14 Septembre 2025
Alvin Goldman est une figure de la philosophie analytique contemporaine, né en 1938, dont les contributions à l'épistémologie ont transformé notre compréhension de la connaissance et de sa justification. Professeur émérite à l'Université Rutgers, Alvin Goldman s'est imposé comme l'un des penseurs les plus influents de la seconde moitié du XXe siècle en développant des approches révolutionnaires qui ont permis de dépasser certaines impasses de l'épistémologie traditionnelle. Son œuvre se caractérise par une volonté constante d'ancrer la réflexion philosophique dans les découvertes des sciences cognitives et de la psychologie, inaugurant ainsi ce qu'on appelle l'épistémologie naturalisée. Cette approche consiste à étudier la connaissance non plus seulement à travers des analyses conceptuelles abstraites, mais en s'appuyant sur les mécanismes réels par lesquels les êtres humains acquièrent, traitent et valident leurs croyances.
Une des contributions les plus célèbres de Goldman est sa théorie causale de la connaissance, qu'il a développée dans les années 1960 et 1970 pour répondre aux problèmes soulevés par les cas de Gettier. Edmund Gettier avait en effet démontré en 1963 que la définition traditionnelle de la connaissance comme "croyance vraie justifiée" était insuffisante, en présentant des exemples où un sujet possède une croyance à la fois vraie et justifiée sans pour autant qu'on puisse légitimement parler de connaissance. Goldman propose alors que pour qu'une croyance vraie constitue une connaissance, elle doit être causalement connectée de manière appropriée au fait qui la rend vraie. Selon cette théorie causale, je ne peux prétendre savoir qu'il y a un arbre devant moi que si ma croyance à ce sujet est causée par la présence effective de cet arbre à travers mes perceptions visuelles. Cette approche permet d'éliminer de nombreux cas problématiques où une croyance vraie et justifiée ne constitue pas véritablement une connaissance, car elle n'entretient pas le bon type de relation causale avec la réalité.
Goldman a par la suite raffiné et généralisé cette approche en développant sa théorie fiabiliste de la justification épistémique, qui constitue sans doute son apport le plus durable à la philosophie de la connaissance. Le fiabilisme soutient qu'une croyance est justifiée si et seulement si elle est produite par un processus cognitif fiable, c'est-à-dire un processus qui tend à produire plus de croyances vraies que de croyances fausses dans les conditions normales d'utilisation. Cette théorie marque une rupture fondamentale avec les conceptions traditionnelles de la justification qui se concentraient sur les raisons conscientes que peut avoir un sujet pour ses croyances. Chez Goldman, la justification devient une propriété objective des processus cognitifs plutôt qu'une question d'accessibilité consciente aux raisons. Un processus comme la perception visuelle dans de bonnes conditions d'éclairage est fiable parce qu'il produit généralement des croyances vraies sur l'environnement, même si le sujet n'a pas nécessairement accès aux mécanismes complexes qui sous-tendent ce processus. Cette approche permet d'expliquer pourquoi nous considérons intuitivement que les enfants ou les animaux peuvent posséder des connaissances même s'ils ne sont pas capables d'articuler des justifications sophistiquées pour leurs croyances.
Le fiabilisme de Goldman se distingue également par sa capacité à intégrer les résultats de la psychologie cognitive et des neurosciences. En s'appuyant sur les recherches empiriques concernant les biais cognitifs, les heuristiques de jugement et les mécanismes de formation des croyances, Goldman peut évaluer de manière plus précise quels processus cognitifs sont effectivement fiables et dans quelles circonstances. Par exemple, les recherches sur les biais de confirmation montrent que notre tendance naturelle à chercher des informations qui confirment nos croyances préexistantes peut être un processus peu fiable dans certains contextes, particulièrement lorsqu'il s'agit d'évaluer des hypothèses controversées. Cette intégration des données empiriques permet au fiabilisme d'échapper aux critiques d'apriorisme souvent adressées aux théories épistémologiques traditionnelles et de proposer des analyses plus nuancées de nos capacités cognitives.
