24 Juin 2021
Oh, il ne s'agit pas de choquer les belles âmes mais jusqu'en 1921, Heidegger se prenait plus pour un théologien chrétien que pour un philosophe (lettre à Fischer, 1921), c'est pourquoi on retrouve nombre de diatribes contre la philosophie. Sans doute que l'ancrage que lui procurera Etre et temps lui fera changer d'optique, jusqu'à répudier la métaphysique et non l'ontologie, qu'il remet au goût du jour en tant qu'esprit de sérieux. Mais l'ontologie n'apporte rien, elle n'est que la marque d'une insistance trop grande apporté à la déréliction nihiliste du "Qui suis-je ? " Qu'est-ce qu'être ?" en somme avec une sortie de cirse en forme d'extase et une logorrhée sous la forme du chemin, de la sente* (feldweg) qui mène à la clairière. Lui-même savait que jusque là nous avions réfléchi, c'est-à-dire regarder dans le miroir de l'être, ce fameux miroir (Mirah) compris dans la la Torah, compris chez les Grecs et qui ne pourra être critique qu'avec l'apparition de la subjectivité (Descartes) que Hegel désubstantifiera (pour en faire un procès, un devenir).
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Œuvres de Heidegger
On peut aussi lire les les carnets noirs de 1934 et 1946 (GA94 et GA97) :
GA16.
GA69, Peter Trawny semble avoir amputé certains textes. Voir ici. Le passage incriminé : "une destination au crime planétaire de la communauté juive'. Ce volume est sorti en 1998. Voir ici.
GA94. Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931–1938), éditeur et traducteur Trawny, édition Vittorio Klostermann, 2014, VI, 536p.
GA97. Anmerkungen I-V (Schwarze Hefte 1942–1948), éditeur et traducteur Trawny, édition Vittorio Klostermann, 2015, VI, 560p.
La GA94 se retrouve traduite : Martin Heidegger , Réflexions II-VI: Cahiers noirs (1931-1938), Paris, Editions Gallimard NRF, 29 novembre 2018, traduction de François Fédier.
Correspondance de Heidegger
Lettre de Heidegger à Karl Löwith de 1921 (éditée par Hartmut Tietjen)
Lettre de Heidegger à sa femme du 21 octobre 1916
Télégramme de Fischer demandant que Heidegger soit libéré du Volkssturm, cité par Hugo Ott
Quelques repères biographiques
Il faut rappeler sa correspondance avec Eugen Fischer (un documentaire en faisait mention) qui pratiqua la stérilisation dans les camps de concentration pour Hereros en Namibie et qui fut le maître de Mengele qui devint son assistant avant de faire ses propres expériences à Auschwitz qui deviendra recteur de l'université de Berlin en même temps qu'Heidegger deviendra recteur de l'université de Fribourg.
Il faut rappeler sa relation à Karl Löwith, juif de confession, le premier disciple qu'il fait entrer par recommandation en tant que professeur à Marbourg en 1928. On peut penser au livre collectif sous la direction de Marie-Anne Lescourret, La dette et la distance - De quelques élèves et lecteurs juifs de Heidegger, aux éditions de l'Éclat, dans la collection Bibliothèque des fondations, 2014, 256 p.
Quelques citations
« L’ennemi est celui-là, est tout un chacun qui fait planer une menace essentielle contre l’existence du peuple et de ses membres. L’ennemi n’est pas nécessairement l’ennemi extérieur, et l’ennemi extérieur n’est pas nécessairement le plus dangereux. (…) L’ennemi peut s’être enté sur la racine la plus intérieure de l’existence d’un peuple, et s’opposer à l’essence propre de celui-ci, agir contre lui. D’autant plus acéré, et dur, et difficile est alors le combat, car seule une partie infime de celui-ci consiste en frappe réciproque; il est souvent bien plus difficile et laborieux de repérer l’ennemi en tant que tel, de le conduire à se démasquer, de ne pas se faire d’illusions sur son compte, de se tenir prêt à l’attaque, de cultiver et d’accroître la disponibilité constante et d’initier l’attaque depuis le long terme, avec pour but l’extermination totale. »
in Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie, Emmanuel Faye, Albin Michel 2005, page 276.(GA 36/37, 90-91).
« l'enjuivement de notre culture et de notre université est effrayant » Lettre du 18 octobre 1916 à sa femme
« il faut conduire les possibilités de la race originellement germanique et l'amener jusqu'à la domination »
Cours de 1934 sur l'essence de la Vérité
L'expression « anéantissement total », « Folligen Vernichtung », serait à nuancer ou à recontextualiser, car ce ne fut pas le propre des Allemands. La guerre d'anénatissment devint guerre totale par sa seule application. [nous avons pour notre part à la localiser]
Extrait de la page 243 lignes 11 et suivantes de la GA96 (1939-1941) « Die Frage nach des Rolle des Weltjudentums ist keine rassische, sondern die metaphysische Frage nach des Art von Menschentümlichkeit… » « La question du ‘rôle ‘ du judaïsme international ne concerne pas la race, la question biologique, mais elle est plus une question métaphysique sur la capacité de l’Humanité… »
Livres annexes
Eugen Fischer, Le Problème de la race et la législation raciale allemande., Sorlot, Cahiers de l'Institut allemand, coll. « État et santé », 1942.
