La Philosophie à Paris

DISCOURS SUR LA METHODE 3 / La sagacité et le recoupement

25 Novembre 2013, 10:00am

Publié par Anthony Le Cazals

La sagacité est la qualité intellectuelle de pénétration et compréhension des consturctions les plus difficiles et les moins évidentes. "Le plus difficile est toujours de découvrir des connexions fondamentales, en bref le plan de l'édifice." Nietzsche, Correspondance I p. 500. La sagacité opère par recoupement, c'est-à-dire, par la relève (mise en lumière) de points commun des des domaines parfois éloignés.

 

Quelques citations

... d'Aristote

Aristote traite de la sagacité sur le plan logique dans ses Seconds Analytiques et sur le plan éthique dans son Éthique à Nicomaque.

  1. (Chez Aristote, en logique) Rapidité d'esprit, abduction
    • La sagacité n'est pas autre chose que la découverte exacte et rapide du terme moyen.
      Ce qu'on nomme sagacité n'est que la découverte exacte du terme moyen dans un temps très rapide.
      Par exemple, c'est, en voyant que la lune a toujours sa partie brillante tournée vers le soleil, de comprendre sur-le-champ que la cause de ce phénomène, c'est que la lune tire sa lumière du soleil; c'est, en voyant quelqu'un parler à un homme riche, de deviner sur-le-champ qu'il lui emprunte; c'est encore de deviner que ce qui rend deux personnes amies, c'est qu'elles ont un ennemi commun. En effet, il a suffi dans tous ces cas de connaître les extrêmes, pour connaître aussi les termes moyens qui sont les causes.
      Supposons représentée par A cette proposition : La partie brillante de la lune est tournée vers le soleil ; tirer sa lumière du soleil représenté par B; la lune par C. A la lune C est B, tirer sa lumière du soleil. Mais A, c'est-à-dire que la partie brillante est tournée vers ce qui la fait briller, est à B; on en conclut que A est à C par B.
      (Les Seconds Analytiques, Livre I, chapitre 34.)
  2. (Chez Aristote, en morale, suite au choix de certains traducteurs de traduire φρόνησις (phronesis) par sagacité). Sagesse pratique
    • Par conséquent, tout comme il y a deux formes de disposition pour la partie calculatrice de l’âme, l’habileté et la sagacité, il y a en a deux aussi pour la partie morale : la vertu naturelle et la vertu au sens fort. Et parmi elles, la vertu au sens fort ne peut naître sans sagacité.
      C’est précisément pourquoi certains prétendent que toutes les vertus sont des formes de sagacité. Et Socrate, en un certain sens, menait correctement ses enquêtes, mais en un autre sens il était dans l’erreur, car en croyant que toutes les vertus sont des formes de sagacité, il commettait une erreur, mais en disant qu’elles ne vont pas sans sagacité, il avait bien raison. Et ce qui l’indique, c’est qu’aujourd’hui, chaque fois qu’il s’agit de définir la vertu, tout le monde précise la disposition qu’elle est et son objet en ajoutant que cette disposition est conforme à la droite règle (orthos logos), et la droit règle est celle qui exprime la sagacité. Il semble donc que tout le monde devine d’une certaine façon que le genre de disposition en quoi consiste la vertu est celui qui traduit la sagacité.
      Mais il nous faut aller un peu plus loin : ce n’est pas seulement la disposition conforme à la droite règle qui est vertu, il faut encore que la disposition soit intimement unie (sunezuktai) à la droite règle : or, dans ce domaine, la sagacité est une droite règle.Ainsi donc Socrate croyait que les vertus sont des règles (puisqu’elles sont toutes selon lui des formes de science), alors que, de notre côté, nous pensons qu’elles sont intimement unies à une règle.
      De ce que l’on vient de dire, il résulte donc clairement qu’on ne peut être bon, au sens fort, sans sagacité, ni non plus être sagace sans la vertu morale.

      (...)
      Il est donc clair que, même si la sagacité n’était pas exécutive, on aurait besoin d’elle, parce qu’elle est la vertu de cette partie de l’intellect à laquelle elle appartient ; et aussi que la décision ne peut être correcte sans sagacité, pas plus que sans vertu morale, car la vertu est ordonnée à la fin, et la sagacité nous fait exécuter les actions conduisant à cette fin » (Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, chap.13, 1144 a et b, éd. GF, , pp. 339/342.)


... de Netzsche

"Sur ce terrain, je n'ai pas manqué de chance et je finis même par croire que pour faire avancer des travaux de ce genre une certaine astuce [le fameux Witz] philologique, une comparaison par bonds successifs entre des réalités secrètement analogues et l'aptitude à poser des questions paradoxales sont bien plus utiles que la rigueur de l'esprit laquelle ne s'impose partout que là o le travail est pour l'essentiel achevé. Nietzsche, Correspondance I p. 630.

"Mais de toutes les suites fâcheuses qu'entraîne notre récente guerre contre la France, la plus fâcheuse est peut-être une erreur largement répandue, sinon générale : l'erreur qui fait croire à l'opinion publique et à tous les opineurs publics que la culture [Kultur] allemande aurait aussi sa part à cette victoire, et devrait par conséquent être couronné comme il sied après des événenements et des syccès aussi extra-ordinaires. Cette illusion est extrêmement"

"La marque d'un haut degré de culture [Kultur traduit par civilisation] est d'estimer les vérités discrètes découvertes par une méthode rigoureuse, plus haut que les erreurs éblouissantes, dispensatrices de bonheur,  qui nous viennent des siècles et des hommes d'esprit métaphysique et artiste. Contre les premières, on commence par avoir l'injure aux lèvres, comme s'il ne pouvait être question ici de la moindre égalité de droits : autant celles-ci sont modestes, simples, froides, voire décourageante en apparence, autant les autre ont de la beauté à offrir,  d'éclat, d'ivresse, peut-être même de félicité. Il n'empêche que ces acquisitions ardues, certaines, durables, et par là même grosses de conséquences, pour toute la connaissance ultérieure, sont d'un niveau supérieur et s'y tenir dénote l'audace, la droiture, la réserve." OPC III 1, p. 33.

 

... de Bergson

"La vérité est qu'il faut procéder par tâtonnement et recoupement, suivre à la fois plusieurs méthodes différentes dont chacune ne mènerait qu'à des possibilités ou des probabilités : interférant entre eux, les résultats se neutraliseront ou se renforceront mutuellement ; il y aura vérification et correction réciproques." Les deux sources de la morale et de la religion, p.148

"Nous estimons que cette méthode de recoupement est la seule qui puisse faire avancer définitivement la métaphysique. Par elle s'établira une collaboration entre philosophes ; la métaphysique, comme la science, progressera par accumulation graduelle de résultats acquis, au lieu, d'être un système complet, à prendre ou à laisser, toujours contesté, toujours à recommencer." Les deux sources de la morale et de la religion, p. 130

 

Rapprochements possibles

On la retrouve dans l'abduction de Pierce. La sagacité est à la base de la sérendipidité : « l'aptitude à sentir et à flairer, aptitude dont on a besoin quand on découvre par accident des choses qui n'ont pas été cherchées ». découvrir par accident des choses qui n'ont pas été cherchées, c'est la définition de la sérendipidité.

 

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