La Philosophie à Paris

CONJECTURES / La pensée du Dehors ou le discours de la méthode 2

12 Décembre 2010, 16:38pm

Publié par Anthony Le Cazals

 

 

Eurêka, ça a trouvé !

Ça y est, j’ai le schéma de la pensée non réflexive en tête, de cette pensée métaphysique du dehors, de ce que l’on appelait la pensée « matérielle » chez Anaxagore. A dire matérielle, on poursuit l’aggravation des erreurs idéelles, pourtant elle n’est ni matérielle ni spirituelle cette pensée non-réflexive indifférente aux déconstructions. Elle provient de transformations (non conscientes) qui s’opèrent dans le cerveau. Ce n’est pas loin de la réminiscence des idées chez Platon mais celui-ci : 1°) Spiritualisait la pensée – tout en sachant que le foutu Bien n’est pas une Idée ; 2°) réduisait la pensée à une réflexion sur les genres, une dialectique, un dialogue de l’ « âme » avec l’ « âme ».

Leibniz avait souligné en son temps la part non-consciente de la pensée. Schopenhauer avait surenchéri en disant qu’une majeure partie de l’acte de penser était non-consciente , ce que reprendra Wagner dans son Beethoven et que lira à son tour Nietzsche.. L’erreur freudienne est d’avoir hypostasié un Inconscient lui qui s’est longtemps refusé de le nommer ainsi jusqu’à ce que vienne le couperet d’une communication lors d’une conférence. J’insiste sur le terme de communication, nous y reviendrons. C’est la même chose chez Platon et chez Freud. Le premier hypostasie un substrat inconscient « esprit » ou « être », ce qui lui permettra ensuite de poser le jeu dialectique et conscient de sa vengeance, de ses longs discours qui aboutiront aux prescriptions criminelles finales. Par opportunisme, et toujours pour démontrer cette manière de penser, j’ajoute cet extrait lu sur les transformations « cet être que Platon a introduit en tiers de tous les couples d’opposés : comme sujet, substrat, support ». Simplement Platon nommait être ce que Freud appelait inconscient. Nommer l’innommable, l’interminable, l’intraitable, tout que l’on traite et traduit interminablement ? Pas exactement, il s’agit davantage de voir le fond d’affectivité propre à toute volonté de puissance. Descartes fera de même basant le rationnalisme sur ce qu'il y a de plus irrationnel, le rêve ***, puisque c'est de là que s'est bâti sa charpente, la vision d'une arbre de la connaissance.

Mais ce sont les Asperger, ces autistes de haut vol qui m’ont fait comprendre que d’une part toute notre mémoire était contenue dans notre cerveau (c’est notre mémoire affective / traumatique / épisodique basée dans notre hippocampe qui la restreint, qui fait de la rétention de mémoire) et que d’autre part la pensée ou le résultat d’un calcul pourraient  provenir d’un flash lumineux ou coloré, une image qui se présente à la « conscience », à l’outil de communication, c’est-à-dire qu’ils proviennent d’ « actes » non-conscients dans le cerveau. J’ajoute a posteriori le nom de ces deux Asperger qui m’ont éclairé sur chacun de ces points Kim Peek (le fameux Rain Man) et Daniel Tammet (l’homme qui est né un jour bleu). Je souligne cela simplement pour expliquer que l’ « acte » de penser est en fait une transformation non-consciente du cerveau qui se double d’un travail conscient cette fois de notation. L’écriture peut l’emporter sur l’inspiration et produire du délayage réflexif.

Pour parler de mon cas « clinique », de mon cas en mouvement, ce fut longtemps comme aujourd’hui, longtemps au petit matin après une nuit de sommeil mais la chose, la mise en branle, la mise en clin * de cette affectivité primordiale pourrait se faire avec une sieste, davantage qu’avec une méditation réflexive.

Le recoupement des souvenirs s’opère, que les connexions (que je qualifierais difficilement de synaptiques) s’opèrent tant elles contrarient la mémoire traumatique ou épisodique et lient des éléments épars de ma mémoire. C’est là la sagacité (la phronesis) ou l’engin (l’ingegno, l’ingénium), on lui a donné parfois en toute signifiance d’autres noms, j’en parlais plus haut. Ce que Bergson pensait en tant qu’image-souvenir ne pouvait être dans le cerveau puisque Esprit-Vérité-Mémoire absolue.

