inappliquée ;
c’est une loi de bluff ; en effet, pour qu’un consortium obligatoire se constitue, il faut que la majorité des industriels intéressés le demandent. Or, ces industriels ne se soucient pas de soumettre leur production et leur prix à des possibilités de contrôle.
La seule conséquence de la loi, ce fut la dissolution des consortiums anciens ou récents constitués antérieurement à sa promulgation.
On voit combien, après douze ans de règne, le pouvoir fasciste, si puissant en apparence, est faible en réalité devant l’oligarchie financière et industrielle.
S’il se crée de nouveaux trusts capitalistes, ou si les anciens s’étendent, ils ne servent nullement à l’organisation rationnelle de la production. Simplement, les trusts absorbent les petites entreprises à la faveur de la crise. Cette crise, ils sont eux-mêmes impuissants à la vaincre et c’est pour éviter leur faillite que l’Etat intervient, réellement cette fois, pour leur fournir des commandes, les renflouer ou les subventionner.
(1) Les mines de soufre de Sicile ôtaient groupées en consortium obligatoire depuis 1906. Le grand trust chimique de la Montecatini, agissant pour son profit exclusif, a fait le plus grand tort à ce consortium. La Montecatini, qui a le monopole de la vente des engrais de Sicile en abuse sans vergogne. Elle achète à vil prix le soufre brut et revend très cher le soufre raffiné. Elle ruine les producteurs de citrons par ses manœuvres sur le marché de l’acide citrique. Voilà comment l’Etat fasciste coordonne la production et soumet les grands capitalistes à l’intérêt général!
L’Etat fasciste connaît, comme les Etats démocratiques, ces programmes d’outillage national financés par l’emprunt et magnifiés par la presse, au moyen desquels le gouvernement essaye d'alimenter l’industrie défaillante Mais nulle part l'effort publicitaire n’a été comparable a celui de l'Etat fasciste au sujet des travaux d’assèchement et d’amendement connu sous le nom de « bonification intégrale des terres ». En cette matière, un effort considérable avait été accompli par les gouvernements antérieurs au fascisme. Mussolini n’eut qu’à continuer leur œuvre. Il n’est pas douteux qu’il augmenta la participation financière de l’Etat aux travaux. Certains résultats heureux, notamment dans les marais pontins, firent l’objet d’une énorme réclame. Mais ailleurs l’organisation du financement fut telle que le bénéfice en alla à des sociétés spéculatives, soudainement constituées, qui acquirent à bon compte le sol des propriétaires en dettes et le revendirent après avoir touché la subvention gouvernementale. Les puissances d’argent prélèvent leur dîme de toute réalisation fasciste !
En 1931, la plus grande banque italienne, la « Banca Com merciale », était au bord de la faillite. Par l’intermédiaire de différents offices créés à cet effet, mais avec l’argent des contribuables, l’Etat sauva la Banque en lui donnant 4 milliards de lire pour son stock de titres dépréciés.
Mais cela ne suffit pas. Il fallut, en 1932, créer un « Institut pour la reconstitution industrielle » (I. R. I.), qui, doté d’un faible capital fourni par les organismes d’Etat et d’une subvention budgétaire annuelle, émet de gros emprunts, ce qui lui permet de subventionner des sociétés anonymes en difficultés, dont le capital total s’élève à 10 ou 12 milliards de lire, soit à peu près le quart des capitaux? des sociétés anonymes italiennes.
L’Etat, qui fait les frais de ces opérations aux dépens des contribuables, ne s’assure par là aucun contrôle efficace et permanent. Les offices de reconstruction peuvent être comparés à des hôpitaux où les sociétés anonymes passent si elles sont malades, et d’où elles sortent ensuite, parfaitement libres, si elles ont guéri. Ainsi, la Société Hydro-Electrique Piémontaise, grande société financière dont le capital dépassait un milliard, fut en difficultés en 1933 et fut aidée par l’Etat à travers l'I.R.I. Aux termes de l’accord conclu, l’Etat est responsable jusqu’à ce que les affaires reprennent de façon satisfaisante, après quoi il renonce à tous ses droits. Les accords sont toujours de ce type : en ces derniers temps, une autre société renflouée, l’Italgas, a été ainsi libérée de la tutelle des offices de renflouement.
Il y a deux décrets, du 3-11-1827 et du 18-11-1928, qui sont fort vantés par les admirateurs du fascisme. Ils soumettent la création d’usines ou d’entreprises nouvelles à une autorisation gouvernementale. Ainsi, dit-on, l’Etat fasciste est en mesure de faire régner l’ordre à la place de l’anarchie économique ; il lutte contre la « surproduction ». Ici en particulier, il convient de s’arrêter un peu pour réfléchir.
D’abord, il n’y a pas de « surproduction » proprement dite. Les hommes ne produisent pas plus de marchandises qu’ils n’en pourraient consommer si la répartition était convenable. Si les produits paraissent surabondants, c’est que trop peu d’hommes sont en mesure de les acheter. Est-ce à ce vice que la loi fasciste va remédier ? Non. Mais elle aura pour effet de garantir les industries existantes contre la concurrence. Toutes les industries ? Non. Les petites industries italiennes, nous l’avons vu, ne supportent pas la concurrence des trusts, qui s’étendent de plus en plus, pendant que les petites entre prises se ruinent. Le nombre des faillites en Italie est extrêmement élevé.
