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La Garenne de philosophie

LA BIODIVERSITE / définition, enjeux et méthodes de mesure

La biodiversité, contraction des termes « diversité » et « biologique », désigne la variété du vivant à toutes ses échelles d’organisation, depuis les gènes jusqu’aux écosystèmes, en passant par les espèces et les interactions qui les lient. Ce concept, formalisé dans les années 1980 par des écologues comme Edward O. Wilson, s’appuie sur trois niveaux principaux d’analyse. Le premier, la diversité génétique, correspond aux variations des séquences d’ADN au sein d’une même espèce, ce qui permet aux populations de s’adapter à des changements environnementaux. Par exemple, la résistance de certaines souches de blé à des pathogènes repose sur des différences génétiques accumulées au fil des générations. Le second niveau, la diversité spécifique, concerne le nombre et l’abondance des espèces présentes dans un milieu donné. Une forêt tropicale, avec ses milliers d’espèces d’arbres, d’insectes et de micro-organismes, illustre une richesse spécifique bien supérieure à celle d’une monoculture agricole. Enfin, la diversité écosystémique renvoie à la multiplicité des habitats et des processus écologiques, comme les récifs coralliens, les zones humides ou les prairies, chacun abritant des assemblages d’espèces distincts et remplissant des fonctions écologiques particulières, telles que la pollinisation, la décomposition de la matière organique ou la régulation du climat. Ces trois dimensions sont interdépendantes : la disparition d’une espèce peut entraîner un appauvrissement génétique ou perturber des écosystèmes entiers, comme le montre l’effondrement des chaînes trophiques après la surpêche d’un prédateur clé.

La mesure de la biodiversité

 