 

Pourtant ce texte parlera à tous ceux qui manipulent le logos endiatitos, cette pensée à la fois personnelle et impersonnelle qui ne professe pas mais part de situations, d’observations, de choses implicitement tues.

C’est bien la preuve que les supposés « plans de conscience » (Bergson-Sri Aurobindo), en fait les différents niveaux d’intensité ou de concentration, « situés » en interaction avec notre mémoire épisodique veut bien nous laisser entrevoir l’ensemble de notre mémoire et ne sont qu’une entrave pour nous attacher à la supposée action morale. L’une des multiples particularités de notre premier Asperger, plus connu sous le nom cinématographique de Rain Man, est de n’avoir pas d’hippocampe c’est-à-dire de « Surmoi » de la mémoire et d’être alors capable de se remémorer dans l’instant même, ou successivement, chacune des pages des 10 000 ouvrages qu’il a lu comme s’il les avait imprimées dans son cortex--- lieu de la mémoire « sménique » ou « imagée ».

Après avoir suggéré que l’orgueil moderne de la conscience est l’amour propre du philosophe réflexif qui le fait s’illusionner en un monde, il faut bien comprendre que les pensées surviennent par sérendipidité, dans un enchaînement non déterminé. Les spiritualistes voudront refourguer là la survenance de l’esprit sans n’avoir rien compris à l’esprit qui n’est plus l’engin mais un outil de domination et non comme ils le pensent un outil d’émancipation « cognitive ». Cet "événement" s’est souvent produit au petit matin, au réveil, il s’est  étalé sur plusieurs années, accompagné d'une baisse de vision de moitié d’un œil. Ce fut comme si les maux de tête et l’incapacité à avoir une vie sociale soutenue (indisposition pour la conversation courante par un mauvais réglage oculaire) avait introduit une transformation, une attention plus à l'impossibilité d'être réactif sur le moment. Ce fut alors l'invention d'une manière biaisée de s'exprimer différente de la mondanité dialectique puisque les recoupements s'opèrent à contre-temps. Plus que d'évènement, je parlerait de transformation endurante, de révolution discrète puisqu'elle n'engage qu'un seul individu, mais en affecte d'autres par lente contagion.

Comme je l’ai déjà dit ce n’est pas de la volonté que proviennent les pensées. HobbesSpinoza, Voltaire, Kant, Schopenhauer, Bergson ont bien perçu l’absence de liberté de la volonté. C’est bien pour cela que Sartre n’a rien produit en philosophie sinon comme comédien et comme satire, car, en cartésien, la liberté était pour lui un travail conscient sur la situation insatisfaisante alors que cette « liberté », cette « libre-pensée » consiste précisément à ne pas avoir honte de ses propres pensées. Elles sont issues par mon biais du recoupement de textes et d’ « expériences » apparemment délirantes pour la raison logique et réflexive qui elle se veut objectivante et dépréciative.

Que l’on parle de pensée rationnelle qu’importe tant d’une part, une fois que la raison comme principe de connaissance ou de raison suffisante et la cause,  principe d’existence et de destruction, sont séparées, la volonté apparaît comme ce qui se délite. Cette séparation entre la raison et la cause c’est Kant qui l’opère et Schopenhauer qui la relèvera sans porter jusqu’à l’extrême conséquence une telle critique. C’est pourquoi Schopenhauer pose encore la volonté comme Une avant de dire qu’elle se nie, ouvrant ainsi la période nihiliste. Nietzsche ira au-delà, la volonté ne se tournant plus vers un prétendu néant de volonté mais vers la puissance, la capacité, l’autonomie qui s’exercent. Les pensées dès lors dans leurs aspects généreux et innocents arrivent telles les événements , à pas de colombe, sans bruit, sans le vacarme bruyant du cogito binaire et de la synthèse dialectique ternaire. Ne pas avoir honte de dire que ce n’est pas la raison qui suscite la pensée mais bien ce qui demeure impensé par la raison, tant elle réfléchit sa propre symbolique et devient ainsi un frein à la pensée. Dès lors ce n’est plus la pensée du commun (koinos) mais celle du sage (sophos), pensée qui vient de l’intime ou qui reprend ce qui émerge en générosité dans l’intime pour s’affirmer petit à petit plutôt que de s’imposer négativement par un forçage, pensée de l’intime (logos endiatitos) plutôt que discours qui professe (logos prophoricos). Telle est la pensée libérée de Dieu dans ses formes transcendantes et immanentes, comprenez par Dieu le substrat spirituel de l’être qui tend à fabriquer en dernier ressort des corps errants dans l’immanence. Ce n’est pas la volonté d’un sujet qui pense mais penser au Dehors se fait en trois étapes : 