Voici le nombre des déclarations de faillites au cours des dernières années, d’après les statistiques officielles (V. Compendio statistico italiano, 1932, et Bulletin mensuel de Statistique) :
Petites Faillites; Faillites «ordinaires»;
1913: 3.217; 4.180;
1929: 1.633; 11.787;
1928: 1.369; 10.946;
1930: 4.476; 12.589;
1931: 10.615; 12.753;
1932: 7.377; 12.825;
1933: 7.217; 9.954.
Soit un total énorme de 103.541 faillites déclarées de 1928 à 1932, dont plus d’un tiers de petites faillites.
Ce sont les trusts que protège la règlementation italienne les mettant à l’abri de la concurrence Le fascisme consacre ainsi la situation des grands capitalistes , il légalise leur monopole de fait. Une telle mesure est extrêmement grave. Elle atteste que le régime fasciste est essentiellement une tentative de stabilisation du capitalisme actuel — une tentative pour figer l’état social en cristallisant ses inégalités et ses injustices. Le fascisme travaille ainsi à créer un régime de castes, à la tête desquelles se trouverait la féodalité économique dominant l’Etat et subventionnée par lui.
LE FASCISME AU SERVICE DES GRANDS CAPITALISTES EN ALLEMAGNE
Doctrine hitlérienne pendant la campagne pour le Pouvoir
Dans un pays beaucoup plus industrialisé, beaucoup plus étatisé et douloureusement atteint au point de vue économique l’Italie, le National-Socialisme allemand pendant sa lutte pour le pouvoir a moins varié que le fascisme italien dans ses revendications économiques.
Voici comment celles-ci s’exprimaient dans le programme du parti en février 1920 :
« Nous revendiquons que l’Etat s’engage à pourvoir en premier lieu aux possibilités du travail et de la vie des citoyens... (Art. 7.)
« Nous revendiquons la suppression du revenu obtenu sans travail et la suppression de la tyrannie de l’intérêt. (Art. 11.)
« Eu égard aux sacrifices gigantesques en biens et en sang qu’exige du peuple toute guerre, l’enrichissement individuel par la guerre doit être stigmatisé comme un crime contre le peuple. Nous revendiquons par suite la restitution totale de tous les bénéfices de guerre. (Art. 12.)
« Nous revendiquons un développement considérable de la prévoyance vieillesse. (Art. 15.)
« Nous revendiquons une lutte sans merci contre ceux qui, par leurs agissements, nuisent à l’intérêt général. Les traîtres envers le peuple, les usuriers, les spéculateurs, etc... doivent être punis de mort sans égard à leur confession et leur race. » (Art. 18.)
Détachons l’article du programme qui concernait plus spécialement les petits bourgeois, dont un si grand nombre fut attiré dans les cohortes de Hitler :
« Nous revendiquons la création d’une classe moyenne saine et son entretien par la communalisation immédiate des grands magasins et leur location à bas prix à de petits commerçants... »
L’article du programme concernant les paysans était d’apparence vigoureusement socialiste, mais un commentaire ultérieur d’Adolf Hitler en donna une interprétation singulière.
« Nous revendiquons une réforme agraire appropriée à nos besoins nationaux, l’adoption d’une loi d’expropriation du sol pour cause d’utilité publique, sans indemnisation, la suppression des fermages et l’interdiction de toute spéculation sur la terre. » (Art. 17.)
Mais en 1928, Hitler, rappelant que son parti restait « sur le terrain de la propriété privée », ajouta :
« Il va de soi que le passage sur l’expropriation sans indemnité s’applique seulement au sol qui a été acquis d’une manière illégale ou qui n’a pas été administré du point de vue de l’intérêt général. Ceci se rapporte en premier lieu aux sociétés juives de spéculation sur les terres » (et non aux hobereaux prussiens, propriétaires de domaines immenses et mal exploités).
Ainsi les hitlériens se donnaient comme violemment anticapitalistes en se posant en défenseurs de la propriété privée. Le reste de leur programme était dicté par un nationalisme exaspéré qui, Versailles, la Ruhr et les réparations aidant, fournit à Hitler ses cris de guerre contre les partis et contre les syndicats ouvriers. Tout en s'intitulant parti ouvrier national-socialiste allemand, en sollicitant les suffrages ouvriers et en enrôlant des chômeurs dans leurs troupes d’assaut, les prétendus anticapitalistes hitlériens purent engager une lutte à mort contre les organisations ouvrières avec l’alliance, avouée par moments au moins, du magnat Hugenberg, et les subsides secrets de la grosse métallurgie allemande.
Hitler au Pouvoir
l’Etat hitlérien et le droit au travail
L’Allemagne dépense des sommes très importantes pour la lutte contre le chômage : 2 milliards de marks y avaient été consacrés déjà, depuis 1931. En 1933, Hitler a dépensé à cette fin 4 milliards 1/2 de marks, soit l’équivalent de 27 milliards de francs. En contre-partie, il annonce dans ses statistiques officielles que le nombre des chômeurs a été ramené de 6 millions en janvier 1933 à 3.372.000 en mars 1934. Nous n’avons pas les moyens de contrôler ces statistiques. Le doute est permis, puisqu’en janvier 1934 la National sozialistische Volkszeitung reconnaît qu’il existe en Allemagne, d’une part, 4 millions de chômeurs officiels, et, d’autre part, 3 millions de sans-travail non inscrits, qui ne peuvent subsister que par les secours de l’Etat.
