EDITO de juin 2008 / Aurore et crépuscule : ni clameur ni stupeur
Il faut savoir éviter aujourd’hui les écueils métaphysiques des pensées de la stupeur de l’être (toute la philosophie du jugement, Sartre, Althusser, Badiou, Rancière qui n’en est pas loin, tous ces idéalistes matérialistes) et de la clameur de l’être (Simondon, Deleuze sans Guattari, Gilles Châtelet, François Zourabichvili, Yvan Lapeyrou). Le non-être du négatif d’une part et le non-être du problématique d’autre part. Pour les premiers la vie est négative, condamnable comme une pourrissement, pour les seconds la vie, sa plus infime manifestation, est problématique, comme un poussement infime qu’il faut accompagner, cela ne peut faire que penser à Socrate, qui le jour de son suicide devait un coq au dieu de la médecine Asclépios : à lui déjà la vie apparaissait comme un problème.
Ces derniers, Deleuze et ses disciples, pour qui la vie est problématique, n’ont pas hésité, dès qu’il posait le virtuel
comme un « en-soi » et que leur vie actuelle était trop douloureuse n ‘ont pas hésités à rejoindre ce « virtuel en soi et plein de promesses » par le geste du suicide.
C’est qu’à force d’être un grand voyant et de voir la vie partout même dans ses formes les plus minables, le plus décatis, on a plus la force d’agir. L’envie de rejoindre le virtuel, ce Dedans,
cette mémoire absolue est trop forte. Mais il est sûr que quelque chose d’une tonalité affective que l’on nomme événement, communique avec les stoïciens. C’est dans ses plus grandes crises
pulmonaires que Deleuze se mettait à parler de stoïciens, de grâce de l’événement, de clameur de l’être, de virtuel, de leur manière d’envisager la mort — plutôt que de rejoindre la santé par
l’effort. C’est que la vie était condamnée, non par un jugement, mais petit à petit, la vie comme étouffement, épuisement. Le recours à la création était salutaire dans ces moments-là, mais
combien d’esprit de vengeance avons-nous avalé sous la forme de l’être ou de l’événement : « Dans tous mes livres j’ai cherché la nature de l’événement, c’est un concept philosophique,
le seul capable de destituer le verbe être et l’attribut » (DzP_194). Il suffisait de poser le mouvement comme un état et non un processus, plutôt que de faire du style « le mouvement
du concept », encore teinté de procès et d’avocat (intercesseurs) dédiés à la vie. Fuir la justice, combattre son arraisonnement. On est loin de cette vie qui va plus vite que la pensée dans
Mille-Plateaux, écrit par nos Zarathoustra français.
C’est cela qui arrive par moments, un éloge de la vie impuissante et le plus machinalement du monde c’est là que rebondissent les philosophes de la stupeur de l’être, du crépuscule de la vie plutôt que d’y être indifférent : la vie doit alors se faire digne ou elle n'est que survie. Monter le vide en épingle, faire du bruit de rien, tout faire pour que la crise advienne et qu’un nouvel ordre apparaisse. C’est qu’il faut accuser la vie comme variation de haut et de bas, la condamner comme un survie, prétendre mener une vie digne et bonne, au sein de l’institution. Faire oublier que l’on serait de grands malades hors de l’institution. La vie bonne du sujet au sein de l’institution contre l’inépuisable production des choses singulières. La subjectivité contre la singularité. Les penseurs d’institution ont tôt de qualifiés les vie des penseurs dits « privés » d’égoïste et de douteuse (Héraclite, Empédocle, Anaxagore, Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche…) et de montrer la voie de l’audace et de se présenter comme un modèle. : « je me sens dans cette institution comme dans ma demeure » (Badiou, 11/06/08). Cet immensément indispensable Badiou, qui sous une pensée « crépusculaire » comme ul dit, transforme ce qu’il touche en pourriture, notre époque ou plutôt la précédente en fait les frais. Vivre sa vie comme un œuvre d’art qui est déjà dans un musée depuis l’enfance telle est la stupeur de l’être de tous nos « philosophes » normaliens.
On a très vite oublié que c’est l’institution qui fait l’homme bon, l’homme aux affects et aux passions plus qu’apprivoisées par la raison. Qu’en est-il des affects, ce Thymos chez Platon, cette « tierce part de l’âme » que nos platoniciens ont tôt fait de balayer d’un geste de revers, alors que l’affect premier pour eux est la stupeur ? Dans le détachement de la vie que génère l'étonnement, la stupeur face au monde, efface-t-elle à ce point tous les autres ?