Pierre Guyotat
À propos de Pierre Guyotat
Pierre Guyotat est né en 1940 à Bourg-Argental (dans le Haut Vivarais)d’un père médecin de montagne et d’une mère née à Czeladz en Pologne. A partir de 1949, il fait ses études dans des internats catholiques, pratique le dessin et la peinture sur le motif ; à l’automne 1954, il commence à écrire. Peu après la mort de sa mère en 1958, il quitte sa famille pour Paris où il écrit Sur un cheval (1960). AEn 1960, Pierre Guyotat est appelé en Algérie. Fin mars-début avril 62, il est arrêté par la Sécurité Militaire, questionné dix jours d’affilée à Tizi Ouzou (Grande Kabylie), inculpé d’atteinte au moral de l’Armée, de complicité de désertion et de possession-divulgation de journaux interdits, gardé au cachot, au secret pendant trois mois, avant d’être muté sans procès dans une unité disciplinaire de la vallée du Chélif (Ouest Algérien). C’est à partir de cette expérience de la guerre, puis de la prison, que l’œuvre va s’écrire. Entre 1964 et 1971, Pierre Guyotat fera de fréquents séjours en Algérie.
1961-1970
De retour à Paris, il démarre une activité journalistique, notamment à France Observateur puis au Nouvel Observateur. En 1962, Pierre Guyotat commence à écrire La Prison, texte embryonnaire de Tombeau pour cinq cent mille soldats, écrit à la première personne, et qui raconte l’expérience de la prison faite en Algérie. C’est aussi à cette époque qu’il lit la Vie de Sade, de Gilbert Lely, dont il parlera comme d’un « bouleversement méta-philosophique ». Il termine l’écriture d’Ashby en 1964 et, en décembre 1965, Tombeau pour cinq cent mille soldats. Juillet 1967 : il est invité officiellement à Cuba dans une délégation d’écrivains et d’artistes conduite par Michel Leiris. Octobre 1967 : parution de Tombeau pour cinq cent mille soldats. Si le livre échappe de peu à la censure, le général Massu l’interdit dans toutes les casernes françaises d’Allemagne. Déjà connu et reconnu sur manuscrit, le livre rend son auteur immédiatement célèbre.
Pierre Guyotat achève d’écrire Tombeau pour cinq cent mille soldats en décembre 65. Il mettra une année à faire accepter le livre par un éditeur : celui-ci sera successivement refusé par le Seuil, la NRF et les Editions de Minuit. En octobre 1967, Tombeau pour cinq cent mille soldats paraît enfin chez Gallimard. Le livre est menacé d’interdiction, mais un arrêté du Général Massu en interdit tout de même la lecture dans les casernes françaises stationnées en Allemagne. L’œuvre fait scandale : d’un côté, la presse y voit une relation monstrueuse, pathologique et obsessionnelle de la guerre d’Algérie, et reproche à l’auteur une certaine complaisance à l’égard du sexe et de la violence ; d’un autre côté, on veut y lire une relation exacte et fidèle des violences de la guerre, et en particulier de la guerre d’Algérie. Dans les deux cas, on se méprend : et ce n’est pas un hasard si l’œuvre encourt simultanément les deux reproches d’illisibilité et de violence. La violence est destinée à rendre impossible toute représentation, à évacuer tout ce qui peut se représenter, et elle rend donc dans un premier temps l’œuvre illisible. La langue de Tombeau n’est déjà plus la langue commune, notamment à cause de l’évacuation de l’image et de la métaphore. On peut dire que la réception critique de Tombeau procède autant d’une facilité que d’un réflexe - et qu’elle est conditionnée par la représentation : réflexe naturaliste, qui ne peut envisager l’oeuvre en dehors de sa relation à une réalité historique, sociale ou biographique, et qui a pour objet de ressouder non pas l’intégrité du corps social, mais celle de la langue.
Mai 1968, il est arrêté à deux reprises. Après le discours du Général de Gaulle menaçant le P.C.F., il adhère à ce parti qu’il quittera en 1971.