Mais nous pouvons examiner quelques éléments certains de la diminution apparente du chômage.
Le nombre des exilés, rejetés dans un état de dénuement complet, est évalué à 200.000 et celui des Allemands internés dans des camps de concentration à 200.000 aussi. Plusieurs centaines de milliers de chômeurs, réunis dans les camps dits « de travail », y sont occupés à des exercices militaires, u autres ont été incorporés dans les troupes d’assaut. Pour femmes, la doctrine officielle de l’hitlérisme est de les renvoyer à l’église, à la cuisine et à leurs enfants. (« Kirche, Küche, Kinder »), ce qui n’empêche pas de préférer, en pratique, l’emploi des femmes à celui dès hommes, parce que leur salaire est moins élevé. On facilite les mariages par des prêts, mais la situation du ménage n’est pas brillante, car on tend à n'accorder de travail et de salaire qu’à un seul des deux époux ; l’autre est rayé du chômage.
Si, d’autre part, certaines entreprises emploient un plus grand nombre d’ouvriers, ce résultat est obtenu par une diminution des salaires. Les rapports tout récents (mars 1934) de firmes telles que la brasserie de Dortmund et Zeiss-Ikon nous en apportent deux exemples caractéristiques. L’une et l’autre signalent une régression des affaires et de la production, et pourtant un accroissement du personnel. A la brasserie de Dortmund, cet accroissement de 9 % ne correspond qu’à une augmentation des salaires totaux de 3 %, donc les salaires individuels ont été réduits. A la Zeiss-Ikon, qui a embauché 526 ouvriers de plus, la somme des salaires a été réduite de 880.000 marks, soit 13 %. On a créé un mot, en Allemagne, pour les ex-chômeurs qui ont trouvé emploi pour un salaire de famine : on les appelle Suppentellerarbeiter (travailleurs pour une assiette de soupe).
Enfin, les sommes engagées dans la lutte contre le chômage sont employées surtout à des travaux non productifs, des travaux qui n’améliorent en rien la situation du consommateur et servent simplement à entretenir la grosse industrie sans clientèle. Dans ces conditions, les dépenses faites sont catastrophiques pour l’économie allemande.
On le voit, la situation de l’énorme masse prolétarienne allemande reste tragique. Malgré la proclamation du droit au travail et à la vie, les palliatifs ruineux dont s’est servi le gouvernement hitlérien ont eu surtout pour conséquence d’unifier plus complètement la misère.
Les revenus obtenus sans travail et la tyrannie de l’intérêt
Le passage du programme hitlérien qui revendiquait la suppression du revenu sans travail, et celle de la tyrannie de l’intérêt, a servi à persécuter les Juifs, boucs émissaires, et à décréter des moratoires à l’égard des dettes commerciales contractées à l’étranger.
Notons que la suppression de l’intérêt était un des articles essentiels du dogme hitlérien. Or pour obtenir la réduction du taux de l’intérêt à long terme, le gouvernement a simplement eu recours à un expédient financier, à un procédé d’inflation. Il a autorisé la Reichsbank à acheter des fonds d’Etat, en les faisant entrer dans sa couverture, c’est-à-dire dans les fonds destinés à gager l’émission des billets.
Les bénéfices de guerre
L’Etat hitlérien n’a pris aucune mesure pour tenir sa pro messe de faire restituer les bénéfices de guerre, qu’il qualifiait de criminels.
L’attitude de Hitler à ce sujet, avant et après la prise du pouvoir, ressemble de manière frappante à celle de Mussolini. Et de même que la marche sur Rome fut favorisée par les profiteurs de guerre menacés de rendre gorge, de même Hindenburg abandonna l’Etat aux hitlériens quand les hobereaux prussiens se trouvèrent menacés par la divulgation d’un grand scandale (les subventions à l'Osthilfe), que le nouveau chancelier Hitler s’empressa naturellement d’étouffer. De même, chez nous, notre presse, qui avait largement encaissé l’argent de Stavisky, excita une foule d’honnêtes gens à se joindre aux émeutiers fascistes du 6 février, espérant que le retour d’un Chiappe lui assurerait le silence. La vertu fasciste est la même dans tous les pays !
La législation fiscale
Les hitlériens avaient promis, aussi, la réforme du régime fiscal dans un sens « social », avec réduction ou suppression des impôts indirects. Or, les réformes fiscales consistent sur tout en exonérations pour les automobiles neuves et en ris tournes d’impôts aux industriels.
L’Etat hitlérien et les trusts
Voici comment a été réalisé l’article du programme hitlérien revendiquant l’étatisation des trusts.
En, vertu de la loi sur les cartels du 15 juillet 1933, le ministre de l'Education nationale reçoit notamment le droit de grouper des entreprises en cartels, de régler ou d’interdire la création d une nouvelle entreprise, l’extension d’une entre prise ancienne, de contingenter la production, fixer les prix et interdire les affaires des industriels et commerçants qui vendraient leurs produits à des prix anormalement bas.
