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La Philosophie à Paris

HISTOIRE / La révolution russe

En quoi les bolchéviques s’appuient davantage sur les soviets de paysans et de militaires que sur ceux des ouvriers pour asseoir leur pouvoir ?

En 1917, la Russie connaît une effervescence révolutionnaire sans précédent. Les bolchéviques, portés par le slogan « Tout le pouvoir aux soviets », cherchent à consolider leur hégémonie sur un territoire vaste et fragmenté. Historiquement associés aux ouvriers, les soviets désignent des conseils locaux composés de représentants du peuple. Pourtant, dans leur conquête du pouvoir, les bolchéviques vont préférer miser sur les soviets de paysans et de militaires. Une stratégie qui s’explique autant par la composition sociale du pays que par les urgences politiques du moment. Pourquoi ce choix stratégique ? Comment les bolchéviques ont-ils su détourner les attentes populaires pour construire leur autorité ?

0. Rapide chronologie pour resituer les évènements

23–27 février 1917 : Manifestations massives à Petrograd, grèves ouvrières, mutineries dans l’armée.

27 février 1917 : Création du Soviet de Petrograd, représentant les ouvriers et les soldats.

2 mars 1917 : Abdication du tsar. Mise en place d’un gouvernement provisoire par la Douma.

Avril 1917 : Lénine revient d’exil et publie les Thèses d’avril, appelant à « tout le pouvoir aux soviets ».

Juillet 1917 : Tentative de soulèvement bolchévique échouée, mais leur popularité grandit.

Août 1917 : Le général Kornilov tente un coup d’État contre le gouvernement provisoire. Les bolchéviques s’y opposent et gagnent en légitimité.

Octobre 1917 : Les bolchéviques lancent une insurrection armée. Le 25 octobre, ils prennent le Palais d’Hiver et renversent le gouvernement provisoire.

Retour sur le 23 février. Les ouvrières du textile du quartier de Vyborg se mettent en grève pour protester contre le rationnement du pain.  Elles sont rapidement rejointes par 150 000 ouvriers, déclenchant une grève générale dans toute la ville. Les slogans deviennent politiques : « À bas la guerre ! », « À bas l’autocratie ! ». La répression est sévère et fait plusieurs centaines de morts, mais provoque aussi des mutineries dans l’armée. Du 24 au 27 février on assiste à une montée en puissance. Les grèves s’étendent aux usines métallurgiques, aux transports, et aux services publics. Les ouvriers organisent des meetings spontanés et occupent les rues du centre-ville. Le soviet de Petrograd est créé le 27 février, à l’initiative des ouvriers et soldats, pour coordonner le mouvement. Le mouvement dépasse les partis révolutionnaires eux-mêmes : même les bolcheviques, prudents, sont débordés par la combativité des masses. Les grèves se transforment en insurrection populaire, avec des affrontements contre la police et des appels à la fraternisation avec les soldats. A noter que le 23 février (8 mars du calendrier grégorien fut institué Journée internationale (du droit des) des femmes.

1. Les soviets (conseils)

En 1917, Plus de 600 soviets sont créés à travers la Russie après la Révolution de Février. Ces soviets incluent des soviets d’ouvriers, de soldats et de paysans, souvent organisés séparément. Le Congrès panrusse des soviets élargit la représentation aux paysans, mais leur poids reste inférieur : le système donne 5 fois plus de délégués aux ouvriers et soldats qu’aux paysans. Les soviets de soldats se multiplient rapidement dans les garnisons et unités militaires, notamment à cause de la désorganisation de l’armée. Les soviets paysans émergent plus lentement, souvent dans les zones rurales, mais leur nombre augmente avec les redistributions de terres.

 
2. Les paysans, majorité silencieuse devenue force politique

Dans une Russie essentiellement rurale, les paysans représentent plus de 80 % de la population. L’ampleur de leur présence constitue une opportunité politique majeure pour les bolchéviques. Grâce au décret sur la terre (novembre 1917), le régime promet l’abolition de la propriété privée et la redistribution des terres aux paysans. Un coup de maître. Ce geste simple mais radical capte l’imaginaire rural. Les paysans voient enfin leurs revendications ancestrales reconnues. Le soutien aux soviets de paysans devient ainsi un gage de légitimité dans les campagnes, permettant aux bolchéviques d'étendre leur influence bien au-delà des villes. Les ouvriers sont plus bruyants ; les paysans sont plus nombreux. Et dans une révolution, la masse pèse autant que le discours.

