La Philosophie à Paris

Socrate

21 Mai 2006, 23:01pm

Publié par Les Etudiants de Paris 8

Socrate nous est connu essentiellemnt par les écrits de Xénophon et de Platon. Socrate naît en 469 av. J. C., au bourg d'Alopèce. Son père est un sculpteur, Sophronisque, et sa mère une sage-femme, Phaenarète. Certains ont prétendu qu'il était esclave, sculpteur et lui ont attribué les Grâces de l'Acropole. Il se maria au moins une fois avec la proverbiale Xanthippe dont il eut pour fils Lamproclès. Il dansait, jouait de la lyre et le Phédon nous le révèle poète. Il prétendait agir sous les ordres de son démon (nous y reviendrons). Socrate était sédentaire, à la différence des philosophes de l'époque qui faisaient plus ou moins leur tour de Méditerranée afin de s'instruire comme ils feront leur tour d'Europe du XVI° au XVIII° s. Socrate ne quitta Athènes que pour la défendre contre les Perses à Delion (où il sauve Xénophon, un historien grec) et à Potidée, et pour consulter l'oracle de Delphes. Cet oracle l'aurait profondément troublé. Sur le fronton du temple de Delphes était inscrit le fameux " Connais-toi toi-même " et l'oracle lui aurait dit : " Socrate est le plus sage des mortels ". Socrate y voit le signe d'une mission divine et ira désormais dans les rues, interrogeant les gens : tous croient savoir quelque chose mais ne savent pas qu'ils ne savent rien. Lui au moins sait qu'il ne sait rien et c'est en cela qu'il est le plus sage des mortels. Socrate montre aux hommes la naïveté de leurs croyances.
Socrate vécut sous la tyrannie des Trente, les trente tyrans que Spartes imposa à Athènes vers 404 av. J. C., lorsqu'Athènes fut vaincue lors des guerres du Péloponnèse. Les Trente, selon Xénophon, lui interdirent d'enseigner la rhétorique.
Après la fuite des Trente (404 av. J. C.), il ne restera à Socrate que 5 années à vivre. Trois " bons " citoyens le dénoncèrent comme impie, introducteur de divinités nouvelles et corrupteur de la jeunesse. Ils demandèrent sa mort et l'obtinrent des juges. Socrate s'était défendu avec une ironie qui passa pour de l'arrogance. (voir Apologie de Socrate de Platon).
Pour des raisons religieuses, la peine ne fut pas exécutée de suite. Il ne manqua donc à Socrate ni la possibilité de l'évasion, qu'il refusa, ni les entretiens ultimes avec un petit noyau de fidèles. En 399 av. J. C., il boit la ciguë.
Socrate reste quelqu'un d'énigmatique. Il apparaît en effet tour à tour sérieux et bouffon, maître de lui et démonique, doux et violent, religieux et libre penseur, ascète et banqueteur, aristocrate et démocrate, sophiste et anti-sophiste, terre à terre et idéaliste. Sur sa formation intellectuelle, nous ne savons rien de certain. Si l'on ne retient pas l'hypothèse qu'il fut esclave, il fit de la gymnastique, de la musique, de la géométrie (dont il recommande l'étude) et de l'astronomie. Des hypothèses qui ne sont pas certaines, le font élève d'Anaxagore ou disciple du cosmologue et physicien Archelaüs. C'est de lui qu'il se serait détaché pour s'attacher à la philosophie morale. Il n'a sans doute pas rencontré Parménide et avoue ne rien comprendre à Héraclite. Selon Aristophane, il aurait aidé Euripide. Il a fréquenté des sophistes : Protagoras, Hippias, Polos, Prodicus de Céos. Il a dû discuter sur les fondements du droit avec Thrasymaque. Enfin, parmi ses auditeurs, il y eut Platon, encore trop jeune pour exercer sur son maître quelque influence.