La loi a eu pour conséquence, de juillet à novembre, le renforcement de trente cartels anciens, la création de trente- huit cartels nouveaux, le renchérissement de la vie. Aussi le ministre Schmitt promet-il la suppression de cette loi aussi bien que celle des prix fixes — promesse qui n’empêche pas les cartels de prendre chaque jour plus d’ampleur.
Cette loi est plus complète, mais du même ordre que la réglementation italienne dont nous avons signalé l’importance et la signification. Sous prétexte de remédier à l’anar chie économique et à la crise, les gouvernements fascistes garantissent contre la concurrence et renforcent, provisoire ment au moins, la situation des grands monopoles de fait détenus par les féodaux de l’industrie et de la banque.
L’Etat hitlérien et la petite bourgeoisie
Nous ne serons pas étonnés d’apprendre qu’au lieu d’être « communalisés » et loués à de petits commerçants, les grands magasins subsistent sans autre modification qu’un changement de directeurs, quand ceux-ci étaient juifs. Nous ne serons pas étonnés non plus de lire dans la Gazette de Francfort du 2 mars 1934 que la diminution du nombre des sociétés anonymes allemandes (de 5 % en 1933) porte surtout sur les petites sociétés : la diminution est de 8 % pour les sociétés dent le capital ne dépasse pas 50.000 marks et de 15 % pour celles dont le capital ne dépasse pas 5.000 marks.
D’ailleurs, pour s’assurer la docilité des petits commerçants, le fascisme a dissous, au début de 1934, au nom de l'intérêt national et malgré de violentes protestations, l'Union hitlérienne de défense des classes moyennes commerçantes.
Que signifient ces faits très importants? D’abord que les petites entreprises continuent d’être absorbées par les grandes ; ensuite, plus généralement, que l’Etat hitlérien ne peut rien pour cette petite bourgeoisie, à laquelle Hitler avait pro mis monts et merveilles et qu’il avait réussi à fanatiser. Cette petite bourgeoisie s’est jetée dans l’hitlérisme par terreur d’être réduite définitivement à la condition prolétarienne. Or, elle continue à s’appauvrir et à se ruiner, à se « prolétariser » et peut-être commence-t-elle à comprendre qu’elle a en réalité les mêmes ennemis que la classe ouvrière.
Nous consacrerons une brochure spéciale à la situation des classes moyennes dans les pays fascistes (1).
les maîtres de l’Economie allemande sous Hitler Ayant constaté la manière dont agissent, une fois au pou voir, nos « anticapitalistes » hitlériens, nous ne serons pas étonnés d’apprendre les noms des hommes dont ils ont fait les chefs officiels de l’économie allemande.
Voici la liste de ces « Führers » publiée en mars 1934 : Le chef suprême est Philippe Kessler, directeur de la firme d’électricité Bergmann, qui se trouve aussi à la tête de la Fédération des industries électriques. Il a pour suppléant un hobereau, le comte von der Goltz. Le groupe des mines et de la métallurgie a pour chef Krupp von Bohlen und Halbach, le fabricant de canons bien connu, qui est en même temps le chef officiel de toute l’économie industrielle. Le groupe des machines et de l’électrotechnique a pour chef le conseiller d’Etat Blohm, des Chantiers navals hambourgeois Blohm et Voss. Le groupe des Produits métalliques a pour chef l’industriel Eric Hartkopf, de Solingen. Le groupe de la chimie a pour chef Pietsch, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Munich, qui est en même temps le conseiller économique de Rudolf Hess, suppléant de Hitler. Le groupe des Produits alimentaires a pour chef Bruno Schuler, directeur de la Brasserie Dortmunder Union, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Dortmund. Le groupe du Commerce a pour chef Luer, président de la Chambre de commerce de Francfort.
(1) La question de « l'Etat hitlérien et les paysans » sera traitée à propos du corporatisme fasciste.
Le groupe de l’Artisanat ne compte guère, puisque, économiquement, un petit artisan dépend étroitement de la grande industrie qui fabrique des produits similaires. Le groupe des Banques a pour chef Fischer, président de la Reichskredit- Aktiongesellschaft, président de l’Union centrale des Ban ques allemandes. Celui des Assurances a pour chef Hilgard de l’Allianzkonzern. Si l’on ajoute que les Thyssen et consorts siègent au Conseil d’Etat, on se rend compte que les grands capitalistes ont reçu tous les postes de commande dans l’économie hitlérienne : leur puissance a cessé d’être occulte pour devenir éclatante.
L’EMBRIGADEMENT DES TRAVAILLEURS
LE CORPORATISME FASCISTE
L’institution la plus vantée du fascisme est certainement le « corporatisme ». A ce propos, on a vu se surpasser une propagande toujours prête aux déclarations laudatives et emphatiques. Mussolini a donné le ton en saluant sa loi du 3 avril 1926 comme « la plus courageuse, la plus audacieuse, la plus innovatrice, partant la plus révolutionnaire des lois fascistes ».
Un an plus tard, à propos de la charte du travail (21 avril 1927), l’enthousiasme des ministres fascistes à l’égard de leur œuvre ne connaissait littéralement plus de bornes. « Après la charte du travail, s’écriait M. Bottai, ministre des corporations, il n’existe plus de limites au bien-être matériel et moral de l’individu » (1). Non moins enthousiastes et catégoriques les discours allemands lorsque Hitler s empressa d’imiter le système corporatif de Mussolini.
