La Philosophie à Paris

L'INCONSCIENT ET LE SEXUEL / LACAN

30 Mai 2011, 00:02am

Publié par Paris8philo

Après Badiou, MBK, Sichère, pourquoi pas Lacan... D'avance vous êtes prévenus c'est un article réac' Paris8philo

 

CECI N’EST PAS UNE PIPE
Ceci c’est ça : jACques laCAn,
Folisophe, psychonalyste, thaumaturge, Professeur Tournesol, Espagnol pas du tout, mais Affreud, Ajoyce, et pour les sièCles des sièCles… Amen.

« car les Lapons ne sont jamais malades »  Gérard de Nerval.   

« Une voie carrossable vous conduit au bord de l’inconnu »  Poème surréaliste  

« Le réel en tant qu’impossible à dire, c’est-à-dire, en  tant que le réel c’est l’impossible, tout simplement. »   Jacques Lacan
Et puisque chez Lacan, comme on l’a bien compris, tout est à l’envers, commençons par la fin.

Le roi se meurt.

Le 21 novembre 1978, à la séance inaugurale de son séminaire « la topologie et le temps », le théoricien génial du langage de l’inconscient perd l’usage de la parole. Stupéfaction de l’auditoire. Il dessine alors des nœuds, s’emmêle les pinceaux et quitte la salle.

A dire vrai, ça fait déjà un petit moment que Lacan déraille. Quelques semaines plus tôt, il a envoyé valdinguer sa Mercedes dans les décors du Périphérique alors qu’il se rendait à sa maison de campagne. Lacan a des absences. La rumeur enfle. Symptômes d’un mal qui ronge le psychiatre, mais lequel ? Des accès de rage, des contractions du visage, le masque du rire, et puis celui des pleurs, avant de plonger dans des silences qui n’en finissent plus : le Maître souffre sa Passion.

D’où l’angoissante question : Que se passe-t-il au 5 rue de Lille, dans le cabinet du Docteur Lacan ? En violation de la déontologie en vigueur avant lui, le refondateur de la psychanalyse a d’abord instauré le principe de la séance courte. Devenue, au fil des années, séance-éclair, voire non-séance :

-          En me coupant ainsi la parole, vous voulez ….

-          C’est cela.*

L’impromptu retranscrit ici intégralement la séance. Il s’agit donc de sa durée réelle ! Faites le calcul, ça ne traîne pas.

Ce dont les analysants se plaignent parfois :

-          Pourquoi me gardez-vous si peu ?

-          Pour que ça soit plus solide.

Même remarque que précédemment ! On bat des records mais finalement on ne s’en lasse pas :

-          Alors ?

-          Ca va, j’ai tenu

-          Excellent !*

Et au revoir Madame, c’est 500 Francs le sketch, pardon, la « séance ». Chez Lacan, il faut savoir que c’est à « l’analysant » à analyser notamment l’interruption, la rupture, le mot sur lequel le Maître stoppe l’entretien. Dernier exemple, pour la route :

-          Docteur, il faudrait que je vous dise que…

-          C’est tout à fait ça !*

Qu’est-ce « ça » veut dire ? Et bien que ce « que », c’est la queue, et donc que c’est dans ce « que-signifiant-la-queue » que se situe le noeud du problème (« ça » n’est pas une blague !). Un rapport à la castration ? La votre ? Celle de votre père ? A vous de voir et débrouillez-vous avec ça ! Merci LaCAn.

Mais pour Houda Aumont, qui rapporte cette dernière entrevue, c’est le cauchemar. L’analysante rentre chez elle, pleure, déprime, souffre, et s’empiffre de chocolat. Plus Lacan est gagné par son mal, plus hardcore deviennent les séances. Le transfert n’a jamais aussi bien porté son nom ! La psychanalyse lacanienne est un sport de combat. Dans des accès de furie, le médecin frappe ses patients, on parle même de coups de poings. Un jour, le Maître se jette sur Houda, lui tire les cheveux en lui hurlant dessus :

« VOUS ALLEZ PARLER ! »

On est toujours à l’automne 1978.  Au moment où Mister Hyde a pris le pas sur le Docteur Jekyll. Pour couronner le tout, le gourou, déjà dur à la détente, devient dur de la feuille (on n’ose dire sourdingue). Comment pourrait-il alors entendre la douleur d’une analysante venue lui annoncer boulversée la mort de son père ? Elle ne croit pas si bien dire, la malheureuse ! Lacan reste de marbre. Comprend-il seulement ce qu’on lui dit ? 

