La Philosophie à Paris

EDITO d'avril 2007 / Notre époque faite de conjectures (où en est notre époque 3)

2 Avril 2007, 13:19pm

Publié par Le Cazals

Notre époque est un époque incertaine si l'on est crépusculaire ou très stimulante si l'on perçoit l'aurore, mais de manière plus consensuelle c'est une époque à conjectures. Pourquoi cela, simplement parce que la science, comme nous allons le voir, a supprimé un à un tous les absolus classiques, le Dieu métaphysique (comprenez la substance et ses essences), le Temps, l'Espace, et c'est à nous qu'il revient d'en formuler de nouveaux (sous la formes d'autonomies, de positivités pour notre époque). Remarquez qu'absolu et autonome sont synonyme (au sens ici de "séparé") mais ne sont pas envisagés de la même manière. Ce qu'a fait la science : s'en tenir à des observables, la substance, la chose en soi, l'infini, le vide sont pour elle des inobservables, comme par exemple l'a été l'éther (nul par on a observé de résistance de sa part, c'est-à-dire de vent de l'éther).

 

Prenons un exemple : la théorie de la Relativité d'Einstein a amené les notions d'espace-temps et de rélativité du temps qui lui est inhérente. Ce qui veut simplement dire, selon Hawking, que « chaque observateur a sa propre mesure du temps, et des horloges portées par différents observateurs ne seront pas nécessairement d'accord. Cela conduit au paradoxe dit « des jumeaux ». L'un des jumeaux reste sur Terre pendant que l'autre embarque sur un vaisseau spatial. A son retour l'astronaute n'aura vieilli que de quelques années, tandis que son jumeau sédentaire sera un vieil homme. Tout cela est fort bien, mais la plupart d'entre nous ne dispose pas d'un vaisseau spatial leur permettant d'essayer. On peut cependant observer cet effet en faisant voler une horloge de très haute précision sur un vol commercial. Il faudrait néammoins effectuer un nombre épouvantable de voyages pour prolonger ainsi sa vie d'une seule journée. La théorie de la relativité a modifié notre concept de temps : il a cessé d'apparaître comme une dimension autonome pour devenir une élément dans un construction appelée "espace temps". ... Le temps a cessé d'être universel et absolu, comme [il l'était] dans la théorie newtonienne, . » HawTN_119

On peut aussi dire que l'espace avait cessé d'apparaître comme une dimension autonome, d'être universel et absolu dans la théorie newtonienne. Et précision pour les philosophes, la critique de la raison pure de Kant est partie de là pour établir les « formes a priori de la sensiblité » que sont l'espace et le temps, puisque la critique de la raison pure peut être lue comme « une analyse transcandentale des forces newtonniennes », les forces se substituant à ce qu'on appelait jusque là la substance car il n'y a pas de force en soi contrairement aux substances comme l'Esprit, la Matière, le Vide, la Nature, le Peuple. Ces substances sont souvent complémentaires (l'Esprit et la Matière chez les spiritualistes, la Matière (atomes) et le Vide chez les matérialistes, Lucrèce) ou en appelle à un motif premier, une transcendance (le Peuple en appelle toujours à une souveraineté, Rousseau). On peut aussi rajouter le Moi et le Monde qui sous couvert de Dieu sont complémentaires. Je les rajoute car dans les différents textes de scientifiques que nous avons mis en ligne sur notre site (1 2 3) vous pourrez voir que les scientifiques parlent encore de Monde, de Nature, de Matière. Ces grands concepts universaux (et donc creux), propres à la métaphysique héritée de Platon et Aristote, un fois mis à l'écart et évacués, il reste ce que nous pouvons appeler les forces du Dehors. Il y en a trois trois, selon Foucault, la Vie, le Travail, le Langage (voir Les mots et les choses et le Foucault de Deleuze), il est probable que la Pensée en tant que symptôme de la Vie et du Langage en soit une mais une chose est sûre : vie, travail et langage comme forces produisent chacune dans leur registre des organisations (de vie), des productions et des discours. En ce qui concerne la vie et le travail, les philosphes antiques et médiévaux les ont très peu prises en compte, trop occupés ou plutôt conditionnés par une pensée communautaire reposant sur la vertu morale, par exemple le Bien, le Juste ou le Vrai, comme masque ou paliatifs face aux réactions qui les traversaient, aux forces qu'ils intériorisaient (processus qui pour Nietsche conduit à la mauvaise conscience). Même à l'infini s'est substitué pour Hawking ou Feynman, un fini sans bord, un fini illimité (Hawking est un astrophysicen bien connu pour être en fauteuil roulant et Feynman un physicien quantique astucieux, tous deux ont produit des livres expliquant la physique quantique, loin des formalismes et sans aucune équation, ce qui les rend facile à lire, n'hésiter pas à les consulter à l'occasion).