  • Transformation ou plasticité cérébrale qui connectent entre eux percepts et affects dans un nouveau frayage (cela peut être du texte ruminé, des images marquantes d’expériences propres ou tierces, bref du vécu non de l’idée). (intensité ou Concentration)

  • Notation ou écriture de ce que Nietzsche nommait le reste de ses plus belles pensées, si fulgurantes qu’une part échappe toujours. Nul n’échappe à cela heureusement et c’est là que se joue la « quête de vérité », la tentative désespérée de vouloir tout rappeler, le vain forçage. (Rigueur)

  • Vient alors le jeu à nouveau joué de ce qui s’est composé dans nos têtes lors d’états de semi-éveil ou de douces déraisons matinales comme à présent. Ce jeu de souvenirs peut se précipiter de manière plus turbulente ou dans l’intensité d’une excitation exquise. Je n’ose dire divine tant elle est parcourue d’enthousiasme (Logique démonique ou Enchaînement)

Fulgurance d’avoir fait tournoyer des éléments auparavant épars et qui s’agencent sous un mode de penser inaperçu --- souvent répétitif et imbitable aux yeux des personnes réfléchies mais passons. A chacun ses recettes, ses automatismes de mise en place du discours. Chez moi, à la manière de Nietsche parlant de son flair ou de son nez, cela excite d’autres parties du cerveau. Chaque fulgurance s’accompagne de turgescences labiales comprenez de picotements aux lèvres qui sont les mêmes que lors d’affects de désir [...]. Cela n’est pas une condition sine qua non de la pensée mais la preuve que le sommeil paradoxal avait joué peu avant, et que donc quelque chose s’était reconfiguré dans le cerveau, car toute activité plutôt que de polluer ou corrompre, reconfigure et fait place. La conscience réflexive moderne a perpétué l’illusion de la liberté de la volonté.

Mais vous remarquerez bien qu’à raison, je ne parle jamais de corps tant je ne comprends pas que l’on sépare l’ « esprit » et le « corps » et que l’on y mette là son mépris pour les douleurs du « corps », mépris qui est un déficit nerveux, une somatisation de l’ « esprit » resservi sous la forme d’un excipient moral et pudibond pour nous faire avaler ce crime de lèse-pensée qu’est l’esprit de vengeance. Est-ce un drame si ceux qui se sont faits passés pour des philosophes jusqu’à présent ou mieux pour des penseurs --- car je tiens davantage ces derniers en respect --- ont été des types décadents ?

 

