HOBBES / Le droit naturel ou la puissance d'agir.
Cet article traite de la différence entre puissance et raison. Il se situe dans la continuité des textes que nous avons mis sur LA CAPACITE ET LA RESIGNATION. Ce texte traite au fond de l'accaparation d'une capacité d'énergie (le droit naturel ou la puissance d'agir) par un absolu. Il y a quelque chose qui grince. Il y a un passage comique que nous avons laissé dans ce texte, quand l'absolu se révèle ne pas être total. Là tout s'effondre et c'est là que se faufilera Spinoza.
Hobbes serait pour Léo Strauss le fondateur de la philosophie politique moderne dont on peut dire qu’après Hannah Arendt et Carl Schmidt, elle a été remise en cause par
Foucault, Deleuze et Badiou : il y a toujours plus de possibilités politiques qu’on ne nous le laisse
entendre. Comprenez, il y a d’autre possibilités beaucoup plus immédiates que la politique représentative par laquelle le peuple délègue sa souveraineté. Hobbes est un penseur de la souveraineté
absolu, mais il introduit une nouvelle forme de droit naturel. La définition qu’en donne Hobbes n’a rien à voir le droit naturel des Anciens comme ordre rationnel du monde. Pour Hobbes,
le droit naturel est synonyme de puissance d’agir ou de capacité d’action. Pour l’individu, le droit naturel est avant tout celui de faire usage de sa puissance comme bon lui semble, en vue de la seule fin
que la nature lui assigne : se conserver.
Dans la tradition antique le droit naturel se définit comme ce qui est conforme au juste, avec Hobbes, il est assimilé au seul instinct de conservation. Ce que Hobbes nomme peur de la mort devient principe fondamental de la politique moderne. Cette politique «
moderne » repose sur la souveraineté propre aux sociétés disciplinaires, la souveraineté est l’instance toute puissante à qui est concédé le droit naturel. C’est elle qui possède droit de vie ou
de mort. L’ordre politique n’a de légitimité pour autant qu’elle prémunit l’individu contre la menace de sa disparition. Hobbes ne pouvait ignorer qu’il rompait avec la tradition socratique
exprimée entre autres textes, dans le Gorgias, où Platon fait dire à Socrate que, pour craindre la mort, il faut être tout à fait insensé ou tout à fait lâche. Le choix de Socrate qui se laisse
condamner et infliger le châtiment suprême est à l’opposé du nouveau principe, qui au fond est propre aux sociétés disciplinaires (sur le modèle de la prison, de l’armée, de l’école).
Ce n’est pas un hasard si Hobbes distingue la loi naturelle du droit naturel. Par le recensement autour de l’instinct de conservation de l’individu, Hobbes, avec son droit naturel, ne conçoit
aucune existence sociale. L’homme n’est plus comme pour les Grecs, un « animal politique », la cité ne relève plus de la nature, elle ne peut être conçu comme étant logiquement antérieure à
l’individu, ainsi que le disait aristote. Elle devra être désormais déduite du droit naturel, c’est-à-dire légitimée dans son existence à posteriori. C’est pourquoi Hobbes distingue soigneusement la loi naturelle du droit naturel. La loi naturelle contraint l’homme à faire usage des moyens les plus appropriés
pour sa conservation. Ce calcul des moyens implique l’usage de sa raison. La loi naturelle est donc rationnelle, mais sont statut n’est pas celui d’un principe ou d’un critère mais bien celui
d’un moyen. Avec Hobbes, la raison politique se fait instrumentale, elle vise non plus à la vérité, mais à l’efficacité, à la performativité.Si l’état social est plus légitime que l’état de
nature, ce n’est pas parce qu’il serait plus juste mais parce qu’il est plus utile.
En efet, si l’homme vit en société c’est parce que la loi naturelle (le calcul intéressé) montre que le droit naturel la puissance) est incapable d’assurer l’effacement de la conservation. Cette
société humaine (on disait au XXe siècle) organique faite de liens sociaux est précisément celle qui subit une crise de culture, une déliaison comme les appelait Hannah Arendt avec un certain
désemparement. A l’état dit « de nature », chacun use de sa puissance, mais nul ne peut être certain de se maintenir en vie. La puissance est par nature dépourvue de toute garantie, elle ne cesse
de fluctuer. C’est parce que cette fluctuation mettrait en danger l’individu incapable d’assumer le tragique de l’existence que l’homme en vient à abandonner l’état dit « de nature » et met en
place un pacte social.
Hobbes comprend le pacte social des sociétés hiérarchisées, comme le renoncement mutuel, par leur individus, à l’exercice de leur droit naturel (puissance) et son transfert à une
instance extérieure, désormais souveraine. On appelle cela en langage freudien la castration, en langage kantien l’hétéronomie. Cette instance supérieure peut-être indifféremment un individu, une assemblée ou la
communauté en son entier. Cette instance, pour sa par, ne contracte pas, elle reçoit les transferts de puisssance sans participer à leur échange. Dépositaire non liée par un contrat, elle est
donc puissance légitime et absolue. « Léviathan » moderne, elle concentre un maximu de puissance au service de tous. Hobbes trouve ainsi la solution au problème
de sécurité, désormais assurée par le souverain.
Le pouvoir ainsi conçu est absolu au sens où il ne rencontre aucune limite hormis celle de sa puissance. Remarquons bien dès à présent que le pouvoir nest pas la puissance. Selon Hobbes
le pouoir n’est pas arbitraire, puisqu’il s’exprime au travers de lois : le rôle du souverain étant de dire le droit. La loi assure doublement la sécurité : d’une part elle énonce les limites de
l’action individuelle en posant des interdits, d’autre part elle rend possible cette action en lui assignant un territoire où elle peut s’exercer sans risque. La loi est un pouvoir absolu mais non total. Elle pose les limite infranchissables pour mieux assurer à l’intérieur de celle-ci les limites d’agir
de chacun.
La politique de Hobbes a pour originalité de déplacer le critère de référence de l’action. Alors que la ensée antique se réfère à l'idée d'une vérité décelable par la réflexion et ce conçoit donc comme un savoir, celle de Hobbes se réfère à celle d'une efficacité, et se comprend comme un vouloir. La cité n'est plus l'image approchée d'un idéal (c'était la vision des textes non le vécu des citoyens), mais seulement l'expression d'une volonté commune clairement exprimée.
Nous verrons demain en quoi Spinoza apporte un contrepoint à cela.
Pour faire un parallèle avec la pensée contemporaine, nous parlions plus du renoncement au travers d’une pacte social implicite au droit naturel ou puissance de chacun. Ceci est à l’origine de la castration et de la névrose inhérente aux sociétés de souveraineté ou disciplinaires comme les appelait Foucault. Ce renoncement n’est pas tout à fait une résignation, mais celle-ci par contre est entretenu par la tristesse que l’Etat et l’Eglise les deux formes de hiérarchies disciplinaires ont intérêt a produire pour asseoir leur pouvoir. on retrouve cette distinction entre renoncement et résignation par exemple chez Badiou quand il parle de renoncer à l’impossible (comprenez dans son optique à la révolution) et faire confiance à sa capacité subjective (comprenez l’action restreinte d’une organisation), c’est-à-dire ne pas se résigner. Le débat entre puissance et raison qui objective exista durant les Lumières entre le rationalisme révolutionnaire de Jacobi et la moralité défendue par mendelsohm. Après la mot de Mendelsohm, Kant repris le point de vue de celui-ci dans le débat.