 

Reste le domaine de la création qui lui tient de la pensée, il existe plusieurs disciplines ou métiers dans les arts et les sciences. Mais il y a création dès lors que l'on se trouve face à une impossibilité, comme pris par la gorge, en ce qu'une organisation n'est plus viable, une production n'est plus efficace, un discours n'est plus tenable. C'est en fait la résolution empirique de problèmes à partir d'outils pré-établi (si on en reste à une pensée transcendantale) ou se forgeant dans l'expérimentation (si on est parvenue à une pensée ayant effectuer un saut quantique ou tragique). Remarquez, une chose c'est que si l'on se trouve face à une impossiblilité, c'est que nos capacités antérieures (système et formes a priori de l'expérience) se trouvait mis à mal. Je précise aussi pour être plus clair que le saut quantique ou tragique veut simplement dire que l'on est confronté à de l'indéterminé : comme pour une particule dont l' "état" n'est plus celui de l'agencement cristallin de la matière ou le héors tragique qui sort des lois morales ou mais comme les grecs étaient les dieux châtiaient toujours le héros dans la mort, c'est cette conception du tragique qui a perduré. Pour reprendre Aristote, on peut dire qu'il n'y a pas de règles (par exemple les formes a priori) pour s'orienter dans de l'indéterminé. Sur ce point Kant avait tout bon et c'est pour cela qu'il y a quelque chose de si routinier dans sa pensée comme dans son mode de vie : « Pour Kant, il y a une profonde différence entre l’abri physique occasionnel, qui nous protège d’une inondation ou d’une conjuration, et la protection absolue de la violence du monde garantie par la loi morale. » (Lire la texte de Paolo Virno, MIRACLE, VIRTUOSITÉ ET DÉJÀ VU IV, 1). Sorti de la loi morale mais non de la légitimité de vivre, on se trouve ne plus suivre les habitudes de la majorité (, on se trouve par delà des considération sur le bien et sur le mal, bref on se situe alors dans l'événement dans un pôle d'intensités qui fait que l'on varie d'intensité avec l'évènement lui-même. Je parle ici d'évènement dans sa dimension éternelle puisque si vous avez été touché par lui, il aura eu lieu pour toujours et personne ne pourra vous le retirer. Comprenez bien qu'il ne s'agit pas de métaphysique, mais bien d'une éternité de coexistence, de votre vivant et non de la promesse d'une éternité après la vie, aeternitas voulant simplement dire que l'on est plus dans le temps commun à tous, mais dans autre chose, ici l'effervescence de l'évènement. Il n'y a rien d'affolant à cela. A ce sujet je vous recommande le livre V de l'Ethique de Spinoza vous comprendrez mieux de quoi il est question en l'expérimentant peut-être vous-même, car là je ne peux rien pour vous. Simplement c'est à chacun de comprendre (on est dans l'aporétique) mais sachez qu'il y a quelque chose à comprendre : expérience de vie en même tant que de compréhension qui sort de l'expérience de la connaissance si routinière chez Kant. Spinoza n'écrit-il pas « sentir et expérimenter que nous sommes éternels » (Ethique, V, dém. 43). C'est cela un saut et il n'est plus question de substance * ou substances narcotiques.