Socrate n'a laissé aucun écrit. On nous rapporte ses paroles mais que valent ces témoignages ? Selon Diogène Laërce, Socrate entendant Platon lire son Lysis se serait écrié " Comme ce jeune homme me fait dire des choses qui ne sont pas de moi ! ". Dès lors Platon n'est-il pas l'auteur de la métaphysique de Socrate ? Le mieux est de démêler le plus vraisemblable.
Si l'on se fie à un passage du Phédon, Socrate aurait renoncé à la philosophie naturelle des physiciens, en constatant, qu'après avoir rattaché l'organisation du cosmos à une intelligence, Anaxagore se bornait ensuite à un mécanisme qui rendait inutile la Providence. Autrement dit, Anaxagore introduit un Dieu qui ne sert à rien pour expliquer le monde. Qu'est-ce que cela implique ? Que le dieu unique et providentiel auquel croyait Socrate était inconnaissable et ne pouvait, par conséquent, fonder notre connaissance du monde. Voilà, d'un coup, inutilisables les deux idées métaphysiques de Dieu et aussi du Monde (puisque nous n'avons plus rien pour fonder la connaissance de ce Monde). Socrate s'aperçoit que Dieu est objet de foi et non de science. Puisque Socrate ne pouvait alors s'appuyer sur le dogme d'une Révélation (les religions révélées n'existent pas encore, à l'époque), sa piété ne trouvait aucune raison de se soumettre aux opinions religieuses de la Cité. Tout en les respectant en bon citoyen (car le citoyen doit respecter, selon Socrate, les lois de la Cité), sa foi devait leur préférer, en bon philosophe, le déisme (c'est à dire la doctrine qui admet l'existence de Dieu mais comme un être suprême aux attributs indéterminés et qui ne fait référence à aucun dogme ni révélation).
Quant à la science du monde, elle devenait à la fois impossible (nous l'avons vu), inutile (car elle ne démontrait pas la Providence) et impie car elle se substituait à Dieu dont elle cherchait indûment à violer les secrets. Que restait-il ? Il restait l'homme. Voilà le sens du " Connais-toi toi-même ! ".
Socrate interroge l'artisan, le général, le politicien, le prêtre même et il leur prouve qu'ils sont incapables de définir l'objet de leur savoir. Il s'attaque aux plus forts, aux sophistes. À armes égales ! Eux aussi ne s'intéressent qu'à l'homme mais en pragmatistes. Ces professeurs (payés) de politique, ces virtuoses de la plaidoirie ne se soucient point d'un vrai absolu. Le vrai se confond pour eux avec la réussite. Il ne concerne pas l'universel, il ne s'applique qu'à des cas. Ainsi, Socrate se range parmi les sophistes, en limitant ses recherches au seul sujet que nous puissions connaître, à savoir l'homme, et lutte contre les sophistes en refusant d'identifier le droit avec le fait, la vérité avec la réussite. Socrate se réclame de la raison et d'une raison universelle. Mais dès lors il faut fonder métaphysiquement la raison pour être assuré de son universalité. Or le fondement ne saurait être Dieu puisque Dieu se dérobe à notre Science et qu'il possède seul le privilège de connaître les Idées ou Formes absolues. Pourtant, Socrate a besoin que nos idées soient vraies. Le substitut de la preuve métaphysique lui est fourni par une expérience et par une analogie.

  • L'expérience est celle du démon : sorte d'ange gardien, de dieu intérieur (par opposition aux dieux objectivés de la mythologie) dont les ordres, soit positifs, soit négatifs (arrête-toi, marche etc.), sont des exemples, pour l'individu particulier d'une Providence au-dessus de nos raisonnements. Il est l'intermédiaire entre l'homme et Dieu. Il est lumineux, inspirateur. Le démon assume dans l'expérience vécue le rôle, chez Platon, du mythe dans l'expérience pensée.
  • La croyance au Bien absolu par delà les biens relatifs, étayée par la théorie de la définition, entraîne, par analogie, la croyance en l'immortalité de l'âme et, par là, en la validité universelle de nos concepts. Somme toute, en dégageant la cohérence des paroles de Socrate, telles qu'elles nous sont parvenues, il semble que chez lui la raison pratique fonde la raison théorique. Mais tout cela reste implicite.

Socrate dialogue. Peut-être créa-t-il la dialectique c'est-à-dire le dialogue, la parole alternée. Que font les sophistes ? Ils composent des discours qui doivent éblouir par l'ingéniosité de l'argumentation et par les beautés de style. Ils émeuvent et en émouvant ils persuadent.
La dialectique socratique brise les longs discours. Elle procède par courtes réponses et ne vise pas à l'ingéniosité mais à la rigueur rationnelle. Elle refuse les effets de style. Elle s'adresse à l'intellect et non à la recherche affective. Elle a pour but de convaincre et non de persuader.
Comment s'y prend Socrate ? Il commence par ironiser. " Je ne sais pas mais toi tu sais ". L'ironie au sens primitif du terme désigne en effet l'action d'interroger en feignant l'ignorance.Son ironie est à la fois sérieuse et moqueuse :

  • sérieuse, car Socrate sait effectivement qu'il ne sait rien puisqu'il a renoncé aux prétentions du dogmatisme ;
  • moqueuse, car la dialectique se prépare à démontrer à l'autre (et devant les autres) qu'en réalité il ignore ce qu'il se flatte de savoir. Le dialecticien laisse à son antagoniste le soin de faire la preuve qu'il n'est pas un idiot.

