CRITIQUE / Le citoyen
« La citoyenneté, c'est l'essence de notre idée de nation : il faut le redire car, aujourd'hui, la notion de nation tend spontanément à se réduire à la nationalité, à une appartenance non choisie. Ce qui fait la nation est la souveraineté, et la souveraineté de la nation est faite de celle de ses citoyens. Dans l'idée du citoyen, il y a celle du partage égal de la chose publique et supériorité de la chose publique sur la chose privée. Le citoyen se définit par ses droits et ses devoirs à l'égard de la chose publique. Etre citoyen, c'est faire l'effort rationnel de s'élever au-dessus de soi-même pour se mettre en état de juger de l'intérêt géénral, c'est se porter au-delà de l'individu naturel. Le corollaire de cette définition est l'indépendance du citoyen, qui participe à la formation du pouvoir mais ne se sent pas nécessairement engagé dans ce que disent les pouvoirs. Le philosophe Alain sera le chantre de cette conception, avec sonidée du citoyen contre les pouvoirs. D'où la dignité attachée à la citoyenneté [...], mais qui n'en a pas moins des traits d'Ancien Régime. »
On peut d'emblée faire une critique du citoyennisme.
1°) Le citoyennisme postule qu'un citoyen égal une voix via le partage égal de la chose publique et l'indépendance du citoyen et permet de ne pas se sentir nécessairement engagé dans ce que disent les pouvoirs.
2°) Le citoyennisme repose sur la distinction courante entre propriété publique et propriété privée mais laisse de côté la propriété commune et la propriété à personne (comme la mer, l'Antarctique ou les symboles de l’État).
3°) Le citoyennisme repose sur la raison suffisante là où notre approche est un sans-fond, sans aucun fondement si ce n'est la revendication d'une logique impérieuse. La raison suffisante est l'autre nom de la logique marchande qui tend à l'épuisement des ressources disponibles aux hommes à une époque donnée et produit par la déforestation des plaines et la reforestation de la toundra, une extinction des espèces.
4°) Le cadre de la domination de la Terre (« se rendre comme maître de la Terre ») par enclosure et par exploitation. C'est dans le miroir de la réflexion qui ne pense pas que se situe le « mystère permanent » * de « la capacité des acteurs à s'illusionner » *. Simplement parce que les mots, comprenez les idées, ne sont pas des termes issus d'observation mais des projections biaisées sur la réalité. La souveraineté ou l'indépendance sont encore la marque d'une hiérarchie qui n'a pas entériné la mort de Dieu et le nivellement démocratique nécessaire au Surhomme, qui est un mode d'approche propre à une époque future, bref une visée nécessaire pour qui veut dépassé le nihilisme transitoire propre à son accession à l'état d'être en capacité.
5°) Le fond idéaliste du citoyen s'appuie sur la dignité issue de la pensée kantienne des Lumières : « Dans l'idée du citoyen... nous dit Gauchet. C'est le second corolaire. Son premier corolaire n'est pas l'indépendance mais la délégation de pouvoir. Nous sommes déterminer par des contraintes, même notre prétendue liberté n'est que le choix de ces contraintes. On parle d'indépendance ou d'émancipation pour justifier à soi-même une tranquillité de courte vue mais dont la déresponsabilisation a des répercussions sur le long terme : elle conduit à des crises qui ne sont rien d'autres que l'accumulation des richesses entre quelques mains plutôt que leur redistribution, les circuits de redistribution ayant été faussés. Il faut savoir mettre son nez dans les affaires.
6°) la critique de la citoyenneté vise à libérer la laïcité de sa visée idéaliste et d'en faire une approche de toute rencontre, faite d'écoute, de bienveillance et de respect. Au-delà il y a une logique d'union et de main tendue basée sur la pédagogie et de faire qu'une part meilleure existe chez l'interlocuteur.
* Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, éd. Stock, p. 124.