De juillet 1968 au printemps 1969, Pierre Guyotat écrit Bordels Boucherie, texte embryonnaire de ce qui deviendra Eden, Eden, Eden. De nouveau, Pierre Guyotat lutte pendant une année pour faire accepter Eden par un éditeur. Éden, Éden, Éden qui paraît en octobre 1970 avec trois préfaces : celles de Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers. Le 22 octobre 1970, le mois de sa parution, le livre est, par arrêté du Ministre de l’Intérieur signé du Directeur de la Police Nationale, frappé d’une triple interdiction : affichage, publicité, mineurs. l le restera jusqu’en 1981. Une pétition internationale est lancée à l’initiative de Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit, et signée notamment par Pier Paolo Pasolini, Jean-Paul Sartre, Pierre Boulez, Joseph Beuys, Pierre Dac, Jean Genet, Joseph Kessel, Maurice Blanchot, Max Ernst, Italo Calvino, Jacques Monod, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute. Même une question orale de François Mitterrand à l’Assemblée Nationale, et une intervention écrite du président Pompidou auprès de son ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, restent sans effet. Claude Simon (prix Nobel 1985) démissionne du jury du prix Médicis, qui, à une voix près, n’a pas couronné Éden, Éden, Éden ... Toute cette agitation autour de l’œuvre a pour effet d’en empêcher la lecture, de déplacer l’intérêt et les enjeux que celle-ci soulève (des enjeux qui ont surtout à voir avec la langue) vers des principes qui lui sont supérieurs : notamment celui de la liberté d’expression. C’est peut-être là le but de toute interdiction : en opérant par déplacements, en provoquant du discours autour de l’œuvre et non plus sur l’œuvre, elle empêche celle-ci d’agir.
1971-1980
Pierre Guyotat répliquera, en 1972, avec la publication de Littérature interdite, recueil d’articles et d’entretiens qui retrace les grands moments de l’affaire Eden, et qui est l’occasion de s’interroger sur l’écriture. Là où la presse et la loi feignent de considérer Eden comme un problème moral (le livre est interdit au nom de la protection de la jeunesse), Littérature Interdite montre que le problème se joue dans l’écriture : c’est à cause des transformations que la langue subit, et notamment sur le plan de la syntaxe, qu’on interdit et qu’on rejette. En 1972, il passe "de l’écriture à la langue" en lisant au colloque "Artaud-Bataille" de Cerisy, Langage du corps. En 1973, il crée Bond en avant aux Rencontres internationales de Musique Contemporaine de La Rochelle, avec six acteurs dont Christian Rist et Marcel Bozonnet, puis à deux, avec Alain Ollivier et François Kuki à La Cartoucherie de Vincennes.
En 1974, Pierre Guyotat commence à écrire Prostitution. L’œuvre s’écrit toujours à partir du substrat de l’Algérie, mais s’opère alors une réduction de la fiction à une scène centrale, qui va se répéter à travers l’œuvre entière : une scène de bordel, qui met en scène le putain, le mac et le client. Un système prostitutionnel s’établit qui va conditionner et radicaliser les transformations de la langue. La presse d’un côté voit dans Prostitution un « défi à l’ordre linguistique dominant », une écriture antifasciste, une mise en scène des langues refoulées par l’institution syntaxique ; d’un autre côté, l’œuvre est déclarée non plus pornographique, mais illisible. En fait, Prostitution marque un tournant à la fois pour l’œuvre et pour la réception critique. Le silence relatif de la critique à propos de Prostitution s’interprète comme une impossibilité : c’est comme si la critique n’avait plus les outils ni pour rejeter l’œuvre, ni pour la lire.
De 1977 à 1979, Pierre Guyotat compose Le Livre, et renonce publiquement à l’appellation d’« écrivain ». Au printemps 1977, il est hospitalisé à la maison de santé du Docteur Brisset à Ville d'Avray. Il écrit, dans la Préface du Livre : « Eté 1977. Simultanément à ma décision de ne plus jamais publier et au renforcement de mon refus de la désignation d’« écrivain », ces voix disparaissent dans ce que je ne nomme plus écrit mais matière » (L, 9). Il ne s’agit pas là d’une posture rhétorique de l’avant-garde. A la fois dépossédé par lui-même de cette autorité - il y renonce publiquement - et exproprié de sa langue maternelle par l’exercice prostitutionnel de celle-ci, l’« écrivain » prostitutionnel ne peut écrire qu’à partir d’un non-état de la langue, celui de l’enfant qui bégaye, celui de l’asservi, celui du putain, non-état qui entraîne en retour l’effacement de l’écrivain comme instance du verbe : « me tuer ou me vendre (réaliser le texte ou le rendre muet) », écrit Pierre Guyotat dans ses notes. Le Livre paraît en octobre 1984, en même temps que Vivre (recueil d’articles, d’entretiens et d’interventions des années 1972 à 1983). La critique croit y lire une « crise profonde du français » ou une « démission morale » de la France. A chaque fois, ce qui se donne dans l’œuvre pour une évolution d’ordre linguistique ou poétique est considéré par la critique d’un point de vue moral. De 1979 à 1981 : composition de Histoires de Samora Machel (inédit).
