MIGRANTS / La question des migrants afghans et syriens de Saint-Denis à La Place de la République

Une vaste opération d’évacuation et de mise à l’abri a démarré mardi 17 novembre 2020 matin à 7 heures. C’est la 66e opération en cinq ans dans le département.
« 3 000 personnes évacuées et mises à l'abri », dont « 400 en famille » : c'est le bilan que tirent ce mardi soir la préfecture de police de Paris, la préfecture de région et celle de Seine-Saint-Denis, de l'immense opération d'évacuation menée depuis le petit matin dans un campement de migrants, à Saint-Denis.
Depuis le mois d'août, plus de 2000 migrants s'étaient progressivement installés à Saint-Denis, sous le viaduc de l'autoroute A1 et vers la passerelle piétonne qui mène au Stade de France, formant un vaste campement. En cinq ans, c'est la 66e opération que connaît le nord-parisien et ses villes limitrophes.
« De nombreux hommes seuls sans solution d'hébergement »
La cohorte de cars stationnés le long de l'avenue du Président-Wilson, à Saint-Denis, semble cependant n'avoir pas suffi à prendre en charge la totalité des sans-abri sur place.
C'est ce que décrivent de façon concordante plusieurs associations et ONG, ainsi que la mairie PS de Saint-Denis, qui, tout en saluant l'opération de mise à l'abri, déplore que « de nombreux hommes seuls soient ce soir sans solution d'hébergement d'urgence », affirmant au passage qu'à l'approche de l'opération, « certains collectifs semblent avoir favorisé l'arrivée de plusieurs centaines de personnes supplémentaires. »
Médecins du monde évoque « 500 personnes laissées à la rue et dispersées de force » sur Twitter. Le collectif Solidarité Migrants Wilson partait ce soir à leur rencontre, aux portes d'Aubervilliers, de la Villette et de la Chapelle.
Dépistage Covid
Interrogées sur ce point, les préfectures de région et de police n'ont pas réagi.
Encadrée par un important dispositif policier, l'opération d'évacuation et de mise à l'abri des exilés vers différents centres d'accueil et gymnases d'Ile-de-France avait débuté vers 7 heures.
Selon le décompte de l'association France terre d'asile, opératrice de l'Etat, environ 2 400 exilés vivaient la veille encore dans ce camp qui n'a cessé grossir depuis août en dessous de l'autoroute A1. Des feux de palettes étaient visibles depuis le cordon de sécurité mis en place par les forces de l'ordre.
« Ces camps ne sont pas acceptables, a déclaré sur place le préfet de police de Paris, Didier Lallement. Cette opération a lieu pour faire en sorte que les personnes en situation régulière soient mises à l'abri, et celles en situation irrégulière n'ont pas vocation à rester sur le territoire ».
Dans un tweet, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a salué cette opération.
Près du canal de Saint-Denis, de nombreuses personnes ont patienté durant des heures avant d'être prises en charge par des bus. Toutes devaient être dans un premier temps l'objet d'un test au Covid-19 dans des centres de dépistage mis en place par l'Agence régionale de santé (ARS), avant d'être soit isolées dans un premier temps, en cas de résultat positif, soit immédiatement mises à l'abri.
C'est la première fois que l'ARS organise un dépistage aussi systématique. Début octobre, une enquête menée par Médecins sans frontières avait alerté sur les conditions d'hébergement des sans-abri, réclamant des moyens adaptés pour éviter les clusters.
En tout, 70 bus devaient acheminer les migrants alors que 26 centres d'hébergement ont été mis en place par la Préfecture de région d'Ile de France pour les accueillir. Au grand dam de certains maires, comme celui de Bry dans le Val-de-Marne, offusqué qu'on réquisitionne un gymnase de sa ville, et qui dénonce « l'absence totale de concertation avec la ville en amont de la décision unilatérale de cette réquisition malvenue ».
Une majorité d'hommes seuls originaires d'Afghanistan
Le campement insalubre, où plusieurs centaines de tentes étaient installées, est majoritairement constitué d'hommes seuls, essentiellement originaires d'Afghanistan, mais également du Soudan, d'Éthiopie et de Somalie. Beaucoup, majoritairement des demandeurs d'asile, sont auparavant passés par d'autres campements en périphérie de Paris, successivement démantelés, mais qui se recréent un peu plus loin, en banlieue nord.
Une trentaine d'associations et collectifs (Cimade, Secours catholique, Solidarité Migrants Wilson…) dénoncent « un cycle sans fin et destructeur ».
« Depuis cinq ans, les évacuations se sont répétées, malgré les dysfonctionnements du système d'hébergement qui les accompagne […]. Aujourd'hui, les autorités continuent d'organiser ces opérations alors que les 65 précédentes ont prouvé qu'elles étaient inefficaces, et que leur seul effet était de disperser les personnes », ont écrit les associations dans un communiqué.
