NOTION / Définition de l'intelligence
On m'a reproché parfois de ne jamais parler d' « intelligence ». La première raison en est que ce mot sert à expliquer et à valider l’innéité de toutes les hiérarchies sociales. Cela m’énerve, sans doute par manque d’intelligence. La seconde raison est que je ne connais pas d’aire cérébrale où cette fonction se situerait. Cependant, si l’on accepte la définition étymologique du latin inter-legere (« lier entre eux », en quelque sorte), les systèmes associatifs pourraient jouer ce rôle de connaissance entre des voies nerveuses, des neurones codés par les traces mémorisés. L’intelligence dans ce cas serait l’équivalent de ce que je définis comme l’ « imaginaire ». L’intelligence serait liée à la mémoire et à sa richesse sans y rester enfermée. Ces même en fonction des possibilités qu’il aurait de ne pas obéir à des automatismes, et d’utiliser ses apprentissages dans une activité créatrice de nouvelles structures, qu’un individu pourrait être déclaré « intelligent ». Malheureusement j’ia l’impression qu’en général l’adjectif « intelligent » est surtout utilisé pour honorer une activité de mémoire et la facilité d’établissement d’automatismes culturels. Le plus souvent est déclaré intelligent celui qui réussit socialement, c’est-à-dire le plus conforme, le moins imaginatif.
Est-ce que les génies sont obligatoirement intelligents je n’en suis pas sûr. … Quel était le QI de Schumann, de Van Gogh ? L’intelligence me paraît n’être qu’un mot et les tests qui ont la prétention d’en résumer le contenu sémantique ne me semble qu’explorer des activités cérébrales utiles à la reconduction d’une société d’un certain type, à une certaine époque à laquelle ceux qui les ont élaborés étaient soumis.
Henri Laborit, L’esprit du Grenier, pp. 84-85.