La vérité, c’est que 3 ans avant sa mort, Lacan n’est déjà plus là.

Mais quelle importance ? l’Oracle comme ses disciples vivent dans une fiction collective.

Ces malades qui nous gouvernent....

Non, le Grand Timonier de la psychanalyse n’est pas sourd : il fait semblant de ne pas entendre. Non, il n’est pas malade, il cultive sciemment une inquiétante étrangeté pour mieux nous questionner !

Dans ce drame shakesparien, le role ingrat revient à Jacques-Alain Miller (le frère de Gérard-le-bouffon). L’usurpateur, l’omerta autour du folisophe, le grand mensonge du tout-va-bien, bref le complot, c’est lui, prétendent ses détracteurs. Il est vrai que « le gendre de Lacan » , futur « exécuteur » testamentaire des œuvres du psychanalyste, est marié à Judith Miller, la fille préférée du maître, née « Bataille-Lacan ». Le drame de Miller est donc tout entier inscrit dans les mots qui l’entourent, et en cela, conforme à la théorie du « signifiant-maître » chère à son beau-père.

Moralité : Même quand Lacan n’est plus tout à fait là, il est là quand même !

Lacan est magique. Même les frères Bogdanov s’en réclament ! Mais comment fait-il, le sinthome  ?

La vérité, c’est que sa vie est une hallucination. Individuelle puis collective. Une quête de l’absolu. Une illumination qui démarre avec Nietzsche.

J’ai une théorie là-dessus, si vous me permettez une petite saillie personnelle . Mon intime conviction, c’est que tous les lacaniens sont des nietzschéens plus ou moins refoulés. On est (nait ?) d’abord nietzschéen, et puis un matin, on sent que ça mal finir - genre Jacques Pan ! Rigaut - alors on essaie de se soigner à grands coups de Lacan ! Chez ZiZek, c’est flagrant.  Pour ceux à qui il manquerait une case, ou qui auraient loupé un épisode de l’étoffe des  héros de la philosophie contemporaine,  je rappelle que ZiZek est une fusée lacanienne - psychiatre et philosophe comme le Grand Jacques - qui réfléchit transversalement à la vitesse de la lumière. Mais dès qu’il parle, observez le bien, c’est NietZZsche qui apparaît ! CQFD.

Nietzsche donc. Que Lacan lit à l’adolescence et en allemand, comme il lira plus tard la Bible en Hébreu. Qui dit mieux ? Avec Freud, le moustachu fou demeurera le fil d’Ariane de son odyssée mentale.

Mais la vraie révélation, c’est « L’ÂNE POURRI ». Une théorie délirante sur le délire paranoïaque, source de création artistique générée par le phénomène de dédoublement des images. Et signée Dali. Le jour où Lacan rencontre le Catalan, l’artiste lui expose les principes de sa révolution paranoïaque-critique avec un papier blanc collé sur le pif. Dali s’attend à une réaction de son interlocuteur, mais Lacan ne bronche pas. Près de 40 ans plus tard, deux fous se retrouvent à New-York, par hasard :

- Pourquoi n’as-tu rien dit quand je t’ai reçu avec mon truc sur le nez ? demande le peintre surréaliste

- Parce que je savais bien que tu n’avais rien, répond le psychiatre lacanien.

« Je me suis branlé nu dans la nuit devant le cadavre de ma mère. »

Lord Auch alias Pierre Angélique alias Louis Trente alias Georges Bataille – in « le Petit ».