Il s'agit d'accoucher un esprit. C'est ce qu'on appelle la maïeutique. Quelle est cette vérité dont doit accoucher cet esprit ? La définition d'un genre et non pas l'idée absolue qui n'est accessible qu'à Dieu. On accède à la définition d'un genre en remontant par induction du particulier à l'universel. Le juste, ce n'est pas cette bonne action ou cette autre, c'est le juste déterminé dans son essence. Pour la déterminer, le dialecticien part de ce que l'on dit, des opinions dont la parlerie quotidienne maintient les généralisations hâtives et les préjugés. Les opinions données, il les réfute en conduisant l'antagoniste à reconnaître qu'elles ne sont pas applicables à tous les cas de la même espèce et qu'elles renferment des contradictions. On ne sait pas encore ce qu'est le vrai qu'on voit déjà apparaître le faux. La conscience de l'anormal implique celle du normal, l'aveu de l'ignorance libère la possibilité d'un savoir. Bref, le particulier perçu renvoie, dès qu'on y réfléchit, à un universel conçu. De l'énonciation incomplète, confuse, fautive, du bavardage quotidien, la chaîne des raisons forgée par le travail du dialecticien et du protagoniste remonte à l'énonciation claire et véritable de l'essence. De la définition nominale à laquelle s'arrête le sophiste et qui désigne seulement un ensemble empirique de prédicats, on passe à la définition réelle qui dévoile dans leurs liens essentiels les prédicats essentiels.
Le grand mérite de Socrate serait d'avoir établi que, par un travail en commun sur le discours commun, on peut parvenir à un discours juste. Tandis que le sophiste, maître des discours persuasifs en langage commun, parle devant les autres mais non avec les autres, le dialecticien renonce au monologue d'apparat pour convaincre par le dialogue. La définition juste sera, comme en géométrie, le principe de la déduction juste. Cette définition est un concept fondamental. Le concept socratique s'en tient à la constatation de ce que l'on découvre dans tout esprit humain par une interrogation bien conduite : c'est dans le discours même qu'est ce lieu de la vérité.
Si la vérité ne s'éprouve que par le travail en commun de la dialectique, si ce travail ne doit pas s'exercer sur les secrets de Dieu (et donc si théologie et cosmologie sont exclues), la tâche du philosophe ne peut être que de fonder la science de l'homme, la science de la morale.
Cette morale sera idéaliste et utilitaire.

  • elle est idéaliste au sens où elle nous propose par delà les fins empiriques le règne de l'universel ;
  • elle est utilitaire non au sens des sophistes qui confondent vérité et réussite politique parce qu'ils confondent raisonnement d'après l'opinion et raisonnement d'après les essences. Elle est utilitaire parce qu'au niveau de l'universel, l'utile devient synonyme du bon. Il ne concerne plus les appétits mais le désir essentiel dont l'homme a le privilège : la volonté