Karl Löwith, Ma vie en Allemagne avant et après 1933, traduction fr M. Lebedel, Paris, Hachette, 1988. L'édition allemande fut publiée plus tard, Karl Löwith, Mein Leben in Deutschland vor und nach 1933. Ein Bericht, Stuttgart, J. B. Metzler, 2007
Extraits de Karl Löwith, Ma vie en Allemagne avant et après 1933, traduction fr M. Lebedel, Paris, Hachette, 1988. L'édition allemande fut publiée plus tard, Karl Löwith, Mein Leben in Deutschland vor und nach 1933. Ein Bericht, Stuttgart, J. B. Metzler, 2007
"EN 1936, lors de mon séjour à Rome, Heidegger donna une conférence sur Hölderlin à l'Institut culturel germano-italien. Il m'accompagna ensuite à notre appartement et fut, de toute évidence, ému par la pauvreté de notre intérieur. Il déplora surtout l'absence de ma bibliothèque qui se trouvait encore en Allemagne. [...] " Le lendemain, nous fîmes, ma femme et moi, une excursion à Frascati et Tusculum, avec Heidegger, sa femme et ses deux fils dont je m'étais souvent occupé quand ils étaient petits. [...] Même à cette occasion, Heidegger n'avait pas retiré de sa veste l'insigne du parti. Il le porta durant tout son séjour à Rome et, de toute évidence, ne se rendit pas compte que, pour passer la journée avec moi, la croix gammée était déplacée. [...] Il se montra amical et attentif, mais évita, comme sa femme d'ailleurs, toute allusion à la situation en Allemagne et à sa position. " Sur le trajet du retour, je voulus l'amener à s'exprimer librement là-dessus [...] parce qu'à mon avis son engagement en faveur du national-socialisme était dans l'essence de sa philosophie. Heidegger m'approuva sous réserve et ajouta que sa notion d'" historicité " était le fondement de son " engagement " politique. Il ne me laissa aucun doute non plus sur sa foi en Hitler ; il n'avait, me dit-il, sous estimé que deux choses : la force vitale des Eglises chrétiennes et les obstacles au rattachement de l'Autriche. Il restait convaincu que le national-socialisme était une voie toute tracée pour l'Allemagne ; il s'agissait seulement de " tenir " assez longtemps. " L'excès d'organisation aux dépens des forces vives était le seul aspect qu'il trouvait préoccupant. [...] " " Quand je lui fis remarquer que, si je comprenais, certes, en grande partie son attitude, ce que je ne comprenais pas, en revanche, c'était comment il pouvait s'asseoir à la même table (celle de l'Académie du droit allemand) qu'un individu tel que J. Streicher, il garda d'abord le silence. Enfin, à contrecoeur, il me donna cette justification bien connue [...] qui revient à dire que la situation aurait été " beaucoup plus grave encore " s'il n'y avait pas eu au moins quelques personnes éclairées pour s'engager. Et, plein de ressentiment contre les " gens cultivés ", il conclut en ces termes : " Si ces messieurs ne s'étaient pas estimés trop bien pour s'engager, les choses se seraient passées autrement ; seulement, voilà, j'étais tout seul. " Comme je lui rétorquais qu'il n'était pas nécessaire de s'estimer trop " bien " pour refuser de coopérer avec Streicher, il me répondit que Streicher ne valait pas qu'on parle de lui. [...] Il ne comprenait pas pourquoi Hitler ne se débarrassait pas de " ce type-là ". A son avis, il devait le craindre. [...] " En réponse à l'envoi de mon livre sur Burckhardt, comme à celui sur Nietzsche paru un an auparavant, je ne reçus aucun mot de remerciement ni même d'avis objectif. Au Japon, j'écrivis encore deux fois à Heidegger, la première fois au sujet de la traduction en japonais de Etre et Temps, qui le concernait directement, la seconde à propos de quelques documents rares que je lui avais offerts à Fribourg et dont j'avais momentanément besoin. A ces deux lettres, il ne répondit que par le silence. Ainsi prirent fin mes relations avec l'homme qui m'avait ouvert les portes de l'université de Marbourg. De tous ses élèves, je fus en effet le premier et le seul qu'il admit à l'enseignement supérieur en 1928. " Husserl mourut à Fribourg en 1938. Heidegger prouva " sa vénération et son amitié " (en témoignage desquelles il lui avait dédié son ouvrage en 1927), en ne daignant ou en n'osant pas accorder un seul mot à sa mémoire ni une seule marque de sympathie, que ce soit en public ou en privé, oralement ou par écrit. "
* cf. Rousseau, le promeneur solitaire des sentes de Montmorrency et Deuil-la-Barre.