Freudo-nietzschéen fasciné par la pulsion de mort, lié aux surréalistes notamment via André Breton et Michel Leiris, Bataille pense que sa mission sur terre est d’élaborer une philosophie paradoxale. La rencontre Bataille-Lacan était donc fatale. D’autant que c’est par la psychanalyse que l’auteur de l’ « histoire de l’œil » accouche  de sa littérature. C’est au domicile de Lacan, Boulevard Malesherbes qu’auront lieu les brainstormings d’ACÉPHALE, la revue-secte des coupeurs de têtes dirigée par « Pierre Angélique ».  Leur programme : poser les bases d’un nihilisme radical. Face à la montée des fascismes européens, il faut soigner le mal par le mal. L’arme absolue est la part d’ombre de chacun d’entre nous. Sus à la morale bourgeoise et à cet esprit des Lumières en voie d’extinction. Place à l’ère de l’Acéphalité, oh mes Frères ! Gloire à la toute-puissance du rêve sur la conscience, de la dépossession sur la maîtrise, de l’impossible sur le possible. L’Empire de l’Irrationnel vaincra ! La Vérité sera extatique ou ne sera pas !

Lacan qui assiste à toutes les réunions, sans mot dire, n’en perd pas une miette. Cette vision sadienne de l’homme moderne, condamné à détruire la présence réelle d’un objet pour en jouir, va nourrir son concept du réel. Un réel défini progressivement comme déchet ou reste, et enfin comme impossible. Fin 1973, Lacan fait sensation. Devant un parterre de savants mondiaux venu l’entendre parler de l’intérieur et de l’extérieur au MIT de Boston, le psychanalyste se lâche franchement sur le sujet : « Les déchets sont la seule chose qui témoignent que nous ayons un intérieur(…) Mais si vous prenez les éléphants, il est frappant de voir combien leur déchets prennent peu de place, alors que quand nous y pensons, ils pourraient être énormes » Le public est effondré, mais le génie français, sans complexe, en remet une couche : « La discrétion de l’éléphant est une chose curieuse. La civilisation, c’est le déchet, cloaca maxima ».

Bataille ne disait pas autre chose.

Et la boucle est bouclée. Sauf que c’est une spirale infernale. La folie de Lacan est une machine à remonter le temps. Une histoire psychotique, qui bégaie:  « Je crois que le psychiatre a besoin d’un psychiatre » confiait déjà Heidegger à un de ses amis psychiatres après avoir lu les « Ecrits » du psychiatre Lacan. Et si les délires du penseur moderne de la paranoïa constituaient en fait le meilleur pré-texte pour l’éliminer ? En décembre 1976, cette fois, c’est bien Lacan qu’on assassine. Dans « Un destin si funeste », de François Roustang, le lacanisme est dénoncé comme un « goulag de l’esprit ». L’insulte qui tue, à l’époque. Le grand Cornélius Castoriadis, ancien lacanien, balance une nouvelle rafale anti-structuraliste 4 mois plus tard : avec leur credo du signifiant-maître, Althusser, Barthes, Lacan, and Co ont fabriqué une idéologie qui a servi à masquer les monstruosités commises au nom du stalinisme et du maoïsme. En clair, Lacan = Collabo = SS. On comprend mieux pourquoi le psychiatre de la Rue de Lille s’est transformé en statue de marbre 3 ans avant sa mort ! 

La vie du prophète est une parabole. A chacun son sinthome. On pourrait tout aussi bien écrire que le sorcier a joué avec le feu. « Vous voulez un maître, affirmait-il prophétiquement aux étudiants de Vincennes, - et bien, vous l’aurez ! ». Tel de Gaulle, Lacan fut celui-là. Le Signifiant-Maître. le Logos. C’est à dire la Loi. La sienne.  En incarnant magistralement le role du Père, un glissement métonymique opère, le Père devient Pervers, un Père-sévère qui finit en Père-ses-vers.

Quelque chose comme ça.

 article d' Olivier STUPP

 

 A lire ou voir absolument

  • 543 impromptus de Jacques Lacan – recueillis et présentés par Jean Allouch – Mille et une nuits – janvier 2009 *(les impromptus cités dans la story sont extraits de ce livre. )
  • DVD Jacques Lacan – La psychanalyse réinventée, d’Elisabeth Roudinesco et Elisabeth Kapnist – La conférence de Louvain 1972 - Arte Vidéo

A relire

Jacques Lacan Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée – Elisabeth Roudinesco – Fayard réédition octobre 2008

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