JEAN-CLAUDE MILNER / Sur l'Europe
" Oui, il y en a qui vont plus loin et se mettent à idolâtrer l’Europe comme seule et unique base du lien social, tout le reste devant à leurs yeux disparaître. Autrement dit, par un discours inversé, on nomme l’ennemi : la nation devient le particularisme, l’égoïsme, ce qui ne fait pas lien. La logique voudrait que ces Européens-là soient comme Richelieu, c’est-à-dire destructeurs. Il faut abattre les châteaux forts les uns après les autres et abaisser définitivement l’orgueil des grands. C’est ce qu’on peut déchiffrer, me semble-t-il, dans le discours du président de la Bundesbank qui voit dans Chirac un grand féodal à abattre. La position de la plupart des politiciens français est absolument inconsistante puisqu’ils tiennent un discours fluctuant suivant les besoins de la cause. Il y a une solution machiavélique – je pense à celle d’Édith Cresson – qui consiste à dire qu’il faut abattre tous les châteaux forts, sauf le château fort français. De même que la langue particulière de l’Ile-de-France est devenue la langue de la monarchie, de même les grands corps de l’État français ont vocation à fournir les rouages fondamentaux de l’administration européenne. Je ne suis pas du tout sûr que ce soit possible matériellement. Et d’ailleurs, les Anglais et les Allemands pensent la même chose mais pour leur propre compte. En réalité, le mot Europe est devenu un maître-mot qui permet de mettre fin à la discussion même si les points de vue sont à l’origine complètement contradictoires. On l’utilise soit pour faire peur soit pour séduire. "