Pour mesurer la biodiversité, les scientifiques emploient des méthodes variées, adaptées aux échelles et aux objectifs de l’étude. À l’échelle génétique, des outils de biologie moléculaire, comme le séquençage de l’ADN, permettent de quantifier la diversité allélique (variantes d’un même gène) ou l’hétérozygotie (proportion d’individus porteurs de deux allèles différents pour un gène donné) au sein d’une population. Ces indicateurs sont cruciaux pour évaluer la résilience d’une espèce face aux maladies ou aux changements climatiques. Par exemple, les études sur les ours polaires ont montré une faible diversité génétique dans certaines populations, les rendant plus vulnérables à la fonte de la banquise. À l’échelle des espèces, les inventaires naturalistes restent une approche fondamentale. Ils consistent à recenser les taxa (groupes d’organismes classés selon des critères taxonomiques) présents dans un territoire donné, en utilisant des protocoles standardisés pour éviter les biais. Les indices de diversité, comme l’indice de Shannon ou celui de Simpson, combinent le nombre d’espèces et leur abondance relative pour fournir une estimation plus fine que le simple décompte. L’indice de Shannon, par exemple, attribue un poids plus important aux espèces rares, tandis que celui de Simpson favorise les espèces dominantes. Ces calculs reposent sur des modèles mathématiques issus de la théorie de l’information, développée par Claude Shannon dans les années 1940, et adaptée ensuite à l’écologie. Pour les écosystèmes, les écologues s’appuient sur des indicateurs fonctionnels, comme la productivité primaire (quantité de biomasse produite par les plantes), la complexité des réseaux trophiques (relations alimentaires entre espèces) ou la résilience face aux perturbations. Les satellites et les systèmes d’information géographique (SIG) permettent désormais de cartographier la diversité des habitats à grande échelle, en analysant des paramètres comme la couverture végétale ou l’hétérogénéité des paysages. Cependant, la mesure de la biodiversité se heurte à des défis méthodologiques et conceptuels. Le premier obstacle est l’immensité du vivant : on estime que seulement 10 à 20 % des espèces existantes ont été décrites, notamment dans les groupes comme les insectes, les champignons ou les bactéries. Les techniques de métabarcoding, qui consistent à séquencer l’ADN environnemental (eDNA) présent dans un échantillon d’eau ou de sol, offrent une solution partielle en détectant des espèces sans les observer directement. Une autre difficulté réside dans le choix des indicateurs : certains, comme le nombre d’espèces, sont faciles à interpréter mais ne reflètent pas nécessairement la santé d’un écosystème. Une forêt plantée en monoculture peut abriter peu d’espèces mais stocker beaucoup de carbone, tandis qu’une savane, bien que moins riche en biomasses, peut héberger une faune et une flore très diversifiées. Les écologues utilisent donc souvent des batteries d’indicateurs complémentaires, comme la diversité phylogénétique (degrés de parenté entre espèces) ou la diversité fonctionnelle (variété des rôles écologiques). Enfin, la biodiversité n’est pas statique : elle varie dans le temps et l’espace sous l’effet de processus naturels (succession écologique, dérive génétique) ou anthropiques (fragmentation des habitats, pollution). Les suivis à long terme, comme ceux menés par le réseau des zones ateliers en France ou le programme GLORIA (Global Observation Research Initiative in Alpine Environments) pour les milieux montagneux, sont essentiels pour distinguer les tendances générales des fluctuations ponctuelles.  Les données recueillies dépassent le cadre scientifique et servent de base aux politiques de conservation, comme les listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui classent les espèces selon leur risque d’extinction. Elles alimentent aussi les indicateurs internationaux, tels que les Objectifs d’Aichi pour la diversité biologique (2010-2020) ou le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montreal (adopté en 2022), qui fixent des cibles pour limiter l’érosion du vivant. Par exemple, l’indicateur « Living Planet Index », calculé par le Fonds mondial pour la nature (WWF), agrège les tendances de plus de 20 000 populations d’espèces vertébrées pour évaluer l’état global de la biodiversité. Ces outils permettent de sensibiliser le public et de justifier des mesures de protection, comme la création d’aires protégées ou la restauration d’écosystèmes dégradés. Néanmoins, les choix méthodologiques ont des implications politiques : une définition restrictive de la biodiversité, centrée sur les espèces charismatiques (comme les grands mammifères), peut occulter la préservation d’organismes moins visibles mais tout aussi cruciaux, tels que les pollinisateurs ou les décomposeurs. À l’inverse, une approche trop large, intégrant tous les niveaux de diversité, complexifie la prise de décision. Les débats autour de la notion de « services écosystémiques » – les bénéfices que les humains tirent de la nature, comme la purification de l’eau ou la régulation des climats – illustrent cette tension entre conservation pour la valeur intrinsèque du vivant et conservation pour ses utilités économiques.

En résumé

La biodiversité est une notion complexe en ce qu'elle renvoie à du multidimensionnel et du multifactoriel qui nécessite des outils variés pour être appréhendé dans toute sa complexité. Les progrès en génomique, en télédétection et en modélisation statistique ont permis d’affiner les méthodes de mesure, mais des lacunes persistent, notamment dans la connaissance des micro-organismes et des interactions entre espèces. La combinaison de données empiriques, d’analyses quantitatives et de suivis temporels reste indispensable pour comprendre les dynamiques du vivant et orienter les actions de préservation. Dans un contexte de crise écologique marquée par la sixième extinction de masse, ces connaissances constituent un socle pour concevoir des stratégies de gestion durable des ressources naturelles, en conciliant les besoins humains et le maintien des processus écologiques essentiels.

Repères historiographiques

En 1986, un colloque à Washington intitulé National Forum on BioDiversity réunit scientifiques et décideurs. C’est là que le terme biodiversity apparaît dans un cadre académique.

En 1988, Edward O. Wilson, avec Frances M. Peter, publie l’ouvrage collectif BioDiversity qui diffuse largement le terme et en fait un concept central des sciences de la conservation.

Dans les années 1990, Edward O. Wilson popularise le mot à travers ses livres, notamment The Diversity of Life (1992), qui contribue à l’ancrer dans le débat public et scientifique.

 

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