La préfecture de région souligne de son côté que l'Etat « a mobilisé 13 700 places d'hébergement supplémentaires lors du premier confinement ». 133 000 places sont actuellement mobilisées chaque nuit en Ile-de-France.
Près de 500 migrants, installés lundi soir place de la République à Paris, ont été évacués lors d’une opération musclée. Élus et associations déplorent un usage de la force disproportionné.
Des cris au milieu de la capitale, des réfugiés éjectés avec violence de leurs tentes et des militants associatifs, élus et journalistes malmenés, dans un nuage de gaz lacrymogène. L'opération de police dirigée lundi soir place de la République, afin de démanteler un très éphémère camp installé par des migrants et des associations, suscite depuis la nuit dernière une intense controverse.
VIDÉO. Paris : des centaines de migrants s'installent place de la République, la police intervient
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin lui-même, a déploré des images « choquantes » et a saisi l'IGPN (Inspection générale de la police nationale), pour faire la lumière sur ces événements, s'engageant à rendre publiques d'ici 48 heures les conclusions de la police des polices. Retour sur une nuit de violences.
Pourquoi cette installation à République ?
Lundi soir, aux alentours de 19 heures, des premières tentes bleues de migrants, presque uniquement des Afghans, ont émergé en rang d'oignon sur la place de la République. L'opération menée par des associations telles que Utopia 56, Médecins sans frontière ou encore Solidarité migrants Wilson, visait à réclamer une solution d'hébergement pour des centaines de migrants.

Des élus LFI, EELV, mais aussi Ian Brossat, Léa Filoche ou Audrey Pulvar, adjoints à la mairie de Paris, ainsi que des avocats, étaient également présents sur place. « On était à peu près avec 500 personnes qui se trouvaient au campement de Saint-Denis et n'ont pas eu de places dans les bus lors de l'évacuation de mardi dernier. Depuis, ils se trouvent chassés, harcelés par la police toutes les nuits. L'idée c'était faire entendre leurs voix », nous rapporte Maël de Marcellus, bénévole de l'association Utopia 56, présent sur place lundi soir.
Le 17 novembre, selon la préfecture de police, plus de 3000 migrants ont été pris en charge lors du démantèlement de ce campement, mais les associations estiment qu'entre 500 et 1000 personnes n'ont pu bénéficier d'une solution de relogement. Elles dénoncent, vidéos à l'appui, les opérations de police empêchant ces derniers d'installer depuis des tentes dans la capitale ou sa périphérie.
Que s'est-il passé ?
La place de la République a d'abord été encerclée par les forces de l'ordre, peu après 19 heures. Puis, les gendarmes et policiers déployés ont commencé à saisir des tentes, avant de les entasser dans un camion.
« Ils ont commencé à vouloir rentrer dedans. Il y avait un cordon formé avec des avocats et des élus qui ont tenté de les en empêcher. C'était assez impressionnant, avec une vraie stratégie policière », soupire Corinne Torres, cheffe de mission France pour Médecins sans frontière, qui poursuit : « Derrière, des personnes de la BAC (Brigade anti-criminalité) ont commencé à intervenir de manière violente. » « Il y avait vraiment beaucoup de policiers. Au début, on a essayé de dialoguer, mais ils ont rapidement essayé d'enlever les tentes, parfois alors qu'il y avait des gens dedans, en niant totalement leur humanité… », abonde Maël de Marcellus, d'Utopia 56.
Le face-à-face entre occupants de la place de la République et fonctionnaires se tend en moins d'une heure. Un policier est filmé assénant un coup de pied dans le ventre d'un homme. Un individu lui ressemblant fort apparaît un peu plus tard sur une autre vidéo, violentant cette fois un migrant avec une matraque.
Puis, on l'aperçoit dans une troisième séquence, en train de malmener le journaliste de Brut Rémy Buisine, alors que ce dernier se trouve au sol (son employeur dit ce mardi vouloir « demander des explications » au ministère de l'Intérieur et à la préfecture de police et le parquet de Paris a annoncé en fin d'après-midi qu'une enquête avait été ouverte). Un autre membre des forces de l'ordre a été filmé en train d'exercer un croche-pied à un migrant. Des faits qui ont provoqué ce mardi après-midi l'ouverture par le parquet de Paris d'une enquête pour « violences par personne dépositaire de l'autorité publique », confiée à l'IGPN.
« On essayait de rester tous ensemble mais les charges de la police se sont succédé. Il y a eu beaucoup de coups donnés par les policiers, puis, ils ont dispersé ceux qui se trouvaient place de la République », rapporte aussi le militant d'Utopia 56. Lui-même indique avoir reçu, « comme beaucoup de membres de l'association », « des coups de matraque et de boucliers, quand les policiers poussaient sur la place ». Ces derniers ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser la foule.
