PORTRAIT POLITIQUE / Quelle différence entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ?
Quelle différence entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ? Cen’est pas encore tout à fait la question-clé de l’élection présidentielle, mais c’est au moins l’interrogation du jour. La réponse est simple : elle réside sans aucun doute dans une différence d’amplitude sur l’échelle du libéralisme économique. On la mesure quand on entend Ségolène s’indigner (c’est bien le moins !) contre les remises en cause du droit de grève par le président de l’UMP. On pourrait évidemment citer d’autres exemples qui, même en cas de malheur je veux dire dans l’hypothèse où ce duel serait décidément à l’affiche du second tour, dans neuf mois , n’autoriseraient personne à tracer un signe égal entre les deux candidats. Maisau total, et chacun à sa place, ils campent les personnages d’un nouveau paysage à l’américaine. Peu de politique, pas de véritable choix de société, mais des divergences d’intensité dans l’application d’un programme libéral. La mise en scène des candidats, ce qu’on appelle horriblement (mais la chose mérite bien que le mot soit laid) la« peopolisation » de notre vie politique participe évidemment de cette évolution. Dans ce tableau, la figure politique de Nicolas Sarkozy est archiconnue. Le président de l’UMP est un néo-conservateur à la française. Un « neo-cons », comme on dit aux États-Unis. Un petit George W. Bush (l’autre n’est déjà pas bien grand en regard de l’histoire). Ses recettes sont celles du libéralisme ultra. Elles font se pâmer Mme Laurence Parisot et les patrons du Medef : affaiblissement de la Fonction publique, remise en cause des contrats à durée indéterminée, augmentation de fait de la durée du travail, suppression des droits de succession, limitation du droit de grève, et quelques autres mesures du même tonneau. C’est une petite contre- révolution reaganienne qu’il nous propose. « Petite » dans la mesure où le terrain, hélas, a déjà été préparé par des prédécesseurs qui, comme chacun sait, n’étaient pas tous de droite. Il y faut ajouter la « patte Sarkozy » pour brouiller les pistes. Ainsi, tandis qu’il reçoit l’ovation du Medef, il ne craint pas de fustiger les « patrons-voyous ».
Habile travail de communication. Car qui sont ces patrons qui subissent les foudres de Sarkozy ? Ce sont ceux, dit-il, qui à coups d’indemnités de départ se servent « quarante siècles de Smic ». On conviendra que la barre de l’indignation est placée à bonne altitude. Là, commente-t-il, « le libéral que je suis proteste ». Nicolas Sarkozy n’est pas ultra-ultralibéral. Iln’est que très libéral. Mais l’effet d’optique est assez réussi pour donner à qui n’est pas attentif l’impression d’un personnage complexe, maniant l’« ordre juste », comme diraient en choeur Ségolène Royal et Benoît XVI, qui ont en partage ce concept.
Quant au dossier des sans-papiers, il le résume de deux chiffres dans son entretien au Figaro Magazine : « Quand je suis devenu ministre de l’Intérieur, dit-il, on expulsait 10 000 personnes par an, alors qu’on en sera à 25 000 cette année. » Mais Nicolas Sarkozy avoue jalouser les Espagnols du socialiste Zapatero : « Ils sont à 50 000 ! » Cela fait rêver en effet. Avec le refus du mariage homosexuel, la discipline rétablie à l’école, l’évocation appuyée des valeurs morales (« je défends le travail et la famille », dit-il sans trop redouter les rapprochements historiques) et l’exaltation d’une politique sécuritaire qui est sa marque de fabrique, il flatte méthodiquement l’électorat du Front national.
Évidemment, le néo-conservatisme à l’américaine de Nicolas Sarkozy est encore plus patent quand il s’agit de positionnement international. Le candidat de l’UMP ne fait pas mystère de son atlantisme. Devant la tragédie libanaise de cet été, il n’a pas trouvé d’autres mots que ceux en permanence ânonnés par George Bush : « Israël a le droit de se défendre. » La formule n’est ni très inventive ni très nuancée, mais elle agit comme une sorte d’identifiant politique. Avec lui, c’est à coup sûr la fin d’une certaine singularité française, héritée de De Gaulle. C’est aussi la fin de l’Europe. D’une Europe en tout cas qui serait autre chose qu’une dépendance de l’Otan. Imaginez la parole d’une Europe dominée par Tony Blair, Nicolas Sarkozy et l’extrême droite polonaise. On objectera que dans le catalogue présenté au cours de ces derniers jours tout n’est pas mauvais. Le service civique, la formation pemanente... toutes choses qui se retrouvent aussi dans le programme des socialistes et ne suffisent certainement pas à fonder une politique. Ilfaut bien quelques coups de chapeau à la lune. Ces mesures font désormais partie de la panoplie du parfait candidat. Finalement, Nicolas Sarkozy est un pur produit d’époque. Moins original, on ne peut pas. Ilest formaté pour la globalisation financière. Ondoit encore espérer que celui ou celle que les socialistes choisiront pour l’affronter (puisque à droite les jeux semblent faits) offre un autre choix que celui d’une finale à l’américaine qui se jouerait sous les paillettes et à grand renfort de médias. Quoi qu’il en soit, cette évolution met encore un peu plus en évidence l’importance du ou des autres candidats de gauche. Pour échapper à ce conformisme mondialisé.
Denis Sieffert
Politis 07/09/06