10 Août 2007
« L'autre jour, je lisais, avec mon fils, qui fait des études de psychologie, un passage de Freud. Le raisonnement était absolument enfantin, mais c'était enrobé dans un tel méli-mélo de refoulement, de topique, de transfert, de stades de développement de la sexualité et autres balivernes, qu'au bout d'un moment nous avons éclaté de rire. Là vous devez trouver que j'exagère. Quand même, rire d'un penseur de la taille de Freud ! Mais c'est que Freud n'a aucune excuse. À la même époque, il y avait Ebbinghaus proposant les premiers travaux sur la mémoire, Pierre Janet qui inaugurait la psychologie expérimentale et étudiait l'évolution de la mémoire, Von Hartmann et sa philosophie de l'inconscient, William James et Henri Bergson qui réfléchissaient sur les niveaux de conscience, il y avait des tas de gens qui, grâce à leurs méthodes d'analyse et à l'étude des pathologies, faisaient avancer les sciences neurologiques. Prenez n'importe laquelle des propositions de Freud ; transformez-la en la proposition contraire et regardez autour de vous ;je vous défie de pouvoir dire laquelle est juste. Les gens se sont laissés impressionner parce que Freud avait eu le courage d'aborder les questions importantes; mais à quoi sert-il d'avoir le courage si ça ne débouche sur rien ? Ce n'est pas tant la psychanalyse que la cuistrerie qui m'insupporte ! Si seulement les psychanalystes pouvaient ne pas se prendre tellement au sérieux et se persuader qu'ils détiennent la Vérité sur la face cachée de la conscience; si seulement ils pouvaient dire: « voilà ce que je pense, mais untel pensait autrement et c'était pas mal envoyé non plus ». Mais non ! Ils profitent du fait que, peut-être, il n'y a pas de mémoire inconsciente pour nous exhorter à en rester là; et les voilà qui pontifient: votre pensée ne va pas assez au fond des choses, laissez-moi vous donner une définition préalable de l'Inconscient, vous dessiner une topique et son économie libidinale. Eh bien, non! Je suis bien décidé à explorer la conscience, ses dessous et son support cérébral sans en avoir une définition préalable ! »
Richard Feynman, La Nature de la physique, p. 285.