CORINNE PELLUCHON / La vunérabilité
L'éthique de l'autonomie individuelle subordonne la dignité à la possession de la raison, à la maîtrise de soi et à la compétitivité et colporte des représentations négatives de la vieillesse et du handicap qui s'opposent à l'idéal de solidarité affiché par certaines institutions. Précisons que l'autonomie individuelle n'est pas l'Autonomie que nous défendons, non-individuelle et collective, puisque l'objectivité de la loi ne s'obtient qu'à plusieurs. À cette éthique de l'autonomie individuelle s'oppose une éthique de la vulnérabilité inspirée par la philosophie de Levinas et par l'accompagnement des personnes en fin de vie et des malades atteints d'affections dégénératives du système nerveux. Cette réflexion sur les fondements de l'éthique et du droit conduit à reconfigurer les notions d'autonomie et de dignité et à enrichir l'anthropologie sous-jacente à la philosophie des droits de l'homme.
L'éthique de la vulnérabilité, qui repose sur la définition de la subjectivité comme sensibilité, ne supprime pas le sujet, mais elle invite à le penser à la lumière d'une triple expérience de l'altérité : l'altérité du corps propre ; l'altérité liée à l'autre homme et à ma responsabilité pour lui ; la déréliction qui ne renvoie pas seulement à la perte de soi et à l'aliénation, comme chez Heidegger, mais souligne l'importance des relations sociales. Solidaire de la dénonciation de certains traitements infligés aux animaux, cette éthique de la vulnérabilité peut inspirer le politique et promouvoir un humanisme où notre responsabilité s'étend aux vivants non humains et aux générations futures. La subjectivité comme sensibilité de l'autonomie individuelle mise en place par Rousseau et Kant, qui demeurent les deux références des libéraux politiques allemands, s'oppose à l'objectivité comme affectivité, comme passibilité propre à l'Autonomie.