(1) La réduction générale des salaires, contemporaine de la charte, atteignit environ 20 %.
A la suite de ces panégyristes officiels, les sympathisants du fascisme affirment que le régime corporatif intègre les syndicats dans le cadre national, attribue au syndicalisme le vaste rôle qui lui revient à notre époque, tout en contribuant à l’ordre général. C’est bien là l’idéologie qui s’exprime dans la charte italienne du travail, document fort verbeux, mais dont les principes affichés sont la suprématie de l’intérêt général sur l’intérêt privé, la solidarité de toutes les classes, l’absorption de tous les intérêts particuliers dans l’Etat unitaire, totalitaire. Cette idéologie est commune à l’Allemagne et à l’Italie fascistes. Nous allons voir ce qu’elle signifie pratiquement dans les deux pays.
En Italie
La loi fondamentale du 3 avril 1926 prend grand soin de placer sur le même plan apparent les syndicats d’employeurs et les syndicats d’ouvriers auxquels s’appliquent, théorique ment, les mêmes dispositions. Dans les deux cas, l’association syndicale a pour objet non seulement la protection des intérêts matériels, mais aussi des intérêts spirituels de leurs membres, dont les associations doivent assurer « l’éducation morale et patriotique ». Dans les deux cas, les dirigeants de l’association doivent offrir « toute garantie de capacité, de moralité et de solide conviction patriotique ». Le lock-out et la grève sont également interdits.
« Education morale et patriotique » ; traduisez : « propagande fasciste ». « Conviction patriotique » ; traduisez : « fascisme militant. » Quant au lock-out, on conçoit que les grands industriels puissent sans peine déposer cette arme dans un pays où le pouvoir de l’Etat s’exerce en leur faveur ; par contre, par la privation du droit de grève, les ouvriers perdent leur seule arme défensive.
La loi de 1926 (1) n’institue pas officiellement le syndicat ouvrier obligatoire. La charte du travail affirme même la liberté d’association syndicale. C’est une plaisanterie. En effet, « seul le syndicat légalement reconnu a le droit de représenter légalement toute la catégorie des employeurs et des salariés pour laquelle il est constitué ; d’en protéger les intérêts en face de l’Etat et des autres organisations professionnelles ; de stipuler des contrats de travail obligatoires et col lectifs pour tous les membres d’une même profession ; de leur imposer des contributions syndicales et d’exercer à leur égard les fonctions- d’ordre public qui leur sont déléguées ».
(1) Sur cette loi et le corporatisme italien en général, voir « L’économie corporative fasciste en doctrine et en fait », par L. Rosenstock-Franck, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, Ingénieur des manufactures de l’Etat, préface de Bernard Lavergne, professeur à la Faculté de Droit de Lille.
C’est l’institution d’un monopole absolu en faveur des syndicats fascistes. En vertu de la loi de 1926, il suffit que ces syndicats groupent par adhésion volontaire 10 % des membres de la corporation pour représenter légalement tous les membres de la corporation et leur imposer à tous une cotisation. Or, par qui sont dirigés les syndicats ? Par des fonctionnaires de l’Etat fasciste.
C’est le gouvernement qui nomme directement le président des sept fédérations ouvrières (1). Ce président fonctionnaire nomme à son tour le secrétaire de la fédération et ceux des unions provinciales.
Les secrétaires des syndicats provinciaux sont élus, et les fascistes invoquent cette élection quand ils veulent prouver qu’ils ont conservé la liberté syndicale. Cette élection n’en constitue pas moins un simple simulacre :
1) les candidats doivent être fascistes et la discipline du parti empêche les
concurrences ;
2) l’élection doit être approuvée par le président de la Confédération
et par le ministre : double filtrage gouvernemental ;
3) les syndicats provinciaux n’ont guère qu’à appliquer les décisions
des fédérations nationales : tout vient ici « par en haut ».
(1) Fédérations de l'industrie, de l'agriculture du commerce, des transports terrestres et de la navigation fluviale, des banques et des travailleurs intellectuels. Jusqu’en 1928, il y avait une confédération ouvrière unique. La subdivision permet d'exercer un contrôle plus strict sur chaque catégorie de travailleurs.
A partir de fin 1931, ces syndicats provinciaux reçurent une liberté plus grande... mais perdirent en même temps la reconnaissance juridique, réservée désormais aux fédérations et aux unions provinciales, sur qui le gouvernement garde ses droits.
Conformément au jugement du comte Sforza, on peut dire que tout le système corporatif fasciste n’est qu’un système policier.
Mais, par un contraste frappant, tandis que les ancien$ cadres des syndicats ouvriers ont été décimés par la terreur fasciste et des créatures de Mussolini placées à la tête de l’organisation syndicale ouvrière, les Syndikats patronaux ont conservé les mêmes chefs qu’avant la marche sur Rome : le grand industriel Benni et l’avocat d’affaires Gino Olivetti.
A fin 1933, Benni a été remplacé par Pirelli, le fameux industriel milanais.
