PENSEE | La politique d'Esuchia
On pourrait dire de l'Esuchia qu'elle est comme l'Athènes qui, fruit du bouillonnement démocratique, fut partagée par une déchirure, bien connue sous le terme de stasis. On pourrait en faire ici le portrait de cette cité idéale mais en fait elle prend à bras le corps la diversité de l'existant et opère quelque chose de ténue qui consiste a allier la tradition et la nouveauté.
L'Esuchia est au premier degré la tranquillité, l'immobilité, la douceur dans le mouvement. Elle est cette dimension qui a servi de ferment aux cités grecques entre les natures flegmatiques (les aristocrates) et les natures braillardes (les démocrates). L'Esuchia élevée au carré est l'action de faire céder l'agitation des corps et la discorde des discours. L'Esuchia élevée au cube est le fait de tenir conjoint la tranquillité et le fait de se tenir aux aguets. C'est la « dissuasion » ou un respect qui s'impose d'emblée qui permet en fait la première forme de tranquillité on la retrouve dans l'énergétique des samouraï et elle n'est pas l'esquive mais la riposte tenue pour imminente, c'est aussi le règne de la dissuasion nucléaire (mythe ou réalité sur laquelle repose la paix occidentale et orientale, la non-agression effective).
Le domaine de l'« esprit » qui ne bouge pas, de l'attention imperturbable qui passe pour une sagesse intransigeante, est celui de l'esuchia de l'immobilité tranquille, de l'esprit indomptable. Je réintroduit ici la notion d'esprit pour tirer un trait avec l'esprit réflexif et ses catégories universelles. Mais celui qui pratique cette tranquillité, d'une part, atténue les conflits en se plaçant en tiers et d'autre part doit être, « esprit indomptable », être sur le qui-vive car sa présence peut elle-même suscité une attaque et nécessité une prompte riposte. C'est ce que l'on pouvait entre voir aussi chez certains samouraïs qui n'engageaient jamais le combat mais désarmaient leur adversaire, réengageant ainsi leur tranquillité. Il y a une dimension conservatrice dans l'Escuhia, car la situation initiale de tranquillité est réinvestie à la fin, simplement parce qu'elle protège l'épanouissement des jeunes générations. L'écriture qui applique cette politique vise une subversion d'un état de faits où l(homme tranquille ne se reconnaît pas tout en ne s'en détachant pas pour autant comme le ferait l'aristocrate, pour lui il y a plus intense à ses yeux notamment dans l'éducation d'un type à venir, l'affirmation de son propre type en fait, qu'il ne parvient complètement à synthétiser, puisque justement il 'est confronter à la tradition, créant ainsi quelque chose de plus complexe.
Le philosophe est toujours pris entre deux choses la perpétuelle non-fixation de son attention et la digestion voir la rumination de ses pairs (non des philosophes mais des penseurs de tous ordres). Ces deux choses ont valu de tout temps et marque certainement la manière fondamentale d'exercer la pensée de manière intense car sauf à tomber dans la réflexion ou à prétendre comme Wittgenstein ou Krishnamurti ne pas tenir compte de la tradition, on rate ce qui se situait de manière primordiale bien avant cette fixation en une tradition amoindrie. Cette fixation philosophique par exemple arriva sitôt que Platon spiritualisa la pensée d'Anaxagore, l'homme qui au fond avait le mieux approcher l'idéal du philosophe insufflant une politique.
La grand différence entre l'esuchia et la parresia, c'est que si celui qui s'exprime devant une assemblée avec son franc-parler met en danger sa vie, la mise en dynamique de la tranquillité met en jeu des transformations et une activité sur le long terme et non sur un simple refus ou coup d'éclat marqué par les mots. Elle est à al fois praxis et poïesis en tant qu'elle opère sur une matière qui lui est extérieur mais sur laquelle elle n'est peut embrayer qu'intérieurement à savoir l'affectivité, la sensibilité, ce qui consistue le fond physiologique ou nerveux de toute volonté tournée vers la puissance et non le pouvoir contaignant ou souverain. L'esuchia est plus ténue et labile dans ce qu'elle engage elle se tient dans la composition assurée des démocrates et des aristocrates en étant ni de l'un ni de l'autre car elle s'appuie avant tout sur les forces vives de la société que sont les métiers, le savoir-faire, qui eux en permette l'épanouissement, sans la pression oligarchique ou le caprice déamocratique du tout est dû alors qu'à chaque fois tout est à conquérir. Le second s'indignera qu'il faille toujours combattre le premier sans comprendre qu'il est dans la nature de toute puissance, de toute dynamique d'affronter l'ordre établi et les positions en place et que c'est cette équilibre qui permet l'épanouissement d'un troisième terme, à savoir une nouvelle génération et non une énième corruption.
Voir aussi Liberté et vérité - Imre Toth - Editions de l'éclat 2009.
Voir le séminaire à Paris 8 de Georges Navet sur les liens entre l'élite et le peuple dans la politique de Vico.
Ici nous reprenions quelques jets lancés par Patrice Loraux.