1981-1990
Le 9 décembre 1981, après plusieurs mois de lutte contre la dégradation de son corps, il est transporté à l’hôpital Broussais. Le même jour, Antoine Vitez crée pour la rénovation du Théâtre national de Chaillot, son adaptation de Tombeau pour cinq cent mille soldats. Le 30 du même mois, l’interdiction d‚Éden, Éden, Éden est levée. Octobre 1984 : parution de Le Livre et de Vivre (recueil de textes, d’interventions, 1972-1983). 1984-1986 : série de lectures-performances de son œuvre récente ou inédite, en Europe et en Amérique du Nord. 1986 : commande d’un texte et de sa réalisation scénique par Michel Guy, alors directeur du Festival d’Automne à Paris : Bivouac est créé en décembre 1987 au Théâtre de la Bastille. 1988 : le peintre américain Sam Francis l’invite à Los Angeles pour travailler à une œuvre commune : Wanted Female, qui sera publiée en tirage limité en 1993. 1989 : composition d’une deuxième version de Bivouac ; film de Ludwig Trovato "Pierre Guyotat : 52 minutes dans la langue" diffusé dans " Océaniques ". Improvisations publiques pour le Festival d’Automne à Paris : l’auteur, seul sur scène, improvise chaque soir des fictions en langue normative. 1990 : à l’initiative du Président François Mitterrand, commande est faite de son portrait au peintre Bernard Dufour qui devrait être accroché dans le grand hall de la Bibliothèque Nationale de France. Entre 1989 et 1991, il écrit Chant des jumeaux (inédit).
1991-2000
Puis, Nouvelles Improvisations publiques au Festival d’Automne de Paris en 1992. Une exposition de manuscrits et documents est organisée à Londres en 1995 à l’occasion de la parution d’une traduction anglaise de Éden, Éden, Éden. Entre 1991 et 1996, Pierre Guyotat écrit Progénitures, qui sera publié en 2000. La réception critique de Progénitures laisse supposer que nous puissions aujourd’hui lire l’œuvre de Pierre Guyotat. Lecture qu’une certaine critique et qu’une intervention de la loi avaient tenté d’empêcher. Les mêmes journaux qui autrefois soulignaient le caractère « pathologique » de l’œuvre, ou sa nullité, considèrent maintenant en l’écrivain une figure mythique de l’avant-garde littéraire. On peut effectivement inscrire l’œuvre de Pierre Guyotat dans une avant-garde, celle des années 70, à laquelle il a participé, notamment aux côtés de la revue Tel Quel. Mais parler aujourd’hui de mythe déplace encore une fois la lecture ; le martyr est devenu saint ; l’écrivain a été consacré... Tout cela n’est finalement pas nouveau. Mais comment expliquer qu’une œuvre si radicale, qui n’a rien cédé aux attaques dont elle était l’objet, qui au contraire s’est radicalisée à mesure qu’elle s’écrivait, comment expliquer que cette œuvre puisse aujourd’hui être lu par ceux-là mêmes qui hier ont tenté d’en empêcher la lecture ? Changement des temps, des mœurs, ou signe d’une nouvelle intelligence critique ? Je dirai plutôt que l’œuvre s’écrit de telle façon, notamment depuis l’interdiction d’Eden, qu’elle empêche à la fois le scandale et l’interdiction, qu’elle neutralise l’exercice moral de la critique et de la loi. Tombeau et Eden donnaient encore matière à contextualiser, et donc couraient encore le risque d’être condamnés moralement. Progressivement, de Prostitution à Progénitures, l’œuvre offre le spectacle de ses transformations, et des transformations de sa langue, à une critique qui ne peut plus rien juger du point de vue de la morale, et qui ne peut donc que saluer la logique et la beauté du chant.Hiver 1996 - Printemps 1997 : rédaction et répétition scénique d’un texte, Issê Timossé, pour un spectacle chorégraphique de Bernardo Montet créé à Angers fin mai 1997, repris au festival Montpellier/Danse, puis au Théâtre de la Ville à Paris et à Rennes. Pierre Guyotat, présent sur scène, interprète au milieu des danseurs le texte qui les met en mouvement. 1998-99 : mise au point finale de Progénitures (première et deuxième partie).
Juin 1999 : tournage par Jacques Kébadian, à l’initiative de Léo Scheer, d’un film d’entretiens entre Pierre Guyotat et Marianne Alphant.Décembre 1999 - février 2000 : rédaction d‚Explications tiré d’une partie de ces entretiens. 5 janvier 2000 : pour la réouverture du Centre Georges Pompidou à Paris, lecture par l’auteur des premières pages de Progénitures. Des extraits seront choisis par Jean-Luc Godard pour son court-métrage De l’origine du XXIème siècle projeté en ouverture du Festival de Cannes 2000. Pierre Guyotat travaille actuellement à la mise au point de la troisième partie de Progénitures.
Dans les années 2000, par l'entremise de l'architecte Patrick Bouchain et sur décision de Jack Lang, Pierre Guyotat assure des cours d'histoire de la littérature française à l'Institut d'Etudes Européennes à Paris 8 qui relanceront son écriture.