Ainsi donc, les chefs des syndicats ouvriers ne représentent que la volonté de la dictature fasciste et les chefs des syndicats patronaux sont les représentants effectifs de l’oligarchie financière et industrielle.
Dans ces conditions, que faut-il penser des articles de la charte du travail en vertu desquels les ouvriers ont droit à des vacances payées, à une indemnité de congédiement, à une indemnité de vieillesse ou de mort ? Ce sont de très belles dispositions légales, qui ont fait grande impression. Mais que valent-elles en pratique ?
Indemnité de congédiement? Mais, avant d’être congédié, encore faut-il avoir trouvé un emploi; or, toute l’administration du placement est organisée de manière à donner aux ouvriers fascistes une préférence qui, en temps de crise, devient un véritable monopole de fait.
Indemnité de vieillesse ou de mort ? La comparaison de la législation italienne des assurances avec celle des autres pays occidentaux serait longue et difficile. Mais c’est d’un emploi ou d’une suffisante indemnité de chômage qu’auraient besoin un nombre énorme d’ouvriers italiens bien vivants et fort valides. Or l’Etat fasciste, si prompt à renflouer les banques, n’inscrit pas un sou à son budget pour subvention et secours aux chômeurs. Ceux-ci ne reçoivent d’autre indemnité que l’assurance-chômage. Deux millions de travailleurs agricoles sont exclus de l’assurance-chômage. Pour les ouvriers industriels, l’assurance-chômage ne tient aucun compte des charges de famille, assure une indemnité infime pendant quatre-vingt-dix jours aux ouvriers qui ont versé vingt-quatre cotisations dans les deux années précédentes, rien à ceux qui ont cotisé moins souvent. Quel contraste avec la libéralité de l’Etat envers les banques !
Des vacances payées ? Mais que signifie cet avantage, si le salaire de toute l’année est réduit en conséquence ? Or, en matière de salaires, la situation est nette, ou plutôt : tragique. Les salaires sont déterminés, pour les travailleurs de chaque profession, industrielle ou agricole, par les contrats collectifs conclus par les organisations syndicales et patronales, c’est-à-dire par un accord de deux puissances dont l’une est réelle, l’autre fictive.
Voici le résultat : les salaires industriels ont subi en ces dernières années des réductions qui atteignent souvent 40 % de leur valeur nominale, soit 25 % de leur valeur réelle, compte tenu de la baisse du coût de la vie. Encore s’agit-il là des réductions théoriques, prévues par les contrats. Mais ceux-ci sont violés ou tournés de toutes façons et l’on cite des cas où la paye journalière est de 14 lires au lieu de 16,45 (engrais chimiques) ou même de 12 lires au lieu de 24 (soie artificielle). D’où les conflits portés devant la juridiction du travail qui est dans la main du gouvernement fasciste.
Les contrats collectifs sont plus désastreux encore pour les ouvriers agricoles que pour les ouvriers des usines. Ici, le salaire nominal a baissé en quelques années de 40 à 55 %, et le salaire réel de 25 à 30 % ; les sarcleurs de riz qui, en mars 1927, gagnaient 17 lires 1 par jour, en gagnaient 8,5 en mai 1933. Les salaires journaliers ne dépassent guère 10 lires et sont parfois de 4 ou 5 lires; en certains endroits, on en est même revenu au salaire en nature. Si l’on tient compte du travail saisonnier et du chômage, on arrive à des revenus annuels infimes.
Après ces constatations, peu importe que le fascisme ait développé des oeuvres sociales voyantes, comme le Dopolavoro (organisation des loisirs) — œuvre d'un gouvernement qui tient à savoir où vont les ouvriers après leur travail, préside à leurs divertissements pour les détourner de la réflexion sur les causes de leur misère.
Peu importe cette « chambre corporative » ainsi nommée parce que les dirigeants fascistes de syndicats présentent une liste de candidats au Grand Conseil fasciste, qui, par sur de précautions, a soin de choisir des représentants patronaux en plus grand nombre que les prétendus représentants ouvriers (125 contre 89 pour la première chambre corporative lesquels, en réalité, ne représentent rien. Laissons ce parlement-croupion et les autres articles courants de la propagande fasciste et retenons cette conclusion essentielle : le corporatisme fasciste, sous couleur de solidarité nationale, consacre la domination écrasante de l’oligarchie économique!
En Allemagne
C’est ce qu’avoue beaucoup plus franchement le droit fasciste allemand. Après avoir supprimé les syndicats, le droit de grève et les conseils d’entreprise, le gouvernement hitlérien a promulgué, le 23 janvier 1934, et appliqué le 1er mai, une loi sur l’organisation du travail national, qui abolit toute la législation ouvrière. Elle donne au patron, dans son entreprise, les droits d’un chef militaire (führer) auquel les ouvriers et employés doivent fidélité et à qui ils doivent consacrer toutes leurs forces. Le conseil d’usine est désigné par le patron, d’accord avec le chef de la cellule national-socialiste de l’usine ; le patron le convoque à son gré et le préside de droit. Vis-à-vis du patron, le conseil d’usine n’a qu’un rôle consultatif, mais son devoir est d’augmenter le rendement des ouvriers, de surveiller l’application du règlement et de fixer le taux des amendes. Les conflits sont arbitrés, en partie par le commissaire du travail, qui est un fonctionnaire de l’Etat fasciste, en partie par un tribunal d’honneur social, formé d’un juge professionnel, d’un patron et d’un homme de confiance désigné par le patron. Ce tribunal peut infliger à l’ouvrier une amende, une peine de prison et un congédiement sans délai, s’il est reconnu avoir porté sciemment préjudice à l’entreprise, et, par exemple, s’il s’est plaint indûment. Jamais on n’a été plus loin dans l’oppression des ouvriers. On comprend que Krupp von Bohlen ait déclaré, en janvier 1934, à l’assemblée générale de la Société Friedrich Krupp : « Adolf Hitler a rendu à l’ouvrier une nationalité ; il l’a transformé en soldat discipliné du travail. » Phrase qui prouve, d’ailleurs, que M. Krupp se fait des illusions, car la résistance ouvrière est de plus en plus forte, malgré la répression.
