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HAPTOLOGIE / La séduction narcissique comme piège de l'idéalisation qui n'est pas la séduction amoureuse

séduction narcissique

séduction narcissique

La séduction narcissique comme piège de l’idéalisation

La séduction narcissique est une idéalisation où l’on place l’autre sur un piédestal, comme s’il était parfait, sans failles ni défauts, notamment dans la relation parent-enfant. La séduction narcissique appartient aux toutes premières étapes du développement : le père ou la mère adopte à l’égard de l’enfant une attitude bienveillante et de reconnaissance positive ; il/elle peut s’émerveiller de son enfant, en reconnaître les qualités. Dans cette admiration réciproque, l’enfant développe l’estime et la confiance en soi, et ce regard admiratif l’aide à s’exprimer, à dire ce qu’il ressent et ce dont il a besoin. C’est une phase nécessaire à la formation d’une identité solide : ainsi l’enfant acquiert la capacité de se faire confiance, de s’estimer et d’explorer le monde.

Cependant, si cette séduction narcissique se prolonge et que les parents ne permettent pas à l’enfant d’être différent et autonome, cela devient nuisible à son développement. Dans ce cas, le père/la mère n’autorise pas l’enfant à dire « non », à ressentir et à penser autrement ; il/elle impose une pensée unique, contraint l’enfant à être « idéal », à satisfaire les désirs narcissiques parentaux. Quand on installe l’enfant sur un piédestal, on l’utilise comme moyen d’auto-valorisation et on ne le reconnaît pas pour ce qu’il est. S’il se rebelle, il risque d’être rejeté. Ou bien, pour s’adapter, il choisit un « faux-self » — une identité inauthentique, voulue par ses parents. Par exemple, il accepte d’être l’enfant « idéal » qui obtient les meilleures notes et choisit la profession que voudraient les parents. L’enfant doit renoncer à lui-même, à ses émotions et à ses propres besoins. Enfant « parfait » ou « vitrine », il risque, une fois adulte, de reproduire ces mêmes rapports de domination avec son partenaire ou ses propres enfants — en tant que victime de cette domination ou en tant que bourreau. Dans les deux cas, on est loin de ce que certains appellent une relation réelle : une relation de confiance, d’attachement sécure, d’amour où l’on respecte l’altérité, une relation d’harmonie (de puissance équilibrée) et d’épanouissement. Cela favorise donc un trouble de l’attachement de type évitant, sans l’expérience de ce que d’aucuns nomment l’authenticité et la vérité de la relation.

Comment cela se manifeste-t-il dans la relation de couple ?

Dans la relation de couple, la séduction narcissique est particulièrement présente au début et, très probablement, dans les relations d’emprise. La personne qui recourt à la séduction narcissique place son partenaire sur un piédestal afin de l’idéaliser. Il y a là une intentionnalité (intériorisation consciente) : attirer l’autre dans ses filets. Contrairement à une relation saine, où l’inévitable idéalisation initiale fait écho à la phase infantile de fusion avec la mère, sans intention de dominer et pouvant évoluer vers autre chose, dans l’intention d’assujettir l’autre, la personne se présente comme l’homme ou la femme « parfait(e) », exhibant des attributs de pouvoir : argent, beauté, signes de prestige, statut social, relations, rhétorique persuasive. Tout cela est mis en avant pour intimider et créer un état de sidération — un nuage de signaux trompeurs. La rapidité d’une telle séduction narcissique empêche l’esprit critique et l’analyse, favorisant un effet hypnotique et l’instauration de l’emprise.

Une personne au narcissisme séducteur peut adopter les rôles de « sauveur » ou de « victime » pour soumettre l’autre. En « sauveur », elle propose aide, conseils, protection psychologique, matérielle ou financière. En « victime », elle se plaint, feint la souffrance pour ferrer quelqu’un de plus altruiste et empathique ; face à la vraie victime, en détresse et en attente de secours, elle endosse le rôle de sauveur. C’est la séduction narcissique dont se sert le manipulateur dominateur pour « accrocher sa proie » et l’entraîner dans une relation de dépendance. Le manipulateur idéalise sa proie en lui imposant un « contrat » implicite avantageux — le sacrifice de soi. Il accapare toute l’attention ; affiche une posture de « protection » ; prodigue des conseils à foison ; occupe l’espace et le temps de la victime par une présence constante — verbale ou physique ; flatte, afin que l’autre abaisse ses défenses et finisse par laisser exploiter ses ressources.

