20 Avril 2025
Michael Löwy
(né en 1938)
Michael Löwy est un sociologue et philosophe franco-brésilien, figure centrale de la pensée marxiste critique contemporaine. Né à São Paulo dans une famille juive d’origine autrichienne et slovaque, il développe très tôt une sensibilité aux questions de justice sociale, d’internationalisme et de révolte. Au Brésil, il a pour enseignants, Fernando Henrique Cardoso, Florestan Fernandes et António Cândido. Installé en France depuis les années 1960, il devient directeur de recherche émérite au CNRS et s’impose comme une voix intellectuelle majeure du marxisme libertaire, de l’écosocialisme et de l’antimodernité révolutionnaire. En 1961, par l'obtention d'une bourse d'étude de 3e cycle, il est l'élève du philosophe et sociologue marxiste Lucien Goldmann (connu pour Le Dieu caché, 1955) avec qui il prépare sa thèse La Théorie de la Révolution chez le jeune Marx, qu'il soutient en 1964 à l'EHESS.
« La foi marxiste est une foi en l’avenir historique que les hommes font eux-mêmes, ou plus exactement que nous devons faire par notre activité, un “pari” sur la réussite de nos actions ; la transcen dance qui fait l’objet de cette foi n’est plus ni surnaturelle ni transhistorique, mais supra-individuelle, rien de plus, mais aussi rien de moins. » Lucien Goldmann, Le Dieu Caché, Paris, Gallimard, 1955, p. 99, 104, cité dans Löwy, Avertissmeent d'incendie, p. 144.
Il a vécu en Israël de 1962 à 1968. Il est aussi l'assistant du sociologue anglais Peter Worsley au cours de l’année 1968-1969. De 1969 à 1978, il enseigne à Paris 8 Vincennes. A partir de 1971, il prépare une thèse d'état sur György Lukács, sous la direction de Louis-Vincent Thomas, qu'il soutient en 1975.
Un marxisme ouvert, dialogique et hérétique
Michael Löwy est un penseur profondément enraciné dans le marxisme, mais un marxisme anti-dogmatique, ouvert aux apports de la critique libertaire, de la théologie de la libération, de l’écologie politique, du romantisme révolutionnaire ou encore du surréalisme. Il refuse une lecture linéaire ou économiciste de Marx et s’attache à en retrouver la dimension subversive, utopique et poétique. À rebours des orthodoxies marxistes, Michael Löwy valorise des figures hétérodoxes : Rosa Luxemburg, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Lucien Goldmann, ou encore le Che Guevara. Ce qui l’unit à eux, c’est une même foi dans la possibilité d’une révolution totale, autant existentielle que politique — une révolution qui ne soit pas seulement réorganisation de l’économie, mais transformation radicale du rapport au monde, à la nature, à la culture, à l’imaginaire. Très engagé en Amérique latine, Michael Löwy a joué un rôle de passeur entre le marxisme et la théologie de la libération, mouvement chrétien radical né dans les années 1960. Il voit dans cette théologie une expression religieuse authentique de la lutte contre l’exploitation, un christianisme des pauvres, contre le pouvoir. Son approche est donc sensible aux formes non laïques de l’émancipation, dès lors qu’elles se traduisent en forces subversives.
Apports clés et thèses principales
Romantisme révolutionnaire. Michael Löwy redonne ses lettres de noblesse au romantisme, non comme nostalgie du passé, mais comme critique sensible et radicale de la modernité capitaliste. Ce romantisme révolutionnaire est une force utopique qui, tout en refusant les illusions du progrès technicien et marchand, cherche dans certaines valeurs anciennes (communauté, solidarité, lien au vivant, quête de sens) une inspiration pour dépasser le présent. Il oppose ce courant à la résignation moderniste : là où celle-ci se plie à la logique productiviste, le romantisme révolutionnaire appelle à la réinvention du monde sur des bases non-marchandes, égalitaires et sensibles.
« il faut se rappeler que le romantisme n’est pas seulement une école littéraire et artistique du début du XIXe siècle: il s’agit d’une véritable vision du monde, un style de pensée, une structure de sensibilité qui se manifeste dans toutes les sphères de la vie cultu-relle, depuis Rousseau et Novalis jusqu’aux Surréa-listes (et au-delà). On pourrait définir la Weltanschauung romantique comme une critique culturelle de la civilisation moderne (capitaliste) au nom de valeurs prémodernes (pré-capitalistes) – une critique ou protestation qui porte sur des aspects ressentis comme insupportables et dégradants: la quantification et la mécanisation de la vie, la réification des rapports sociaux, la dissolution de la communauté et le « désenchantement du monde ». » Michael Löwy, Walter Benjamin: avertissement d'incendie. Une lecture des thèses sur le concept d'histoire, 2de édition revue et augmentée, Paris, Éditions de l'éclat, coll. « Philosophie imaginaire », 2014 .
Écosocialisme. Pionnier dans ce courant, Michael Löwy affirme que la crise écologique ne peut être résolue par les mécanismes du marché ou les simples ajustements technologiques. Pour lui, c’est le capitalisme lui-même qui est incompatible avec l’équilibre écologique, en raison de son impératif d’accumulation infinie, de croissance illimitée et de marchandisation généralisée. L’écosocialisme qu’il défend combine l’exigence de justice sociale avec celle de respect des limites planétaires, en s’appuyant sur une rupture révolutionnaire avec la logique capitaliste. Il milite ainsi pour une société démocratique, autogérée, économe, fondée sur les besoins réels et non sur la consommation ostentatoire ou la compétition.
Révolution permanente. Fidèle à l’esprit de Trotski, mais en dialogue critique avec toutes les traditions révolutionnaires, Löwy croit en une révolution permanente, qui ne se limite pas à un changement d’élite ou à une réforme de l’économie. Elle implique une transformation continue de la société, de la culture, des mentalités, et repose sur l’action collective, internationale et populaire.
Un intellectuel engagé
Löwy ne sépare jamais la pensée de l’action. Il milite dans diverses organisations socialistes, anticapitalistes, écosocialistes ou altermondialistes, comme ATTAC, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) ou le réseau international écosocialiste. Il intervient régulièrement dans des luttes concrètes : contre le productivisme, la destruction écologique, , la xénophobie, les politiques autoritaires ainsi que les inégalités Nord/Sud. C'est d'ailleurs un traducteur culturel majeur entre Europe et Amérique latine, entre philosophie critique et mouvements sociaux. Michael Löwy incarne un marxisme vivant, capable d’entrer en dialogue tant avec l’écologie radicale, que les luttes autochtones, que les imaginaires poétiques ou encore les traditions religieuses rebelles. Son œuvre est précieuse pour tous.tes celleux qui refusent de séparer la critique du capitalisme de l’exigence de sens, de beauté et de justice. Il nous invite à penser une autre modernité, libérée de la domination, et enracinée dans le vivant.
Œuvre écrite :
Löwy cite de Lucien Goldmann, Lukács et Heidegger, Paris, Denoël/Gonthier, 1973 dans son Benjamin.