La Philosophie à Paris

HANNAH ARENDT / L'obsession mondaine comme gage de la révolution conservatrice.

28 Mars 2022, 22:35pm

Publié par La Philosophie

J'exagère certainement à parler de révolution conservatrice chez Arendt mais les deux termes associés de « jeune conservatisme » « variante de gauche » lui sont accolé pour tout au moins définir sa pensée. « Arendt critique de manière univoque cet élitisme né avec l’impérialisme qui fait corps avec le racisme, l’antisémitisme et un cynisme voire avec une cruauté sans limite, que l’on retrouve plus ou moins directement chez Jünger ou Schmitt. » (1) Il y a chez Arendt les dimension d'autorité, de pluralité et d'opinion, mais un rejet des sciences et des techniques en tant que modernité qui nous condamne à la pensée magique.

Man Ray La poure D'Erik Satie, lithographie, 1969

Man Ray La poure D'Erik Satie, lithographie, 1969

Au fond , on n’éduque jamais que pour un  monde déjà hors de ses gonds ou sur le point d’en sortir, c’est là le propre de la condition humaine que le monde soit créé par des mortels afin de leur servir de demeure pour un temps limité. Parce que le monde est fait par des mortels, il s’use ; et parce que ses habitants changent continuellement, il court le risque de devenir mortel comme eux. Pour préserver le monde de la mortalité de ses créateurs et de ses habitants, il faut constamment le remettre en place. Le problème est tout simplement d’éduquer de façon telle qu’une remise en place demeure effectivement possible, même si elle ne peut jamais être définitivement assurée. Notre espoir réside toujours dans l’élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle ; mais c’est précisément parce que nous ne pouvons placer notre espoir qu’en lui que nous détruisons tout si nous essayons de canaliser cet élément nouveau pour que nous, les anciens, puissions décider de ce qu’il sera. C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice
Dans le  cas de l’éducation, la responsabilité du monde prend la forme de l’autorité […] La compétence du professeur consiste à connaître le monde et à pouvoir transmettre cette connaissance aux autres, mais son autorité se fonde sur son rôle de responsable du monde. Vis-à-vis de l’enfant, c’est un peu comme s’il était un représentant de tous les adultes, qui lui signalerait les choses en lui disant : »Voici notre monde » [….]
Qui réfléchit sur les principes d’éducation doit tenir compte de ce processus d’aliénation par rapport au monde
le problème de l’éducation tient au fait que par sa nature même l’éducation ne peut faire fi de l’autorité, ni de la tradition, et qu’elle doit cependant s’exercer dans un monde qui n’est pas structuré par l’autorité ni retenu par la tradition.
Nous devons fermement séparer le domaine de l’éducation des autres domaines, et surtout celui de la vie politique et publique. Et c’est au seul domaine de l’éducation que nous devons appliquer une notion d’autorité et une attitude envers le passé qui lui conviennent, mais qui n’ont pas une valeur générale et ne doivent pas prétendre détenir une valeur générale dans le monde des adultes.
la ligne qui sépare les enfants des adultes devrait signifier qu’on ne peut ni éduquer les adultes ni traiter les enfants comme de grandes personnes
C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun.

Quelque chose est à mettre en lien avec cette dimension neurotypique que l'on retrouve dans la définition que donne Robert Redeker de l'école : « protéger et de transmettre la haute culture, permettre aux nouveaux venus dans le monde de recevoir l’héritage venu de derrière eux, auquel ils ont droit. »

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Source :

1. Jean-Marc Durand-Gasseli, « Hannah Arendt « jeune conservatrice » : la lecture d’Habermas, » in Cités 2016/3 (N° 67), pages 65 à 78.

2. Olivier Fressard, « Détrôner Hannah Arendt ? », in Non-Fiction, 29 avril 2020.

 

 

 

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