421. L’autonomie du mouvement : le passage de la science aristotélicienne à la science galiléenne.
Les philosophies idéalistes diront « Tous les corps sont soit en mouvement soit au repos » or le repos n’est pas complémentaire du mouvement. Simplement en apparence, selon l’illusion fixiste que rien ne bouge et que tout est inerte : en premier la « matière » qui obéit aux « lois de l’esprit ». S’il y a une nouvelle approche du mouvement, c’est dans le mouvement comme état. Le mouvement ne produit aucun effet et il est freiné par l’inertie. Pourtant la science, en s’attachant à calculer les accélérations et les ralentissements propres au mouvement, notamment le positionnement de sondes spatiales, a permis une révolution : elle empêche désormais toute métaphysique sinon comme posture de la mauvaise foi pour affirmer les archaïsmes fixistes de l’être. Pour un platonicien, la mathématique (dianoia) est la science de l’être. Il y a une antique « science de l’être » comme analyse, mais il n’y a pas de connaissance de l’être. C’est un des acquis de la science moderne. Il y a un passage de la physique aristotélicienne à la physique galiléenne via l'autonomie du mouvement. Le mouvement n'est plus conçu comme un processus et le repos comme son opposé. Il n'y a pas de repos, mais de l'inertie, c'est-à-dire une force qui freine un état de mouvement. Galilée vient confirmer les prédictions de Copernic par ses observations des phases de Vénus au téléscope. Les avancées de Galilée ont une brèche ouverte dans les paradoxes métaphysiques — bien loin de la mathématisation du mouvement que lui prêtent les platoniciens. Galilée parvient à extraire de la pensée de l’« être » tant platonicienne qu’aristotélicienne, le mouvement propre à la « science nouvelle ». Aristote réserve à la physique, l’étude du changement et de ses « effets », faisant de la philosophie « la science de l’être en tant qu’être ». Pour Aristote, Il y a quatre grands types de changements : le changement selon la quantité — accroissement ou diminution —, le changement selon la qualité — vers l’humide ou le sec, par exemple, ou la coloration aussi —, le changement selon la puissance — l’altération d’un être en puissance en un être en acte —, et enfin le déplacement ou le changement selon le lieu. Galilée ne retient de ces changements comme processus (genesis ou devenirs) que le changement selon le lieu, selon la position, qui devient le mouvement tel qu’on l’appréhende aujourd’hui. Galilée rompt ainsi avec la tentative d’Aristote de sauver le changement par rapport à l’« être ». Cette tentative 538 est bien souvent vouée à l’échec car elle demeure la réaction d’un jugement, bref la négation d’un mouvement.
Galilée fait la brèche par négligence 936, dirait la doctrine. En effet, il ne connaît pas toutes les conséquences de ce qu’il pose, même s’il sait contre quoi il avance. Il « désontologise » par inadvertance le mouvement. Celui-ci n’est plus un processus comme avec Aristote, ni même le simulacre d’un être immobile comme chez les Eléates (Zénon à partir de Parménide). Galilée a pourtant au départ une vision platonicienne quand il écrit que le grand livre de la Nature… est écrit en langage mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques. Mais au final, le mouvement est un état qui ne produit aucun effet. Jusqu’à Galilée, le déplacement était un mouvement parmi d’autres, mais un mouvement qui tendait au repos — dans le cas des corps lourds ou graves. Judicieux, Galilée néglige la métaphysique et les modèles qu’elle propose et préfère effectuer une centaine d’expériences qu’il relate de manière précise dans Discours concernant deux sciences nouvelles, de 1638 GalDS. À la troisième journée, Galilée fait dire à ses protagonistes, un partisan de la science aristotélicienne et un partisan de la science nouvelle de Galilée, ceci : « Pouvez-vous nous dire si vos expériences donnent des résultats conformes à vos conclusions théoriques ? », le représentant de Galilée, Salviati, répond à son adversaire : Galilée n’a nullement négligé de faire des expériences ; soucieux moi-même de m’assurer que l’accélération de graves (corps lourds) en chute libre s’opère bien selon la proposition que nous avons décrite, j’en ai plus d’une fois cherché la preuve expérimentale, en sa compagnie, de la façon suivante. Il dit ensuite qu’il a fait une centaine d’expériences avec des boules et des plans inclinés dont voici quelques retranscriptions :
Dans une règle ou plus exactement dans un chevron de bois, long d’environ douze coudées, large d’une demi-coudée et épais de trois doigts, nous creusions un petit canal d’une largeur à peine supérieure à un doigt, et parfaitement rectiligne ; après avoir garni d’une feuille de parchemin bien lustrée pour le rendre aussi glissant que possible, nous y laissions rouler une boule de bronze très dure, parfaitement arrondie et polie. Plaçant alors la pente de l’appareil dans une position inclinée, en élevant l’une de ses extrémités, d’une coudée ou deux au-dessus de l’horizon, nous laissions, comme je l’ai dit, rouler la boule en notant … le temps nécessaire à une descente complète ; l’expérience était commencée plusieurs fois afin de déterminer exactement la durée du temps, mais sans que nous découvrissions jamais de différence supérieure au dixième d’un battement de pouls. La mise en place de cette première mesure étant accomplie, nous faisions descendre la boule sur le quart du canal seulement : le temps mesuré était toujours rigoureusement égal à la moitié du temps présent. Nous faisions ensuite varier l’expérience en comparant le temps requis pour parcourir sa moitié ou les deux-tiers, ou les trois-quarts, ou toute autre fraction ; dans ces expériences répétées une bonne centaine de fois, nous avons toujours trouvé que les espaces parcourus étaient entre eux comme les carrés des temps, et cela, quelle que soit l’inclinaison du plan --- du canal dans lequel on laissait descendre la boule GalDS.
Le mouvement avec Galilée s’autonomise, c’est-à-dire qu’il devient indifférent au paradoxe de Zénon et à la rectification « rédemptrice » d’Aristote. Le paradoxe de Zénon d’Elée confronte Achille à l’infini 434 qui tétanise toute velléité de déplacement en supposant un être « immobile » du mouvement. Or l’« être » n’est pas la stase ou l’état qui contient les opposés et atténue les conflits, ni même l’équilibre (la katastase MxTOE). Ce que fait Galilée c’est introduire l’inertie qui résiste au mouvement et par là libère le mouvement tel un astronaute jamais fixé en apesanteur. Ainsi le mouvement ne s’oppose plus au repos comme un processus s’opposerait à un état initial. Le repos serait antérieur ou initial par rapport au mouvement. Le mouvement est l’état de ce qui se déplace tout en étant freiné par l’inertie. C’est en postulant l’inertie que l’on se libère de l’« être », de l’ontologie tant ressassée. Légèreté qui un temps nous place dans une approche où le mouvement n’est non plus premier par rapport au repos mais tout simplement indifférent à l’inertie. Pourtant mouvement et inertie coexistent, comme la création et la conservation par exemple.