La Corporation de l'alimentation du Reich, créée par les lois du 15 juillet et du 13 septembre 1933, est un bon exemple de corporation organisée. En font partie l’économie rurale (agriculture, élevage, silviculture, horticulture, pêche, chasse), ainsi que les coopératives paysannes, le commerce rural et les industries qui utilisent ou transforment les produits de la campagne. Elle a un chef national, dit chef des paysans, qui n’est autre que le ministre de l’Alimentation et de l’Agriculture Darré; puis vingt chefs régionaux et toute une hiérarchie de chefs de districts et de chefs locaux. Tous sont nommés, directement ou non, par le pouvoir central et commandent à la masse des ruraux, pour l’exécution des ordonnances intéressant la corporation.
De ces ordonnances, certaines visent à régler l’économie, en ce qui regarde les fruits, les légumes, les graines oléagineuses, la laine, la fécule, les graisses, la meunerie, la laiterie, les houblons et les vins. L’une des plus intéressantes est la loi du 26 septembre 1933, sur la fixation du prix des céréales.
Pour la juger, il faut se rappeler qu’en Allemagne le petit paysan est surtout un éleveur et que les céréales forment à peine un quart de sa production. Les grands propriétaires; au contraire, cultivent largement les céréales. Les prix du bétail, non protégés, tombant sans cesse, le petit paysan pouvait être tenté d’abandonner l’élevage et d’étendre les surfaces jusqu’ici cultivées en céréales. C’est précisément ce que lui interdit la loi, qui garantit ainsi le privilège de fait des grands propriétaires.
Les agriculteurs moyens, dont la propriété suffit à nourrir une famille mais est inférieure à 125 hectares, sont absolument soumis à la loi du 29 septembre 1933 sur le bien paysan héréditaire, loi destinée à assurer la formation d’une classe moyenne stable, disciplinée et conservatrice en consacrant la suprématie des hobereaux grands propriétaires fonciers. En vertu de cette loi étonnamment réactionnaire, le bien héréditaire est transmis en bloc à l’héritier privilégié, le fils aîné.
Ce bien héréditaire est insaisissable et inaliénable, mais son possesseur n’a le droit ni de vendre ni d’hypothéquer sa terre sans l’autorisation d’une juridiction spéciale.
Voilà donc la réforme agraire « appropriée aux besoins nationaux » qu’annonçait l’article du programme hitlérien relatif aux agriculteurs.
On croit rêver. Le ministre de l’Agriculture a déclaré : «Nous exigeons de chaque paysan une discipline sans restriction, nous le considérons comme un soldat engage sur le front de la bataille alimentaire ; cependant, en échange, nous lui donnerons la liberté. » Et avec cette prétendue liberté, le paysan n’a pas le droit de disposer de sa terre. Comme le serf d’autrefois, si l’on n’a pas le droit de 1 en chasser, il n’est plus libre de s’en défaire. Il est rive au sol.
En fait peu de jours après la promulgation de la loi, et malgré le beau titre de paysan (Bauer) réservé aux possesseurs de biens héréditaires (les autres propriétaires ruraux devant s’appeler Landwirt, ou cultivateur), les protestations étaient telles que le ministre Darré devait lancer une circulaire « pour apaiser l’inquiétude des plus larges masses », et interdire toute conférence sur la loi, à moins d’autorisation spéciale du ministère.
Quant aux grands propriétaires prussiens, dont bon nombre de dupes d’Adolf Hitler s’attendaient à voir les propriétés morcelées, après quelques velléités qui s’exprimèrent par une loi du 1er juin 1933 sur l’expropriation, le ministre Darré dut promettre qu’« on ne toucherait pas aux grandes propriétés, même endettées », et que, « si elles n’étaient pas volontairement offertes pour permettre d’y établir de petits cultivateurs, on les laisserait se tirer d’affaire du mieux qu’elles pourraient, en pleine conformité avec l’esprit d’initiative privée ». Les propriétés des Junkers sont donc sauvées, et la loi d’expropriation jouera uniquement contre le petit paysan endetté, qui sera privé de sa terre.
LA MISÈRE FASCISTE
Au cours de cette étude, nous avons donné maints exemples de la situation réelle des masses dans les pays fascistes : c’est, à proprement parler, la misère.