Qu'on ne perde jamais de vue d'où part et où revient la pensée de Socrate. Ce n'est pas Dieu ni le cosmos. C'est n'importe quel homme : l'artisan, l'artiste, le pilote, le médecin ou le politique. Chacun d'entre eux se préoccupe de l'utile tantôt pour soi, au gré de ses impulsions et désirs égoïstes, tantôt pour satisfaire aux exigences d'un métier qui veut que la chaussure chausse juste, que le bon bouclier protège bien, que le navire arrive à bon port, que le malade guérisse ou qu'une réforme réussisse.
Cependant, si chacun se préoccupe de l'utile, aucun ne le définit dans son universalité ; tous ne le définissent que par un avantage immédiat en quelque cas particulier pour un individu particulier et ils ne l'obtiennent que par la routine de métier, la pratique d'un art, les effets d'une rhétorique. L'honneur du dialecticien sera de démontrer que si l'utile c'est le bon, le bon à son tour est le bien dont la définition réelle s'applique à tous les cas et pour tous les hommes et qui, par là, détermine l'objet d'une science et d'une science applicable.
Il faut passer du désir au désirable. Il ne s'agit pas d'abandonner la considération de l'utile. En fait la considération de l'utile aboutit au concept du bien. Celui qui n'a pas accédé à la connaissance du bien se conduit par instinct, désir ou technique particulière. Spontanément, on obéit à l'instinct, on cherche à satisfaire son désir. Voilà en nous la part de nature aveugle.
Non moins spontanément lorsqu'on voit le bien la volonté le suit, parce que la volonté est le désir du bien ou, en d'autres termes, le désir raisonnable. Lorsque le bien aperçu est réel, il ne peut être que le même pour tous les hommes. Il est le désirable.
Or, maintenant que l'induction a défini le bien comme désir essentiel de la raison humaine en revenant par déduction à la pratique, ce bien ne perdra pas son universalité pour retomber dans le particulier du désir égoïste ou dans l'aveuglement de la routine. Le sage agira par science. Il pratiquera la vertu. Car la vertu consiste à maîtriser les mouvements d'une nature aveugle et à se conduire selon la science du bien. Puisque la raison est une, il faut que la vertu soit une, quelle que soit la diversité des cas auxquels elle s'applique. Il faut aussi, en tant que science, qu'elle soit enseignable en théorie et en pratique. Et puisque la vertu est raison et que la volonté est le désir de la raison, on se contredirait en refusant d'admettre que, par essence, l'homme veut le bien et que, quand il fait le mal, il se leurre. Nul n'est méchant volontairement. Le méchant c'est l'ignorant et il est malheureux.
De même qu'il faut passer du désiré à ce qui est authentiquement désirable, il faut passer du plaisir au bonheur. La vertu, comme tout désir quand il est satisfait, provoque le plaisir. Mais il ne s'agit plus du plaisir des sens, de l'instinct, de l'individu empirique. Il s'agit du bonheur, plaisir de raison donc désirable pour tout homme en droit, puisque l'homme se définit par la raison, en fait puisque le vertueux a la tranquillité de l'âme.
Dans la diversité des occasions où il se réalise, le bonheur est un et vise l'universel. Raison, vertu et bonheur sont trois mots qui désignent une même essence.
Socrate n'écrit pas. Ce n'est pas un théoricien pur. Il va, vient, interroge, vit la vie de la Cité. Il faut que sa sagesse soit pratique, qu'il prouve que sa science est non seulement applicable mais appliquée. Dans la pratique la vertu se pluralise nécessairement en vertus :

  • À l'égard de la Cité, l'obéissance aux lois est le premier devoir, même si la loi est injuste. Socrate refusera de s'évader de la prison où il attendra la mort.
  • À l'égard des autres citoyens, il les considérera tous en amis possibles. Il s'efforcera de son mieux de leur être utile, il ne rendra pas le mal pour le mal, il aura pour les jeunes gens un amour pédagogique (comme pour Alcibiade, par exemple).
  • Dans l'éducation de soi-même, il sera tempérant pour se libérer des passions et décider souverainement de ses actes. Il soignera sa santé, méprisera l'argent, se cultivera, sera modeste et pieux et se maintiendra en alerte par examen de conscience.

Socrate parle, il n'écrit pas. Mais il ne parle pas en sophiste. Il parle avec les autres dans l'effort en commun de la dialectique. Dès lors il doit prêcher l'exemple.
En résumé :

  • Socrate invente la dialectique : on ne sait rien. Il faut parler. Ce n'est pas par de grands discours à effets que nous découvrirons la vérité mais par le dialogue, ensemble, d'accord en accord. Le langage est le lieu de notre vérité
  • Nous avons à connaître non pas Dieu ou le monde mais nous-mêmes. Or, la raison, une fois bornée à la connaissance de soi, est capable de certitude. Elle porte des concepts vrais. Entre tous ces concepts, les plus utiles sont ceux qui peuvent nous aider à diriger notre conduite.
  • Socrate crée la science morale. La vertu consiste à résister aux impulsions particulières pour suivre les commandements universels de la raison. La vertu est donc une idée nouvelle. Les vertus envers soi-même, envers autrui et l'État, doivent en chaque cas se régler sur l'universel, émanation de la vertu. Bien penser ne suffirait pas. Il faut agir bien. La volonté est ce désir essentiel qui se porte naturellement vers le bien et la satisfaction de ce désir s'appelle bonheur. Nul n'est donc méchant volontairement. On peut enseigner la vertu qui échappe aux hasards et tempéraments individuels.
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  • Il nous faudrait continuer sur la mort de Socrate. 
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