217. La terre du langage labourée pour Foucault.
Il va nous falloir à présent introduire un rire, une effraction de pensée, pour faire subodorer au lecteur la suite. La réflexion n’est point la vaillance, elle est lâcheté, Merleau-Ponty a tenté avec courage de retirer les concepts propres à la réflexion. Il n’a pas su exercer toute la force de sa pensée suffisamment loin de la réflexion. Il n’a pas su plier ou ployer suffisamment loin de l’immanence et de la transcendance. Il s’agit de montrer en un triptyque 210 à 234, toute la singularité d’un moment français où quelque chose est né entre penseurs et où une pensée réflexive n’a pu advenir. Avec Foucault et Deleuze s’est produit un moment de pensée très précis, où nous sommes passés de la réflexion humaine à la pensée plus impersonnelle et outre-humaine, qui ne posait plus l’homme comme étalon, comme paradigme du savoir mais davantage la Terre.
Confirmation — Il n’y a pas de doute que Foucault a trouvé une forte inspiration théorique chez Heidegger, Chez Merleau-Ponty, pour le thème qui le hantait : le pli, la doublure. Sur le pli, l’entrelacs ou le chiasme, cf. Merleau-Ponty, le visible et l’invisible, Gallimard. Et « les notes de travail » insistent sur la nécessité de dépasser l’intentionnalité vers une dimension verticale qui constitue une topologie (263-264). Cette topologie implique chez Merleau-Ponty une découverte de la « chair » comme dimension d’un retournement. Deleuze DzF_118.
On trouve dans cette citation tous les ingrédients d’une aporie qui, devenue tension, explose : chiasme, chair, vertical. Cette tension, Stéphane Douailler la relève comme étant circonvenance. Pour parvenir au « chiasme », à l’entrelacs, au pli de la pensée et permettre à son lecteur de l’appréhender, Merleau-Ponty souhaite rejeter les instruments que la réflexion et l’intuition se sont donnés MpVI_170, c’est-à-dire à ne pas prendre en compte leurs distinctions : finitude 215a et crise 215b pour l’intelligence, schize 215c pour l’intuition. Le « chiasme » serait porteur d’une non-distinction — ou esprit. Le chiasme — ou le pli — est tout simplement la nécessaire coexistence de l’actif et du passif : « activité = passivité » VI_312 dans un monde de but, une téléologie pour Merleau-Ponty. Le chiasme par là est une surdétermination VI_317, c'est-à-dire une négation de la négation 312. Merleau-Ponty n’a pas à récuser les distinctions immédiates et dualistes qu’il nomme « idées de l’intelligence » voir MpVI_197, simplement il les entremêle non plus sous la forme d’une contingence radicale mais sous une forme de nécessité. Nous l’avons vu, la pensée de Merleau-Ponty n’en finit ni avec la subjectivité ni avec la réflexion. De grands penseurs, Kant d’abord, ensuite Hegel, ont reconnu l’anfractuosité de cette réflexion. Ils ont donc dû essayer de se retirer réflexivement hors de cette réflexion HdgAP_33. Pourtant le langage possède ses idiomes de pensée, où les manques d’un homme, ici un philosophe forcément, parviennent à se projeter à force de traverser le discours, qu’il soit professé ou intime. C’est ce pourquoi nous avons tranché dans le chiasme plutôt qu’appeler au dénouement de la ratiocination de la « foi perceptive ».
C’est donc bien à une tentative 538 que l’on a affaire, qui, comme le note Stéphane Douailller, est prise dans une image de la pensée : la « circonvenance ». Les différentes forces du Dehors, ce qui est hors de la tradition de la réflexion et de la méditation, assaillent notre philosophe et avec lesquelles il ne sait pas trancher. Merleau-Ponty très certainement n’était pas grec sur point. Il faut dire qu’il y a chez lui toute une obsession du « chiffre ontologique » que sécrète toute métaphysique. Ce chiffre, elle le maintient secret MpS_278 comme un procédé de fabrication. On le trouve sous les formes d’unité ou dualité, monisme ou dualisme, Un ou Deux, etc. … Pourtant on peut et on doit penser sans lui, sans se soucier du dualisme et du monisme, de l’unité ou de la dualité, de l’Un ou du Deux qui sont à vrai dire des découpages en tensions qui ne se superposent pas. Ces chiffres apprécient de se renvoyer la balle comme une vérité ultime mais bien ridicule : ce n’est pas là qu’on pense l’action ou qu’on agit en application de ses pensées. Malgré l’apparence le système n’a jamais été qu’un langage (et il était précieux à ce titre pour traduire une manière cartésienne, spinoziste, leibnizienne de se situer par rapport à l’être, et il suffit pour que la philosophie dure, que ce rapport demeure problème, qu’il ne soit pas pris comme allant de soi, que le tête-à-tête subsiste de l’« être » et de celui qui, dans tous les sens du mot, en sort, le juge, l’accueille, le repousse, le transforme et finalement le quitte MpS. On comprend alors que ceux que l’on a nommés traditionnellement philosophes (les idéalistes) ont tout intérêt pour justifier leur engourdissement de perpétuer ce problème de l’être. Ça ratiocine plus que ça ne me met en pratique. Impossible de ne pas le répéter : il suffit pour que la philosophie dure, que ce rapport demeure problème. Une fois encore, la réflexion qu’on prétendait chasser par la perception plutôt que par l’action se trouve à nouveau reconduite. Il suffit pour que les faux-problèmes ne demeurent pas, de ne pas viser une pensée réflexive ou interrogative en niant les affects actifs et l’activité qui les requiert. Merleau-Ponty ne l’a pas réussi pas même s’il en appelle de ses vœux : nous nous interdisons d’introduire dans notre description les concepts issus de la réflexion MpS_207.
Heidegger de même. Commençons d’abord par les casse-tête, je trouve qu’ils sont tout à fait salutaires, il y a encore trop peu de casse-tête aujourd’hui dans le monde et une grande absence d’idées. Heidegger, entretien in documentaire La question de l’être.