 

Notre époque a donc supprimé des absolus (l'infini, l'espace, le temps bref Dieu) pour en substituer d'autres qui ne sont pas porteurs d'infini mais de nouveautés. Je précise que pour ceux qui en sont restés ou restent à l' « inhumanité » ou à son « trajet à l'envers » de Badiou (comprenez ses abstractions issues de Lacan) ceci n'est pas apercevable, appréhendable et reste donc obscur, comme l'était la pensée d'Héraclite pour Platon, Aristote et Plotin. Si est contemporain le philosophe qui a traversé la sophistique de Lacan alors nous sommes, pour ceux qui comprennent, des post-lacaniens, héhé, et c'est un moindre mal, ceci veut simplement dire que vous être capable de sortir de l'ivresse du discours pour enfin sublimer la réalité, l'intensifier de vos nombreuses trouvailles. Plus simplement répétons-le cela veut dire apprendre à penser avec nuance et non à coup de gros concepts abstraits. L'abstraction étant simplement ce qui grève et ruine la pensée : tous les universels en sont, les substances dont nous parlions plus haut mais qui trouvent leur limite en ce qu'elle ne dépasse pas le discours sans actes effectifs derrières. C'est parce qu'on pose l'égalité come universelle qu'on la rend effective en droit mais non en fait.

C'est, pour conclure, que notre époque est marqué par le passage du principe de raison (= rien n'est qui n'a de raison, pour simplifier) au principe d'incertitude ou devrait-on dire d'indétermination. Ce changement de prétention revient à accepter, contrairement aux sages grecs (qui n'étaient pas tragiques pour un sou), d'être confronté à de l'indéterminé mais d'en faire quelque chose. Ne pas chercher la certitude en tout c'est cela qui fait une grande époque et qui fait que par ailleurs des conjectures différentes et même « contradictoires » coexistent. Cette confrontation directe à l'incertitude ou ce repli sur la certitude se retrouve perpétuellement dans la pensée et donc dans la manière dont on avance dans la science. Cette distinction, sans idéaliser la Grèce, existait déjà dans l'antiquité, car il ne nous reste que le squelette de quelques textes, entre ce que Schopenhauer appelait la Républiques des génies (on pourrait dire Anaximandre, Héraclite, Parménide, Socrate, etc. ...) et la République des sages (Platon, Aristote, les Académies, Le Portique). Les uns marqués par l'aurore, l'audace et vie tragique, les autres par le crépuscule (qui teinte de décadence la fin de la démocratie athénienne). Ainsi s'est-on replié, par une incapacité à digérer l'époque antérieur, sur la sagesse et la quête d'une vie sereine et communautaire.

 


 

Bibliographie : HawTN_ : Hawking, Trous Noirs et bébés univers (1993), éd. Odile Jacob, 2000.

 

* Nous reviendrons ici sur le fait que la substance chez Spinoza, n'est là qu'en contre-pied de la métaphysique de Descartes, à la fin du livre V de l'Ethique l'expérimentation de la part éternel propre à chacun de nous débute par ces mots : "sous la durée de l'esprit sans le corps", ceci peut se comprendre en ce que Spinoza, qui avait une petite santé et devait ressentir beaucoup son corps, a, par cette expérience qu'il a sans doute reproduit plusieurs fois au cours de l'écriture de l'Ethique, oublié les souffrance de son corps. Mais on sait aujourd"hui grâce à al neurobiologie combien la production des hormones et le développement des synpases de nos neurones dans notre cerveau dépende simplement de notre manière d'appréhender les événements et les problèmes qui peuvent nous arriver et donc des concepts (outils) que nous avons à disposition pour se faire.

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Où en sommes nous avec notre époque ?

Notre époque et les grecs

edit : 27 mai 2007

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