C'était déjà la misère en Allemagne avant l’instauration du pouvoir hitlérien. Or, depuis cette date, seules les industries de guerre ont connu un regain d’activité, très considérable il est vrai, et ruineux pour l’Etat qui travaille de toutes ses forces à entretenir ce cancer de l’économie allemande. L’excédent des exportations sur les importations avait dépassé un milliard de marks en 1932 ; il était encore de 670 millions de marks en 1933 ; depuis février 1934, et pour la première fois depuis de longues années, la balance commerciale est déficitaire.
Or, l’excédent d’exportations est un besoin vital pour un grand pays industriel et endetté comme l’Allemagne, où les usines ne peuvent trouver sur le marché intérieur un débouché suffisant. Le gouvernement hitlérien n’en persiste pas moins dans son nationalisme économique et il s’est tiré provisoirement d’affaire, au point de vue financier, par une série d’expédients, de moratoires imposés aux créanciers étrangers (bien qu’il s’agisse ici de créances privées) — en un mot, de faillites. Cela n’encourage naturellement pas le commerce, ni le crédit, à défaut desquels la réserve d’or et de devises de la Reichsbank se réduit sans cesse. Il y a longtemps que les transactions au cours officiel du mark sur le marché des changes sont extrêmement rares. En fait, les transactions s’effectuent à des cours très inférieurs. Mais la situation empire et, dans la crainte du moment où les expédients seront épuisés et où une série de faillites partielles plus ou moins camouflées devra se terminer en banqueroute ouverte et générale, le gouvernement hitlérien est aux abois.
Peut-être faut-il insister plus encore sur le cas de l’Italie, parce que là, le -gouvernement fasciste est depuis assez long temps au pouvoir pour qu’on juge sans possibilité de fausse excuse les résultats de sa gestion. Or, voici ces résultats : une bureaucratie pléthorique, la police partout; un budget en défi cit permanent auquel il manque aujourd’hui 4 milliards; une dette publique accrue de 25 milliards depuis 1926; les 103.000 faillites depuis 1928 déjà signalées; une baisse générale des salaires très supérieure à la baisse du prix de la vie (1);
(1) On dit un peu partout que le gouvernement mussolinien a institué le contrôle des prix de détail, l'ait baisser la vie. etc. Voici comment s'exprime sur ce point M. Roger Picard, professeur à la Faculté de Droit de Paris. "Des mesures annoncées à grand fracas, pour contraindre les détaillants italiens à baisser leurs prix, ne sont que des rodomontades , les rondes de patrouilles fascistes dans les boutiques ne sont que des brutalités intolérables et génératrices de désordres, mais leur efficacité sur le niveau des prix doit être tenue pour nulle." Nous pourrions multiplier, les exemples.
Un million de chômeurs complets, 1.096.823 exactement en mars 1934, contre 369.000 en France, pays bien plus industrialisé — chômeurs dont 180.000 seulement reçoivent une indemnité variant de 1 lire 25 à 3 lires 75 par jour. Tel est, pour les masses, le résultat des mesures prises depuis douze ans par Mussolini pour le salut de l’oligarchie économique. Car cette oligarchie n’est pas sauvée ! Après qu’on lui a sacrifié si complètement les masses et institué à son profit un despotisme sanglant, sa situation est plus que jamais précaire. Elle vit encore des commandes et des subsides publics, mais risque d’entraîner dans sa ruine l’Etat fasciste qui tient à elle par toutes ses fibres.
Entre ces frères siamois, les rapports ne sont pas toujours bons. On entend souvent dire que les patrons italiens sont mécontents. Ils sont mécontents, en effet, parce que seule une infime minorité d’individus est à l’abri des vexations et des caprices du despote; parce que, surtout, l’Etat fasciste, quoi qu’il fasse pour les féodaux économiques, ne pourra jamais les contenter, car il est hors d’état d’assurer définitivement leur pouvoir et leur fortune.
Pour conquérir le pouvoir, les fascistes d’Italie et d’Allemagne, donnant l’exemple aux fascistes de tous les pays, ont fait deux sortes de promesses, destinées à leur concilier diverses classes sociales dont ils exploitaient le .mécontentement de façon successive ou même simultanée. Selon les époques, les conditions économiques passagères et les auditoires, le fascisme se pose en adversaire des empiétements de l’Etat, en défenseur et garant de la propriété privée, en ennemi de l’oligarchie économique. Or, toutes ces promesses ont été violées. L’Etat fasciste n’a nullement pu préserver les classes moyennes et agricoles des faillites et des expropriations. Il intervient constamment dans la vie économique d’une façon vexatoire, inquisitoriale et brutale — et il intervient au pro fit des puissances d’argent.
Assez peu d'hommes, aujourd’hui, osent défendre ouvertement ces puissances, mais beaucoup croient encore qu’on peut lutter à la fois contre elles et contre les organisations ouvrières. C’est cette erreur qui, en Italie et en Allemagne, a entraîné une foule d’honnêtes gens dans les rangs fascistes ; mais l’exemple de l’Italie et de l’Allemagne le prouve : qui lutte contre les organisations ouvrières lutte aussi pour la féodalité économique.
Alain, Ecrivain
Pierre Gerome, Ecrivain
Paul Langevin, Professeur au Collège de France,
Marcel Prenant, Professeur à la Faculté des Sciences
Paul Rivet, Professeur au Museum
Source: PANDOR, Portail d'archives numériques de l'Université de Bourgogne
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