La séduction narcissique n’est pas une séduction amoureuse.

Il ne s’agit pas de séduction amoureuse, car, dans une relation amoureuse, l’idéalisation initiale cède la place à la découverte de l’autre dans sa différence, à la reconnaissance de ses émotions, de ses besoins et de ses valeurs. Dans de tels liens, on prête une attention véritable à l’autre, tel qu’il est, avec ses qualités et ses vulnérabilités (ou, comme on dit, ses défauts). Ce n’est pas un amour conditionnel — ni nécessairement « inconditionnel » — mais un amour qui se développe dans le respect. Les conflits inévitables peuvent se résoudre par l’écoute des émotions et des besoins de chacun. À l’inverse, la séduction narcissique et l’idéalisation dans la relation d’emprise plongent la victime dans une expérience d’enfermement — une prison mentale où elle est dominée et niée dans sa singularité et son autonomie. Elle n’a aucun droit : elle ne peut pas dire « non », ne peut pas être différente, ne peut pas avoir sa propre identité, car le narcissique pathologique impose sa domination par la violence psychologique et verbale. S’il n’y a pas de violence physique ou de violence verbale explicite, cela passe par le ressort psychologique — une attitude froide et indifférente. C’est aussi une forme de violence : le déni de la vie intérieure, des émotions, et une sexualité froide et mécanique où l’autre est utilisé comme un instrument. Il n’y a pas d’amour dans cette relation, mais une volonté d’emprise. L’idéalisation du début est entretenue par un langage de domination confus, des messages paradoxaux et flous. C’est cela qui crée la confusion chez la victime : ce langage paradoxal n’est pas perçu comme un mécanisme de manipulation et engendre le doute de soi. Le gaslighting renforce également cette confusion : par le gaslighting, le manipulateur instille une peur et une dépendance d’ordre narcissique pathologique ; grâce à ces mécanismes et aux violences psychologiques, la victime nie le fait même de l’instauration de l’emprise. L’emprise se maintient dans ce déni. Ainsi la victime se protège de la peur — par exemple la peur/l’angoisse de l’abandon, la peur de la fusion ou de la séparation, la peur de l’impuissance, la peur liée au sentiment d’être nul(le) ou imposteur. Si elle est sans cesse dénigrée ou culpabilisée, elle se protège de la peur par l’idéalisation de l’agresseur. La mémoire retient de façon sélective les premiers moments positifs — et c’est ainsi qu’elle reste prisonnière.

Bref aparté. On dit qu’un mécanisme hormonal est aussi à l’œuvre : vraisemblablement le système dopaminergique — « l’hormone du plaisir » — qui associe le souvenir positif au plaisir et à la satisfaction, et contribue ainsi à maintenir la relation d’emprise entre le narcissique pathologique et sa « proie ». On observe un phénomène analogue dans le syndrome de Stockholm : la peur amène la victime à idéaliser l’agresseur, à le protéger et à l’excuser à son propre détriment.

Quelles solutions pour faire face au mécanisme d’idéalisation ?

Les solutions sont préventives, prophylactiques : repérer les mécanismes de manipulation. Se rappeler encore que la séduction narcissique n’est pas une séduction amoureuse, comme on l’a déjà dit. Lorsque vous rencontrez un prédateur, il est important de voir ces mécanismes dès le début : rôles de « sauveur » et de « victime », flatterie, attention excessive. En faisant connaissance avec un nouveau partenaire, observez s’il est capable de reconnaître la différence, d’entendre l’opinion d’autrui, de reconnaître les émotions de l’autre et ses besoins propres. Et s’il est possible, dans cette relation, de dire « non ». Si ce n’est pas le cas, il est crucial de ne pas aller plus loin, afin de ne pas tomber dans le piège et d’échapper à l’emprise.

Si vous souhaitez mieux comprendre ces mécanismes, faites vos propres recherches. Elles pourront vous donner des ressources pour soit vous libérer de l’emprise, soit éviter à l’avance d’entrer dans de telles relations, grâce à la prise de conscience des mécanismes de manipulation et de la séduction narcissique.

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