Alvin Goldman a également apporté d'autres contributions majeures à l'épistémologie sociale, un domaine auquel il a largement participé, en contribuant à le fonder. L'épistémologie sociale étudie les aspects collectifs et sociaux de la connaissance, reconnaissant que la plupart de nos croyances ne sont pas acquises par l'expérience directe mais par le témoignage d'autrui et la participation à des pratiques sociales de recherche de la vérité. Alvin Goldman analyse les conditions dans lesquelles nous sommes justifiés à faire confiance au témoignage d'experts, les mécanismes de transmission de la connaissance dans les communautés épistémiques, et les problèmes que posent la désinformation et les désaccords entre experts. Son travail dans ce domaine s'avère particulièrement pertinent à l'ère d'internet et des réseaux sociaux, où les questions de fiabilité des sources d'information et de propagation des fausses croyances deviennent cruciales. Alvin Goldman développe des modèles formels pour analyser comment l'information se diffuse dans les réseaux sociaux et propose des critères pour évaluer la crédibilité des témoignages dans différents contextes sociaux et institutionnels.
Une autre dimension importante du travail d'Alvin Goldman concerne l'épistémologie de la perception et de l'action. Il s'intéresse particulièrement aux mécanismes cognitifs qui nous permettent de reconnaître les actions et les intentions d'autrui, un domaine où ses analyses anticipent les découvertes récentes sur les neurones miroirs. Alvin Goldman soutient que notre capacité à comprendre les actions d'autrui repose sur des processus de simulation mentale où nous utilisons nos propres mécanismes d'action pour modéliser et prédire le comportement des autres. Cette théorie de la simulation a des implications importantes pour l'épistémologie du témoignage et la compréhension intersubjective, car elle explique comment nous pouvons évaluer la sincérité et la compétence de nos interlocuteurs en nous appuyant sur nos propres expériences d'action et de délibération. Cette approche illustre une fois de plus la volonté d'Alvin Goldman d'ancrer l'analyse philosophique dans une compréhension empiriquement informée de nos capacités cognitives.
Alvin Goldman a également développé une réflexion approfondie sur les relations entre épistémologie et éthique, particulièrement dans le contexte de l'épistémologie des vertus. Bien qu'il ne soit pas lui-même un partisan de cette approche, il a contribué aux débats sur la question de savoir si les vertus épistémiques doivent être comprises comme des dispositions du caractère (approche aristotélicienne) ou plutôt comme des facultés cognitives fiables (approche plus proche du fiabilisme). Sa position nuancée sur cette question reconnaît l'importance des dispositions caractérielles comme l'ouverture d'esprit, l'honnêteté intellectuelle et la persévérance dans la recherche de la vérité, tout en maintenant que la fiabilité des processus cognitifs reste le critère fondamental de la justification épistémique. Cette synthèse permet d'intégrer les intuitions morales concernant les responsabilités épistémiques des agents sans abandonner l'approche naturaliste qui caractérise son œuvre.
Les travaux d'Alvin Goldman, au-delà du domaine de l'épistémologie stricto sensu. ont nourri des développements en philosophie de l'esprit, notamment concernant les débats sur la nature de la conscience et des états mentaux. Sa théorie de la simulation mentale a influencé les recherches sur la théorie de l'esprit et la cognition sociale, tandis que son approche naturaliste a contribué à légitimer l'usage des méthodes empiriques en philosophie. De nombreux philosophes contemporains s'appuient sur ses analyses pour développer leurs propres théories, que ce soit pour les approfondir ou pour les critiquer, témoignant de la fécondité de ses contributions. Le fiabilisme, en particulier, reste l'une des théories les plus discutées et les plus influentes en épistémologie contemporaine, générant un vaste corpus de littérature secondaire et de développements théoriques.
Les critiques adressées au travail d'Alvin Goldman portent principalement sur certaines difficultés du fiabilisme, notamment le problème de la généralité des processus cognitifs et les questions liées à la circularité potentielle de la théorie. Le problème de la généralité soulève la question de savoir comment individuer précisément les types de processus cognitifs dont on évalue la fiabilité : la perception visuelle en général est-elle fiable, ou faut-il distinguer la perception visuelle en plein jour, par temps clair, à courte distance, etc. ? Alvin Goldman a proposé diverses solutions à ce problème, notamment en s'appuyant sur les catégories naturelles identifiées par la psychologie cognitive, mais le débat reste ouvert. Malgré ces difficultés techniques, l'approche goldmanienne continue d'être développée et raffinée par de nombreux philosophes, attestant de sa robustesse fondamentale et de sa capacité à éclairer les phénomènes épistémiques. Son legs principal réside probablement dans avoir montré comment la philosophie de la connaissance peut bénéficier d'un dialogue constructif avec les sciences empiriques tout en conservant sa rigueur conceptuelle et sa pertinence normative.