La Philosophie à Paris

LA PERTE DU GENRE / Le Genre vernaculaire d'Ivan Illich

17 Mars 2007, 22:05pm

Publié par Anthony

Voici un résumé de lecture du livre d'Ivan Illich sur la distinction par genre comme elle existe entre masculin et féminin (c'est le genre entendu de manière sociale ou concrète). Preuve de l'importance de la question, pensez aux études féministes sur le genre (les "étude de genre"). Nous essayerons d'introduire dans un deuxième temps la notion de genre abstrait (le genos grec). Le Genre vernaculaire, Seuil, 1983.



Le genre comme système de répartition sociale.
« Les sociétés pré-capitalistes sont fondées sur le genre » , les sociétés capitalistes sur le sexe, nous dit Ivan Illich à la page 115 de son livre sur le genre vernaculaire. C’est pourquoi l’on peut dire qu’il y a d’une part « le règne du genre [concret dans les agencements, abstrait dans la pensée], dans lequel la maisonnée [domus chez les romains ou hostal chez les occitans] obtient sa subsistance grâce à une répatition des tâches accomplies par deux couples de mains non interchangeables », et d’autre part le « régime de l’économie industrielle dans laquelle des mains produisent des marchandises en échange d’un salaire. » _117 Le premier régime (pré-capitaliste) fonctionne sur l’ « honnêteté », tandis que le second régime procède de la conscience qui s’affine par l’intériorisation d’une loi positive pour l’humain. Tout ceci résulte de l’introduction par l’Eglise au sein même de la domus, à travers une « société de l’aveu » comme le notait très justement Foucault, de l’inquisition _103 et de la confession de la conscience _104. La conscience et toutes les procédures d'entretien et d'aveu se subsitue à l' « honnêteté ». L' « honnêteté », pour le préciser, est ce qui chez les occitans et les cathares permettait de dissocier  l'amour (des troubadours) de la violence imposée aux femmes via le genre   « contre la violence faite traditionnellement aux femmes, que cette minorité n’ait pas été faible, voilà qui transparaît dans la capacité de certains habitants de Montaillou [des occitans], des gens simples, de distinguer entre les femme qu’il ont aimées et celle qu’ils ont chéries (adamari) ».


Le genre est vernaculaire
Que veut dire Ivan Illich par ce titre : le genre est vernaculaire. « Le genre est vernaculaire. Il est aussi résistant et adaptable, aussi précaire et vulnérable que le parler vernaculaire. Comme ce dernier, il est oblitéré par l’instruction, et son existence est rapidement oubliée ou même niée. » _83. Illich qui est parti d'une étude sur le genre grammatical masculin et féminin, fait la distinction ici entre le parler vernaculaire (les patois par exemple, les dialectes locaux) celui que l'on parle en famille sans trop y réfléchir et le langage appris à l'école, la langue nationale. Est « vernaculaire tout ce qui était confectionné, tissé, élevé, à la maison et destiné non à la vente mais à l’usage domestique. » _179. Illich, même si c'est un abus au niveau étymologique, oppose vernaculaire (ou local) à économique (ou universel).« Vernaculaire, c’est un terme technique emprunté au droit romain, où on le trouve depuis les premières stipulations juquu’à la codification par Théodose (le « Cado Théodosien »). Il désigne l’inverse d’une marchandise : « vernaculum, quidquid domi nascitur, domestici fructus ; res quae alicui nata est et quam non emit » (Du Cange, Glossarium Mediae et Infimae Latinitatis, vol. VIII, P. 283). » _179


Genre concret et genre abstrait.
Cet article est là pour vous introduire la notion de genre abstrait, qui occupe la pensée de Platon mais que le'on retrouve aussi chez Saussure quand il parle de Signifiant et de Signifié, ou chez Lévi-strauss (ce type de pensée dite structuraliste obéissant à un régime de l'homologie proche des genres chez Platon). Pour en revenir concrètement à l'étude d'Ivan Illich, ce qui fait la particularité du genre c'est qu'il repose sur un système tacite de complémentarité comme il peut existé des tâche pour le genre fémnini et des tâches pour les genre masculin, que ce soit dans les société pré-capitaliste ou la construction des phrases. « Le genre [concret ou social] est une donnée première. C’est aussi une donnée exigent un complément ; il n’est jamais en soi complet. » _84 C'est la même chose avec les genres suprêmes de la pensée de Platon comme on l'apprend dans le sophiste. Les "genres suprêmes" ne sont plus concrets ou sociaux comme peuvent l'être le genre masculin et le genre féminin, mais les genres abstrait sont tout aussi complémentaires comme le Même et l'Autre ou le Repos et le Mouvment, restent l'Être et le Logos. Mais la pensée par genre est aussi fonction d'une période comme les société établies sur le genre. La pensée par genres homologue cherche en fait à recroiser ces grands ensemble abstrait pour donner une vraisemblance de vérité : c'est cela la dialectique entendu par Platon (non par Aristote que reprendra Hegel). La dialectique tissant les genres entre eux après les avoir discerner : « Il n’y a pas de façon plus parfaite d’annihiler tout discours, que de détacher chaque chose de toutes les autres » (Sophiste, 259, e), on appelle cela le discernement pourtant « travailler à isoler tout de tout, c’est précisément n’avoir pas de mesure » (Sophiste, 259, d). Ceci renvoyant à la question de l’erreur L’étranger (Platon) finit par conclure, « la pensée nous est apparue comme un entretien que l’âme a toute seule avec elle-même » (264, a). Ainsi la dialectique est une pensée qui convient à ceux qui ont une âme, comme l'épistémè (le science chez les grecs) est un savoir qui requiert la âme et la convoque (J. A. Milner, L'oeuvre claire, p. 148)