 
3. Les soldats, relais essentiels du pouvoir armé

La guerre, omniprésente en 1917, crée une fracture dans l’armée. Les soldats, usés et révoltés, deviennent une cible stratégique pour les bolchéviques. Le décret sur la paix apaise immédiatement les troupes, majoritairement composées de paysans-soldats. Les soviets militaires permettent de s’assurer un soutien décisif dans la lutte contre les autres forces politiques, notamment pendant la guerre civile. Par leur nombre et leur capacité de mobilisation, les soldats sont des alliés précieux dans la consolidation du pouvoir révolutionnaire. Les fusils parlent plus fort que les discours ouvriers. Et dans la Russie en guerre, les bolchéviques l’ont compris très tôt.

 
4. Les ouvriers : alliés gênants ou concurrents politiques ?

Paradoxalement, ceux qui ont initié les premiers soviets — les ouvriers — se retrouvent progressivement marginalisés. Beaucoup de soviets ouvriers demeurent fidèles à d’autres partis, comme les mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires. Certains souhaitent une gestion autonome des usines, ce qui entre en contradiction avec la centralisation du pouvoir bolchévique. Leur esprit critique, leur organisation syndicale et leur volonté d’autonomie rendent leur soutien plus difficile à canaliser. Les ouvriers sont trop politisés, parfois trop indépendants. Et pour les bolchéviques, l’unité passe par le contrôle.

 
5. transition

En s'appuyant prioritairement sur les soviets de paysans et de militaires, les bolchéviques orchestrent une stratégie pragmatique et efficace. Plutôt que de chercher à convaincre une classe ouvrière éparse et parfois réfractaire, ils choisissent la masse paysanne et la force militaire comme piliers de leur pouvoir. Cette alliance, fondée sur la promesse de paix et de terre, leur permet d’éclipser les autres mouvements et d’imposer un pouvoir centralisé. Une révolution ne se fait pas uniquement avec des idées : elle se construit avec des soutiens concrets, organisés, et souvent, armés. Les bolchéviques n'ont eu qu'à prendre la majorité au sein du soviet de Petrograd, une fois le double pouvoir constitué.

 

7. Le soviet de Petrograd (Saint-Pétersbourg)

Créé le 27 février 1917, le soviet de Petrograd devient un organe central de la révolution. Il regroupe des députés ouvriers et des délégués de soldats, élus dans les usines et les casernes. Ce soviet joue un rôle clé dans le double pouvoir avec le gouvernement provisoire, avant que les bolchéviques ne prennent le dessus à l’automne. En septembre 1917, les bolchéviques obtiennent la majorité dans presque tous les soviets industriels, et Trotski devient président du soviet de Petrograd.

 

8. Le double pouvoir

Le terme de "double pouvoir" désigne une situation politique temporaire et instable qui émerge après la Révolution de Février 1917 en Russie, durant laquelle deux autorités concurrentes, deux pouvoirs coexistent, d'une part, le Gouvernement provisoire, composé principalement de libéraux et modérés, issu de l'élite politique et censé organiser des élections pour une Assemblée constituante, d'autre part, les soviets, conseils populaires d’ouvriers, de soldats et parfois de paysans, qui détiennent une légitimité révolutionnaire directe.

Concrètement à Petrograd, le soviet de Petrograd devient l’organe central de cette autre forme de pouvoir. Il influence les masses et contrôle la rue, les casernes et même les transports. Malgré son autorité populaire, ce soviet ne gouverne pas officiellement. Il coexiste avec le Gouvernement provisoire, qu’il critique et influence, mais sans chercher encore à le renverser. Qui dirige réellement le pays ? Le peuple ne sait plus à qui obéir, et les décisions sont paralysées par des désaccords constants.  Cette dualité crée une crise de légitimité et l'instabilité qui en émerge profite aux bolchéviques qui par là délégitime le Gouvernement provisoire, jugé incapable de répondre aux attentes du peuple (paix, terre, pain). Lénine comprend que cette situation est une opportunité historique et opte pour la stratégie du chaos. Dans son texte Sur la dualité de pouvoir (avril 1917), il affirme que toute révolution doit résoudre la question du pouvoir : qui gouverne réellement ? Il dénonce le Gouvernement provisoire comme un pouvoir bourgeois incapable de répondre aux besoins du peuple et en appelle à transférer tout le pouvoir aux soviets, qui incarnent la volonté populaire. Le slogan « Tout le pouvoir aux soviets » devient leur cri de ralliement. La guerre continue, la faim s’aggrave, et le Gouvernement provisoire tergiverse. Résultat, les soviets gagnent en influence, notamment à Petrograd où les bolchéviques deviennent majoritaires. Le peuple, épuisé, se tourne vers ceux qui promettent paix, terre et pain. Le double pouvoir devient alors insoutenable : une seule issue semble possible — l’élimination de l’un des deux pôles. Le 25 octobre (7 novembre selon le calendrier grégorien), les bolchéviques passent à l’action, ils prennent le contrôle de Petrograd, renversent le Gouvernement provisoire et proclament le pouvoir des soviets. Ce coup de force est légitimé par la crise du double pouvoir : les bolchéviques apparaissent comme les seuls capables de restaurer l’ordre et répondre aux attentes populaires.