« Je ne pensais pas qu'ils pratiqueraient un tel dispositif, alors qu'il y avait des élus et avocats présents. Tout le monde était plutôt bon enfant », souligne Corinne Torres, qui fustige une « vraie volonté de faire en sorte que ce camp ne perdure pas ». Le Bâtonnier de Paris a en effet déploré que des avocats, présents pour soutenir cette action, ont été bousculés. Présent lundi soir sur la place, le député LFI Eric Coquerel décrit aussi sur BFMTV une « foule pacifique » et « des policiers en civil sortant des matraques gratuitement ». Sollicitée, la préfecture de Paris ne nous a pas répondu ce mardi matin.
Que s'est-il passé ensuite pour les migrants ?
Vers 23 heures, la place s'est vidée et les migrants ont commencé à errer dans les rues de la capitale, certains encore munis de leur tente. Des dizaines d'entre eux ont tenté de réclamer de l'aide à la municipalité, en se dirigeant vers l'hôtel de Ville aux côtés de militants et d'élus, avant d'être bloqués par les forces de l'ordre.
« Il s'agissait d'une chasse à l'homme dans les rues du centre de paris. Les policiers essayaient de disperser les groupes », affirme le membre d'Utopia 56, qui rapporte avoir entendu le bruit de grenades de désencerclement et de tirs de LBD. Des membres de son association lui ont aussi indiqué que des réfugiés avaient dû se rendre aux urgences dans la nuit.
« Des groupes sont partis vers Aubervilliers et Saint-Ouen, dont l'un escorté à pied par la police », ajoute Maël de Marcellus, qui tonne : « On ne veut pas les voir dans Paris, on veut les invisibiliser. » Selon nos informations, les forces de l'ordre seraient repassées au petit matin à la rencontre de ces migrants en périphérie de Paris, pour les inviter à se disperser de nouveau dans les rues d'Aubervilliers et de Saint-Denis.
Quelle est la réaction des associations d'aide aux réfugiés ?
Du côté d'Utopia 56, les militants continuent d'attendre des propositions de la préfecture et de la mairie de Paris, pour reloger les 500 migrants afghans actuellement dehors. « On continuera à lutter avec les gens, à faire entendre leur voix, on attend leur mise à l'abri. La mairie dit soutenir notre action, mais c'est elle qui a le pouvoir de mettre des lieux à disposition », martèle Maël de Marcellus. Mais il ne cache pas son inquiétude.
« Depuis mardi, c'est la deuxième fois que la police détruit du matériel, les fonds des associations ne sont pas illimités, dans très peu de temps, on va manquer de couvertures et de tentes. » Le militant dit aussi faire face à l'incompréhension des réfugiés. « On se trouve dans une politique d'épuisement total, avec des conséquences sur le mental des gens. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi ils sont dehors, alors que tout le monde est confiné. »
Médecins sans frontières, qui réclame aussi le relogement de ces migrants, va déposer plainte contre le préfet de police Didier Lallement « pour violences et mise en danger des personnes », nous informe la cheffe de mission Corinne Torres. « Il faut impérativement cesser ces pratiques, surtout en cette période particulièrement compliquée pour tout le monde », tempête-t-elle, en référence à la très controversée proposition de loi sur la sécurité globale, en ajoutant qu'il est « affligeant et déconcertant de voir à quel point presse et élus ont pu être violentés dans une opération de solidarité qui se voulait bon enfant. »
Et celle des autorités ?
Dans un communiqué diffusé lundi soir, la préfecture de police de Paris, qui n'évoque pas les violences dénoncées, a justifié cette évacuation en indiquant que « la constitution de tels campements, organisée par certaines associations, n'est pas acceptable ». Les services de l'Etat rappellent que les personnes nécessitant une prise en charge « sont invitées à se présenter dans les accueils de jour, où des orientations vers des solutions d'hébergement adaptées à leur situation sont proposées très régulièrement aux migrants par l'Etat et ses partenaires associatifs ». De son côté, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a clamé sur Twitter avoir trouvé « choquantes » les images de ce démantèlement musclé et avoir demandé « un rapport circonstancié sur la réalité des faits au préfet de police d'ici demain midi ». Il a ajouté ce mardi midi avoir saisi l'IGPN.
La maire de Paris Anne Hidalgo s'est elle aussi insurgée dans un communiqué qu'une « installation pacifique d'hommes et de femmes migrantes », a « été violemment empêchée et dispersée sans aucun ménagement par les forces de l'ordre, sous le commandement de la préfecture de police ». Enfin, dans la matinée, les ministres de la Citoyenneté Marlène Schiappa et du Logement Emmanuelle Wargon ont réclamé une prise en charge « sans délai » pour les centaines de migrants délogés violemment la veille au soir.