J’en arrive à mon dernier et quatrième point, omis plus haut, qui dans l’ordre des conséquences est antérieur ou préparatoire même si toute configuration de pensée est bien plus complexe. Et là je dois remercier ce cher Tesla, esprit inventif hors norme : il avait déposé plus de sept cents brevets, il était allé contre le sens commun du courant continu d’Edison et il avait un sens aigu de la Terre puisqu’il disait pouvoir découvrir l’énergie libre que le champ magnétique terrestre fini produisait de manière illimité. Cela allait contre la vision du dernier homme propre aux banquiers qui souhaitaient pouvoir mettre un compteur et reproduire ainsi l’économie de la rareté et de l’épuisement qui permet comme avec l’or ou le pétrole de fixer les prix plus à la hausse qu’à la baisse. Mais passons sur ce cher Tesla, on aura bien d’autres Archimède, d’autres Vinci géniaux. J’aurai pu retenir le démoniaque de Goethe, le mystique de Bergson, le ressenti et expérimenté éternel de Spinoza, le dionysiaque de Nietzsche, le sosie d’Einstein, le double de Foucault ou encore le Dedans qui archive et se laisse affecter par l’activité au Dehors et qui dépose la pensée sur la schize propre à Deleuze et Guattari, mais je ne retiendrai que les remerciements que Tesla fait à son frère d’avoir disparu et de lui avoir ainsi causé un grand traumatisme. Ce traumatisme comme il le dit, dans ses Mémoires, lui a permis d’acquérir une sorte de vision synesthésique un peu comme les Asperger. Il n’avait plus nécessité pour inventer de faire des modèles ou des maquettes tant il avait tout dans sa tête. C’est la preuve que les traumatismes reconfigurent l’hippocampe et donc toute la manière dont se recoupent les images ou les souvenirs. C’est le traumatisme initial, le noochoc dirait Deleuze qui permet une pensée non-réflexive. La « pensée » réflexive feint de s’appuyer sur un étonnement face au monde, une stupeur mais cela tient davantage de la bêtise, d’une crispation face à se qui s’écoule, face à ceux qui, cherchant leur stabilité dans cette écoulement, mentent, bref la pensée réflexive tient d’une rancœur mal digérée à l’endroit d’un narcissisme. Mais ce n’est pas ce qui active cette pensée en premier ressort. Combien de penseurs ou philosophes ont perdu un père jeune, la liste est longue : Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Arendt… Si nous avons séparé, comme Kant et Schopenhauer, la raison de la cause --- laquelle revient toujours à une substance, à un dieu en dernier ressort --- les fulgurances peuvent advenir, le cerveau a été reconfiguré par des dites « intuitions ». Telles des pensées encore informulées, ces « intuitions » indiquent d’aller plus loin que la pensée dite « logique », mais avant tout réflexive qui cherche à vous persuader que c'est par arguments que l’on pense. C’est par arguments que l’on se justifie, que l’on attaque, dissuade, renverse alors même que ces « intuitions » obéissent à leur propre logique d’entrain et d’envie. Mais nous n’en sommes pas à cette joute ou cette agonistique.

 

J’ai omis une partie du troisième point, ce qui le confirme par ailleurs : comment palier aux insuffisances de la mémoire courte qui nous destine moralement à l’action. L’image de la mémoire compte dans la retranscription des fulgurances ou pensées par la prétendue conscience qui était notre second point et qui ne fonctionne que sur le mode de la communication, communication bien souvent sans intérêt apparent mais surtout sans importance. Au passage, vous aurez remarqué que j’ai évacué la notion toute imprégnée de moralité grégaire qu’est la vérité formulante **, pour ne retenir que les deux précédentes. La conscience ne sert qu’à raisonner l’audace, à lui trouver les termes de l’époque ou de la langue, pour pouvoir être communiquée ou archivée. Ainsi, pour aider cette mémoire courte qui nous sert à tous au quotidien, j’utilise l’informatique comme archivage extérieur. Ceci permet des recoupements dans l’archivage beaucoup plus aisé ainsi que des recompositions dans l’exposition du discours beaucoup plus aisées que les bandelettes à la Proust ou Céline. Ç a pince moins les méninges. Ceci déleste d’une part du travail de « composition » et permet de donner les fulgurances au plus près de la « concentration » de l’intensité qui les a permises. Sans l’informatique, poser mes pensées aurait été presqu’impossible ou ce serait fait dans un autre style. Sans l’informatique, cela aurait relevé du dépli insurmontable tant les forces dissuasives et réflexives sont prégnantes et s’interposent. La culture de basse intensité du « sujet » ne permet pas par ses binarités redondantes de comprendre « la complexité du monde », bref ce qui vous arrive avec d’autant plus d’imprévu et d’inattendu que vous prenez des risques.

 

/J'ai écourté la fin qui poursuivait en remerciemets/

 

* /le clin est le mouvmeent par exemeple dans le français de montaigne, on pensera au clinamen d'Epicure ou encore à ce qui constitue l'arrêt progressif, le déclin/

 

 

** /citation Montaigne/

 

 

*** /la nuit des 3 rêves de Descartes/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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