Rabelais
François Rabelais
écrivain satyrique et médecin, 1483-1553
Ecrivain français dont l'œuvre, d'une extraordinaire vitalité linguistique et intellectuelle, offre un système de références unique dans la littérature, mêlant fiction et réalité dans des dimensions temporelles et spatiales hors de toute norme.
Jeunesse et formation
Fils d'un riche avocat, le baron de Lerné, il naquit à Chinon, en Touraine. Un goût immodéré pour l'étude le conduisit à faire son noviciat chez les Franciscains en 1510. Durant ses années de claustration, il fit la connaissance de Pierre Amy et d'André Tiraqueau, qui l'initièrent à l'hellénisme, correspondit avec l'humaniste Guillaume Budé et entreprit une traduction d'Hérodote. En 1523, conformément aux directives de la Sorbonne qui interdisaient la lecture des livres grecs, il se vit retirer les moyens d'études qu'il n'avait pu se procurer qu'avec peine. Pour se soustraire aux rigueurs de la règle, il rejoignit l'ordre des Bénédictins en 1524. Poursuivant ses lectures, il se lança dans l'étude du droit, qu'il abandonna cependant assez vite pour s'inscrire en médecine à l'université de Montpellier. Il quitta alors l'habit monastique, eut deux enfants puis entra comme médecin à l'hôtel-Dieu de Lyon en 1532.
La même année, il traduisit en latin des textes d'Hippocrate et de Galien, publia un ouvrage consacré au droit romain, et, surtout, fit paraître les Horribles et Espouvantables Faicts et Prouesses du très renommé Pantagruel, roy des Dipsodes, fils du grant Gargantua, chronique joyeuse et truculente de la vie d'un géant insatiable, qu'il signa d'une anagramme de son nom et de son prénom : Alcofribas Nasier. Le succès de cet ouvrage n'empêcha pas sa condamnation par la Sorbonne. Pour échapper aux conséquences de cette censure, il se mit sous la protection de son ancien évêque, Geoffroy d'Estissac (1533), puis récidiva l'année suivante en publiant la Vie très horrifique du grant Gargantua, père de Pantagruel, sous le même pseudonyme, qui fut lui aussi condamné. Il quitta alors la France et accompagna en Italie le cardinal Jean du Bellay, en qualité de médecin particulier. De retour à Lyon, il fit paraître la Topographie de l'ancienne Rome, de Marliani, témoignage de son insatiable curiosité, puis le Tiers Livre (dont le tire complet est le Tiers Livre des faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel), qui, après avoir reçu l'approbation de François Ier, fut publié en 1546. Trois ans plus tard parurent les onze premiers chapitres du Quart Livre, dont la fin ne fut portée à la connaissance du public qu'en 1552, soit un an avant la mort de Rabelais. Enfin, en 1562, parurent, sous le titre de l'Isle sonnante, une partie du Cinquième Livre de Pantagruel, dont l'ensemble fut publié en 1564. Cette tardive conclusion de la geste de Pantagruel n'est probablement pas de la main de Rabelais.
Analyse de l'oeuvre
Inspiré des romans de chevalerie, tels les Amadis de Gaule, très à la mode à l'époque, Pantagruel présente successivement les «!enfances!», puis les extraordinaires «!prouesses!» du héros. L'idée de mettre en scène un personnage de géant, plongeant d'emblée le lecteur dans l'imaginaire, semble provenir, quant à elle, d'un roman anonyme, les Grandes et Inestimables Cronicques de l'énorme géant Gargantua, publié à Lyon alors que Rabelais y était médecin. Toutefois, plus que de modèles, il semble que ces récits tiennent surtout lieu de prétextes à l'auteur. En effet, délibérément inscrit dans la droite ligne des «!histoires à rire!», il est possible de voir d'abord dans le Pantagruel une suite d'épisodes cocasses, dont l'aspect humoristique vise à mieux servir les principes de l'humanisme qui y sont développés. En témoigne la lettre de Gargantua à Pantagruel, qui est un véritable programme pédagogique, où se trouve diagnostiquée toute la crise de la société et de la civilisation du XVIe siècle. Pour autant, cette œuvre ne se veut pas didactique. Résolument antidogmatique, ne faisant cas ni de la logique ni de la vraisemblance, elle affiche au contraire une constante liberté, qui tourne parfois à la désinvolture, façon de stigmatiser, dans le sillage d'Érasme, cet «!amour de soi!» qui interdit a priori toute «!connaissance de soi!». À partir de là, le symbolisme rabelaisien débouche tout naturellement sur l'utopie. Le Gargantua développe le célèbre thème de la société idéale de l'abbaye de Thélème : «!Fais ce que voudras.!» L'homme, bon par nature, est invité à régler librement une vie à sa mesure, aidé en cela par la culture humaniste, dont l'optimisme est la règle de base. Plus explicitement que dans le Pantagruel se précise ici la dimension sérieuse de l'œuvre, que le lecteur doit aller chercher au-delà du ton comique de la chronique gigantale. Le prologue du Gargantua invite le lecteur à approfondir le sens du récit, à «!rompre l'os!» pour aller sucer la «!substantifique moelle!». Il va de soi que cette invitation doit être considérée avec nuance, comme l'indique le ton sur lequel Rabelais s'adresse à ceux qui le lisent : ces «!Buveurs très illustres!», ces «!Vérolés très précieux!». Ainsi l'œuvre est-elle à prendre comme le «!silène!» qui lui sert d'emblème, petite boîte peinte d'un sujet comique et contenant de précieuses drogues médicinales. Quant à la gaieté éclatante du texte, elle se justifie avant tout «!pource que rire est le propre de l'homme!», et parce que, fondamentalement, toute plaisanterie est signifiante : Rabelais lui-même nous convie à superposer à la lecture comique une lecture symbolique, sans qu'aucune des deux doive nuire à l'autre. Le Tiers Livre, publié sous le nom de Rabelais, contrairement au Gargantua et au Pantagruel, reprend les mêmes personnages, mais accorde le premier rôle au moine Panurge. Réflexion sur les dettes et sur le mariage, ce livre est certainement plus inspiré que les précédents par l'actualité de l'époque, et notamment par la querelle des Femmes. Reste que le «!sondage!» effectué par Panurge, sous l'œil amusé de Pantagruel, pour savoir s'il faut se marier ou non est une satire de la quête de la vérité pour elle-même, opposée à l'idéal stoïcien valorisant la paix, la joie, la santé et les plaisirs corporels. La décision de poser la question à l'oracle de la Dive-bouteille servira de prétexte au quatrième et au cinquième livre pour évoquer de nouvelles questions d'actualité. En effet, dans le Quart Livre, Rabelais prend clairement position contre les gens de justice et surtout contre le pape, avec lequel Henri II était alors en conflit. Le livre sera censuré par la Sorbonne en 1552. Enfin, le cinquième livre se termine par la parole de l'oracle qu'était venu chercher Panurge : Trinch (c'est-à-dire «!bois!»), qui, pour toute réponse, l'incite au plaisir du bon vin qui a la faculté d'«!emplir l'âme de toute vérité, tout savoir et toute philosophie!». En bon disciple d'Érasme, Rabelais n'a pas hésité à mettre à contribution toutes les langues et tous les dialectes dans une œuvre où se mêlent culture populaire et culture savante, réalisme, philosophie, allégorie, divertissement et matière à réflexion profonde. Les chroniques rabelaisiennes sont aussi une formidable symphonie verbale polysémantique, où le créateur se livre à un véritable jeu sur les mots, qui excède de beaucoup la simple nécessité de l'expression.
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