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La question du genre, qui est aussi celle de la pensée dialectique, explique pourquoi au travers de l'abstraction (du discours qui se coupe de ce qu'il désigne comme étant la réalité sensible pour se tourner vers ce qui serait intelligible) restent ineptes à expliquer le fonctionnement de notre monde soumis au capitalisme, sinon qu'elles savent très bien le refuser. Notez que nous mettons de côté ici le matérialisme dialectique de Marx qui repose sur une analyse par l'économie politique de la société marchande et insustrielle (le mot capitalisme n'étant d'ailleurs employé par Engels qu'en 1870 sans que Marx y prête attention comme le remarque Ivan Illich). Autant la pensée antique pouvait fonctionner par genres (Platon avec la dialectique) ou par catégories (Aristote avec son savoir analytique), auntant les pensée contemoraine se prête d'acantage au concept qui tend à s'articuler différemment. Sans doute somme nous passer du syntagme au paradigme, du vernaculaire au capitaliste, d'où le sentiment contraint et erroné que nos vies n'ont pas de valeur et sont interchangeables, qui est dans la hierarchie capitaliste (ou hétéronomie) peut très bien le ressentir nous verrons ailleurs qu'il en est autrement pour qui sait voir ce qui a de l'importance à notre époque, ce qui est authentique ()ce qui libère par opposition à ce qui capture : le semblant de la sophistique) et est indifférents aux vérités abstraites. Les vérités abstraites issues de toutes les pensées par genre peuvent rendre tristes simplement parce qu'elles détourne de ce qui pour notre époque a de l'importance.

Bref s'il faut penser le genre c'est concrètement et non abstraitement, le genre concret ayant disparu sauf dans les cociété abusivement qualifiées de primitives (Ivan Illich pensait là aux pêcheurs de Porto Rico qui savaient être taxis à New York et pêcheurs une fois rentrés dans leur pays), le genre abstrait. Il y aura certainement des sociétés post-capitalistes qui ne fonctionneront ni sur le genre ni sur le sexe mais sur les énergies ou les forces.

 


 

 

 

Pour continuer sur les sociétés fonctionnant sur le genre qui existent encore de nos jour, un récent documentaire d'arte sur des femmes qui devenaient hommes en Albanie (A) ou les rae rae et les mahus tels qu'ils existent en Polynéise française (Tahiti) (B). Sur la confusion des sexes et non des genres.

ARTE F © Renaat Lambeets

(A) Résumé du docmentaire d'Agnès Bert : Tu sera un homme mon fils, 2004 : "Dans un jardin verdoyant aux herbes folles, un vieil homme sec attrape une poule et lui tranche le cou. Mais Haki n'aime pas plumer la volaille : "Je n'ai jamais fait aucun travail de femme avant 40 ans. Maintenant je suis seule, il faut que je m'y mette." Sa silhouette longiligne, son éternelle cigarette et sa veste d'homme élimée sont trompeuses : Haki est une femme. Dans les villages du nord-est de l'Albanie, autour de Bajram Curri, elles sont quelques-unes, comme elle, à vivre la vie d'un homme. La tradition les y autorise - ou plus précisément le kanun, loi archaïque qui régit les relations sociales depuis des siècles. Dans les familles qui ont perdu un père ou un fils, une fille peut remplir le rôle de chef de famille. Et les jeunes filles qui refusent de se soumettre à leur dure condition de femme peuvent également adopter ce statut d'homme. À une condition : jurer solennellement de rester vierges. Haki, Sokol, Shkurtan et Samie ont fait ce choix. Par goût, pour aider leurs familles, par soif de liberté - souvent un subtil mélange des trois. Elles ont renoncé au mariage, à la maternité, à l'amour. En échange, elles ont gagné le droit d'aller où bon leur semble, de faire un métier qui leur plaît, de ne pas être soumises à un mari ou un frère. À force d'obstination et de travail, elles ont gagné le respect de tous"

(B) Les Rae Rae sont des hommes-femmes. En Polynésie, l’homosexualité est traditionnellement beaucoup mieux acceptée qu’en métropole. Même si, de plus en plus imprégnés par la vision occidentale, les jeunes Polynésiens sont moins tolérants envers les Rae Rae. Ces derniers vivent une vie pas toujours rose, où la drogue et la déprime mènent certains au suicide. Les Rae Rae sont apparus avec l’arrivée du CEP (Centre d’expérimentation du Pacifique) et tous les militaires venus en Polynésie pour les essais nucléaires. Alors que peu de femmes étaient “ disponibles ”, ces hommes se sont rendu compte qu’ils pouvaient gagner de l’argent en se prostituant pour ce contingent militaire. En fait, les Rae Rae, souvent travestis et prostitués, sont les successeurs des mahu. L’on confiait autrefois aux mahu, souvent l’aîné d’une famille, des tâches de femme, c’est-à-dire les tâches domestiques. On dit que c’était une manière de préserver des hommes de la guerre dans une société très sanglante où les rivalités entre grandes familles étaient nombreuses. Beaucoup de livres ont été écrits là-dessus et le grand écrivain Vénézuélien Mario Vargas Llosa s’est lui-même intéressé au sujet lors de son passage à Tahiti. Il a notamment écrit un grand article sur les Rae Rae dans El Pais (le grand quotidien espagnol) en mars dernier.

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