En bref, le double pouvoir n’est pas un simple déséquilibre politique — c’est le moteur même de la Révolution d’Octobre. Il révèle les failles du pouvoir bourgeois et offre aux bolchéviques unebrèche vers la dictature non du prolétariat, puisque les soviets sont révoqués par vers la dictature du parti-état. Le double pouvoir est donc une période clé : elle permet aux bolchéviques de monter en puissance en jouant sur les tensions entre un pouvoir légal mais faible, et un pouvoir populaire mais informel. Ils n’ont pas besoin de conquérir l’État — ils le font tomber dans leurs mains lorsque l’un des deux pouvoirs finit par s’effondrer.

 

9. Les perdants de la révolution : Menchéviques et socialistes révolutionnaires.

Les Menchéviques sont des marxistes modérés issus de la scission du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) en 1903. Menés par Julius Martov, ils prônent un parti de masse, ouvert à tous les militants, contrairement aux bolchéviques qui veulent un parti de cadres, se voulant une avant-garde révolutionnaire.

Favorables à une révolution par étapes, avec d’abord une démocratie bourgeoise, puis le socialisme, ils sont présents en 1917 dans le Soviet de Petrograd, où Nicolas Tchkhéidzé (Menchévique) est président jusqu’à l’automne, ils participent au gouvernement provisoire avec les SR, mais refusent de soutenir une prise de pouvoir par les soviets. Opposés à l’insurrection d’Octobre, qu’ils qualifient de coup d’État bolchévique. Peu à peu marginalisés, ils sont interdits en 1918 : certains rejoignent les Armées blanches, d’autres tentent de négocier avec les bolchéviques. Le parti dissous, ses membres sont réprimés ou exilés.

Les Socialistes révolutionnaires sont les champions des paysans. Fondés en 1901, influencés par le populisme russe (narodniki), les socialistes révolutionnaires défendent les intérêts des paysans, avec une idéologie mêlant agrarisme, socialisme et fédéralisme et ils ont aussi une branche terroriste (Organisation de combat) qui mène des attentats contre des figures du régime tsariste. Très influents après la Révolution de Février 1917, ils sont majoritaires dans les soviets ruraux et plusieurs membres, comme Viktor Tchernov, entrent dans le gouvernement provisoire mais ils se scindent en deux, les SR de droite, modérés, hostiles aux bolchéviques et les SR de gauche qui soutiennent les bolchéviques au début, puis rompent avec eux après le traité de Brest-Litovsk. Après octobre 1917, les SR de gauche tentent une insurrection en juillet 1918, réprimée par les bolchéviques alors que les SR de droite sont exclus des soviets, emprisonnés ou exilés. Le parti est interdit en 1921, ses membres dispersés ou intégrés dans d’autres mouvements.

En bref, les Menchéviques et les SR ont incarné des alternatives sérieuses au bolchévisme, mais leur modération, leurs divisions internes et leur refus de la radicalité ont facilité la montée en puissance du Parti bolchévique. Leur disparition marque la fin du pluralisme révolutionnaire en Russie. 1917 est donc marquée par la chute du Tsar et la fin du front de l'Est. Le succès des Bolchéviques repose sur l'utilisation des failles du double pouvoir, un programme clair (paix, terre, pain), le soutien des soviets urbains et des soldats, une organisation militaire efficace (Comité militaire révolutionnaire).

 

10. Les conséquences après 1917 sont nombreuses :
  • Guerre civile (1918–1921) : Les bolchéviques affrontent les Armées blanches, les nationalistes et les pays étrangers.

  • Dictature du Parti unique : Le pluralisme des soviets disparaît. Le Parti communiste devient l’unique pouvoir.

  • Création de l’URSS (1922) : L’Union soviétique est fondée sur les ruines de l’Empire russe.

  • Répression politique : Mise en place de la Tchéka (police politique), début de la Terreur rouge.

  • Modèle mondial : La révolution inspire d’autres mouvements communistes dans le monde

 

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